Le Baron avare
Le Baron avare
Scène PREMIÈRE
Quoi qu’il arrive, je paraîtrai au tournoi. — Johann, montre-moi mon casque. (Johann le lui apporte.) Percé à jour ! impossible de le mettre. Il faut que j’en trouve un autre. Quel coup ! Maudit comte de Lorges !
Vous l’en avez bien payé en le jetant de ses étriers par terre. Il est resté tout un jour comme mort, et l’on ne sait s’il en reviendra.
Il n’a rien perdu, lui. Sa cotte de mailles de Venise est intacte. Quant à sa poitrine, elle ne lui coûte rien ; il n’est pas obligé de s’en acheter une autre. Pourquoi ne lui ai-je pas ôté son casque dans la lice ? Je l’aurais fait, si je n’avais eu honte devant les dames et le duc. Maudit comte ! il eût mieux fait de me percer la tête. J’ai aussi besoin d’habits. La dernière fois, tous les chevaliers assis à la table du duc étaient en soie et en velours ; moi seul j’étais en cuirasse. J’ai dit pour excuse que j’étais venu au tournoi par hasard. Que dirai-je maintenant ? O pauvreté, pauvreté ! comme elle nous abaisse le cœur ! Quand de Lorges perça mon casque de sa lourde lance, et me dépassa au galop ; quand, la tête nue, je donnai de l’éperon à mon Émyr, et, m’élançant comme la foudre, je jetai le comte à vingt pas, de même qu’un petit page ; quand toutes les dames se levèrent de leurs sièges, et que Clotilde elle-même, se cachant le visage, poussa un cri involontaire ; quand tous les hérauts célébrèrent la vigueur de ce coup ; personne alors ne se doutait de la cause de ma bravoure et de ma force terrible : j’étais furieux d’avoir mon casque endommagé. Qui m’avait donné cet héroïsme ? l’avarice. Oui, l’avarice. Il n’est pas difficile d’en être infecté, quand on vit sous le même toit que mon père. Que fait mon pauvre Émyr ?
Il boite encore. Vous ne pouvez pas le monter.
Allons, j’achèterai l’alezan. D’ailleurs on en demande pas cher.
Pas cher, oui ; mais nous n’avons pas d’argent.
Que t’a dit ce coquin de Salomon ?
Qu’il ne pouvait plus vous prêter de l’argent sans gages.
Gages ! où veux-tu que je prenne des gages, diable que tu es ?
C’est ce que je lui ai dit.
Eh bien ?
Il s’est mis à geindre et à plier les épaules.
Mais tu devais lui dire que mon père est lui-même riche comme un juif ; et que, tôt ou tard, j’hériterai de tout.
C’est ce que je lui ai dit.
Eh bien ?
Il s’est mis à plier les épaules et à geindre.
Quel malheur !
Il a voulu venir lui-même.
Tant mieux. Je ne le lâcherai pas sans une rançon. (On frappe à la porte.) Qui est là ?
Entre le juif Salomon.
Votre humble serviteur.
Ah ! cher ami, maudit juif, respectable Salomon, daigne un peu t’approcher. Comment, on dit que tu ne prêtes plus à crédit ?
Oh ! noble seigneur, je vous jure que je le ferais avec plaisir ; mais je ne puis. Où prendre de l’argent ? je me suis complètement ruiné pour être venu en aide aux gentilshommes. Personne ne paye. Moi-même, je venais vous prier de me rendre… ne fût-ce qu’une partie…
Mais, brigand, si j’avais eu de l’argent, aurais-je voulu avoir affaire avec toi ? Finissons-en ; ne fais pas l’obstiné, mon cher Salomon. Donne tes ducats ; lâche-m’en une centaine avant qu’on ne t’ait fouillé.
Une centaine ! ah ! si j’avais cent ducats !
Voyons ; n’as-tu pas honte de ne pas venir en aide à tes amis ?
Je vous jure…
Finis donc. Tu veux un gage ? Quelle folie ! Que veux-tu que je te donne en gage ? une peau de cochon ? Si j’avais quelque objet qui eût du prix, il y a longtemps que je l’aurais vendu. Ne te suffit-il pas d’une parole de chevalier, chien que tu es ?
