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Les Œuvres de François Rabelais (Éditions Marty-Laveaux)/PantagruelinePrognostication/Texte entier

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Alphonse Lemerre (Tome IIIp. 229-252).

Pantagrueline[1]
PROGNOSTICA
tion certaine, veritable, & in-
fallible pour Lan perpetuel,
nouuellement cõposée au prof
fict & aduisement de gens
estourdis, & musars de
nature, Par Maistre
Alcofribas, Ar-
chitriclin du-
dict
Pantagruel.
Du nombre D’or non dicitur[2], Ie n’en
trouue poins ceste année quelque calculation
que l’en aye faict, passons oultre.
Verte folium[3].

AV LISEVR BENEVOLE

Salut, & Paix en Ieſus le Chriſt.


Considerant infiniz abus eſtre perpetrez à cauſe d’vn tas de Prognoſtications de Louain, faictes à l’ombre d’vn verre de vin, ie vous en ay preſentement calculé vne la plus ſeure, & veritable que fut oncques veüe, comme l’experience vous le demonſtrera. Car ſans doubte veu que dict le prophete Royal, Pſal. v. à Dieu : tu deſtruyras tous ceulx qui diſent menſonges, ce n’eſt legier peché de mentir à ſon eſcient & abuſer le pouure monde curieux de ſçauoir choſes nouuelles. Comme de tout temps ont eſté ſigulierement les François, ainſi qu’eſcript Ceſar en ſes commentaires[4], & Iean de Grauot on mythologies Galliques. Ce que nous voyons encores de iour en iour par France, où le premier propos qu’on tient à gens fraiſchement arriuez ſont. Quelles nouuelles ? ſçauez vous rien de nouueau ? Qui dict ? qui bruict par le monde ? Et tant y ſont attentifz, que ſouuent le courrouſſent contre ceulx qui viennent de pays eſtranges ſans apporter pleines bougettes de nouuelles, les appellant veaulx, & idiotz.

Si doncques comme ilz ſont promptz à demander nouuelles, autant ou plus ſont ilz faciles à croire ce que leur eſt annoncé. Deburoit on pas mettre gens dignes de foy à gaiges à l’entrée du Royaulme, qui ne ſeruiroient d’autre choſe ſinon d’ezaminer les nouuelles qu’on apporte, & à ſçauoir ſi elles ſont veritables ? Ouy certes. Et ainſi ha faict mon bon maiſtre Pantagruel, par tout le pays de Vtopie, & Dipſodie. Auſſi luy en eſt il ſi bien aduenu & tant proſpere ſon territoire, qu’ils ne peuuent de preſent auanger à boyre, & leur conuiendra eſpandre le vin en terre, ſi d’ailleurs ne leur vient renfort de beuueurs, & bons raillars. Voulant doncques ſatisfaire à la curioſité de tous bons compaignons, i’ay reuolué toutes les Pantarches des cieulx, calculé les quadratz de la Lune, crocheté tout ce que iamais penſerent tous les Aſtrophiles, Hypernepheliſtes, Anemophylaces, Vranopetes, & Ombrophores, & conféré du tout auecque Empedocles, lequel ſe recommande à voſtre bonne grace. Et tout le tu autem ay icy en peu de chapitres redigé : vous aſſeurant que ie n’en dy ſinon ce que l’en penſe : & n’en penſe ſinon ce qu’en eſt : & n’en eſt autre choſe pour toute verité que ce qu’en lirez à ceſte heure. Ce que ſera dict au parſus, ſera paſſé au gros tamys à tors, & à trauers, & par aduenture auiendra, par aduenture n’aduiendra mie. D’vn cas vous aduertis. Que ſi ne croyez le tout, vous me faictes vn mauuais tour, pour lequel icy, ou ailleurs, ſerez treſgrieſuement puniz. Les petites anguillades à la ſaulſe de ners bouins ne ſeront eſpargnées ſur voz eſpaules, & humez de l'air comme des huytres tant que vouldrez : car hardiment il y aura de bien chauffez ſi le fornier ne s'endorz. Or mouchez voz nez, petiz enfans : & vous autres vieulx reſueurs, affuſtés voz bezicles, & peſez ces motz au pois du Sanctuaire.


Du gouuernement, & ſeigneur de ceſte année.

Chapitre premier.


