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Leçons sur le calcul des fonctions/Leçon 01

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LEÇON PREMIÈRE.

Sur l’objet du Calcul des fonctions et sur les fonctions en général.

Le Calcul des fonctions a le même objet que le Calcul différentiel pris dans le sens le plus étendu, mais il n’est point sujet aux difficultés qui se rencontrent dans les principes et dans la marche ordinaire de ce Calcul : il sert de plus à lier le Calcul différentiel immédiatement à l’Algèbre, dont on peut dire qu’il a fait jusqu’à présent une science séparée.

On connaît les difficultés qu’offre la supposition des infiniment petits, sur laquelle Leibnitz a fondé le Calcul différentiel. Pour les éviter, Euler regarde les différentielles comme nulles, ce qui réduit leur rapport à l’expression zéro divisé par zéro, laquelle ne présente aucune idée.

Maclaurin et d’Alembert emploient la considération des limites et regardent le rapport des différentielles comme la limite du rapport des différences finies, lorsque ces différences deviennent nulles.

Cette manière de représenter les quantités différentielles ne fait que reculer la difficulté ; car, en dernière analyse, le rapport des différences évanouissantes se réduit encore à celui de zéro à zéro.

D’ailleurs on peut observer que c’est improprement qu’on applique le mot connu de limite à ce que devient une expression analytique lorsqu’on y fait évanouir certaines quantités, parce que ces limites, après avoir décru jusqu’à zéro, pourraient encore devenir négatives. De même qu’en Géométrie, on ne peut pas dire à la rigueur que la soustangente soit la limite des sous-sécantes, parce que rien n’empêche la sous-sécante de croître encore lorsqu’elle est devenue sous-tangente.

Les véritables limites, suivant les notions des anciens, sont des quantités qu’on ne peut passer, quoiqu’on puisse s’en approcher aussi près que l’on veut ; telle est, par exemple, la circonférence du cercle à l’égard des polygones inscrit et circonscrit, parce que, quelque grand que devienne le nombre des côtés, jamais le polygone intérieur ne sortira du cercle, ni l’extérieur n’y entrera. Ainsi les asymptotes sont de véritables limites des courbes auxquelles elles appartiennent, etc.

Au reste je ne disconviens pas qu’on ne puisse, par la considération des limites envisagées d’une manière particulière, démontrer rigoureusement les principes du, Calcul différentiel, comme Maclaurin, d’Alembert et plusieurs auteurs après eux l’ont fait. Mais l’espèce de métaphysique que l’on est obligé d’y employer est sinon contraire, du moins étrangère à l’esprit de l’Analyse qui ne doit avoir d’autre métaphysique que celle qui consiste dans les premiers principes et dans les premières opérations fondamentales du calcul.

À l’égard de la méthode des fluxions, il est vrai qu’on ne peut considérer les fluxions que comme les vitesses avec lesquelles, les grandeurs varient, et y faire abstraction de toute idée mécanique ; mais la détermination analytique de ces vitesses dépend aussi, dans cette méthode, de la considération des quantités petites ou évanouissantes ; elle est par conséquent sujette aux mêmes difficultés que le Calcul différentiel.

Quand on approfondit ces différentes méthodes ou plutôt ces différentes manières d’envisager la même méthode, on trouve qu’elles n’ont d’autre but que de donner le moyen d’obtenir séparément les premiers termes du développement d’une fonction, en les détachant et les isolant, pour ainsi dire, du reste de la série, parce que tous les problèmes dont la solution exige le Calcul différentiel dépendent uniquement de ces premiers termes. Et l’on peut dire qu’on remplissait cet objet sans presque se douter que ce fût là le seul but des opérations du calcul qu’on employait.

La considération des courbes avait fait naître la méthode des infiniment petits, qu’on a ensuite transformée en méthode des évanouissants ou des limites, et la considération du mouvement avait fait naître celle des fluxions. On a transporté dans l’Analyse les principes qui résultaient de ces considérations ; et l’on n’a pas vu d’abord, ou du moins il ne paraît pas qu’on ait vu que les problèmes qui dépendent de ces méthodes, envisagés analytiquement, se réduisent simplement à la recherche des fonctions dérivées qui forment les premiers termes du développement des fonctions données, ou à la recherche inverse des fonctions primitives par les fonctions dérivées.

Newton avait bien remarqué dans sa première solution du problème sur la courbe décrite par un corps grave, dans un milieu résistant, que ce problème devait se résoudre par les premiers termes de la série de l’ordonnée ; mais il se trompa dans l’application de ce principe, et dans sa seconde solution il employa purement la méthode différentielle, en considérant les différences de quatre ordonnées successives ; et, quoiqu’il ait laissé subsister le passage où il dit que le problème se résoudra par les premiers termes de la série, on voit que ce passage n’a plus de rapport immédiat à ce qui précède ni à ce qui suit.

Il est donc plus naturel et plus simple de considérer immédiatement le développement des fonctions, sans employer le circuit métaphysique des infiniment petits ou des limites ; et c’est ramener le Calcul différentiel à une origine purement algébrique, que de le faire dépendre uniquement de ce développement.

Mais, à la naissance du Calcul différentiel, on n’avait pas encore une idée assez étendue de ce qu’on entend par fonction.

Les premiers analystes n’avaient employé ce mot que pour désigner les différentes puissances d’une même quantité ; on en a ensuite étendu la signification à toute quantité formée d’une manière quelconque d’une autre quantité ; et il est aujourd’hui généralement adopté pour exprimer que la valeur d’une quantité dépend, suivant une loi donnée, d’une ou de plusieurs autres quantités données.

