Le p’tit gars du colon/13

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Editions Albert Lévesque (p. 152-154).


ÉPILOGUE

LA DERNIÈRE ÉTAPE.


D ÈS avril de l’année suivante, petit François quittait Saint-Méthode : il suivait son père au moulin rudimentaire de la Mistassibi.

Une existence nouvelle commençait, toute faite de privations, de travail pénible, d’abandon forcé, de lourdes fatigues pour le corps, d’isolement douloureux pour l’âme de l’enfant.

… C’est la montée tragique vers ce désert, quand l’épuisement des forces rend la marche longue et désespérée. Puis, là-bas, une cabane misérable sur la grève sauvage, au bord du rapide…

Et l’amour de la terre qui le tourmente, et qui devient une ironie macabre en cet espace immense encombré de rochers, de savanes désolantes, de forêts et de rivières tumultueuses…

Sur cette nuit du cœur, une idylle naïve allume son rayon jeune… Ce sera l’étoile heureuse et le bonheur définitif de sa pauvre vie de « faiseur de terre. »

Mais de cet espoir qui s’ouvre, à sa réalisation pleine, que de journées encore vont s’éterniser dans la souffrance et l’inquiétude ; dans l’apparition tenace du froid, de la faim, des tempêtes sur le lac : les trois spectres de son désert… jusqu’à cette morsure du doute et de la jalousie qui le fera pleurer, le p’tit gars sensible et timide.

Une crise d’âme survient brutalement : ce sera le salut ; ce pouvait être la désertion de l’idéal aimé depuis toujours. Les voix chaudes et caressantes : la voix de sa maman partie pour le ciel, et qui de là-haut, veille toujours ; la voix de l’ami Gilles, l’ange protecteur de sa destinée ; la parole simple et tendre de sa Philomène… et voici petit François tout « reviré » ! La grande décision est prise. Adieu, le moulin désespérant, sa planche monotone, et la misère d’une vie morne et aléatoire, au jour le jour, d’un métier sans horizon.

Le sillon va s’ouvrir dans l’abatis du jeune colon. Seize ans ! Bras et cœur vaillants feront l’ouvrage d’un homme. Le grain semé lèvera et donnera ses premières moissons. C’est du soleil et du pain, quand tombe la forêt sous la cognée du défricheur.

Une nouvelle page de l’histoire du « p’tit gars du colon »…

Petit François, c’est déjà presqu’un homme. Il fondera son foyer.

À son tour, dans une région neuve, fidèle à sa mission, il tracera vaillamment, d’un geste large et héroïque, son « sillon dans la forêt »…[1]

  1. Titre d’un second volume en préparation.