Qvelqve choſe que vous diſent ces folz Aſtrologues de Louain, de Nurnberg, de Tubinge, & de Lyon, ne croyez que ceſte année y aie autre gouuerneur de l’vniuerſel monde que Dieu le createur, lequel par ſa diuine parole tout regiſt, & modere, par laquelle ſont toutes choſes en leur nature, & proprieté, & condition : & ſans la maintenance, & gouuernement duquel toutes choſes ſeroient en vn moment reduictes à neant, comme de neant elles ont eſté par luy produictes en leur eſtre. Car de luy vient, en luy eſt, & par luy ſe parfaict tout eſtre, & tout bien : toute vie & mouuement, comme diſt la trompette euangelicque monſeigneur ſainct Paul Ro. xj. Doncques le gouuerneur de ceſte année, & toutes autres ſelon noſtre veridicque reſolution ſera Dieu tout puiſſant. Et n’aura Saturne, ne Mars, ne lupiter, ne autre planete, certes non les anges, ny les ſaincts, ny les hommes, ny les diables, vertuz, efficace, ne influence aucunes, ſi Dieu de ſon bon plaiſir ne leur donne. Comme diſt Auicenne que les cauſes ſecondes n’ont influence, ne action aucune, ſi la cauſe premiere n’y influe. Dict il pas vray[5], le petit bon hommet ?


Des ecclipſes de ceſte année.

Chapitre II.


Ceste année ſeront tant d’ecclipſes du Soleil, & de la Lune, que i’ay peur (& non à tort) que noz bourſes en patiront inanition, & noz ſens perturbation. Saturne ſera retrograde. Venus directe. Mercure inconſtant. Et vn tas d’autres planetes n’iront pas à voſtre commendement. Dont pour ceſte année les chancres iront de coſté, & les cordiers à reculons, les eſcabelles monteront ſur les bancs[6], les broches ſur les landiers, & les bonnetz ſur les chapeaulx : les couilles pendront à pluſieurs par faulte de gibbeſſieres : les puſſes ſeront noires pour la plus grande part : le lard fuyra les pois en quareſme : le ventre ira deuant, le cul ſe aſſoira le premier, lon ne pourra trouuer la febue au gaſteau des Roys, lon ne rencontrera point d’as au flux, le dez ne dira point à ſoubhoit quoy qu’on le flate, & ne viendra ſouuant la chance qu’on demande, les belles parleront en diuers lieux. Quareſmeprenant gaignera ſon proces, l’vne partie du monde ſe deſguiſera pour tromper lautre, & courront parmy les rues comme folz, & hors du ſens. Lon ne veit oncques tel deſordre en nature. Et ſe ſeront ceſte année plus de xxvij. verbes anomaulx, ſi Priſcian ne les tient de court. Si Dieu ne nous aide nous aurons prou d’affaires, mais au contrepoinct s’il eſt pour nous, rien ne nous pourra nuire, comme dict le celeſte aſtrologue, qui fut rauy iusques au ciel, Ro. vij. c. Si Deus pro nobis quis contra nos[7] ? Ma foy nemo domine[8]. Car il eſt trop bon, & trop puiſſant. Icy beniſſez ſon ſainct nom, pour la pareille.


Des maladies de ceſte année.

Chapitre III.


Ceste année les aueugles ne verront que bien peu, les ſourdz oyront aſſez mal[9] : les muetz ne parleront guieres : les riches ſe porteront vn peu mieulx que les pouures, & les ſains mieulx que les malades. Pluſieurs Moutons, Beufz, Pourceaulx, Oyſons, Pouletz, & Canars mourront : & ne ſera ſi cruelle mortalité entre les Cinges, & Dromadaires. Vieilleſſe ſera incurable ceſte année à cauſe des années paſſées. Ceulx qui ſeront pleureticques auront grant mal au coſté, ceulx qui auront flus de ventre, iront ſouuent à la celle percée, les catharres deſcendront ceſte année du cerueau es membres inferieurs : le mal des yeulx ſera fort contraire à la veüe, les aureilles ſeront courtes & rares en Gaſcongne plus que de couſtume. Et regnera quaſi vniuerſellement, vne maladie bien horrible, & redoubtable : maligne, peruerſe, eſpouentable, & mal plaiſante, laquelle rendra le monde bien eſtonné, & dont pluſieurs ne ſçauront de quel bois faire fleches, & bien ſouuent compoſeront en rauaſſerie, ſillogiſans en la pierre philoſophale, & es oreilles de Midas. Ie tremble de peur, quand ie y penſe, car ie vous dy : qu’elle ſera epidimiale, & l’appelle Auerroys vij. colliget. Faulte d’argent[10].

