Les Raisons du Concordat - Le Régime de la séparation sous le Consulat et l’anarchie religieuse

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Les Raisons du Concordat - Le Régime de la séparation sous le Consulat et l’anarchie religieuse
Revue des Deux Mondes5e période, tome 37 (p. 481-520).
LES RAISONS DU CONCORDAT

I. — LE RÉGIME DE LA SÉPARATION
SOUS LE CONSULAT ET L’ANARCHIE RELIGIEUSE


I

Quatre mois avant le 18 brumaire, Boulay de la Meurthe prononçait ces mots, à la tribune des Cinq-Cents : « Si un homme à la tête de dix mille soldats disait au peuple : Je vais vous rendre votre liberté religieuse... » De violens murmures interrompirent l’orateur et l’empêchèrent d’achever. Il dut descendre de la tribune.

On était au temps où sévissait la liberté révolutionnaire. Un renouvellement de rigueurs s’était appesanti sur les cultes, après l’émancipation désordonnée et la grande renaissance qui avaient suivi Thermidor. Maintenant, c’était le régime fructidorien : un mélange d’hypocrisie et de brutalité ; la liberté des cultes proclamée en principe et effectivement anéantie ; la grande majorité du clergé dispersée, les prêtres insermentés presque tous déportés, emprisonnés, bannis ou réduits à se cacher, les constitutionnels eux-mêmes inquiétés ; un certain nombre d’églises rouvertes et partagées entre les divers cultes, un plus grand nombre d’églises fermées depuis 93 ou refermées après Fructidor ; toute pratique extérieure interdite, les enterremens sans prêtre, les croix abattues, les clochers muets ; le calendrier républicain se faisant instrument de déchristianisation et s’imposant comme loi de l’Etat, supprimant les fêtes religieuses, ordonnant impérativement la célébration des fêtes civiques, obligeant les citoyens sous peine d’amende et de prison à travailler le dimanche et à chômer le Décadi, obligeant en certains départemens l’église à se fermer le dimanche et à transférer au Décadi l’office dominical, interdisant les marchés à poisson au jour de ci-devant vendredi ; en somme, un enchevêtrement de lois iniques, vexatoires, absurdes, souvent aggravées par des arrêtés locaux. Ces persécutions et ces monstrueuses puérilités avaient fini par excéder à peu près tout le monde ; elles provoquaient surtout un profond mouvement de réaction rurale.

Le paysan de France avait été le principal bénéficiaire de la Révolution. Les premiers et fondamentaux bienfaits de la Révolution, abolition des servitudes et redevances féodales, affranchissement de la terre, liberté du commerce intérieur, avaient imprimé à l’agriculture, depuis dix ans et même dans les pires jours, un commencement d’essor. La lourdeur des impôts, la conscription, le désordre général ne contrariaient que partiellement ce progrès. Ce qui tourna la masse agraire contre le régime améliorateur de son sort, ce fut la persécution de ses croyances et le dérangement de ses habitudes. Cette violence faite au sens traditionnel de la race préjudicia plus au régime républicain que la Terreur. On peut lire les rapports des commissaires nommés par le Directoire en chaque département près de l’autorité locale, afin de requérir et de surveiller l’exécution des lois. La correspondance de ces agens, animés du plus pur zèle sectaire, n’est qu’une longue doléance. Sans aucune exception, sans la moindre dissidence, tous reconnaissent que la population des campagnes s’irrite du système d’irréligion obligatoire et réagit à des degrés divers.

La lutte atroce qui se remet à ensanglanter l’Ouest n’est qu’une guerre de religion, où des masses catholiques suivent au combat des chefs royalistes. En 1799, une irruption de paysans exaspérés surgit des vallées pyrénéennes et menace Toulouse. Dans la Haute-Garonne et les pays d’alentour, la réaction rurale assiège le jacobinisme urbain. D’un bout à l’autre de la chaîne des Cévennes, la guerre de partisans circulait, avivée par l’exécution violente des lois qui supprimaient toute pratique religieuse au nom de la science et du progrès. Contre les dragonnades philosophiques, le catholicisme cévenol avait ses camisards. L’Ardèche était en feu, la Lozère, la Haute-Loire et toute la partie montagneuse du massif central eu fermentation continue. Dans le Nord, la dévote Belgique, la région des Flandres, récemment annexée, s’est soulevée en 1798 contre le régime impie. Et même la masse des départemens d’esprit moyen, les contrées dociles par situation et par tempérament, les molles rives de la Loire et du Cher, les plateaux du centre, les coteaux bourguignons, les vallonnemens de l’Ile-de-France, les pays découverts de Picardie et de Champagne, les régions apathiques, les grandes plaines d’indifférence s’émeuvent.

