Le Lalita-Vistara, ou Développement des jeux/Chapitre X

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Traduction par Philippe-Édouard Foucaux.
Texte établi par Musée Guimet, Paris (Annales du Musée Guimet, tome 6p. 113-117).

CHAPITRE X

Ainsi donc, Religieux, le jeune prince étant devenu grand, fut alors, avec cent mille bénédictions, conduit à la salle d'écriture, entouré et précédé de dix mille enfants ; avec dix mille chars remplis de provisions de bouche, de mets agréables et savoureux, et remplis aussi d'or et d'argent, donnés et distribués partout, au milieu de la grande ville de Kapila, dans les rues, les carrefours, les routes pour les chars, les places et les marchés, au son de huit cent mille instruments de musique, avec une grande pluie de fleurs. Aux galeries, aux balcons, aux portiques, aux œils-de-bœufs, aux pavillons des palais, se tenaient cent mille jeunes filles bien parées d'ornements de toutes sortes, tenant à la main un joyau purte-bonheur, et, puritiant la route, elles marchaient devant le Bôdhisattva ; et huit mille filles des dieux regardaient le Bôdhisattva en jetant des fleurs. Dieux, Nâgas, Yakchas, Gandharbas, Asouras, Garoudas, Kinnaras et Mahoragas, se montrant à mi-corps, suspendaient, dans l'étendue des cieux, des fleurs, des étoffes de soie et des guirlandes. Et toutes les troupes des Çâkyas, précédant le roi Çouddhôdana) marchaient devant le Bôdhisattva. C'est entouré d'une pareille pompe que le Bôdhisattva fut conduit à la salle d'écriture. Aussitôt que le Bôdhisattva fut entré dans la salle d'écriture, le précepteur des enfants, nommé Viçvâmitra, ne pouvant supporter la majesté et la splendeur du Bôdhisattva, tomba prosterné la face contre terre. En le voyant ainsi prosterne, un fils des dieux Touchitakâjikas, nommé Çoubhângga, le prit avec la main droite, le releva, et, après l'avoir relevé, se tenant dans l'étendue du ciel, parla, en ces Gâthâs, au roi Çouddhôdana et à cette grande multitude de gens :

1. Ce qu'il y a de Castras dans le monde des hommes, de nombres, d'écritures, de calculs, de combinaisons des éléments ; ce qu'il y a d'applications développées, incommensurables, des arts du monde, il y est expert depuis plusieurs Kôtis de Kalpas.

2. Bien plus, il agit conformément à l'usage du vulgaire ; il est venu à la salle d'écriture pour l'instruction de ceux qui sont bien instruits, pour la maturation complète de beaucoup d'enfants dans le meilleur véhicule, et pour conduire des centaines de mille d'autres êtres à l'immortalité.

3. Connaissant la règle des quatre vérités supérieures au monde, habile à connaître comment elles se produisent en s'appuyant sur une cause ; et, de plus, ayant la nature froide (Çitibhava) de celui qui n'est plus entravé par les composés (Samskâras), en cela connaissant la règle, comment ne la connaîtrait-il pas pour l'écriture seule ?

4. Il n'y a pas, au-dessus de lui, d'instituteur dans les trois mondes. Au milieu de tous, dieux et hommes, il est vraiment supérieur. Le nom de ces écritures que vous ne connaissez même pas, il en est informé depuis plusieurs Kôtis de Kalpas.

5. La disposition d'esprit des êtres animés, leurs divers desseins, à l'instant même, il les connaît, cet être pur. De ce qui est invisible et sans forme, il connaît aussi la voie ; comment, à plus forte raison, (ne connaîtrait-il pas) l'écriture visible sous forme de lettres ?


Après avoir parlé ainsi, le fils d'un dieu, après avoir honoré le Bôdhisattva avec des fleurs divines, disparut en ce lieu même. Alors les nourrices et les troupes de femmes esclaves furent mises à la place qui leur était destinée et le reste des Çàkyas, ayant à leur tête Çouddhôdana, s'avancèrent. Alors le Bôdhisattva ayant pris une tablette à écrire, faite d'essence de sandal des Ouragas, couverte d'une couleur divine, parsemée de paillettes d'or, ornée tout autour de pierres précieuses, parla ainsi au précepteur Viçvâmitra : Eh bien, maître, quelle écriture m'apprendras-tu ?