Et attendu le comete de l’an paſſé, & la retrogradation de Saturne, mourra à lhoſpital vn grand marault tout catharré, & crouſteleué. A la mort duquel ſera ſedition horrible entre les chatz & les ratz : entre les chiens, & les lieures : entre les faulcons, & canars : entre les moines, & les œufz.


Des fruictz, & biens croiſſant de terre.

Chapitre IIII.


Ie troue par les calcules de Albumaſer[11] on liure de la grande coniunction, & ailleurs, que ceſte année ſera bien fertile auecques planté de tous biens à ceulx qui auront de quoy. Mais le hobelon de Picardie craindra quelque peu la froidure, l’auoine ſera grand bien es chenaux : il ne ſera gueres plus de l’art que de pourceaux à cauſe de Piſces[12] aſcendant. Il ſera grande année de caquerolles. Mercure menaſſe quelque peu le perſil, mais ce nonobſtant il ſera à pris raiſonnable. Le ſoucil, & l’ancholie croiſtront plus que de couſtume, auecques abondance de poires d’angoiſſe[13]. De bledz, de vins, de fruitages, & legumages, on n’en veit oncques tant ſi les ſoubhaytz des pouures gens ſont ouiz.


De l’eſtat d’aucunes gens.

Chapitre V.


La plus grande folie du monde eſt penſer qu’il y ayt des aſtres pour les Roys, Papes, & gros ſeigneurs, plultoſt que pour les pouures, & ſouffreteux, comme ſi nouuelles eſtoilles auoient eſté crées depuis le temps du deluge, ou de Romulus, ou Pharamond, à la nouuelle creation des Roys : Ce que Triboulet, ny Cailhette, ne diroient : qui ont eſté toutesfois gens de hault ſçauoir, & grand renom. Et par aduenture en l’arche de Noë, ledict Triboulet eſtoit de la lignée des Roys de Caſtille, & Cailhette du ſang de Priam, mais tout ceſt erreur, ne procede que par deſſault de vraye foy catholicque. Tenant doncques pour certain que les aſtres ſe ſoucient auſſi peu des Roys, comme des gueux : & des riches comme des maraux, ie laiſſeray es autres folz prognoſticqueurs à parler des Roys, & riches : & parleray des gens de bas eſtat. Et premierement des gens ſoubzmis à Saturne, comme gens deſpourueuz d’argent, Ialoux, Resfueurs, Mal peaſans, Soubçonneux, Preneurs de taulpes, Vſuriers, Rachapteurs de rentes, Tireurs de riuetz, Tanneurs de cuirs, Tuilliers, Fondeurs de cloches, Compoſeurs d’empruns, Rataconneurs de bobelins, Gens melancholicques, n’auront en ceſte année tout ce qu’ilz vouldroient bien, ilz s’eſtudiront à l’inuention ſaincte croix[14], ne getteront leur lart aux chiens : & ſe grateront ſouuent là, où il ne leur demange point. A Iupiter, comme Cagotz, Caffars, Botineurs, Porteurs de rogatons, Abbreuiateurs, Scripteurs, Copiſtes, Buliſtes, Dataires, Chiquaneurs, Caputons, Moines, Hermites, Hypocrites, Chatemites, Sandorons, Patepelues, Torticollis, Barboilleurs de papiers, Prelinguans, Eſperrucquetz, Clercz de greffe, Dominotiers, Maminociers, Patenoſtriers, Chaffoureus de parchemin, Notaires, Raminagrobis, Portecolles, Promoteurs[15], ſe porteront ſelon leur argent. Et tant mourra de gens d’eſgliſe[16], qu’on ne pourra trouuer à qui conferer les benefices, en ſorte que pluſieurs en tiendront deux, troys, quatre, & dauantage. Caffarderie fera grande iacture de ſon antique bruit, puis que le monde eſt deuenu mauuais garſon, & n’eſt plus gueres fat, ainſi comme dict Auenzagel. A Mars, comme Bourreaux, Meurdriers, Aduenturiers, Brigans, Sergens, Records de teſmoings, Gens de guet, Mortepayes, Arracheurs de dens, Coupeurs de couilles, Barberotz, Bouchiers, Faulx monnoieurs, Medicins de trinquenicque, Tacuins[17], & Marranes, Renieurs de Dieu, Allumetiers, Boute feux, Ramonneurs de