Votre parole, aussi longtemps que vous êtes en vie, vaut beaucoup, beaucoup. Comme un talisman, elle peut vous ouvrir tous les coffres des richards de Flandre. Mais si vous me la transmettez à moi, pauvre Hébreu, et qu’ensuite vous veniez à mourir, ce qu’à Dieu ne plaise, alors, dans mes mains, elle sera semblable à la clef d’un coffre jeté au fond des mers.
Mourir ! Mais est-ce que je vivrai moins que mon père ?
Qui le sait ? Ce n’est point par nous-mêmes que nos jours sont comptés. Un jeune homme fleurissait hier ; et le voilà qui meurt aujourd’hui, et quatre vieillards le portent péniblement à la terre sur leurs épaules courbées. Le baron se porte bien ; il peut, avec la grâce de Dieu, vivre encore dix, vingt, trente ans peut-être.
Tu radotes, juif. Dans trente ans j’aurai la cinquantaine ; et alors, à quoi l’argent me sera-t-il bon ?
L’argent ! l’argent est bon toujours, et à tout âge. Mais le jeune homme voit dans les pièces de monnaie[1] d’agiles serviteurs qu’il expédie dans tous les sens, sans les ménager ; tandis que le vieillard voit en elles des amis éprouvés, et les garde comme la prunelle de ses yeux.
Oh ! mon père ne voit dans les pièces de monnaie ni des serviteurs, ni des amis, mais des maîtres. Il les sert lui-même ; et comment ? comme un esclave d’Alger, comme un chien à la chaîne. Il vit dans un galetas, non chauffé ; il boit de l’eau, mange du pain sec, et grelotte sans dormir toute la nuit, tandis que son or se prélasse tranquillement dans ses coffres. Mais, patience, un jour cet or viendra à mon service, et je lui désapprendrai à mener cette vie indolente.
Oui, aux funérailles du baron, il y aura plus de ducats répandus que de larmes. Que Dieu hâte votre héritage !
Amen.
Il est vrai qu’on pourrait bien…
Quoi ?
Je voulais dire qu’il y a certain moyen…
Quel moyen ?
e… un petit vieillard de ma connaissance, un Hébreu, un pauvre commerçant…
Un usurier comme toi ? ou un peu plus honnête ?
Non, chevalier. Tobie a un autre commerce. Il compose des gouttes… C’est vraiment surprenant comme elles agissent…
Eh bien, quoi ? que me font des gouttes ?
Il n’y a qu’à en mettre dans un verre d’eau. Trois gouttes suffisent. On ne peut y remarquer ni goût ni couleur. Et l’homme, sans coliques, sans maux de cœur, sans souffrance, meurt paisiblement.
Ton petit vieillard vend du poison ?
Oui, du poison aussi.
Eh bien, vas-tu me proposer de me prêter, au lieu d’argent, deux cents fioles de poison, à un ducat pièce ? n’est-ce pas cela ?
Vous daignez rire de moi. Non, je voulais… peut-être que vous… je croyais… peut-être que le temps est venu pour que le baron meure…
Comment ! empoisonner mon père !… et tu as osé… à son fils !… Johann, empoigne-le… Et tu as osé !… mais sais-tu bien, âme de juif, chien, serpent, que je vais à l’instant te faire pendre à la porte du château.
Pardonnez-moi, j’ai eu tort ; je ne faisais que plaisanter.
Johann, une corde.
J’ai… plaisanté. Voici votre argent.
Hors d’ici, chien. (Salomon se sauve.) Voilà où m’a conduit l’avarice de mon père ! Voilà ce qu’un juif m’ose proposer ! — Donne-moi un verre de vin ; je tremble de la tête aux pieds… Johann, l’argent m’est pourtant nécessaire. Rattrape ce maudit juif, et prends-lui ses ducats. Apporte-moi une écritoire ; je donnerai ma signature au coquin. Mais n’introduis pas ici ce Judas… Non, reste… ses ducats pueraient la trahison comme les trente oboles de son ancêtre. — Je t’ai demandé du vin.
