Le Droit mis à la portée de tout le monde, par M. le professeur Émile Acollas

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Le Droit mis à la portée de tout le monde, par M. le professeur Émile Acollas
Revue pédagogique, premier semestre 1886VIII (n. s.) (p. 368-371).

Le Droit mis à la portée de tout le monde, par M. le professeur Émile Acollas ; Paris, librairie Ch. Delagrave. — Les idées générales sont malheureusement restées jusqu’ici le monopole d’un petit nombre. La faute en est à la parcimonie d’instruction et d’éducation morale dont a souffert l’ensemble de la nation sous les régimes qui ont précédé l’établissement de la République, comme aussi aux méthodes souvent défectueuses au moyen desquelles on a rétréci les intelligences au profit de la caducité des préjugés. C’est cet état de chose nuisible à chacun et par conséquent à tous que la sollicitude de l’esprit scientifique cherche à atténuer dans le présent, de façon à préparer un avenir où les citoyens, intellectuellement armés sachent vouloir en connaissance de cause ; c’est pourquoi la vulgarisation de la science, et de la science du droit en particulier, s’impose surtout dans une société démocratique comme la nôtre.

Pour jouir de la liberté paisiblement et utilement, il faut connaître les limites de cette liberté ; il faut se rendre compte des obligations qu’elle impose à l’égard des autres, en qui réside une liberté égale. Tel est l’objet de la science du droit.

Mais que de difficultés pour vulgariser la science du droit, et quelle multiplicité de connaissances s’impose à celui qui entreprend cette œuvre laborieuse !

Philosophe, historien, économiste, le vulgarisateur de la science juridique doit être tout cela, sous peine de ne fournir qu’une nomenclature de textes sans intérêt, et de laisser inaperçues ou incomprises les idées qui ont dicté les textes.

Un éminent juriste, M. le professeur Émile Acollas, vient de se dévouer à cette tâche difficile, et parmi ceux qui pouvaient avoir les qualités requises pour la mener à bien il est certainement au nombre des premiers.

M. Émile Acollas est en effet un des hommes qui ont étudié le droit le plus sûrement et à tous ses points de vue.

Le droit technique n’est pas pour lui chose arbitraire, mais bien l’application de principes certains en dehors desquels le législateur n’agit plus en homme raisonnable, soucieux du droit individuel et social, mais seulement en fantaisiste décidant au gré des caprices du moment. Pour mettre en lumière ces principes, il a dû naturellement avoir recours à la méthode historique et philosophique.

La division de l’ouvrage est aussi excellente ; toutes les matières qui relèvent du droit général sont divisées en une série de petits volumes d’une centaine de pages au plus, d’une clarté lumineuse, d’une simplicité accessible à tous, et reliés les uns aux autres par les « Idées générales » résumées en quelques pages en tête de chacun d’eux.

« La liberté dans la solidarité », « l’individu libre dans l’association libre » : telle est la formule générale d’où se déduit l’œuvre entière de l’éminent professeur. Il prend soin, sous une forme variée et appropriée au sujet, en tête de chacun de ses petits volumes, de rappeler cette formule, de l’éclairer d’explications toujours plus démonstratives, et la critique du droit technique actuel se fait alors comme d’elle-même, presque sans le moindre effort d’esprit. Les conclusions sont si fermement, si facilement dégagées des principes posés, qu’on éprouve à cette lecture une véritable séduction. Nous voudrions voir cet ouvrage dans les mains de tous, et cela non pas à cause seulement de l’esprit philosophique et libéral qui l’anime, mais aussi parce qu’il est appelé à rendre d’utiles et précieux services à l’occasion de tous les actes de la vie civile. Nous n’irons pas jusqu’à prétendre qu’une lecture assidûment attentive du « Droit mis à la portée de tout le monde » puisse soustraire les citoyens, le cas échéant, à la nécessité du concours des gens de loi ; mais il est certain qu’en vulgarisant d’une façon simple et accessible à tous les esprits les règles actuelles du droit technique, M. É. Acollas fournit les moyens d’éviter des conseils toujours coûteux pour les affaires les plus simples, et d’éviter aussi les irrégularités juridiques d’où naissent souvent tant de procès.