cheminées, Franctaupins, Charbonniers, Alchimiltes, Coquaſſiers, Grillotiers, Chercuitiers, Bimbelociers, Manilliers, Lanterniers, Maignins, ſeront ceſte année de beaulx coups : mais aucuns d’iceux ſeront fort ſubiectz à recepuoir quelque coup de baſton à l’emblée. Vn des ſuſdictz ſera ceſte année faict evesque des champs[18], donnant la benediction avec les piedz aux paſſans. A Sol, comme Beuveurs, Enlumineurs de muſeaulx, ventres à poulaine, Braſſeurs de biere, Boteleurs de foing, Portefaix, Faulcheurs, Recouvreurs, Crocheteurs, Amballeurs, Bergiers, Bouviers, Vachiers, Porchiers, Oizelleurs, Jardiniers, Grangiers, Cloiſiers, Gueux de lhoſtiare, Gaignedeniers, Degreſſeurs de bonnetz, Emboureurs de baſtz, Loqueteurs, Claquedens, Crocquelardons, generalement tous portant la chemiſe nouée ſur le dos, ſeront ſains, & alaigres, & n’auront la goutte es dentz quand ilz feront de nopces. A Venus, comme Putains, Maquerelles, Marioletz, Bougrins, Bragars, Napleux, Eſchancrez, Ribleurs, Rufiens, Caignardiers, Chamberieres d’hoſtelerie. Nomina mulierum deſinentia in iere, vt[19] Lingiere, Aduocatiere, Taverniere, Buandiere, Frippiere, ſeront ceſte année en reputanation[20] : mais le Soleil entrant en Cancer, & autres ſignes, ſe doibuent garder de verolle, de chancre, de piſſes chauldes, poullains grenetz &c. Les nonnains à peine concepuront ſans operation virile, bien peu de pucelles auront en mamelles laict. A Mercure, comme Pipeurs, Trompeurs, Affineurs, Thriacleurs, Larrons, Meuſniers, Bateurs de paué, Maiſtres es ars, Decretiſtes, Crocheteurs, Harpailleurs, Rimaſſeurs, Baſteleurs, Ioueurs de paſſe paſſe[21], Eſcorcheurs de latin, Faiſeurs de Rébus, Papetiers, Cartiers, Bagatins, Eſcumeurs de mer, feront ſemblant d’eſtre plus ioyeux que ſouvent ne ſeront, quelque fois riront lors que n’en auront talent, & ſeront fort ſubiectz à faire bancques rouptes, s’ilz ſe trouuent plus d’argent en bourſe que ne leurs en fault. A la Lune, comme Biſouars, Veneurs, Chaffeurs, Aſturciers, Faulconniers, Courriers, Sauniers, Lunatiques, Folz Eceruelez, Acariaſtres, Eſuentez, Courratiers, Poſtes, Laquois, Nacquecz, Verriers, Eſtradiotz, Riuerans, Matelotz, Cheuaucheurs d’eſcuirie, Alleboteurs, n’auront ceſte année gueres d’arrert. Toutesfois n’iront tant de Lifrelofres à ſainct Hiaccho comme feirent Lan D. xxiiij[22]. Il deſcendra grand abundance de Micquelotz des montaignes de Sauoie, & d’Auuergne : mais Sagitarius les menaſſe des mules aux talons.


De l’eſtat d’aucuns pays.

Chapitre VI.


Le noble royaulme de France proſperera, & triumphera ceſte année en tous plaiſirs, & delices : tellement que les nations eſtranges voluntiers ſe y retireront. Petitz bancquetz, petitz eſbatemens, mille ioyeuſetez ſe y ſeront, où vn cheſcun prendra plaiſir, on n’y veit oncques tant de vins, ny plus frians, force raues en Lymouſin, force chaſtaignes en Perigot, & Daulphiné, force olyues en Languegoth, force ſables en Olone, force poiſſons en la Mer, force eſtoilles au ciel, force ſel en Brouage, Planté de bledz, legumaiges, fruitages, iardinaiges, beurres, laictaiges. Nulle peſte, nulle guerre, nul ennuy, bren de pouureté, bren de ſoucy, bren de melancholie, & ces vieulx doubles ducatz, nobles à la roſe, angelotz, aigrefins, royaulx, & moutons à la grand laine, retourneront en vſance, auecques planté de Serapz, & eſcuz au ſoleil. Toutesfois ſur le millieu de L’eſté, ſera à redoubter quelque venue de puſſes noires, & cheuſſons de la Deuiniere : Adeo nihil eſt ex omni parte beatum[23]. Mais il les fauldra brider à force de collations veſpertines.

