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Le Roman de Renart/Aventure 40

La bibliothèque libre.
Traduction par Paulin Paris.
Texte établi par Paulin ParisJ. Techener (p. 226-229).

QUARANTIÈME AVENTURE.

Où l’on voit les honneurs rendus à dame Copette, et son épitaphe ; comment sire Brun fut envoyé semondre damp Renart ; et des beaux miracles accomplis sur la tombe de sainte Copette.



Quand Noble a cessé de parler, Ysengrin se dresse en pieds : « Sire, » dit-il, vous êtes un grand roi. Vous conquerrez honneur et louange, en vengeant sur l’assassin le meurtre de dame Copette. Je n’écoute pas ici ma haine ; mais le moyen de ne pas prendre intérêt à cette innocente victime ? — Oui, » reprit le Roi, « cette biere, ces pauvres gelines m’ont mis la douleur dans l’âme. Je me plains donc à vous, barons, de cet odieux Renart, ennemi du lien conjugal et de la paix publique. Cependant il faut penser au plus pressé. Brun, vous allez prendre une étole et vous ferez la recommandise de la défunte ; vous disposerez sa sépulture dans le terrain qui sépare le jardin de la plaine. »

Brun se hâta d’obéir. Il revêt l’étole ; le Roi et tous les membres du parlement commencent les Vigiles. Le limaçon Tardif chanta seul les trois leçons, le pieux Rooniaus entonna le verset, et Brichemer le trait. L’oraison custodiat anima fut prononcée par damp Brun.

Après les Vigiles, les Matines ; puis le corps fut porté en terre. On l’avoit auparavant enfermé dans un beau cercueil de plomb. La fosse creusée au pied d’un chêne fut recouverte d’une lame de marbre sur laquelle on traça à la griffe ou au ciseau l’épitaphe suivante :

ci gist copette la seur pinte,
qui mourut en odeur de sainte,
livrée a martyre dolent
par renart le vilain puant.

On ne pouvoit voir, durant la cérémonie, Pinte fondre en larmes, prier Dieu et maudire Renart, Chantecler roidir les pieds de désespoir, sans être profondement ému et attendri.

Et quand les grandes douleurs furent appaisées, les pairs se rendirent auprès du Roi. « Sire, » lui dirent-ils, « nous demandons vengeance de ce glouton, fléau de tous, violateur de la foi jurée. — Très-volontiers, » dit le roi Noble, « et c’est vous, Brun, que je charge d’aller le semondre. N’ayez pour le traitre aucun ménagement. Vous lui direz qu’avant de me décider à l’ajourner, je l’ai attendu trois fois. — Je n’y manquerai pas, sire, » répondit Brun ; et sur-le-champ, il prend congé, met son cheval à l’amble et s’éloigne. Mais pendant qu’il chemine ainsi par monts et par vaux, il survint à la Cour un évènement qui fut loin de remettre en meilleur point les affaires de Renart. Nous avons vu que pendant deux jours, Coart le lièvre avait tremblé les fièvres. Après l’enterrement de dame Copette, le malade voulut absolument aller prier sur sa tombe. Il s’y endormit, et en se réveillant il se trouva guéri. Le miracle fit grande rumeur : Ysengrin apprenant que dame Copette étoit vraie martyre, se souvint d’un tintement douloureux qu’il avoit dans l’oreille. Rooniaus, son conseiller ordinaire, le conduisit et le fit prosterner sur la tombe ; tout aussitôt, il fut guéri. C’est de lui-même qu’on le sut : mais s’il n’eût pas été téméraire de révoquer en doute une chose d’aussi bonne créance, si d’ailleurs Rooniaus ne l’eût pas attestée, on n’auroit peut-être pas ajouté toute la foi désirable à la guérison d’Ysengrin.

L’annonce de ce double miracle fut accueillie par le plus grand nombre avec une faveur marquée. Grimbert au contraire s’en affligea ; car ayant pris en main la défense de Renart, il prevoyoit la mauvaise impression que ce récit feroit sur les esprits les moins prévenus. Mais il est temps de revenir à damp Brun, et de l’accompagner dans son voyage à Maupertuis.