Le Trombinoscope/Émile Ollivier

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ÉMILE OLLIVIER, homme politique français, né à Marseille le 2 juillet 1825. Pendant les neuf mois qui précédèrent sa naissance, il avait déjà change quatre fois d’opinion. Les premiers jours de sa vie furent marqués par des évolutions qui donnèrent à sa famille de sérieuses inquiétudes ; il se retournait dans son berceau avec une vivacité inouïe et préludait ainsi à une existence dont les virements devaient plus tard faire pâlir de honte jusqu’à ceux de M. Janvier de la Motte eux-mêmes. On rechercha les causes de cette mobilité, et l’on reconnut que sa mère avait eu un regard d’une girouette. — On fut obligé, pour fixer ses désirs, de faire tatouer un portefeuille de ministre sur le sein de sa nourrice. — Il venait de débuter comme avocat en 1848, quand Ledru-Rollin le nomma commissaire de la République dans le département des Bouches-du-Rhône, dont il devint préfet, après avoir prouvé aux émeutiers de juin à Marseille, qui se plaignaient d’avoir faim, que les feux de pelotons de la ligne étaient, au contraire, très-bien nourris. — Un peu plus tard, il fut envoyé à la préfecture de Chaumont et rentra au barreau en 1849, où il plaida quelques causes politiques, dans lesquelles il trouva le moyen d’affirmer ce principe sacré, qu’un homme intelligent doit, avec la même facilité, selon les circonstances, mitrailler les insurgés quand il est préfet, et les faire passer pour des anges quand il ne l’est plus. — Le coup d’État du 2 décembre 1851 força son père, Démosthènes Ollivier, à s’expatrier. L’exemple paternel servit à Émile, non pas à le suivre, mais à s’en faire une réclame. Comme ces généraux qui trouvent le moyen de se faire couvrir d’honneurs parce que leur aide-de-camp a eu un cheval tué sous lui, Émile trouva le moyen de se faire un titre à la reconnaissance de la République des persécutions que son père avait subies pour elle. En 1857, il fut élu comme député libéral, grâce à l’aide d’Ernest Picard et du journal le Siècle, que l’on considérait alors comme des foudres d’opposition, en attendant que l’on reconnût qu’ils n’étaient que d’innocents étrons de Suisse. Il prêta le serment à l’empereur tout comme si celui-ci n’avait pas à moitié assassiné son père, et sans s’inquiéter si le petit Cavaignac, qui avait alors quatre ans, se proposait déjà de faire respecter la mémoire du sien en flanquant ses prix de mathématiques au nez de Vélocipède IV plutôt que de les recevoir de sa main. — De 1857 à 1863, Émile Ollivier fit partie des fameux cinq : ces célèbres cinq roues du char du progrès dont chacune des cinq était la cinquième. — Comme les quatre autres, la roue-Ollivier tourna constamment sur place, ce qui fit longtemps illusion à trop de gens ; on voyait bien tourner les roues, mais on ne se demandait pas si le char avançait. — En 1863, Émile Ollivier fut réélu par la 3e circonscription de la Seine par dix-huit mille électeurs qui, depuis, n’ont pas eu assez de leur trente-six mille pouces pour se les mordre de repentir. — C’est pendant le cours de cette session que la grande évolution d’Émile commença. Il se rapprocha du gouvernement en plusieurs circonstances, et déjà Victorien Sardou put se mettre à prendre des notes pour son Rabagas. — En 1867, sa séparation avec la gauche fut complète ; il accomplit un véritable tour de force en écœurant Ernest Picard lui-même, qui s’écria, dit-on, dans un mouvement de sainte indignation : Quel gredin… il passe à l’ennemi et il ne m’emmène pas !… — La fameuse lettre impériale du 19 janvier, qui promettait aux libéraux de mettre enfin du beurre des deux côtés de leur tartine, rallia tout à fait Émile Ollivier au gouvernement, et Sardou put finir le deuxième acte de son Rabagas. — On s’attendit alors à le voir, d’un moment à l’autre, chargé d’un ministère, et sa situation à la Chambre, entre la gauche dont il n’était plus et le pouvoir dont il n’était pas encore, devint aussi tendue que celle d’un employé qui a volé une pièce de calicot à son patron ; mais qui ne sait pas encore s’il trouvera à le vendre. — Il tint bon cependant et prit part à plusieurs discussions, entre autres celle sur le libre-échange dont il défendit le principe contre M. Pouyer-Quertier. — À la suite de quelques articles du Pays (pardon !