Il n’en reste plus une goutte.
Et ce vin que Raymond m’avait envoyé d’Espagne en cadeau ?
J’ai porté hier la dernière bouteille au maréchal ferrant malade.
Oui, je m’en souviens. Eh bien ! donnemoi de l’eau. — C’est décidé ; j’irai demander justice au duc. Il faut qu’il force mon père à m’entretenir comme un fils, non comme un rat né au fond d’une cave.
- Ils sortent.
Scène II
Ainsi qu’un jeune écervelé attend l’heure du rendez-vous avec quelque rusée courtisane ou quelque sotte qu’il a trompée, ainsi ai-je attendu tout le jour l’instant où je pourrais descendre dans mon secret caveau, pour revoir mes coffres fidèles. Heureuse journée ! je puis jeter une poignée d’or, qu’aujourd’hui j’ai rassemblée, dans le sixième coffre qui n’est pas encore rempli. Cela paraît peu de chose ; mais les trésors croissent peu à peu. J’ai lu quelque part qu’un roi puissant ordonna un jour aux soldats de son arme d’apporter chacun une poignée de terre en un certain lieu, et une fière colline se dressa, et le roi put de cette hauteur contempler avec joie et la plaine couverte de tentes blanchissantes, et la mer où couraient ses nombreux vaisseaux. Ainsi moi, apportant par pauvres poignées mon tribut journalier à ce caveau, j’ai aussi dressé ma colline, et de sa hauteur je puis aussi contempler tout ce qui m’est soumis. Qu’est-ce qui ne m’est pas soumis ? D’ici je puis gouverner le monde comme un esprit d’en haut. Je n’ai qu’à vouloir, et de splendides palais s’élève ont. Les nymphes accourront en troupes folâtres dans mes jardins magnifiques ; les Muses m’apporteront leurs offrandes, le libre génie demandera à devenir mon esclave, et la vertu, et le travail avec ses veilles attendront humblement de moi leur récompense. Je n’aurai qu’à siffler, et le crime ensanglanté entrera en rampant, obéissant et craintif, et me léchera la main, et me regardera dans les yeux pour chercher à y lire ma volonté. Tout est soumis à moi, moi je ne le suis à rien, car je suis au dessus de tout désir. Je suis calme, je sais ma force, et cette conscience me suffit. ({{Didascalie|Il regarde l’or dans sa main.}}) Oui, cela paraît peu de chose ; et pourtant combien de soucis, de tromperies, de mensonges, de larmes, de prières, de malédictions sont représentés là ! Voici un vieux ducat, une veuve me l’a donné aujourd’hui ; mais auparavant elle a passé une demi-journée sous ma fenêtre, avec ses trois enfants, agenouillée et hurlant des supplications. La pluie tomba, et cessa, et tomba de nouveau ; l’hypocrite ne bougeait point. J’aurais pu la chasser ; mais quelque chose me disait en secret qu’elle avait apporté la dette de son mari. Elle ne voudra point, pensai-je, aller en prison dès demain. Et cet autre ducat, c’est Thibaut qui me l’a apporté. Où l’a-t-il pu prendre, le fainéant ? Il l’a volé, sans doute ; ou peut-être, là, près de la grande route, la nuit, dans un bois… Oui, si toutes les larmes, toute la sueur, tout le sang répandus pour tout ce qui est amoncelé ici pouvaient sortir tout à coup du sein de la terre, il se ferait un nouveau déluge, et je serais noyé au fond de mes fidèles souterrains. — Mais il est temps. (Le baron apprête sa clef.) Chaque fois que je veux ouvrir un de mes coffres, j’éprouve un frisson de chaud et de froid. Ce n’est pas de la crainte (oh ! non, qui pourrais-je craindre ? j’ai là mon épée, et le loyal acier me répond de mon or) ; mais je ne sais quel indéfinissable sentiment m’oppresse le cœur. Les médecins nous assurent que des gens trouvent un charme étrange dans l’assassinat. Quand j’introduis ma clef dans la serrure, je ressens ce qu’ils doivent ressentir en enfonçant le couteau dans la victime. C’est à la fois terrible et délicieux. (Il ouvre le coffre.) Voilà ma félicité ! (Il y jette la poignée d’or.) Allez, vous. C’est assez errer par le monde, assez servir aux passions et aux besoins des hommes. Endormez-vous ici du sommeil de la force et du calme éternel, comme dorment les dieux dans les cieux profonds….
