Les Femmes poètes de l’Allemagne/2

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Perrin et Cie, libraires-éditeurs (p. 26-44).

CHAPITRE II

DIX-HUITIÈME SIÈCLE

Luise Karsch. — Baronne de Klenke, née Karsch. — Helmine von Chesy. — Caroline Rudolphi. — Elise von der Recke. — Amalie de Helwig. — Karoline Brachmann.

La première femme poète du dix-huitième siècle, selon l’ordre chronologique, mérite d’être signalée, non seulement à cause de l’originalité de son talent, mais encore et surtout pour celle de son caractère et de sa vie.

L’âme féminine allemande, plutôt passive et soumise au joug de la tradition, présente quelquefois une de ces curieuses exceptions qui passent à travers le monde sans avoir l’air d’en soupçonner les lois, les errements, acceptant pour seul guide leur fantaisie, ou plutôt leur imagination ardente, que semble habiter l’esprit des Kobolds et des Nixes de la vieille mythologie rhénane.

ANNA-LUISE KARSCH est l’incarnation de ce type.

Elle naquit à Durbach (Silésie), en 1722. Ayant perdu tôt son père, elle fut malheureuse avec une mère fort égoïste, qui, pour rester plus libre de convoler jusqu’à trois fois en justes noces, envoya sa fille à la campagne chez des paysans qui l’employèrent à garder les troupeaux et la laissèrent vaquer aux travaux les plus humbles. On devine que les fréquentations de cette époque de sa vie n’étaient pas en mesure de favoriser l’éducation ni l’instruction de Luise. Sa principale compagnie fut celle d’un pâtre qui lui fit connaître les livres populaires de la Belle Mélusine et de l’Empereur Octavien. Elle n’avait encore lu que la Bible ; son imagination s’exalta pour ces récits chevaleresques. De plus, sa vie rustique la mettait en communication avec la nature qu’elle chanta en vers naïfs.

Un de ses oncles, voyant ses dispositions intellectuelles, la prit alors auprès de lui pour la faire instruire. Mais elle atteignait à peine sa dix-septième année que sa mère la maria à un tisserand…

Après dix ans de mauvais traitements, elle se sépara de cet homme, et, au cours des voyages qu’elle entreprit, rencontra le tailleur Karsch qui lui promit le mariage si elle voulait le suivre à Fraustadt, où il habitait. Ainsi fut fait. Tous deux allèrent par la suite s’établir à Goerlitz.

Entre temps, son talent poétique, qu’elle n’avait pas cessé de cultiver, acquérait quelque renommée dans la contrée. Elle composait, selon la mode d’alors, des « poèmes de circonstance », et gagnait par ce moyen des revenus passables.

Cette façon de traiter la poésie était bien un peu commerciale ; mais Luise Karsch avait une excuse : son mari s’adonnait à la boisson et la réduisait à la misère. Maintes protections sérieuses s’offrirent, mais aucune ne pouvait durer, Luise refusant de se séparer de son mari qui continuait à gaspiller l’argent gagné.

Cet exemple de fidélité conjugale intéressa pourtant le célèbre baron von Kottwitz, qui attira la poétesse à Berlin. Il l’y introduisit dans son cercle de gens distingués et lettrés, lui fit connaître Sulzer[1], Mendelssohn et Ramler[2], qui lui décerna le titre de « Sapho allemande » ; il entreprit aussi de perfectionner son talent. Mais Luise était rebelle aux réformes. Elle visita, à Halberstadt, Gleim[3], le chef de l’école anacréontique. Gleim la désigna à l’attention de divers membres influents de l’aristocratie et fit imprimer ses vers, dont la vente lui rapporta deux mille thalers. Le métier de poétesse était plus fructueux jadis qu’aujourd’hui.

La situation de Luise Karsch s’améliorait donc, quand survint la mort de son protecteur, le baron de Kottwitz, qui, seul, avait sur elle quelque influence. Elle eut alors l’idée de se recommander au roi Frédéric, que ses vers avaient célébré.

Mais sa faiblesse, sa légèreté incorrigibles ne plaidaient pas en sa faveur. Elle se laissait ruiner maintenant par son fils, digne héritier de Karsch. De même, sans écouter les conseils donnés, elle maria sottement sa fille avec son beau-frère ; cette première union se termina par l’abandon ; une seconde finit par le divorce.

