Les Jeux rustiques et divins/J’ai joué de la flûte auprès de la fontaine

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Mercure de France (p. 112).



J’ai joué de la flûte auprès de la fontaine
Et mon souffle inégal dans le tuyau d’ébène
Y entrait rire pour en ressortir sanglot ;
Je regardais tomber les feuilles dans son eau
Oubliant, inutile et mauvais chevrier,
L’éternelle verdeur de l’antique laurier,
Et, parmi mon troupeau pillé par les Sylvains,
L’aile basse, broutait le vieux Cheval divin ;
Mais j’ai jeté, un soir, dans la morne fontaine,
La tige par morceaux de ma flûte d’ébène
Et je pris le cheval à la bride, et ma main
Cueillit au tronc noueux le rameau souverain
Lourd de ma Destinée et vert de mon Espoir !
Et nous avons marché à travers le bois noir,
Vers la plaine et le fleuve et loin de la forêt
Et, fauve au grand soleil, debout sur ses jarrets,
J’ai vu le cheval rose ouvrir ses ailes d’or
Et, flairant le laurier que je tenais encor,
Verdoyant à jamais hier comme aujourd’hui,
Se cabrer vers le Jour et ruer vers la Nuit !