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Les Jeux rustiques et divins/Ode I

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Les Jeux rustiques et divins. La Corbeille des Heures
Mercure de France (p. 225-227).


ODE I


Septembre !
D’entre tes frères, du fond de l’an,
Qui dorment, côte à côte, et attendent,
Visages d’ombre ou profils clairs,
Septembre !
Tu t’es levé, heureux et lent,
D’entre les heures endormies,
Tu t’es levé d’entre tes frères, les mois morts
Qui séjournent et qu’on oublie,
L’un avec sa couronne d’or
Et l’autre son bandeau de feuilles mortes,
Et l’autre avec son sceptre de fer,
Et l’autre avec ses corbeilles,
Et Mai, le blond, qu’en souriant réveille
Avril qui, fleur à fleur, l’enlace de guirlandes ;
Septembre !
Tu t’es levé vers moi qui marchais en pleurant
Le long de l’an.


Les pampres roux saignaient au-dessus de la porte
De ton verger d’arbres et de vignes ;
Les feuilles montraient l’or des fruits ;
Le vent semblait le pas de l’heure qui s’enfuit
Sur les bassins d’argent que son pied égratigne,
Et les Jours, à seaux clairs, puisaient au puits
L’onde du Temps où se miraient leurs faces lentes ;
Et l’on voyait s’épanouir dans le silence
Les palmes des jets d’eau et les cols blancs des cygnes.

Si j’avais su qu’ainsi, au détour de ma vie,
Tu te tenais debout, là-bas,
Au seuil de ton verger de vie,
Sous tes pampres en entrelacs,
Avec tes fruits de pourpre et ta bouche bonne,
Ô fils calme de mon Automne,
Si j’avais su
Le doux chemin de tes fontaines,
Le doux chemin au bout des haltes de la vie
Si j’avais su !

Je n’aurais pas trempé mes mains
Dans la cendre des crépuscules,
Ni heurté de mon front la porte de l’hiver,
Ni pleuré des soleils trop rouges sur la Mer,
Ni sangloté du chant des flûtes
Qu’Avril rieur gonflait de son souffle nouveau,

Ni compté, or à or, la chute
Des feuilles lentes dans les eaux.
Ni suffoqué de tes soirs chauds,
Été que le Désir baise sur la bouche,
Avec sa bouche
Amère et douce.

Mais j’aurais dit : Septembre, Septembre,
Ta douceur est là-bas qui me sourit dans l’ombre
Et l’Amour sur le seuil avec toi vient m’attendre ;
Je vois votre ombre
Double et charmante et qui s’enlace sous les pampres
Et j’entrerai,
Ô doux Septembre,
En tes vergers
De cygnes blancs, de fleurs, de fruits et de silence.