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Les Hautes Montagnes/25

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(p. 55-58).

25. Grand-mère Charmène.

Tandis qu’ils montaient au Verdoyant, ils ont rencontré une grand-mère qui portait un fardeau de branches.

C’était grand-mère Charmène, la plus âgée du Petit Village. On dit qu’elle a quatre-vingt-dix ans mais elle-même ne sait plus bien son âge. Et malgré tout elle dit qu’elle ne peut pas vivre sans travailler.

Elle travaillera jusqu’à ce que Dieu la rappelle.

— Bonjour M’dame, lui crièrent-ils.

— À la bonne heure, mes petits-enfants.

— Tu vas bien, M’dame ?

— Grâce à Dieu je vais très bien. Allez, une petite pause…


Elle déposa sa petite charge sur le sol et soupira ; elle soupirait à cause de l’effort et des années passées.

Elle s’ennuyait de vivre, comme elle disait. Et pourtant si quelqu’un venait lui prendre son fardeau et sa vie, elle ne lui laisserait ni l’un, ni l’autre.

Tant que l’on tient debout, la vie est toujours bonne.


À la ceinture de la vieille pendait une petite bouteille qui contenait de l’huile.

— Et d’où arrives-tu, M’dame ?

— Par la Grâce ! Je suis allée à la chapelle pour allumer une veilleuse à la Sainte Ceinture.

— Où se trouve-t-elle ?

— Ici en montant. Elle est écroulée. Et sais-tu depuis quand ? J’étais jeune comme vous, et elle s’est écroulée. Mais moi je vais allumer la veilleuse à la Grâce deux fois par semaine.

« Sais-tu depuis quand je mets de l’huile dans cette veilleuse ? Cela fait maintenant trente ans. Vois-tu, j’ai deux branches d’olivier. Et la Sainte Ceinture, mon garçon, leur donne toujours des fruits, pour ma salade et pour la veilleuse.

« Et elle fait en sorte, vois-tu, que cette veilleuse ne reste pas sans huile. Parce que cette chapelle est ancienne ; déjà du temps de grand-père et de grand-grand-père. Et tant que la veilleuse est allumée, l’exorcisé a peur. »


— Et qui c’est cet exorcisé ?

— Que le sort s’en empare, le méchant ! C’est le Maure, qu’il reste loin ; Il habite le rocher du Maure, c’est ça.

— Et comment est-il ? Il est noir ?

— Noir, rata-noir, un vrai Maure ! Je l’ai vu, moi.

— Tu dis que tu l’as vu ? Et tous s’approchèrent pour mieux entendre.

— Sûr que je l’ai vu ! Sais-tu combien d’année ça fait maintenant ? J’étais aussi jeune que vous messieurs. À l’époque il y avait encore les turcs. Et alors que le soir tombait, on regarde, et qu’est-ce qu’on voit ? Il était assis sur la pointe du rocher et il scrutait ! C’est ça.

— Oh-là là ! fit Spyros, et où est ce rocher, M’dame ?


Mais moi je vais allumer la veilleuse à la Grâce…

— Il est loin d’ici, sur une autre montagne ; là, sous le soleil.

— Mais dis-nous, M’dame, ajouta Costakis, est-ce qu’il allume des feux la nuit ?

— Il allume des feux et souvent.

— Tu entends Mathieu ! Dit Costakis.

— C’est ça, dans ce feu l’exorcisé brûle les alliances et les boucles d’oreilles et les cheveux d’or des jeunes mariées qu’il a attrapées. On voit dans la montée leurs familles pétrifiées. Il faut juste qu’on dise le Seigneur, prends pitié trois fois : Kyri’éleïssone ! Kyri’éleïssone ! Kyri’éleïssone !

« Aidez-moi à me remettre en route, mes enfants, la nuit tombe. Ahhh ! »

Ils l’aidèrent à soulever le fardeau de bois et elle descendit lentement la pente.