Pour citer des exemples épars, le commissaire du Loiret autant que celui de l’Aisne, ceux de l’Oise et de l’Indre, ceux des Landes et de la Corrèze, écrivent en termes à peu près identiques que le paysan à tête dure tient à ses pratiques et refuse de se plier aux rites nouveaux. Lorsque ces rites s’accomplissent, c’est par pure contrainte : selon l’aveu cynique du commissaire près le département du Nord, le peuple fait marcher le système décadaire « comme la chiourme fait voguer une galère[1]. » La résistance s’étend jusqu’aux départemens notés pour leur esprit civique, tels que l’Ain et l’Isère ; chez les habitans de l’Ain, les « moyens violens employés pour leur faire contracter de nouvelles habitudes n’ont servi qu’à leur rendre plus chères les anciennes. » L’Est proprement dit, la ci-devant Lorraine, les Vosges, l’Alsace restent d’esprit ardemment patriote, militaire et républicain. Ces départemens voisins des frontières demeurent en pleine crise d’héroïsme. Avec un admirable entrain, ils paient l’impôt, font partir leurs conscrits, fournissent des volontaires, fournissent à d’accablantes réquisitions en nature. « L’ombre au tableau, — d’après un administrateur, — c’est le fanatisme, » c’est-à-dire, en style de l’époque, la persévérance du sentiment religieux. Ces populations qui continuent de se dévouer à la défense française, désobéissent néanmoins aux prescriptions décadaires, où elles voient intolérance et tyrannie, et regrettent leurs prêtres[2].

Les prêtres restés à l’intérieur, ceux qui se hasardaient à rentrer, répondaient souvent à la persécution par des violences de parole et de conduite. Chez ce clergé, à côté d’admirables et toutes chrétiennes vertus, on aperçoit des passions exaspérées par la souffrance et l’injustice. Ces prêtres mis hors la loi se comportent en ennemis des lois. En départemens de guerre civile et de banditisme, en ces sombres régions, on voit des prêtres s’enrôler dans les guérillas contre-révolutionnaires. Dans l’Aveyron, on en signale un qui s’est fait chef de bande : « réuni avec six autres prêtres de la même espèce, retiré dans les lieux les plus sauvages du département, c’est au milieu des bois, toujours muni de pistolets, qu’il célébrait les cérémonies ; il avait enfin poussé les excès à un tel point que les prêtres réfractaires l’avaient eux-mêmes frappé d’interdiction avec ses collègues[3]. » Dans le Gard, on arrête un ex-prieur désigné sous le nom de Sans-Peur : « déjà condamné à mort depuis six ans, il officiait armé de deux paires de pistolets, d’un sabre et d’un fusil à deux coups posés sur l’autel[4]. » Un prêtre se fait tuer à la tête des insurgés de la Haute-Garonne. Faits exceptionnels, caractéristiques néanmoins de l’état de guerre aigu qui subsiste entre l’État révolutionnaire et l’Église ! Dans tous les départemens, les rapports administratifs accusent au moins les prêtres de fomenter la haine de la République, la désobéissance aux lois, et d’employer à cette fin la prédication sourde, les instructions privées, le confessionnal. Un des reproches qu’on leur adresse le plus souvent est d’inciter les conscrits à la désertion. Il est positif qu’en beaucoup de lieux, les prêtres faisaient cause commune avec l’agitation royaliste et la réaction militante.

A la fin du Directoire, dans la majorité des départemens, la masse rurale tournait au royalisme ; elle avait pris en horreur le mot de République, devenu à ses yeux synonyme de persécution religieuse. Les administrateurs le constataient amèrement, mais quelques-uns, plus perspicaces que les autres, comprenaient que les paysans ne redemandaient un roi que pour ravoir la Croix : « Ceux d’entre eux qui soupirent après le retour de l’ancien régime, écrit le commissaire du Loiret, désirent encore moins un roi que de retrouver des prêtres, des processions et des cloches. » Le commissaire de la Nièvre a vu, parmi ses paysans, « tel homme qui est d’un fanatisme outré et qui ne voudrait pas le retour de l’ancien régime. » Le commissaire du Tarn écrit : « Beaucoup de gens tendent à la royauté par horreur de l’irréligion républicaine, » et, signalant l’état d’esprit de la population agricole, il ajoute : « De là sa tendance irréfléchie vers la royauté qu’elle n’aime ni ne désire sincèrement. » Le commissaire du Nord écrit crûment : « Plus je parcours le département, plus j’aperçois que l’esprit public est subordonné aux préjugés religieux. Rendez les crucifix, les cloches, les dimanches et surtout ceux qui vivent de ces momeries, et tout le monde criera : Vive la République ! » Les croix, les églises, les prêtres, les autels, qui les rendrait ? Comme un grand nom s’imposait à l’imagination publique, comme on parlait de l’expédition d’Egypte et de son chef prodigieux, le bruit courait, dans certaines campagnes, « que Buonaparte revenait en France avec sept mille prêtres pour remplacer ceux que le gouvernement a fait déporter. »