Ces scandales déplurent au roi. Naturellement la sympathie publique s’en ressentit. On désignait la pauvre femme sous le vocable péjoratif de « la Karschin ».

Une seconde supplique à Frédéric, qui, la première fois, avait accordé un secours de cinquante thalers, en valut deux à Luise, alors qu’elle avait demandé « de quoi se faire bâtir une petite maison ». C’était là son idée fixe.

Anna-Luise, froissée, renvoya l’aumône, ce qui ne l’empêcha pas, dix ans plus tard, de revenir à la charge, pour obtenir, cette fois… trois thalers.

Elle s’en acquitta par quelques vers, dont voici la traduction :

Sa Majesté commande qu’on m’octroie trois thalers — pour une maison à bâtir — L’ordre du monarque est promptement et fidèlement exécuté ! — Et je dois dire merci ! — Mais, dans Berlin, je ne puis trouver un menuisier — qui veuille, pour trois thalers, me bâtir ma dernière maison. — À peine pourrais-je à ce prix me commander une maison de telle sorte — que les vers un jour y tiendront place — et se dépiteront du pauvre festin que leur offre — le corps d’une femme vieille et décharnée, seule largesse faite à eux par le souverain. son de telle sorte

Cette macabre et courageuse ironie n’attendrit pas le souverain. Mais, malgré les difficultés de sa situation, Anna-Luise Karsch ne perdait pas confiance en la Providence. Elle sentait qu’elle aurait sa maison.

Ce vœu fut en effet exaucé, non par Frédéric, mais par son fils et successeur, Frédéric-Guillaume II, plus pitoyable. La hâte de la pauvre femme à prendre possession de la demeure tant souhaitée était si grande, qu’elle n’attendit même pas l’achèvement des travaux ; cette mauvaise condition hygiénique lui valut une maladie dont elle mourut peu de temps après (1791).

Les poèmes de Louise Karsch font preuve d’un certain don poétique, mais son éducation déséquilibrée influa sur ses œuvres comme sur sa vie, et ses productions sont fort inégales. À côté de sentiments profonds pleins de pensées vives, exprimées avec un tour judicieux, on rencontre des termes durs ou vulgaires, des images banales, provenant du temps de son existence rustique et dont elle n’était jamais parvenue à se défaire.

Néanmoins, nous tenons à donner ici un morceau extrait du choix de ses œuvres :

MÉDITATION PENDANT UNE VEILLÉE

Quand je veille, je pense à toi, — À toi, Seigneur,
qui règles le jour et la nuit — et qui, à l’heure de
l’ombre — revêts la pâle lune — des clartés du soleil.

C’est une lumière royale — qui tombe des lointains
incommensurables ; — et, sans nombre, comme
les sables au bord de la mer — les étoiles l’auréolent.

Quelle magnificence partout se répand ! — L’obscurité,
trouée de clartés — nous regarde — et révèle
ton nom à notre face.

Ô Créateur du soleil ! que tu nous apparais grand
— dans le plus petit de tes astres, — grand d’une
grandeur que nul mot ne peut traduire !

Les étoiles du matin te louent — dans un chœur
intime, — à l’heure où, du fond des ténèbres — un
mot de ta bouche toute-puissante — fait éclore leur
monde, dans la voûte du firmament.

Elles brillent, toujours pleines d’éclat, de jeunesse

comme si des siècles, déjà, depuis leur création
ne s’étaient pas écoulés. — L’évolution du temps ne
ravit rien à la splendeur de leur front.

Le don poétique d’Anna-Louise Karsch ne mourut pas tout à fait avec elle. Sa fille, puis sa petite-fille en héritèrent. La première, baronne de klenke, a rimé seulement quelques vers ; mais la seconde, connue sous le nom de son second mari, M. de Chesy, tient une place dans l’histoire littéraire allemande du dix-huitième siècle.

Helmine von Chesy naquit à Berlin, en 1783. Au contraire de son aïeule, elle reçut une éducation soignée. Son premier mariage, avec M. von Hastfer, ne fut pas heureux ; au bout d’un an, elle divorça. Dans un séjour à Paris, elle connut alors M. de Chesy, qu’elle épousa : union aussi peu durable que la première. Séparée de son mari et de retour en Allemagne, elle y trouva un protecteur en la personne du prince de Dalberg.

