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Les Médailles d’argile/L’Adieu II

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Les Médailles d’argileSociété du Mercure de France (p. 213-215).

L’ADIEU


J’ai tressé, brin à brin, la corbeille des Heures,
Osier qui chante au bord de l’eau,
Jonc qui tremble et saule qui pleure !
Ma flûte longue eut sept roseaux
Qui chantèrent l’heure après l’heure
Selon ma tristesse ou ma joie,
Selon que l’arbre jaunit ou verdoie,
Selon que l’an est grave ou tendre.
Vous êtes venus les entendre,
Chansons rauques ou douces, vives ou lentes,
D’après la taille des roseaux.

Ma corbeille est pleine, prenez
La grappe lourde qui déborde et saigne,
Prenez la poire molle ou la châtaigne,
Épineuse que cuira la cendre tiède,
Prenez les fruits du verger clair

Et les fruits âpres de la haie
Goutez-en l’écorce et la chair,
Blessure ou plaie,
Saveur sucrée, arôme amer,
Délice ou peine…
Puis, allez boire à la fontaine.

Déjà l’aube se hâte et fait la nuit plus brève
Que retarde à son tour le crépuscule lent ;
L’arbre est en sève,
Et la douceur de l’air lasse l’aile du vent ;
Puis le Printemps rira sans qu’on le voie encore
Et son pas sonnera sur le chemin sonore
Par où, svelte et léger, il marche vers l’Été,
Et l’Automne divine, indolente et plus belle
De songe, de langueur et de maturité
Nous verra revenir en silence vers elle
Aïeule du Printemps et fille de l’Été.

Et nous, vivants,
Nous aurons écouté le vent
Le long des routes de la vie
D’arbre en arbre, de branche en branche, d’heure en heure ;
Nous aurons touché des mains douces
Sans doute,
Et âme à âme, chair à chair,

Aimé peut-être et souffert,
Et j’aurai dans mes corbeilles
Autrement faites et tressées
Le nouveau miel d’autres abeilles
Et d’autres fruits d’autres pensées.