Le Droit mis à la porté de tout le monde comprendra une série de douze petits volumes dont quatre ont déjà paru. Ce sont : « Les Successions, les Contrats, la Propriété, les Servitudes. » Le cinquième : « Les Actes de l’état civil », va être incessamment publié.

Le cadre de cet article ne nous permet pas d’analyser aussi complètement que nous aurions aimé à le faire ces quatre petits volumes, et nous le regrettons, car de leur lecture il résulte bien que M. Acollas a atteint le double but dont nous parlions plus haut : répandre à la fois les idées d’une sage philosophie sociale et les connaissances pratiques indispensables à tous.

Ouvrons par exemple le petit traité des Successions. À côté de la théorie critique des principes généraux qui régissent les matières successorales, nous y voyons traitées dans un ordre logique parfait toutes les questions que fait naître le code civil à l’occasion de ce mode d’acquisition de la propriété.

Quelles sont les différentes sortes d’héritiers ? Quelles sont les qualités requises pour les héritiers ? Voilà des questions qui se posent dans la vie quotidienne et auxquelles chacun peut répondre facilement et certainement en s’en rapportant aux dispositions et aux règles posées par l’auteur de l’ouvrage dont nous nous occupons. Prenez-le aussi pour guide à propos de la théorie si importante à connaître de la marche du partage, et la même lucidité se fait dans l’esprit.

S’agit-il des Contrats, M. Acollas a réuni dans son petit volume spécial tout ce qui intéresse la matière, en atténuant l’aridité du sujet par l’ingéniosité des remarques.

Une note du professeur est à elle seule tout un enseignement. Telle, par exemple, celle qui accompagne le passage où M. Acollas explique, au sujet de l’effet des contrats, que si le juge peut dans certains cas intervenir afin de tempérer la rigueur des créanciers, ni le législateur ni le juge cependant n’a le droit de modifier un contrat librement consenti. Cette note qui apprécie l’intervention possible du juge est ainsi conçue :

« Ce n’est pas suffisant pour suppléer les sentiments de justice supérieure et de sympathie humaine dont devrait être animé le créancier envers le débiteur malheureux ! Sans l’aide de la morale, le droit ne peut suffire à rien, et il n’est pas bon de le faire sortir de son domaine propre. »

Quelle meilleure leçon de Juste et de Droit peut être donnée en quelques lignes !

Ce livre des Contrats contient d’ailleurs bien d’autres pages intéressantes, et nous signalons comme particulièrement utiles celles qui concernent « les effets des contrats en tant que transférant la propriété », et « les effets des contrats en tant que produisant des obligations ».

Le troisième volume du Droit mis à la portée de tout le monde est consacré à la Propriété.

Là sont exposées les définitions, les classifications des modes d’acquérir et de transmettre la propriété, comme aussi toutes les règles qui président aux combinaisons multiples dont la propriété en général est l’objet, expropriations, hypothèques, etc., etc. Le livre de M. Acollas est un guide sûr au milieu des prescriptions complexes et parfois difficiles à saisir dont le Code civil a entouré ces différentes opérations.

L’auteur, en cela fidèle à la précision et à la clarté de sa méthode, voulant pour ainsi dire que l’esprit puisse retenir une fois pour toutes l’enseignement qu’il cherche, a choisi de bons exemples ou, comme on dit en droit, « des espèces qui immédiatement rapprochées des données théoriques fournissent à l’intelligence la preuve qu’elle a bien saisi l’utile leçon du professeur ».

Ce livre de la Propriété, complété par un autre petit volume réservé aux Servitudes (servitudes personnelles, servitudes réelles), débute par un exposé général, d’ailleurs très bref, des fondements philosophiques du droit de propriété individuelle : il y a là des lignes qui n’éclairent pas seulement l’esprit, mais qui vont au cœur. C’est de cette introduction que nous avons détaché la belle formule que nous aimons à rappeler : « La liberté dans la solidarité », car elle est comme la synthèse de l’idéal du droit moderne.

« Lutter pour le vrai, pour le bien. » Telle est l’épigraphe chère à M. le professeur Émile Acollas, et qui inspire tous ses ouvrages.

Nos instituteurs qui, eux aussi, dans leur modeste sphère, luttent « pour le vrai, pour le bien », ne sauraient trouver un guide plus sûr. C’est, en grande partie, à leur intention que le livre du Droit mis à la portée de tous le monde à été écrit : il se recommande à leur attention et à leur confiance.