Son tempérament passionné, fantasque, que l’atavisme explique assez, valut à Helmine bien des déboires.

Elle voyagea beaucoup, vécut successivement à Heidelberg, à Berlin, à Dresde, à Vienne, à Munich et à Genève, où elle mourut, en 1856.

Ses poèmes sont dignes d'attention. Son roman de chevalerie, Die drei weisse Rosen (les trois Roses blanches 1821) est sa meilleure œuvre de longue haleine. Elle écrivit aussi des nouvelles et récits, mais son nom est surtout connu grâce au livret d'opéra, Euryanthe, qu'elle composa en collaboration avec le maître Weber (1824).

Entre Louise Karsch et sa petite-fille apparaissent trois figures intéressantes de femmes poètes. Bien que leurs vies aient été orientées de façon fort différente, une certaine parenté existe dans le caractère et l'intention de leurs œuvres. Leur intelligence, leur activité s'employèrent à faire du bien, tant dans le domaine moral que dans celui des idées intellectuelles.

Ces trois femmes sont Caroline Rudolphi, Élise von der Recke et Anna de Hellwig.

Caroline Rudolphi (1750-1811) naquit à Berlin, où elle commença, tout en écrivant ses vers, à s’intéresser aux questions d’éducation féminine. Elle fonda à Hambourg une sorte de pensionnat familial, qu’elle transporta plus tard à Heidelberg.

Ses œuvres, qu’elle composait toujours avec le désir d’être utile aux jeunes filles qui l’entouraient, sont écrites dans une langue simple et pure. Elles révèlent l’excellence d’une belle âme. Un critique les a reconnues, du moins, « meilleures pour la jeunesse que beaucoup d’autres œuvres du temps, qui recouvrent la perdition de l’âme sous de fascinantes parures ».

Un peu anodins à cause du but spécial auquel ils étaient destinés, ces écrits n’abordent pas le vrai public littéraire de l’époque. Cependant, leur charme est assez grand pour avoir persisté malgré les tendances diverses d’un nouveau temps, et l’on sent que l’auteur, d’après les qualités dont elle fait preuve, eût pu, si elle l’avait voulu, arriver, non sans succès, à un renom plus étendu.

ÉLise von der Recke, fille du comte de Méden, naquit en Courlande, en 1754, dans un domaine familial. Son père, veuf de bonne heure, se remaria, et la belle-mère d’Élise, probablement pour se libérer de sa présence, lui fit épouser, jeune, le baron de Recke, dont la nature et les habitudes de vie étaient en complète contradiction avec celles de la jeune fille.

Elle s’en sépara après dix ans de patience et d’abnégation, pour vivre à Miethau avec une jeune sœur unique qu’elle perdit peu après.

Sans appui moral, cette âme généreuse était en quelque sorte prédestinée à servir de victime à de plus rusés qu’elle. La chose arriva, semant le piquant d’une aventure dans la vie plutôt paisible de l’isolée. Le fameux Cagliostro vint à cette époque à Miethau. Elle subit la suggestion de ce charlatan, qui se servit d’elle et de ses relations pour mener à bien ses plans de dupeur. Malgré les avis, les preuves mêmes qui dévoilèrent un jour Cagliostro, elle persistait à lui garder sa confiance.

Enfin, deux hommes de valeur, connus au cours de ses voyages, les écrivains Stolberg et Bürger, la forcèrent à ouvrir les yeux. Elle se divertit alors la première de sa crédulité et écrivit sur cet épisode un ouvrage, le Cagliostro démasqué, qui fut traduit en russe par l’ordre de l’impératrice Catherine (1787).

Élise von der Recke alla ensuite à Saint-Pétersbourg, où elle vécut assez longtemps, entretenant d’agréables relations avec la meilleure société russe, qui prisait autant la noblesse de son caractère que son talent.

Sa santé maladive la força, cependant, à vivre dans un climat moins rigoureux. Tout en gardant une résidence à Berlin, puis à Dresde, elle passa la majeure partie de son temps en Italie.

Tiedge, le poète, auteur d’Urania, fut son compagnon de séjour et plus tard son ami familier.