Sous ce point de vue on doit regarder l’Algèbre comme la science des fonctions ; il est aisé de voir que la résolution des équations ne consiste, en général, qu’à trouver les valeurs des quantités inconnues en fonctions déterminées des quantités connues. Ces fonctions représentent alors les différentes opérations qu’il faut faire sur les quantités connues pour obtenir les valeurs de celles que l’on cherche, et elles ne sont proprement que le dernier résultat du calcul.

Mais, en Algèbre, on ne considère les fonctions qu’autant qu’elles résultent des opérations de l’Arithmétique, généralisées et transportées aux lettres, au lieu que, dans le Calcul des fonctions proprement dit, on considère les fonctions qui résultent de l’opération algébrique du développement en série lorsqu’on attribue à une ou à plusieurs quantités de la fonction des accroissements indéterminés.

Le développement des fonctions, envisagé d’une manière générale, donne naissance aux fonctions dérivées de différents ordres ; et, l’algorithme de ces fonctions une fois trouvé, on peut les considérer en ellesinnêmes et indépendamment des séries d’où elles résultent. Ainsi, une fonction donnée étant regardée comme primitive, on peut en déduire par des règles simples et uniformes d’autres fonctions que j’appelle dérivées ; et, lorsqu’on a une équation quelconque entre plusieurs variables, on peut passer successivement aux équations dérivées, et remonter de celles-ci aux équations primitives. Ces transformations répondent aux différentiations et aux intégrations ; mais, dans la théorie des fonctions, elles ne dépendent que d’opérations purement algébriques, fondées sur les simples principes du calcul.

Les fonctions dérivées se présentent naturellementdans la Géométrie, lorsqu’on considère les aires, les tangentes, les rayons osculateurs, etc. ; et dans la Mécanique, lorsqu’on considère les vitesses et les forces. Si l’on regarde, par exemple, l’aire d’une courbe comme fonction de l’abscisse, l’ordonnée en est la première fonction dérivée ou fonction prime ; le rapport de l’ordonnée à la sous-tangente est exprimé par la fonction prime de l’ordonnée, et par conséquentpar la seconde fonction dérivée ou fonction seconde de l’aire ; le rayon osculateur dépend des deux premières fonctions dérivées de l’ordonnée, et ainsi de suite. De même, en regardant l’espace parcouru comme fonction du temps, la vitesse en est la fonction prime et la force accélératrice en est la fonction seconde. Ce n’est peut-être pas un des moindres avantages du Calcul des fonctions de fournir, pour ces éléments de la Géométrie des courbes et de la Mécanique, des expressions aussi simples et intelligibles que le sont les expressions algébriques des puissances et des racines.

Lorsqu’on envisage une fonction relativement à une des quantités qui la composent, on fait abstraction de la valeur de cette quantité, et l’on ne considère que la manière dont elle est combinée avec elle-même et avec les autreg quantités. Ainsi la fonction estcensée demeurer la même, tandis que cette quantité varie d’une manière quelconque, pourvu que les autres quantités avec lesquelles elle est mêlée demeurent constantes ce qui introduit naturellement, par rapport aux fonctions, la distinction des quantités en variables et constantes.

Dans l’Algèbre ordinaire, on distingue simplement les quantités en connues et inconnues, et l’on a coutume de désigner les unes par les premières lettres de l’alphabet, et les autres par les dernières. L’application de l’Algèbre à la théorie des courbes a fait d’abord distinguer les quantités qui entrent dans l’équation d’une courbe en données, telles que les axes, les paramètres, etc., et en indéterminées, telles que les coordonnées. Depuis on a envisagé ces mêmes quantités sous l’aspect plus naturel de constantes et de variables et la considération des fonctions porte naturellement à regarder sous ce même point de vue les différentes quantités qui les composent.

Nous appellerons donc simplement fonctions d’une ou de plusieurs quantités toute expression de calcul dans laquelle ces quantités entreront d’une manière quelconque, mêlées ou non avec d’autres quantités regardées comme ayant des valeurs données et invariables, tandis que les quantités de la fonction sont censées pouvoir recevoir toutes les valeurs possibles.

Nous désignerons ordinairement les variables des fonctions par les dernières lettres de l’alphabet et les constantes par les premières Et, pour marquer une fonction d’une variable, nous ferons simplement précéder cette variable de la lettre caractéristique ou Ainsi désignera une fonction de désigneront des fonctions de de

Pour marquer une fonction de deux variables indépendantes comme nous écrirons et ainsi des autres. Lorsque nous voudrons employer d’autres caractéristiques, nous aurons soin d’en avertir.

Si deux fonctions de deux variables différentes c’est-à-dire l’une de et l’autre de y, sont composées de la même manière et avec les mêmes constantes, ces fonctions seront pareilles et pourront être désignées dans un même calcul par la même caractéristique ; ainsi et seront deux fonctions pareilles qui deviendront identiques en faisant Mais si, les deux fonctions étant composées de la même manière, les constantes qu’elles contiennent sont différentes, alors on ne pourra plus, généralement parlant, les représenter par la même caractéristique dans le cours d’un même calcul. Cependant, si les deux fonctions ne dînèrent, par exemple, que par la valeur d’une constante, qui serait dans l’une et dans l’autre, on pourra encore les désigner par la même caractéristique, en les représentant par et comme des fonctions pareilles de et de Ainsi, dans ce cas, les quantités et entreront aussi dans l’expression de la fonction, parce que, quoique constantes dans chaque fonction, elles peuvent être regardées comme variables d’une fonction à l’autre.

Nous n’entrerons ici dans aucun détail sur les différentes formes des fonctions ; mais nous allons considérer la dérivation des fonctions les unes des autres, dans laquelle consiste proprement le Calcul des fonctions.


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