1° L'écriture de Brahmâ ? 2° de Kharôchta ? 3° de Pouchkarasàri ? 4° l'écriture d'Anga ? 5° l'écriture de Vanga ? 6" l'écriture de Magadha ? 7° l'écriture deMailgala ? S' l'écriture de Manouchya ? 9" l'écriture d'Afigoulîya ? 10° l'écriture de Çakari ? 11° l'écriture de Brahmavalli ? 12° l'écriture de Dravida ? 13° l'écriture de Kinâri ? 14° l'écriture de Dakchina ? 15° l'écriture d'Ougra ? 16" l'écriture de Sangkhyâ ? 17° l'écriture d'Anoulôma ? 18° l'écriture d'Ardhadhanour ? 19° l'écriture de Darada ? 20° l’écriture de Khâsya ? 21° l’écriture de Tchîna ? 22° l’écriture de Hoùna ? 23° l’écriture de Madhyâkcharavistara ? 24° l’écriture de Pouclipa ? 25° l’écriture de Dèva ? 2& l’écriture de Nàga ? 27 « l’écriture de Yakcha ? 28° l’écriture de Gandharba ? 29° l’écriture de Kinnara ? 30° l’écriture de Mabôraga ? 31° l’écriture d’Asoura ? 32° l’écriture de Garouda ? 33° l’écriture de Mrïgatchakra ? 34° l’écriture de Tchakra ? 35° l’écriture de Vâyoumarout ? 36° l’écriture de Bhàumadêva ? 37° l’écriture d’Antarîkchadêva ? 38° l’écriture d’Outtarakouroudvîpa ? 39° l’écriture d’Aparagâudani ? 40° l’écriture de Poùrvavidèha ? 41 » l’écriture d’Outkchèpa ? 42° l’écriture de Nikchêpa ? 43° l’écriture de Vikchêpa ? 44° l’écriture de Prakchèpa ? 45 « l’écriture de Sàgara ? 46° l’écriture de Vadjra ? 47° l’écriture de Lêkhapratilêkha ? 48° l’écriture d’Anoudrouta ? 49 » l’écriture de Gàstrâvartta ? 50° l’écriture de Ganaiiavartta ? 51 « l’écriture d’Oukchèpâvartta ? 52° l’écriture de Nikchèpâvartta ? 53° l’écriture de Pâdalikliita ? 54° l’écriture de Dviruttarapadasaudhi ? 55° l’écriture de Yâvad daçôttarapadasaudhi ? 56° l’écriture de Madhyàhàrini ? 57° l’écriture de Sarvaroutasaùgrahani ? 58° l’écriture de Vidyànoulôma ? 59° l’écriture de Vimiçrita ? 60° l’écriture de Ptïchitapastapta ? 61 » l’écriture de Rotchamânâudharanîprèkchana ? 62" L’écriture de Sarvànchadhinichyânda ? 63° L’écriture de Sarvasârasangrahana ? 64° l’écriture de Sarvabhoûtaroutagrahanî ?

Eh bien, maître, de ces soixante-quatre écritures, laquelle m’apprendras-tu ?

Alors Viçvàmitra, le précepteur d’enfants, étonné et le visage riant, surmontant l’orgueil et la fierté, récita cette Gàthâ :

6. Chose étonnante de la part de l’être pur qui, dans le monde, suit l’usage du monde. Instruit dans tous les Castras, il est venu à la salle d’écriture !

7. D’écritures dont je ne connais pas le nom, il a, lui, la notion, et il est venu à la salle d’écriture !

8. Je ne vois ni son visage ni sa tête ; comment donc instruirai-je celui qui est arrivé à la science transcendante de l’écriture ?

9. C’est vraiment le dieu au dessus des dieux supérieur à tous les dieux, le seigneur plus grand que tous les dieux ; sans égal, se distinguant entre tous; le génie incomparable dans tous les mondes !

10. Par la puissance de celui là même qui se distingue par l’emploi de la science comme moyen, j’instruirai le savant chef de tous les mondes !