Italie, Romanie, Naples, Cecile, demourront où elles eſtoient l’an paſſé. Ilz longeront bien profondement vers la fin du Careſme, & reſueront quelques fois vers le hault du iour.

Alemaigne, Souiſſes, Saxe, Straſbourg, Anuers &c. profiteront s’ilz ne faillent : les porteurs de rogatons les doibuent redoubter, & ceſte année ne ſe y fonderont pas beaucoup de anniuerſaires.

Heſpaigne, Caſtille, Portugal, Arragon, ſeront bien ſubiectz à ſoubdaines alterations, & craindront de mourir bien fort autant les ieunes que les vieulx : & pourtant ſe tiendront chaudement, & ſouuent compteront leurs eſcutz, s’ilz en ont.

Angleterre, Eſcoſſe, les Eſtrilins, ſeront aſſés mauuais Pantagrueliſtes. Autant ſain leurs ſeroit le vin que la biere, pourueu qu’il fuſt bon, & friant. A toutes tables leur eſpoir ſera en l’arriere ieu. Sainct Treignant d’Eſcoſſe fera de miracles tant & plus. Mais des chandelles qu’on luy portera, il ne verra goutte plus clair ſi Aries[24] aſcendant de ſa buſche ne trebuſche, & n’eſt de ſa corne eſcorné. Moſcouites, Indiens, Perſes, & Troglodytes, ſouuent auront la cacqueſangue, par ce qu’ilz ne vouldront eſtre par les Romaniſtes belinez, attendu le bal de Sagittarius aſcendant. Boeſmes, Iuifz, Egiptiens, ne ſeront pas ceſte année reduictz en plate forme de leur attente. Venus les menaſſe aigrement des eſcrouelles gorgerines, mais ilz condeſcendront au vueil du Roy des Parpaillons.

Eſcargotz, Sarabouytes, Cauquemarres, Canibales, ſeront fort moleſtez des mouches bouines, & peu ioueront des cymbales, & manequins, ſi le Guaiac n’eſt de requeſte. Auſtriche, Hongrie, Turquie, par ma foy, mes bons hillotz, ie ne ſçay comment ilz ſe porteront, & bien peu m’en ſoucie veu la braue entrée du Soleil en Capricornus, & ſi plus en ſçauez n’en dictes mot, mais attendez la venue du boyteux[25].


Des quatre ſaiſons de l’année. Et premierement
du printemps.


Chapitre VII[26].


En toute ceſte année ne ſera qu’vne Lune, encores ne ſera elle point nouuelle. Vous en eſtes bien marriz vous autres qui ne croyez mie en Dieu, qui perſecutez ſa ſaincte & diuine parolle, enſemble ceulx qui la maintiennent. Mais allez vous pandre, ia ne ſera autre lune que celle laquelle Dieu crea au commencement du monde, & laquelle par l’effect de ſadicte ſacre parolle a eſté eſtablie au firmament pour luyre, & guider les humains de nuid. Ma Dia ie ne veulx par ce inferer qu’elle ne monſtre à la terre & gens terreſtres diminution, ou accroiſſement de ſa clarté, ſelon qu’elle approchera ou s’eſloignera du Soleil. Car, Pourquoy ? Pour autant que &c[27]. Et plus pour elle ne priez que Dieu la garde des loups, car ilz n’y toucheront de ceſt an, ie vous affie. A propos : vous verrez ceſte ſaiſon à moytié plus de fleurs, qu’en toutes les trois autres. Et ne ſera reputé fol cil qui en ce temps ſera ſa prouiſion d’argent mieulx que de Aranes toute l’année. Les gryphons, & marrons[28] des montaignes de Sauoie, Daulphiné, & Hyperborées qui ont neiges ſempiternelles, ſeront fruſtrez de ceſte ſaiſon, & n’en auront point, ſelon l’opinion d’Auicenne qui dict que le printemps eſt lours que les neiges tombent des mons. Croyez ce porteur. De mon temps lon contoit, Ver[29], quand le Soleil entroit au premier degré de Aries. Si maintenant on le compte autrement, ie paſſe condemnation. Et iou mot[30].