Bonaparte ne fut pas d’abord l’homme dont Boulay de la Meurthe avait annoncé la venue, et que le peuple attendait. Revenu d’Egypte, il fit son coup d’État de Brumaire à l’aide de révolutionnaires écœurés de l’anarchie directoriale et possédés de l’instinct reconstituant. Ces politiques voulaient que la République mieux conformée se fit ordre et gouvernement ; ils n’entendaient nullement la livrer aux factions de droite. Il ne faut jamais perdre de vue que le Consulat est à ses débuts ce que nous appellerions aujourd’hui un pur gouvernement de gauche. Les hommes qui avaient concouru à sa formation, assagis en politique, restaient foncièrement antichrétiens et rigoureusement philosophes. Ils représentaient l’orthodoxie rationaliste, qui avait son centre à l’Institut. Bonaparte lui-même faisait partie de ce grand corps et se donnait l’air de puiser auprès de ses confrères ses inspirations doctrinales. C’est avec des penseurs tels que Cabanis, Monge, Berthollet, Laplace, qu’il avait paru se composer après Brumaire un conseil spirituel. Seulement, si désireux qu’il fût de ménager les dogmes et les préjugés officiels, l’insigne chef de guerre voulait se faire avant tout le pacificateur des Français, le rassembleur de la nation affreusement déchirée.

Or, plus que toute autre, la question religieuse envenimait les haines et exaspérait les passions. Elle s’imposait aux Consuls, capitale dans l’Ouest, partout très grave, hérissée de difficultés, presque inextricable en ses détours, complexe et compliquée. Bonaparte l’aborda sans prétendre encore à la résoudre intégralement. Il sentait sourdre des profondeurs de la nation et monter vers lui une immense aspiration à la paix religieuse, à la tolérance ; il le sentait d’autant mieux qu’il possédait au suprême degré, comme l’a dit un homme de pensée grave[5], « l’instinct de l’instinct des multitudes. » Il voulut frapper les esprits et faire quelque chose pour le peuple chrétien, sans trop faire. Dès que la constitution de l’an VIII et le plébiscite ratificateur l’eurent établi premier Consul, il prit une série de retentissantes demi-mesures.


II

Le 7 nivôse an VIII, — 28 décembre 1799, — trois jours après son avènement à la première magistrature, il fit formuler en Conseil d’Etat plusieurs arrêtés, qui reçurent une éclatante publicité.

En premier lieu, il remettait en vigueur et comme promulguait à nouveau les lois conventionnelles de l’an III sur la liberté des cultes. Ces lois, odieusement dénaturées par le Directoire, prononçaient la séparation de l’État et des Églises et reconnaissaient la liberté de tous les cultes ; elles ne leur accordaient pourtant qu’une liberté minime, dépourvue de toute publicité en dehors des temples, garrottée de restrictions ; le mot y était plus que la chose, mais la reprise du mot par Bonaparte fut d’un puissant effet. En outre, le premier Consul décidait que les lois restitutives des églises, telles qu’elles avaient été édictées également par la Convention thermidorienne, seraient réellement exécutées, et, en fait, un plus grand nombre d’églises furent rouvertes. Bonaparte cassait les arrêtés des administrations locales qui avaient ordonné aux églises de se fermer le dimanche et de ne s’ouvrir que le Décadi : « Aucun homme ne peut dire à un autre homme : « Tu exerceras un tel culte, tu ne l’exerceras qu’un tel jour, » disait-il dans une proclamation.

Enfin, rompant avec la tradition révolutionnaire qui avait assujetti les prêtres à des sermens successifs, dont plusieurs étaient interdits par la loi religieuse et en fait suspensifs du culte, il n’exigeait plus du clergé qu’une simple promesse de fidélité à la constitution politique de l’État, à la constitution de l’an VIII. Un article de source officielle, inséré dans le Moniteur, vint donner à cet engagement le sens le plus large et se présenta comme une invite marquée aux vrais catholiques, aux insermentés ; on leur expliquait que l’engagement exigé d’eux ne les obligerait pas à défendre la constitution , à s’en approprier les principes, mais seulement à ne point la combattre : ce ne serait qu’un acte de soumission passive à la légalité existante.

Par ces dispositions relativement libérales, Bonaparte se détachait de son parti, se mettait en avance sur les révolutionnaires qui composaient encore le gros de son armée civile. Les fanatiques d’irréligion lui reprochèrent ses édits de tolérance. L’Institut le bouda. « Ce parti, — dit un rapport royaliste en parlant des philosophes et idéologues, — se plaint des dispositions plus douces que Bonaparte adopte pour les prêtres, et le collège des athées (l’Institut) ne les lui pardonne pas[6]... » Le Tribunat et le Corps législatif ne manquaient pas une occasion d’afficher leur incrédulité haineuse ; ils cherchaient encore moins à borner les pouvoirs du Consul qu’à rétrécir sa politique. Et jusque dans les ministères, dans les bureaux, une opposition se manifesta.

