Le Messager Évangélique/1867/Trophime

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Collectif
Le Messager ÉvangéliqueVolume 8 (pdf) (p. 475-477).

Trophime.

« J’ai laissé Trophime malade à Milet. » Cette phrase donne à penser. Le grand apôtre des Gentils, si remar­quablement doué du don de guérir, et qui avait guéri tant de personnes, laisse en arrière son ami malade. Dans l’île de Malte, il avait guéri le père de Publius, le personnage principal de l’île ; mais, ici, nous voyons qu’il doit laisser Trophime malade à Milet. Il fallait qu’il en fût ainsi. Dans ses dispensations, Dieu semble parfois abandonner ses enfants. Parfois aussi, le Père trouve à propos d’étendre sa main sur eux pour les sou­mettre à une discipline sanctifiante. Il est souvent bien bon, bien salutaire, bien nécessaire, que nous soyons laissés dans un état semblable à celui de Trophime à Milet : c’est ce que notre nature n’aime pas, mais nous pouvons être assurés que cela est des plus sains pour nous. Sur son lit de maladie à Milet, Trophime avait à apprendre une leçon, qu’il ne pouvait apprendre nulle part ailleurs, non pas même comme compagnon de voyage de Paul. La solitude, la faiblesse, le délaissement dans la maladie sont fréquemment des plus profitables pour l’âme d’un chrétien. L’Esprit de Dieu se sert de ces circonstances pour nous communiquer quelques-unes de ses plus sanctifiantes instructions. Fort souvent, il arrive qu’un temps de souffrances corporelles nous amène ainsi à faire une sérieuse revue de notre marche et à nous juger en présence de Dieu. Comme cela est né­cessaire ; et pourtant combien cela est négligé au milieu des préoccupations de voyages continuels et de rap­ports avec d’autres hommes.

Il est instructif de considérer le contraste qui existe entre la position de Trophime, en Actes XXI, 29, et sa position en 2 Tim. IV, 20. Dans le premier de ces passages, nous le voyons, en compagnie de Paul, dans les rues de Jérusalem ; dans le dernier, nous le voyons confiné dans une chambre à Milet. Or, c’est sa présence à Jérusalem avec Paul, qui avait surtout réveillé et irrité les violents préjugés des Juifs, qui croyaient que Paul l’avait conduit avec lui dans le temple. Un Juif et un Éphésien marchant ensemble : c’était tout à fait en harmonie avec l’évangile de Paul : mais aussi tout à fait révoltant pour les préjugés des Juifs. À Éphèse, Paul et Trophime auraient pu cheminer ensemble sans exciter aucune malveillance, aucun soupçon ; il n’en était pas de même à Jérusalem. La présence d’un Juif et d’un Gentil ensemble à Jérusalem était regardée comme une insulte flagrante à la dignité juive ; c’était le renversement du mur mitoyen de séparation, c’était en fouler audacieusement les décombres. Or les Juifs n’étaient pas préparés à un pareil mépris de ce qu’ils estimaient leurs privilèges et leurs devoirs. Ils portaient sur leurs deux compagnons des regards de sombre sus­picion et cet étrange rapprochement anime les flammes qui éclatent bientôt avec une terrible véhémence autour du bien-aimé apôtre des Gentils. Hélas ! on est porté à douter que les deux amis dussent se trouver dans les rues de Jérusalem ; ce n’était assurément pas là la sphère du travail assignée à Paul. « Je t’enverrai au loin vers les nations, » telle avait été la parole du Maître (Actes XXII, 21). Mais Paul avait voulu aller à Jérusalem et, y étant, il ne pouvait pas refuser de mar­cher en compagnie d’un Éphésien ; il était trop droit pour cela. Il ne pouvait pas, comme le pauvre Pierre, s’éloigner d’un frère gentil par crainte des Juifs. Mais d’un autre côté, les cérémonies du temple et les rela­tions intimes avec Trophime ne pouvaient absolument pas se concilier. Là gisait la difficulté. Si les institutions du temple devaient être honorées et maintenues, alors pourquoi cette association avec un étranger incirconcis ? Si Paul et Trophime étaient, l’un et l’autre, enrôlés comme concitoyens de la Jérusalem céleste, alors pourquoi reconnaître, de quelque manière que ce fût, l’ancien système judaïque ?

Ces réflexions entourent d’un intérêt particulier le nom de Trophime. En effet il est, à la fois, fort intéres­sant et instructif de rapprocher les trois seuls passages, dans lesquels ce nom se rencontre. D’abord (Actes XX, 4), nous le voyons comme l’un des disciples qui ac­compagnèrent Paul en Asie. Ensuite (Actes XXI, 29), nous le voyons, en compagnie de l’apôtre, dans la ville de Jérusalem. Enfin nous l’avons vu laissé malade à Milet. Dès lors le rideau se baisse sur lui. Dans ce der­nier état, il pouvait, paisiblement, repasser dans son esprit le passé, et regarder en avant avec confiance vers l’avenir. Il ne pouvait plus traverser l’Asie, ni circuler dans les rues de Jérusalem avec le plus dévoué et le plus honoré des hommes. Il était malade à Milet et Paul était à Rome, prisonnier et attendant un pro­chain martyre ; mais tous deux pouvaient, d’un œil clair et serein, regarder à ce radieux et béni séjour d’en haut, vers lequel l’un et l’autre s’avançaient ra­pidement, et où ils sont maintenant en sûreté pour n’en plus sortir jamais.

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