De l’eſté.

Chapitre VIII.


En eſté ie ne ſçay quel vent[31] courra, mais ie ſçay bien qu’il doibt faire chault, & regner vent marin. Toutesfois ſi autrement arriue, pourtant ne fauldra renier Dieu. Car il eſt plus ſaige que nous. Et ſçait trop mieulx ce que nous eſt neceſſaire, que nous meſmes, Ie vous en aſſeure ſur mon honneur. Quoy qu’en ait dict Haly[32], & ſes ſuppoſtz. Beau ſera ſec tenir ioyeux, & boire frais. Combien qu’aucuns ayent dict, qu’il n’eſt choſe plus contraire à la ſoif. Ie le croy. Auſſi, contraria contrarijs curantur[33].


De Autonne.

Chapitre IX.


En Autonne lon vendengera, ou deuant, ou après : ce m’eſt tout vn, pourueu qu’ayons du piot à ſuffiſance. Les cuidez feront de ſaiſon, car tel cuidera veſſir, qui baudement fiantera[34]. Ceulx, & celles qui ont voué ieuner iusques à ce que les eſtoilles ſoient au ciel, à heure preſente peuuent bien repaiſtre par mon octroy, & diſpenſe. Encores ont ilz beaucoup tardé : car elles y ſont deuant ſeize mille, & ne ſçay quantz iours. Ie vous dy bien atachées. Et n’eſperez dorenauant prendre les alouettes à la cheute du ciel : car il ne tombera de voſtre aage, ſur mon honneur. Cagotz, Caffars, & porteurs de rogatons, perpetuons, & autres telles triquedondaines ſortiront de leurs teſnieres. Chaſcon ſe garde qui vouldra. Gardez vous auſſy des areſtes, quand vous mangerez du poiſſon : & de poiſon Dieu vous en gard.


De L’hyuer.

Chapitre X.


En Hyuer ſelon mon petit entendement ne ſeront ſaiges ceulx qui vendront leurs pellices, & forrures pour achapter du bois. Et ainſi ne faiſoient les antiques, comme teſmoigne Auenzouar. S’il pleut, ne vous en melencholiez, tant moins aurez vous de pouldre pour chemin. Tenez vous chaudement. Redoubcez les catharres, Beuuez du meilleur, attendans que l’autre amendera. Et ne chiez plus dorenauant ou lict. O O poullailles faictes vous voz nidz tant hault ?


  1. Pantagrueline prognoſtication. Cet opuscule a paru plusieurs fois séparément. Voyez la Bibliographie. Nous suivons ici le texte de l’édition des œuvres de 1553, qui est, de beaucoup, le plus étendu.
    Les pièces satiriques du genre de celle-ci sont assez communes avant Rabelais. « Un anonyme allemand, dit Le Duchat, en compoſa en ſa langue une toute pareille, que traduiſit en latin & augmenta Jaques Henrichman, autre Allemand qui en l’année 1508 la dédia au baron de Schwartzenberg, & au poète Henri Bebel, avec invitation à ce dernier de la joindre à ſes Facéties comme il fit effectivement dans l’édition qui en parut en l’année 1512. » — Bebelius a aussi publié dans le même recueil un petit morceau analogue beaucoup plus court, composé par le docteur Henri Ritter Starrenwadel. Ces deux opuscules ont été reproduits in extenso par Regis, t. II, p. 927-934. Souvent ces facéties étaient en vers. Voyez La grand & vraye Pronoſtication generale… par le grand Haly Habenrugel, que M. A. de Montaiglon regarde comme composée peu de temps après 1481 (Poésies françaises des XVe et XVIe siècles, t. VI, p. 5-46, Bibl. elzév., et La grant & vraye Prenoſtication, pour cent & vng an… par maiſtre Tyburce Dyariferos, même recueil, t. VIII, p. 337-346.)
    Quant aux reproductions de la Pantagrueline prognoſtication sous divers titres, elles sont extrêmement nombreuses jusqu’au milieu du XVIIe siècle. Édouard Fournier en a publié une intitulée : Manifeſte & predictions des plus veritables affaires qui se doivent paſſer en France cette année 1620, par le ſieur de la Bourdanière (Variétés historiques et littéraires, t. VII, p. 5-8. Bibl. elzév.) ; mais il n’a pas indiqué que c’est un extrait presque textuel de l’opuscule de Rabelais.
  2. Du nombre D’or non dicitur. « On ne parle pas. » — « Aureus numerus hoc anno parvus erit et modicus apud pauperes. » (Henrichman, c. 1, Regis, t. III, p. 931)

    Le nombre d’or trouuer ne puis,
    Non plus que faiſoye l’autre année.