A l’Intérieur, le citoyen Beugnot, ex-député royaliste à la Législative, l’un des futurs rédacteurs de la Charte de 1814, avait obtenu auprès du ministre Lucien Bonaparte une fonction, sous un titre vague, et s’était fait une situation. Il renchérissait sur la prêtrophobie officielle. Dans un rapport, il osait blâmer l’arrêté pris d’emblée en Conseil d’État, alors que l’initiative eût dû venir du ministère : « Si le ministre eût produit l’ensemble des faits qui sont imputés aux prêtres catholiques dans les actes publics que j’ai sous les yeux, le Conseil eût reconnu que le moment n’était pas arrivé de prendre son dernier arrêté sur l’exercice des cultes[7]. » Mettre en garde le gouvernement contre les prêtres, c’est à quoi Beugnot s’applique : « Si on les flatte, ils se persuadent qu’on les craint, et dès qu’ils se croient à craindre, ils le deviennent[8]. »

Fouché, ministre de la Police générale, fit plus ; il imagina un moyen de tourner, d’éluder l’arrêté consulaire sur les prêtres, et d’en restreindre la portée pratique. Par une interprétation outrageusement arbitraire, il prétendit qu’aucun prêtre ne pouvait être admis à signer la promesse et à se mettre en règle avec la loi s’il n’avait prêté dans le temps tous les sermens exigés. La promesse ne tiendrait pas lieu des anciens sermens, elle devrait se surajouter à eux ; ce serait un engagement non substitué, mais superposé aux autres. Des instructions furent données dans ce sens par le ministère de la Police. Le dessein de Fouché était clair et ressort d’ailleurs de divers témoignages : c’était de réserver aux seuls constitutionnels, aux jureurs, le bénéfice du libéralisme consulaire, bien que la Constitution civile du clergé fût dépourvue depuis 93 de toute existence légale. Plus intelligent que les maniaques d’irréligion, plus perfide, Fouché admettait qu’il se reformât en France une Église, mais il la voulait schismatique et détachée de Rome, inféodée à la Révolution. Pour ranimer, pour galvaniser l’Église constitutionnelle, il essayait de lui rendre une situation privilégiée et un monopole de fait.

Les catholiques en appelèrent du ministre au Consul. Il existait à Paris un groupe de catholiques de foi profonde et de vie édifiante, désireux de réconcilier l’Église avec les lois nouvelles, avec les lois plus douces ; leurs chefs étaient les anciens supérieurs de Saint-Sulpice et principalement l’abbé Emery, cet infatigable artisan de la pacification religieuse. Au nom de ce groupe, l’abbé Bernier, qui s’était signalé en obtenant la soumission des chefs vendéens, vint trouver le premier Consul. L’attitude de Bonaparte fut caractéristique de ces temps de transition et des ménagemens dont il recouvrait encore ses in- tentions profondes. Il ne réprima pas son ministre par acte public, mais le désavoua nettement en conversation. D’après ses propres paroles à Bernier, les lettres et instructions du ministre n’exprimaient pas la véritable pensée du gouvernement. Cette pensée, il fallait la chercher dans les termes mêmes de l’arrêté et dans l’article du Moniteur qui en était le commentaire autorisé. En conséquence, on ne pouvait opposer à aucun prêtre le défaut de serment antérieur comme un empêchement à souscrire la promesse et à exercer le culte. Pratiquement, l’interprétation de Bonaparte prévalut peu à peu sur celle de Fouché.

Toutefois, Bonaparte n’avait pas révoqué les pénalités individuelles, les arrêtés de déportation lancés par le Directoire contre une infinité de prêtres catholiques, à raison de délits ou de prétendus délits contre-révolutionnaires ; il n’avait pas abrogé en termes formels les lois de bannissement portées par la Législative et la Convention contre la masse des insermentés.

Sous le Directoire fructidorien, des centaines de prêtres avaient été déportés en Guyane. La plupart y avaient péri, suppliciés par le climat ; Bonaparte ne se pressa pas de rappeler les survivans, laissant se prolonger leur agonie ; c’est l’une des taches qui pèsent sur sa mémoire. D’autres prêtres par centaines avaient été entassés dans les îles de Ré et d’Oléron. On mit en liberté ceux qui consentirent à signer la promesse ; sur les autres, la surveillance se relâcha : il y eut des élargissemens et des évasions en masse.

Outre les déportés, il y avait les reclus. Les prisons départementales regorgeaient de prêtres condamnés à la déportation et dispensés de cette peine par le Directoire, à raison de leur âge ou de leurs infirmités ; on les tenait enclos dans des locaux dits de détention ou de « réunion. » Les préfets, autorisés sous leur responsabilité à modifier le sort de ces malheureux, usèrent diversement de cette latitude. Prenons un exemple. A Mont-de-Marsan, le préfet trouve en prison vingt-deux prêtres, affreusement malades. Le ministre de la Police l’a autorisé à les renvoyer en simple surveillance dans leurs communes respectives. Le préfet prend sur lui, en les élargissant, de les autoriser à rester au chef-lieu. Le jour où cette mesure est connue, le peuple se porte en tumulte à la prison ouverte et vient assister dévotement aux messes que les prêtres y célèbrent, avant de sortir. Cette fois, le préfet trouve la manifestation excessive et suspend l’adjoint qui l’a tolérée. Ailleurs, on met en liberté tel ecclésiastique, on retient tel autre, sans savoir au juste pourquoi. Certains préfets jugent imprudent d’ouvrir trop tôt les prisons pour prêtres et blâment le libéralisme de leurs collègues.