Je veux aujourd’hui m’arranger une fête. Je vais allumer une torche devant chacun des coffres, et je les ouvrirai tous, et je repaîtrai mes regards de tous ces monceaux éblouissants. (Il allume des torches, et ouvre successivement tous ses coffres.)
Je règne… quel éclat magique ! quel empire ! qu’il est fort et qu’il m’est obéissant ! Voici le bonheur, voici la gloire, voici l’honneur ! Je règne, je suis roi… Mais, à qui doit échoir ce pouvoir après moi ? Mon héritier, un fou, un dissipateur, le compagnon de débauches impudiques… À peine serai-je mort, lui, il va descendre ici, sous ces tranquilles et délicieuses voûtes, avec une nuée de flatteurs et d’avides parasites. Après avoir volé mes clefs sur mon cadavre, il ouvrira mes coffres en riant ; et mes trésors couleront dans les poches trouées des pourpoints de soie. Il brisera les vases sacrés ; il saturera la boue avec la myrrhe des rois, il jettera au vent… Mais de quel droit ? Tout cela m’est-il venu en dormant ? ou en plaisantant comme un joueur qui fait bruire des dés et ramasse au râteau des tas d’or ? Qui sait ce que cela m’a coûté d’amères abstinences, de passions domptées, de noirs soucis, de jours sans repos, de nuits sans sommeil ? Mon fils dira-t-il que mon cœur s’est enveloppé de mousse et que je n’ai jamais connu les désirs, ou que la conscience ne m’a jamais mordu, la conscience, cet animal à griffes qui égratigne le cœur, la conscience, ce visiteur qu’on n’a pas invité, ce créancier brutal, cette sorcière qui troublerait jusqu’à la paix des tombeaux et leur ferait vomir leurs morts ? Non, gagne ta richesse, souffre. Et alors nous verrons, malheureux, si tu dissiperas ce que tu auras gagné à la perte de ton sang. Oh ! si je pouvais cacher ce caveau à tous les regards indignes ! oh ! si je pouvais sortir du sépulcre, et m’asseoir sur ce coffre comme une ombre gardienne, et, comme je le fais à cette heure, défendre mes trésors contre l’approche de tout vivant !…
Scène III
Croyez, sire, que j’ai supporté longtemps la honte de l’amère pauvreté. Si je n’étais réduit à l’extrémité, vous n’auriez jamais entendu ma plainte.
Je vous crois. Un noble chevalier comme vous ne saurait accuser son père sans y être contraint. Il y a peu de fils assez dénaturés pour une telle action. Soyez tranquille : je ferai entendre raison à votre père en tête à tête, sans bruit. Je l’attends ici. Depuis fort longtemps nous ne nous sommes vus. Il avait été l’ami de mon aïeul. Je me rappelle, quand j’étais encore enfant, il m’asseyait sur son cheval, et me couvrait de son lourd casque comme d’une cloche. (Il regarde par la fenêtre.) Qui vient là ? n’est-ce pas lui ?
C’est lui, sire.
Passez dans la chambre voisine ; je vous appellerai quand il en sera temps. (Albert sort. Entre le baron.) Baron, je suis content de vous voir frais et dispos.
Moi, je suis heureux, sire, d’avoir encore assez de force pour me rendre à vos ordres.
Il y a longtemps, bien longtemps, baron, que nous nous sommes quittés. Vous souvenez-vous de moi ?
Il me semble, sire, que je viens de vous quitter à l’instant. Oh ! vous étiez un enfant plein de vivacité. Le défunt duc me disait souvent : « Philippe (il m’appelait ainsi), que dis-tu de ce bambin ? Dans une vingtaine d’années, nous serons des sots devant lui. » Devant vous, c’est-à-dire.
Nous referons connaissance. Vous avez oublié ma cour.