Ainsi donc, Religieux, dix mille enfants apprirent l’écriture avec le Bôdhisattva. Alors, par la bénédiction du Bôdhisattva, pour ces enfants auxquels on faisait apprendre l'alphabet, lorsqu'ils prononçaient la lettre a, sortait la phrase : tout composé n'est pas durable (anitya sarva sanaskara). La lettre à étant prononcée, sortait la phrase : utile à soi l't aux autres (âtniaparahita). La lettre i : le grand développement des sens (indriyavâipoulya). La lettre î : l'abondance des calamités (itibahoulain). La lettre ou : le monde abonde en malheurs (oupadravabahoulam djagat). Li lettre où : le monde n'a rien de bon (ofmasattvaiïdjagaf). La lettre è : du désir nait le péché (èchanâsamutthânadôcha) La lettre ai : la vénérable voie est la meilleure (âirapathah çrèyân). La lettre ô : la sortie du courant (ôghôttara). La lettre Au : la puissance surnaturelle (âupapâdouka). La lettre am : la production de ce qui n'est pas inutile (amôghôtpatti). La lettre ah : la marche vers le couchant (astangamana). La lettre ka : l'entrée dans la maturité complète de l'œuvre (karmavipâkavatârana). La lettre kha : toute loi (cou dition) est pareille à l'éther (khasamasarvadharraa). La lettre ga : profonde est la loi de l'entrée dans la production des causes connexes (gambhîradharma pratîtya samoutpâda). La lettre gha : la destruction du trouble, de l'ignorance, de la taie épaisse (ghanapadalâvidyâ môhândhakâra vidharaana). La lettre nga : la purification complète des membres (atîga viçouddhi). La lettre tcha : la voie des quatre vénérables vérités (tchatour ârya satyapatha). La lettre tchha : l'abandon du désir et de la passion (tchhanda râga prahâna). La lettre dja : le dépassement complet de la vieillesse et de la mort (djarâ marana samatikramana). La lette djha : la défaite de l'armée de celui qui a un poisson sur son étendard (djhachadhvadja balanigrahana). La lettre iïa : ce qui fait connaître (djnâpana). La lettre ta : la coitpure complète de la route (patôpatchhèda). La lettre tha : demande de ce qu'il faut rassembler (thapanîyapraçna). La lettre da : la destruction du trouble et de Mâra (damara mâranigrahana). La lettre dha : les régions impures (nn"dhavichayâs). La lettre na : subtile est la corruption naturelle (anou klèçâ). La lettre ta : la non -division de l'iiomogène (tathâtâsambhèda). La lettre tha : l'énergie, la force, l'impétuosité, l'intrépidité (thâma pour) sthâmabala vèga vâiçâradya). La lettre da : le don, la discipline, la restriction (des sens) et l'héroïsme (dâna dama saiiyama sâuratya). La lettre dha : la richesse des Aryas divisée en sept (dhanam âryânâm saptavidham). La lettre na : la connaissance parfaite du nom et de la forme (nâma roûpaparidjiïâna). La lettre pa : le meilleur but (pararaârtha). La lettre pha : la manifestation de l'acquisition du fniit (phalaprâpti sâkchâtkriyâ). La lettre ba : la délivrance des liens (landhanamokcha). La lettre bha : la destruction de l'existence (bhavavibhava). La lettre ma : l'apaisement de la folie et de l'orgueil (madamânôpaçamana). La lettre ya : la pénétration (dans le sens) de la loi telle quelle est (jathâvaddharmaprativêdha). La lettre ra : l'absence de plaisir dans le plaisir est le vrai plaisir (ratyarati paramârtha rati). La lettre va : le meilleur véhicule (yânavara). La lettre ça : apaisement et vue surnaturelle (çamathavipacyanâ). La lettre cha : la restriction des six siéges (des qualités sensibles) et l'acquisition des six sciences supérieures (chadâyatananigralia chadabhidjiia djiïânâvâpti). La lettre sa : le revêtissement complet de la science qui sait tout (sarvadjñadjñânâbhisambôdbana). La lettre ha : l'absence de passion qui a détruit la corruption naturelle (hataklèçavirâga). La lettre kcha étant prononcée et étant arrivé à la fin des lettres, toute la loi peut être exposée (abhilâpyasarva dharma).

Ainsi donc, Religieux, pendant que ces enfants lisaient l'alphabet, par la puissance du Bôdhisattva apparurent les innombrables centaines de mille de portes principales de la loi. Alors, régulièrement, trente-deux mille enfants furent, par le Bôdhisattva présent à la salle d'écriture, complètement mûris, et leurs pensées furent dirigées vers l'Intelligence parfaite et accomplie.

Voilà la cause, voilà l'effet pour lesquels, quoique instruit, le Bôdhisattva se rendit à la salle d'écriture.


Chapitre nommé : Visite à la salle d'écriture, le dixième.