Dans l’énorme quantité de prêtres rentrés en France au lendemain de la Terreur, lors de la première accalmie, tous n’avaient pas été déportés ou emprisonnés après le 18 fructidor et la reprise des rigueurs. Tous s’étaient trouvés sujets aux lois de bannissement que le Directoire avait rééditées avec un grand fracas de menaces. La plupart d’entre eux étaient cependant restés en France. Ils avaient réussi à se dissimuler, à échapper aux poursuites. Ils s’étaient retirés au fond des campagnes, errant de village en village, vêtus du sarrau rustique, protégés par le paysan et vivant de sa vie, travaillant parfois la terre à ses côtés et continuant néanmoins leur héroïque apostolat. Après le décret consulaire sur la liberté des cultes, il y avait eu explosion de christianisme, réapparition de cette Église à la fois souffrante et militante. En beaucoup d’endroits, le peuple tirait lui-même les prêtres de leurs cachettes ; il les ramenait d’autorité dans les églises et leur enjoignait de reprendre publiquement le culte, sans se soumettre à aucune formalité. En particulier, dans certaines régions du centre, telles que la Haute-Loire et la Lozère, il y avait eu ivresse de liberté religieuse, griserie de délivrance, enthousiaste méprise sur la véritable portée des décrets de Bonaparte. Les paysans de la Lozère criaient : « Nous avons été assez esclaves, nous voulons que le culte s’exerce publiquement. » Ailleurs, reprenant l’église par force, ils disaient, que « formant la plus grande masse de la nation, ce n’est que pour eux que cette église est destinée, qu’elle leur appartient et qu’ils veulent absolument user de la liberté des cultes accordée par la loi et par les arrêtés des Consuls. » La lutte contre la Révolution se faisait au cri de : « Vive la liberté ! » Ces effervescences étaient maintenant réprimées, mais les prêtres surgis de terre, sortis des bois, restaient en vue, animés de sentimens divers à l’égard du gouvernement, qui n’exigeait plus d’eux qu’une promesse de fidélité. D’autre part, les prêtres restés ou retournés en exil se remettaient à rentrer, à s’insinuer par les frontières de terre et de mer, d’un mouvement d’abord incertain.

Parmi les prêtres reparus ou rentrés, quelques-uns signèrent tout de suite la promesse de fidélité à la constitution. Le plus grand nombre s’y refusa. Ces nouveaux réfractaires se sentaient retenus par d’honorables scrupules, par la crainte d’adhérer à un pacte confirmatif de dispositions odieuses à leur conscience, telles que le bannissement à perpétuité des émigrés et la vente des biens ecclésiastiques. Puis, ces prêtres de l’intérieur continuaient d’obéir aux évêques du dehors, aux évêques émigrés, et ceux-ci, par zèle monarchique, se montraient en majorité hostiles à la promesse, qui impliquait reconnaissance de la forme républicaine. Beaucoup de prêtres avaient eux-mêmes en exécration le seul mot de République et conservaient la foi monarchique. Ces dévots du trône autant que de l’autel eussent considéré comme une apostasie toute compromission avec l’infernale Révolution et ses œuvres démoniaques. Ainsi se fit, indépendamment de la vieille querelle qui subsistait entre catholiques et constitutionnels, une nouvelle et grave scission dans le clergé français, entre catholiques eux-mêmes. La division ne portait sur aucun point de dogme ou de discipline, mais seulement sur la grande question de savoir si l’Église doit se désintéresser des formes de gouvernement et peut accepter en conscience toute puissance établie. Ce qui s’agitait alors sous une forme pressante et aiguë, c’était ce qu’on a nommé de nos jours le problème du ralliement. Il y eut les ralliés et les intransigeans, ceux qui firent la promesse et ceux qui s’y refusèrent ; une minorité de soumis contre une majorité d’insoumis.

Les soumis ne furent plus inquiétés et purent librement exercer le culte, moyennant subvention des fidèles. Ils l’exerçaient dans les églises rouvertes, lorsqu’elles n’étaient pas occupées par les constitutionnels ; ils exerçaient de préférence dans les chapelles et oratoires que les fidèles étaient libres d’ouvrir en se conformant à certaines dispositions légales. Dans ces asiles discrets, le catholicisme se sentait plus chez lui : il n’avait à y subir aucun contact profanateur ; il aimait à s’y enfermer dans une sorte de pénombre, dans une atmosphère d’intimité, comme s’il eût craint de passer brusquement de l’obscurité des catacombes au grand jour des basiliques dévastées.

Les insoumis ne furent pas admis au bénéfice de la liberté légale. Ces récalcitrans n’en restaient pas moins disséminés sur la surface du territoire et persistaient à remplir leur ministère, sans l’aveu des autorités. Ils disaient la messe en maisons privées ou en retraites rustiques. A côté du culte qui s’exerçait dans un certain nombre d’églises, à côté du culte qui s’exerçait licitement dans les oratoires, il continuait d’exister un culte illicite, un culte en chambre ou en grange, clandestin, souvent nocturne, troublé par les Jacobins locaux ; c’était celui que préféraient les catholiques fervens et la presque-totalité des populations rurales.

