Le Signe (Raynaud)/Fête galante

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Le SigneLéon Vanier, éditeur des Décadents (p. 22-24).
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FÊTE GALANTE


À Jean Lorrain


Au, clair de la Lune
(Vieille chanson)


C’est ce soir fête intime à Trianon,
Dans le Parc discret sous ses grilles closes,
Pour le corset liseré des Toinon
Fleurissent à foison, lilas et roses.

À la nuit bleue, officiers et marquis
Dont l’œil vers les maréchales clignote,
Emplissent le noir des sentiers exquis,
D’où fleure un vague encens de bergamote,

Voici venir pages et Mezzetins,
La collerette étroite sur la nuque,
Et cordons bleus aux profils incertains,
Dont un vent frais dépoudre la perruque.


Et tout ce monde, exigu, chatoyant,
Sur la terrasse ouverte à la nuit brune,
Par couples va, svelte, se déployant
Le long des eaux jouant au clair de lune.

Là-bas où, gai, s’envient tout domino,
Devers le lac bleu, la fête commence
Sous la fouillée éclairée à giorno,
Lamballe avec Bernis ouvre la danse.

Les menuets, sur l’herbe, vont suivant,
Tandis que sous les rideaux des gondoles,
Des sons de guitare expirent au vent,
Dont l’aile musquée erre aux lucioles.

Tout près, poudrant des doigts de blancs moutons,
Près des bergers, maintes roses bergères,
Avec, à leur sein, des roses pompon,
Font sieste, dans la fraîcheur des fougères.

La bouche sucrée encor de sirop,
Colombine, à l’œil replaçant sa manche,
Sous l’éventail cause avec Figaro,
À la barbe du jovial Scaramouche.


Des arlequins font, avec d’enjoués
Et blancs pierrots, de vagues pantomimes.
Cependant que, des rires secoués,
Dorat attrape en son jabot des rimes.

Et loin, au bras complaisant des Praslin,
Sur l’herbe emperlée à toutes brindilles,
Le rococo des jupes zinzolin
Erre dans la nuit vague des charmilles,

Si que, riant sous cape aux mots dorés,
Sous les rameaux faunes, et dieux fantasque
Voient sur les bancs, de tout bruit égarés,
Pour deux baisers se dénouer les masques,

Et Cupidon propice aux sigisbées
Roses et bleus, préside à ce manège
De ces muguets et rubans, dérobés
Aux seins moulés en purs globes de neige.