Les œuvres d’Élise von der Recke sont, en général, d’inspiration religieuse ou tout au moins spirituelle. Elle a écrit : Prières et Chants (1783) ; Poèmes (1806) ; Prières et Méditations religieuses (1826), sans compter un Voyage en Italie. Proses et vers contiennent d’estimables et même d’excellentes choses, sinon tout à fait originales.

Amalie von Hellwig, baronne d’Imhoff, née en 1776, est originaire de Weimar. Son père, professeur très érudit, s’occupa de son éducation et contribua à faire d’elle une personnalité intéressante, car, jeune encore, ayant voyagé en France, en Angleterre, en Hollande, Amalie savait plusieurs langues, même le grec.

Séjournant à Weimar, au moment où Goethe et Schiller s’y trouvaient, elle était au foyer même de la vie intellectuelle et poétique en particulier. Son étoile la favorisait. Elle connut l’auteur de Faust et apprit de lui la composition de l’hexamètre, forme dans laquelle est écrit son meilleur poème : Schwestern aus Lesbos (les Sœurs de Lesbos) (1801).

Schiller inséra souvent de ses poèmes dans son Almanach des Muses.

Ce genre de publication, élaboré pour la première fois par les disciples de Klopstock, fut le lien d’une génération de poètes appartenant à la même école, dite de Gœttingue, et qui constitua une sorte de Pléiade. C’était un honneur de collaborer à ce recueil. Goethe ne dédaigna pas d’y inscrire sa signature. Plusieurs anthologies ont été créées ensuite sous le même titre par les écoles successives.

Amalie de Hellwig, nommée dame d’honneur de la princesse de Weimar, connut à cette cour le baron de Hellwig qu’elle épousa.

Outre ses poésies lyriques, elle écrivit un ouvrage en collaboration avec Karoline de la Motte-Fouqué, seconde femme de cette sorte de Don Quichotte allemand qu’était le baron-poète Frédéric de la Motte-Fouqué, descendant d’une famille française chassée de son pays par la révocation de l’Édit de Nantes.

Ce livre, appelé sans prétention Taschenbuch (Livre de poche), est un recueil de fables et légendes, parmi lesquelles se trouve le récit le Puits du loup, populaire en Allemagne.

Amalie de Hellwig était peintre en même temps que poète. Elle s’occupa beaucoup de l’art ancien allemand à Heidelberg, où elle vécut longtemps avant d’aller mourir à Berlin, en 1851.

Luise-karoline Braciimann, sans offrir une vie aussi aventureuse que celle de Louise Karsch, est pourtant un exemple nouveau du tort que peut causer, dans une vie féminine, le don d’une imagination exaltée.

Née en 1777, à Rochlitz, en Saxe, elle témoigna de bonne heure d’un certain goût artistique et du désir d’écrire. À peine atteignait-elle sa dixième année que son père, quittant le pays natal, alla s’établir à Weissenfels. Là, la fillette fut reçue dans le château du baron de Hardenberg, dont le fils Frédéric, qui avait alors quinze ans, idéaliste enthousiaste et amoureux de la poésie, se fera plus tard une belle place dans la littérature de son pays sous le pseudonyme de Novalis.

Cette fréquentation ne fit qu’encourager et stimuler la vocation de Karoline. Elle obtint dès ses débuts quelques succès, eut aussi des vers insérés dans l’Almanach des Muses. Son imagination très vive, sa sensibilité excessive donnaient à ses œuvres un charme de spontanéité et de délicatesse fort attachant. Mais ces qualités, poussées à l'excès, devinrent pour elle des causes de souffrances et firent sa perte.

Une première fois, à vingt-trois ans, à la suite de discussions intimes avec son frère, chez lequel elle faisait un séjour à Dresde, elle tenta de se détruire en se jetant par une fenêtre du second étage dans la cour. Grièvement blessée, elle guérit néanmoins et, peu à peu, le calme revint en son cœur. Mais ce ne fut pas pour longtemps, car les vraies épreuves allaient seulement commencer.

Au mois de mars 1801, elle eut le chagrin de perdre son ami Novalis, auquel elle était très attachée, puis la sœur du jeune écrivain, Sidonie, et, peu de temps après, en moins de trois ans, sa propre sœur et ses parents.

Elle se trouva seule et obligée de travailler pour subvenir à son existence.