…) qu’il avait dénoncés à la tribune, Émile Ollivier fut provoqué en duel par M. Cassagnac ; mais se souvenant à temps de l’affaire Beauvallon-Dujarrier, il déclina cette occasion superbe de jouer sa vie, en deux balles de pistolet, contre un homme pour qui l’armurerie n’avait plus, disait-on, aucun secret. — Avant les élections générales de 1869, Émile Ollivier éprouva le besoin de justifier sa conduite aux yeux de ses électeurs de Paris ; il y parvint si bien, qu’à la suite de son livre : Le 19 Janvier, ces derniers l’envoyèrent voir dans le. Var si l’obélisque de Louqsor avait des feuilles. Le département du Var, moins difficile dans le choix de ses hommes, probablement parce qu’il possède Toulon, envoya Émile Ollivier au Corps législatif, où il continua son savant mouvement de conversion. Enfin, le 27 décembre, l’empereur, qui sentait le moment venu de sacrifier le pan de sa redingote pour ne pas passer tout entier dans l’engrenage, chargea Émile Ollivier de composer un ministère libéral. Émile Ollivier eut quelque peine à réunir un nombre suffisant d’hommes ayant mis assez de scrupules au Mont-de-Piété pour consentir à travailler à côté de lui ; il y arriva pourtant et son ministère fut constitué. Il conserva pour lui le portefeuille de la justice ; Thémis en eut même un bâillement de stupéfaction si énorme, qu’elle en a encore la bouche ouverte ; et il s’adjugea le rôle de chef de cabinet. Les principaux actes de son ministère furent un méli-mélo dans lequel une vache ne reconnaîtrait pas son veau, ni Mademoiselle Crémisse les amants qui ont dépensé 400 000 francs de virements pour elle. Il amnistia Ledru-Rollin et arrêta Henri Rochefort, député. C’est sous Ollivier que le prince Pierre Bonaparte, qui tirait à vue sur la cassette de l’empereur et à balle sur les témoins qu’on lui envoyait, fut acquitté par la haute cour ; et c’est toujours sous Ollivier que chaque soir, à 9 heures 10 minutes, les sergents de ville faisaient faire la digestion des promeneurs du boulevard Montmartre à grands coups de casse-tête dans le dos. On en cite pas mal que ça a guéri de leur gastrite ; seulement ils ne sont pas là pour le dire. — Au moment de la déclaration de guerre à la Prusse, Émile Ollivier monta à la tribune où il développa sa célèbre théorie du cœur léger. Tout allait pour le mieux : de Grammont falsifiait les dépêches de Berlin pour prouver à la France que la guerre était inévitable, Le Bœuf lançait sa fameuse gasconnade : Il ne nous manque pas un bouton de guêtre… nous sommes dix huit fois prêts !… Les blouses blanches à dix sous l’heure, criaient sur les boulevards : À Berlin !… et Ollivier venait déclarer d’un cœur léger que trois cent mille hommes devaient fumer les terres des bords du Rhin, parce que l’empereur avait besoin que la France… pensât un peu à autre chose. — On a beaucoup plaisanté Émile Ollivier sur son cœur léger ; quand on fera son autopsie, on ne sera plus aussi surpris. Le 4 septembre emporta Ollivier qui prit le premier train, avec son cœur — il ne paya pas d’excédant de bagages. — Depuis, on n’en a plus entendu parler que le jour où, requis de venir témoigner devant l’enquête ouverte sur sa conduite, il a fait cette réponse monumentale : Je ne suis justiciable que de l’Assemblée que présidait M. Schneider, ce qui équivaut à dire : J’ai tué un invalide, c’est vrai ; mais nous étions neuf. Je ne comparaîtrai que devant un jury composé de mes huit complices ; je veux être jugé par mes pairs.

Au physique, Émile Ollivier est laid, non pas de cette bonne et franche laideur qui semble provenir d’un moule défectueux, mais bien de la laideur d’expression, de la laideur qui vient du dedans. — La physionomie est vulgaire, plate et fausse. Avec un faciès pareil, on fait bien d’être ministre, car personne ne voudrait de vous, même pour frotteur. — Émile Ollivier louche affreusement ; on dirait qu’il veut se servir de son nez pour s’en faire une jumelle. À part cela, c’est le plus charmant homme du monde et s’il avait l’air honnête, il ne lui manquerait plus que de l’être.

Mars 1872.

NOTICE COMPLÉMENTAIRE

DATES À REMPLIR
PAR LES COLLECTIONNEURS DU TROMBINOSCOPE

Émile Ollivier publie le... 18... un volume intitulé : Ma justification ; il reçoit à ce sujet une masse de lettres de félicitations… seulement elles sont toutes du maréchal Le Boeuf. — Le... 18... il vend son cœur pour après sa mort à la Faculté de médecine, moyennant une rente viagère de 3 000 francs. — Il meurt le... 19..., la Faculté le fait ouvrir pour analyser son cœur, et quoiqu’elle s’attendit à ne trouver que fort peu de chose, elle est encore volée.