Il était traité différemment selon les régions. Dans le Pas-de-Calais, le préfet Poitevin-Maissemy se donne encore le plaisir de chasser au prêtre et se plaint que ce gibier se terre : « Il est extrêmement difficile de les atteindre en ce que, n’exerçant les cérémonies de leur culte que la nuit dans des maisons particulières et ne paraissant jamais le jour, il ne serait possible de les arrêter qu’en faisant des visites domiciliaires à des heures où on ne pourrait pénétrer dans les habitations sans violer la constitution. » Ce préfet du Consulat regrette le bon temps de l’arbitraire directorial. C’est dans son département que l’on verra pendant quelque temps encore des messes furtivement célébrées à minuit, des groupes de fidèles brutalement dispersés et maltraités, d’ignobles sévices, des épisodes dignes de la Terreur. A l’autre extrémité de la France, le préfet de la Haute-Garonne prend un arrêté général d’expulsion contre les insoumis. Cet exemple est imité par plusieurs de ses collègues. En d’autres départemens, on ne voit plus que des répressions individuelles à propos d’infractions à l’ordre légal ; çà et là, la gendarmerie pourchasse un prêtre qui s’est indûment emparé d’une église ; un prêtre est arrêté et poursuivi pour sermon séditieux ; un prêtre de la région rhénane est reconduit à la frontière pour avoir décrié le nouveau système d’instruction publique.

En général, les préfets tâchent plutôt d’incliner les prêtres à la promesse par persuasion et raisonnement ; ils essayent de leur démontrer que cet engagement civil n’a rien qui puisse blesser leur conscience et altérer la pureté de leur orthodoxie. Parfois, on se contente d’une promesse accompagnée de restrictions verbales ou écrites, qui réservent les points délicats. On obtient ainsi un certain nombre de prêtres amphibies, à peu près soumis, quoique partiellement réfractaires. Quelques préfets s’inspirent d’une véritable pensée de tolérance et reconnaissent même la vertu sociale de la religion ; d’autres, modérés en politique, restent foncièrement ennemis de la religion et des prêtres. Ils signalent les insoumis comme éternels adversaires de l’Etat républicain, contempteurs des lois, agens de réaction, corrupteurs du peuple, et épuisent contre eux le vocabulaire traditionnel de la Révolution, mais ne se pressent pas de sévir, car ils savent que le vent souffle d’en haut à la tolérance et que peut-être on leur pardonnera plus aisément un défaut qu’un excès de zèle.

Le gouvernement ne se fait pas une règle uniforme d’indulgence ou de sévérité. Il laisse la difficulté religieuse se décentraliser, en quelque sorte, et abandonne les préfets à leurs inspirations, ce qui souvent les embarrasse, ou il se détermine selon les cas, selon les lieux. Il en vient à respecter l’état d’esprit de certaines populations dites arriérées, ensevelies « sous la rouille des plus anciens préjugés, » auxquelles il paraît impossible d’arracher encore une fois leurs pasteurs de prédilection. Dans les départemens belges, en Alsace, dans la Savoie où la Terreur elle-même n’a pu décapiter les clochers et abattre les croix, dans certaines régions du centre, dans la fervente Lozère, dans les pays de montagnes, refuge et retranchement des antiques croyances, le culte insoumis s’exerce impunément et presque ouvertement.

A mesure qu’on approche de l’Ouest, la tolérance s’accroît. Dans l’Orne, Fouché en vient à recommander au préfet Lamagdelaine d’accorder des permis individuels d’exercer même aux nouveaux réfractaires, à condition que, sans prononcer la formule qui déchire leur conscience, ils se soumettront virtuellement, prêcheront à leurs ouailles l’obéissance aux lois, le respect du gouvernement, et participeront à l’œuvre pacificatrice. La tolérance devient ainsi un encouragement, une prime à la soumission de fait. En Maine-et-Loire, le procureur général invite le maire de Mayenne à faire dire aux prêtres cachés qu’ils peuvent sans crainte rentrer dans les églises et y dire la messe ; toutefois, il ne veut point se compromettre par un engagement écrit : sa parole doit suffire[9].

Dans les départemens de la ci-devant Bretagne et en Vendée, la tolérance envers les insoumis devient positive, absolue, officielle. Détacher le catholicisme de la fidélité monarchique, séparer l’autel du trône, c’est toute la politique de Bonaparte en ces pays de foi exaspérée. Pendant les pourparlers pacificateurs avec les chefs de chouannerie, il avait permis à son représentant, le général Hédouville, de ne point insister sur la promesse à exiger des prêtres ; conséquemment, les commandans militaires avaient délivré aux insoumis des cartes de sûreté et des autorisations d’exercer. Les préfets eurent à continuer ce système. Les prêtres de toute catégorie furent admis à rentrer dans les églises de campagne, à y célébrer les offices avec une certaine solennité ; on faisait plus que de les autoriser à. rentrer dans les églises, on les y invitait : il importait qu’aux yeux du peuple le catholicisme apparût rétabli dans son plein exercice et que le gouvernement ne passât plus pour l’ennemi de Dieu.

Quelquefois, c’était le prêtre qui, par obstination contre-révolutionnaire, refusait de retourner à l’église, préférait exercer dans un obscur réduit et se garder des airs de persécuté. Mais les autorités subalternes secondaient le zèle des préfets pour des motifs qui parfois n’avaient rien que d’humain.