Au moment de la bataille de Leipzig, après avoir soigné les blessés dans les hôpitaux, et surtout après s'être éprise d'un officier français qui, sans doute, ne la paya pas de retour, elle fut atteinte d’une fièvre nerveuse, qui mit de nouveau sa vie en danger.

Plus tard, ayant eu chez elle des pensionnaires, elle s’attacha à l’un d’eux, un officier, prussien cette fois, et âgé de vingt-quatre ans ; elle l’épousa, malgré la différence d’âge qui les séparait ; elle atteignait à ce moment sa quarante-troisième année !

Mais le jeune mari ne partageant pas assez, à son gré, la romantique passion qu’elle éprouvait, la pauvre femme souffrit cruellement ; elle finit par se jeter dans les flots de la Saale et cette fois rencontra la mort qu’elle cherchait. Ce drame eut lieu en 1822.

Le talent de Karoline Brachmann est intéressant, surtout dans ses poèmes lyriques. On y sent vibrer un cœur capable d’éprouver de profonds sentiments et de se dévouer à une cause chère. La douleur fut son inspiratrice ; la sincérité de ses souffrances communique l’émotion à ses poèmes ; et les vers de la poétesse n’ont pas l’accent morbide ou désespéré que les actes de sa vie feraient supposer, car ils sont empreints de foi. On apprécie dans ses œuvres la variété des sujets, la pureté du style et la clarté de la versification. Elle ne se borne pas à de fades descriptions ; une pensée toujours est enclose dans ses vers ; cette pensée est généralement élevée et parfois présentée avec originalité.

Karoline Brachmann a également composé des poèmes lyriques-épiques comme Columbus, Elvire, qui ont eu un certain succès.

Deux courts morceaux viendront à l’appui du jugement cité plus haut :

résignation

Nous sommes enfants. Au lointain du ciel — nous sourit le Père. Ses regards, comme mille étoiles, — versent la lumière sur nos chemins.

Les fleurs de la terre s’épanouissent en signe de sa bonté, — comme pour nous attirer vers l’au-delà doucement, dans l’amour et la bienveillance.

Ne vous affligez pas, pauvres enfants, dit-il, si vous êtes encore loin de moi, si le chemin vous semble rude et le but bien haut !

Éternellement, le cœur du Père — est près de vous dans la sombre vallée. — Et, vers moi, à travers la nuit et la douleur, — vous conduit le rayon de foi…

De même que le rocher du rivage s’élève en hauteur escarpée, — gravissons aussi les âpres sentiers — qui conduisent vers la Patrie.

Quand nous voyons dans le sombre néant — un
cher rayon disparaître[4], — oh ! ne plaignons pas la
lumineuse étoile ! Elle repose dans sa patrie.

LE CHANT DU CHEVALIER FIDÈLE

Reste indifférent aux troubles d’alentour, — mon
cœur, et n’aie pas peur. — Sois calme comme le rocher
du rivage — contre lequel se brisent les vagues.

En te séparant de Celle pour qui tu vis — le sort
t’est cruel. — Sois paisible, mon cœur ; tu portes —
en toi ta souffrance et ton bonheur.

Elle reste ta part et ton bien, — aussi loin qu’elle
soit de toi. — Qui peut ravir ce qu’avec la fermeté
du roc — un cœur aimant enferme en lui ?

Véritablement, au plus profond de toi, — ton
amour est un Joyau solide et pur. — Si même tu
devais tout abandonner, — lui, le fidèle amour, seul,
resterait.

Il est ta consolation, il est ta lumière. — Quand
tout te délaisse, — quand tout faiblit, et tombe et se
brise, — lui, demeure éternellement[5].

  1. Écrivain allemand du dix-huitième siècle, qui donna un traité sur les beaux-arts.
  2. Poète et critique de la même époque.
  3. Né en 1719. Se fit une spécialité dans poésie légère.

  4. Dans le sens de : Quand nous perdons un être aimé.

  5. Bien qu’elle n’ait pas composé d’œuvres en vers, il
    ne faut pas oublier de noter, au dix-huitième siècle, le
    nom de Victoria Kulmus (1713-1762), qui épousa plus tard
    Gottsched, l’un des représentants de l’École saxonne.
    Comme son mari, Victoria Gottsched composa des pièces
    de théâtre, mais surtout elle traduisit des œuvres d’auteurs
    français, parmi lesquelles le Misanthrope, Zaïre et
    des comédies de Destouches.