    (La grant & vraye Prenoſtication. — Anc. poés. t. VIII, p. 341)

  3. Verte folium. « Tourne le feuillet. »
  4. Ceſar en ſes commentaires. « Est autem hoc Galliæ consuetudinis, ut, et viatores etiam invitos consistere cogant ; et, quod quisque eorum de quaque re audierit, aut cognoverit, quærant. » (IV, 5)
  5. Dict il pas vray ?…Œuvres, 1542 : « Et en ce dict vray, combien qu’ailleurs il ait rauaſſé oultre meſure. »
  6. Les eſcabelles monteront ſur les bancs. « Scabella ſuper ſcamna aſcendere conabuntur. » (Henrichman, c. 2, Regis, t. III, p. 931)
  7. Si… nos ? « Si Dieu est pour nous qui sera contre nous ? »
  8. Nemo domine. « Personne, Seigneur. »
  9. Les aueugles ne verront que bien peu. Joach. Fort. Rindelbergius d’Anvers, dans De ratione ſtudii publié chez Gryphius en 1531, in-8o, a consacré à l’astrologie un chapitre que Rabelais a largement mis à profit, comme on le verra par l’extrait suivant :
    Ridicvla, sed ivcvnda qvædam vaticinia.

    « Proximo anno, cæci parum, aut nihil videbunt, ſurdi male audient, muti non loquentur… Diuites melius ſe habebunt quam pauperes, ſani quam ægri… Multi interibunt piſces, boues, oues, porci, capræ, pulli & capones : inter ſimias, canes & equos mors non tantopere ſæuiet… Senectus eodem anno erit immedicabilis, propter annos qui præceſſerunt… Bellum erit inter canes & lepores, inter feles & mures, inter lupos & oues, inter monachos & oua… » — Starrenwadel dit aussi : « Sani melius habebunt quam infirmi ; pariter diuites quam pauperes. » (XX, Regis, t. III, p. 928)

  10. L’appelle Auerroys VII. colliget. Faulte d’argent. Comme on le pense bien, Averroès, dans le livre VII de son colliget consacré à la thérapeutique « de curatione morborum, » n’a nullement parlé de la manière de guérir cette maladie. Ici Rabelais fait allusion au refrain :

    Faulte d’argent c’eſt douleur non pareille.

    Voyez ci-dessus, p. 201, la note sur la l. 12 de la p. 295.*

    *

  11. Ie trouue par les calcules de Albumaſer. Starrenwadel cite Albumazar dans des circonstances analogues : « In rariori… vſu erit piſcis apud pauperes propter reſpectum Aquarii contrarium pecunis, vt notat Albumaſar in quarto tripartiti. » (VIII, Regis, t. III, p. 928)
  12. Piſces. Nom latin de la constellation des Poissons.
  13. Le ſoucil, & l’ancholie… auecques abondance des poires d’angoiſſe. « Allusion aux ſoucis, à la melancholie et aux angoiſſes de la vie. » (Le Duchat.) Les jeux de mots de ce genre sont un des lieux communs des prophéties comiques de ce temps :

    Soufflez, penſiez regneront à oultrance,
    Mais la mente le bruit hara en tout faict.
    Force noiſes, dont maint ſera deffaict,
    Croiſtront par gens de mauluais entretien.

    (La grand & vraye Prenoſtication. — Anc. poés. t. VI, p. 41)

    De mente, penſees, ſoucy,
    Aura entre autres violettes,
    Et largement verres auſſy
    De grans & petites noyſettes.

    (La grant & vraye Prenoſtication. — Anc. poés. t. VIII, p. 340)

    On voit que penſiéz, penſées, est de même que ſouſſiez, ſoucy, employé dans un double sens, et que les noyſettes font allusion aux noiſes ; quant à la mente, c’est un jeu de mots entre menthe et menterie, mensonge.