Je suis vieux, sire ; que ferais-je à la cour ? Vous êtes jeune, vous aimez les tournois, les fêtes ; et moi, je n’y suis plus bon à rien. Si Dieu nous envoyait une guerre, je serais prêt à me hisser en gémissant sur mon cheval ; j’aurais encore assez de force pour tirer mon épée d’une main tremblante, et vous en offrir le service.
Baron, votre zèle nous est connu. Vous avez été l’ami de mon aïeul ; mon père vous avait en grande estime, et moi je vous ai toujours tenu pour un chevalier fidèle et brave. Mais asseyons-nous. — Vous avez des enfants, baron ?
Un seul fils.
Pourquoi ne le vois-je point auprès de moi ? La cour vous importune ; mais il convient à son âge et à sa naissance de se trouver en notre compagnie.
Mon fils n’aime pas la vie mondaine et bruyante. Il est d’un caractère sauvage et sombre. Il erre constamment dans les bois, autour du château, comme un jeune cerf.
Il ne lui sied pas de faire ainsi le sauvage. Une fois à la cour, nous l’habituerons bien vite aux gaietés, aux bals, aux tournois. Envoyez-le-moi, et assignez à votre fils une pension digne du rang qu’il doit tenir… Vous froncez le sourcil ; seriez-vous fatigué de la route ?
Non, sire, je ne ressens pas de fatigue ; mais vous m’avez troublé. Je n’aurais pas voulu dévoiler devant vous… Vous me forcez à dire de mon fils ce que j’aurais voulu vous cacher. Sire, il est malheureusement indigne de vos bontés, indigne même de votre attention. Il passe sa jeunesse dans les vices et les excès d’une mauvaise vie.
Sans doute, baron, c’est parce qu’il est seul. La solitude et l’oisiveté perdent les jeunes gens. Envoyez-le-moi, vous dis-je ; il oubliera ici les habitudes prises dans l’ennui de l’isolement.
Excusez, sire ; mais… en vérité, je ne puis y consentir.
Pourquoi donc ?
Ne pressez pas un vieillard…
Si ; j’exige que vous me révéliez le motif de votre refus.
J’en veux à mon fils.
Pourquoi ?
Pour un crime.
Quel crime ? dites.
Excusez, sire.
C’est très-étrange ! serait-ce quelque chose dont vous auriez horreur ?
Oui, horreur.
Qu’a-t-il donc fait ?
Il a voulu… (baissant la voix) me tuer.
Vous tuer ! Mais alors je le livrerai à la justice comme un noir scélérat.
Je ne prendrais pas la charge de prouver son crime, quoique je sache fort bien qu’il attend ma mort, quoique je sache aussi qu’il a tenté de…
Quoi donc ?
De me voler.
Vous en avez menti, baron.
Comment osez-vous paraître ?
Toi… ici !… toi…, tu as osé… tu as pu dire une pareille parole à ton père ? Je mens… et devant notre souverain ! Et c’est à moi… Ne suis-je donc plus un gentilhomme ?
Vous êtes un menteur.
Et la foudre n’a pas encore éclaté, dieux vengeurs ! Ramasse donc cela (il jette son gant), et que l’épée nous juge.
Merci ! Voici le premier don de mon père.
Qu’ai-je vu ? que s’est-il passé devant moi ? Un fils accepte le défi de son vieux père ! Dans quel temps ai-je mis sur ma tête la couronne ducale ! — Taisez-vous tous deux — vous, insensé, et toi, jeune tigre. — Laisse cela, rends-moi ce gant. (Il le lui arrache.) Il s’y était cramponné, comme avec des griffes. Monstre, sortez ; et n’osez plus reparaître à mes yeux que je ne vous appelle. (Albert sort.) Et vous, malheureux vieillard, n’avez-vous pas honte ?…
Excusez, sire ; je ne puis me tenir debout. Mes genoux fléchissent. J’étouffe, j’étouffe… Où sont mes clefs, mes clefs ?… (Il tombe.)
Il se meurt. — Dieu ! quel horrible temps ! Quels cœurs de fer !
La toile tombe.
- ↑ Le mot argent est pluriel en russe.