L’église de village, avant que la Révolution la fermât, n’était pas seulement lieu de prière et de célébration ; elle concentrait la vie locale à l’ombre de ses frustes murailles et au-devant de son porche. C’est là qu’à jour fixe, à l’appel des cloches, les gens de l’endroit s’assemblaient endimanchés, avant la messe dominicale ou à la sortie de l’office. Ils venaient là se raconter les nouvelles, écouter les anciens, traiter de leurs affaires, former communauté. Sur la place de l’église avaient lieu les jeux, les amusemens traditionnels ; c’est là que les paysans s’attablaient au- devant des cabarets pour boire un coup ou passer le jour du repos en stations prolongées. Les petites industries locales y trouvaient leur profit ; elles se plaignent maintenant. Dans la Loire-Inférieure, un prêtre qui refuse de prendre possession de l’église est dénoncé par un agent municipal. Vérification faite, le préfet découvrait que le dénonciateur était de son état « marchand de vin, qu’il avait spéculé sur la réunion des sectaires (c’est-à-dire des catholiques) et qu’il souffrait impatiemment de voir ses espérances déjouées. » L’attentat aux croyances s’était tourné en lésion des intérêts. Aujourd’hui que dans l’Ouest le gouvernement permet que l’on jouisse des églises, le peuple trouve mauvais que certains prêtres, par esprit d’opposition, contrarient le vœu et l’intérêt communs.

En majorité, les pasteurs bretons et vendéens comprirent autrement leur devoir. Pris d’une immense compassion pour les maux de leur peuple, ils essayèrent de le soulager en se faisant apôtres de paix ; ces insoumis s’associèrent aux intentions conciliantes des Consuls et furent les meilleurs auxiliaires d’un gouvernement que leur conscience leur interdisait de reconnaître ; ils justifièrent amplement, par la sainteté de leur œuvre, la liberté qu’on leur rendait. L’Ouest en somme, par son indomptable opiniâtreté à défendre sa foi, s’était conquis un régime à part, un régime de privilège, une véritable autonomie religieuse ; sa vertu de ténacité s’était imposée même à Bonaparte. Et de façon générale il semble que le Consulat, pour régler sa conduite première à l’égard du clergé, se soit fait comme une carte des opinions religieuses en France. D’après cette topographie des croyances, d’après la teinte plus ou moins foncée en catholicisme qu’accuse tel ou tel département, il dose et mesure les franchises accordées. D’après un rapport royaliste, « Bonaparte, qui n’est pas un sot, proportionne ses mesures au caractère de ses sujets, et il n’y a peut-être pas trois départemens où les lois sur la religion et les prêtres s’exécutent d’une manière uniforme[10]. »


III

Dans toute la France, sous les entraves qui subsistent en beaucoup d’endroits, le réveil catholique se fait sentir et perce. Les administrateurs sont à peu près unanimes à signaler un afflux de peuple aux cérémonies. S’ils visitent les majestueuses cathédrales, occupées par les constitutionnels, ils n’aperçoivent que de rares fidèles, perdus dans l’ampleur des nefs. Dans les oratoires où les catholiques officient, la foule s’entasse et ne trouve pas toute à se loger ; elle déborde sur la rue. Les oratoires foisonnent ; Paris voit de mois en mois s’augmenter leur nombre. En Seine-et-Oise et Seine-et-Marne, où les prêtres ont signé la promesse, le culte se reconstitue spontanément dans presque toutes les communes.

Dans les départemens mêmes qui restent pays de rigorisme révolutionnaire, des curés catholiques sont çà et là redemandés, rappelés, accueillis avec des effusions touchantes. Ils forment autour d’eux des centres de prière et de dévotion, des groupes pratiquans, des îlots pieux, pareils à ces chrétientés que nos missionnaires ont fondées dans les pays d’Orient et d’Extrême-Orient, en terre d’infidèles. Quelques prêtres se font eux-mêmes errans missionnaires, passent alternativement d’une localité à l’autre pour subvenir aux besoins de la vie religieuse. Un prélat rentré avant Fructidor, Mgr d’Aviau, se risque et réussit à faire une tournée pastorale dans l’Isère ; dans les montagnes de l’Ardèche, il fait des ordinations dans la grange d’un presbytère. Lorsque les prêtres manquent, le peuple supplée comme il peut à leur absence. Dans l’Aude, les paysans demandent à pouvoir s’assembler au moins dans l’église pour prier en commun, pour assister à un simulacre de cérémonie, pour faire le geste religieux. Consulté par le préfet, Fouché assimila ces réunions à des clubs et les interdit parce qu’elles ne se conformaient point à la loi sur les sociétés politiques, « attendu que tout rassemblement religieux supposait un orateur et un régulateur. » En certains cantons, les paysans en veulent à Bonaparte de ne leur avoir point restitué la liberté intégrale du culte, qu’il avait paru leur promettre, et l’appellent un trompeur[11].