  14. L’inuention ſaincte croix. Voyez ci-dessus, p. 179, la note sur la l. 1 de la p. 247.*

    *

  15. Promoteurs. 1553 : Prometteurs, qui paraît une faute.
  16. Et tant mourra de gens d’eſgliſe… « Magna erit ſacerdotum penuria, adeo quod quidam tria quatuorue, aut plura habebunt officia eccleſiaſtica. » (Henrichman, c. XXII. Regis, t. III, p. 934)
  17. Tacuins. 1542 : Auinceniſtes.
  18. Eueſque des champs. Pendu, comme l’explique ce qui suit.
  19. Nomina mulierum deſinentia in iere, vt. « Les noms de femmes ayant des désinences en ière, comme. »
  20. Reputanation. La plupart des éditions portent reputation ; mais il faut se garder de corriger cette faute, assurément volontaire, de l’édition de 1553. Il y a là un jeu de mots entre réputation et putana.
  21. Ioueurs de paſſe paſſe. Les éditions de 1542 et 1547 ont ici en plus : « Enchanteurs, Vielleurs, Oblieurs, Poetes. »
  22. Lan D. XXIIIJ. « Il avoit paru pluſieurs Predictions qui à cauſe de la grande conjonction de Saturne, de Jupiter & de Mars au ſigne des Poiſſons en 1524, annonçoient pour le mois de Fevrier de cette année là un ſecond Deluge univerſel : & il n’en a pas fallu davantage pour faire courir en foule à S. Jaques en Galice la nation Alemande encore en ce tems-là fort entêtée des pélerinages. » (Le Duchat)
  23. Adeo… beatum. Voyez ci-dessus, p. 293, la note sur la l. 13 de la p. 422.*

    * Rien n’eſt beat de toutes parts.

    ... Nihil est ab omni
    Parte beatum.

    (Horace, Odes, II, 16, v. 27)

  24. Aries. Nom latin de la constellation du Bélier.
  25. Attendez la venue du boyteux. C’est le temps qui est ainsi désigné proverbialement :

    Attendant le boiteux, je conſolois Lucrèce.

  26. Chapitre vii. Ce chapitre et les trois suivants ne se trouvent pas dans les premières éditions.
  27. Pour autant que &c. Il feint de commencer à donner une explication scientifique, puis s’arrête brusquement.
  28. Les gryphons, & marrons. Rabelais appelle en plaisantant les guides ou porteurs gryphons, non, comme le dit Le Duchat, parce qu’ils montent « comme de vrais gryphons, » mais parce qu’ils ont les jambes garnies de crampons de fer appelés griffes. — Quant au mot marron, il est d’origine italienne : « Marrone, dit Oudin, maron, homme qui ſert à paſſer les montaignes & principalement au mont Cenis. » Montaigne a dit dans ses Voyages, à l’article Novaleſe : « Locai li otto marronii quali mi portaſſero in ſedia fin alla cima di Mon Senis. » C’est de l’un d’eux que Rabelais parle quand il dit un peu plus loin : « Croyez ce porteur. »
  29. Ver. Nom latin du printemps.
  30. Et iou mot. Littéralement : « et je (moi) mot, » c’est-à-dire : « moi je ne dis mot ; motus. »
  31. Quel vent. — Œuvres 1542 : Quel temps, ny quel vent.
  32. Haly. Ce mathématicien arabe du XIIe siècle est fréquemment allégué par les faiseurs d’almanachs : « Secundum ſententiam Hali Habenragel » (Starrenwadel, I, Regis, t. III, p. 928). C’est sous son nom qu’est mise La grand… prognoſtication generale. Voyez ci-dessus p. 353.
  33. Contraria contrariis curantur. « Les contraires sont guéris par les contraires. »
  34. Tel cuidera… fiantera.

    Car en lieu de pet ou de veſſe
    On chiera long ou à lozanges.

    (La grant & vraye Prenoſtication. — Anc. poés. t. VIII, p. 344.)

    Dans L’Almanach prophétique du ſieur Tabarin pour l’année 1623 (œuvres de Tabarin, t. II, p. 433) le passage de Rabelais est reproduit presque textuellement : « Les cuidez ſeront trompez : car tel cuidera faire quelque ventoſité dans ſes gregues qui y chiera tout à fait. »