La force de l’accoutumance catholique se manifeste surtout par le discrédit de plus en plus marqué où tombent les observances décadaires, les lois profanatrices du dimanche et des jours fériés, ces lois minutieuses, vexatoires, par lesquelles le Directoire s’était rendu odieux à la masse du peuple et s’était fait le tyran des humbles. Bonaparte trouvait ces prescriptions stupides. Il savait toutefois qu’aux yeux de beaucoup de républicains elles s’identifiaient avec la République. Sans y toucher, le gouvernement consulaire se bornait à fermer les yeux sur l’universelle infraction.

Le consul Lebrun disait doucement au préfet Barante, qui s’en allait dans l’Aude : « Vous ne trouverez sans doute pas mauvais que les jeunes filles aiment mieux danser le dimanche que le Décadi. Vous mettrez dans tout cela de la prudence et du discernement[12]. » Légalement, le peuple n’a pas le droit de travailler et de tenir boutique ouverte le Décadi, de se reposer et de s’amuser le dimanche ; ce droit, il le prend, et les autorités laissent faire. Dans les villes, sous l’œil et devant l’exemple des fonctionnaires, on observe encore un peu le Décadi ; aux champs on ne reconnaît plus guère d’autres jours fériés que ceux consacrés pur l’Église ; il en résulte une anomalie de plus dans cette incohérente période ; les villes chôment le Décadi et les campagnes le dimanche ; il semble qu’il y ait un calendrier citadin, revêtu de l’estampille officielle, et un libre calendrier rural.

Il est vrai qu’en chaque chef-lieu de canton, dans l’église même rendue aux chrétiens, le culte décadaire, c’est-à-dire le culte de la patrie révolutionnaire et des vertus civiques, conserve sa place, son autel de forme antique, son décor et ses emblèmes. Tous les dix jours, les maires et adjoints viennent le célébrer, interrompant la messe ou les vêpres. Ils lisent et commentent le Bulletin des Lois, sermonnent laïquement, avec accompagnement d’orgue et de. chants, mais ils remplissent dans le désert leur fonction quasi curiale ; dans l’église qui se vide instantanément, ils restent à peu près seuls ; ainsi délaissés, ils écourtent l’office obligatoire, l’expédient au plus vite et s’en acquittent comme d’une désagréable corvée.

Parfois, devant la poussée catholique, le culte décadaire évacue spontanément l’église et plie bagage. A Laon, le mobilier décadaire est transporté de la cathédrale à l’Hôtel de Ville, et les autorités président elles-mêmes à ce déménagement. Dans la cathédrale d’Auch, l’autel décadaire, installé jusque-là au milieu de la nef, est relégué dans un des bas côtés. Dans la cathédrale de Tonnerre, les catholiques en possession des bas côtés et du chœur prétendaient ravoir également la nef, car beaucoup de nos églises restaient divisées en domaines respectifs, en compartimens rivaux ; elles étaient morcelées entre les différentes religions comme les sanctuaires de Palestine entre moines ennemis.

Le culte ancien empiète parfois au dehors et tend à redevenir public, malgré les lois prohibant au-delà de l’enceinte consacrée toute manifestation quelconque, tout signe, tout emblème chrétien. Une procession se hasarde çà et là à sortir de l’église. Le peuple retourne aux lieux de pèlerinage, aux sources miraculeuses ; dans le Calvados, les autorités permettent d’y aller, mais par scrupule révolutionnaire s’efforcent de laïciser ces sources, en affirmant que la science leur a reconnu une vertu curative. En maint endroit, on voit encore des prohibitions, des violences et des petitesses dignes de l’époque précédente ; la tendance générale n’en est pas moins à un retour de bon sens. Le culte est moins astreint à s’enclore strictement et à se calfeutrer dans son local, comme une industrie honteuse. On n’est plus au temps où, dans une commune d’Indre-et-Loire, un prêtre était condamné à 100 francs d’amende et à un mois de prison « pour s’être permis de paraître sur le seuil extérieur de la porte du temple en habit sacerdotal ; » où, à Meaux, il était défendu pendant la journée de laisser les portes de l’église ouvertes, de peur que les passans, en voyant du dehors les crucifix et les cierges, ne songeassent à faire le signe de la croix et à s’agenouiller ; on n’est plus au temps où un commissaire du Directoire, s’applaudissant de la destruction de tous emblèmes extérieurs, ajoutait : « J’ai cependant trouvé dans ma tournée des cimetières où les croix poussent sur les tombes comme les champignons sur les couches. J’en ai fait faire plusieurs récoltes au grand scandale des fanatiques. Comme le germe de ces croix est dans leur tête, je suis certain que depuis elles repoussent. » Elles repoussent en effet par milliers au printemps de 1800, ces croix de bois, protectrices des tombes rustiques, et déjà quelques croix de pierre se replacent au sommet des porches.

Après le décret consulaire sur la liberté des cultes, les cloches, se croyant affranchies, avaient carillonné de tous côtés et fait un grand vacarme, mais le nouveau gouvernement n’avait point admis que le culte sonnât sa résurrection de cette façon par trop agaçante pour les oreilles révolutionnaires, par trop publique et triomphale. Les administrations collectives d’abord maintenues, encore imbues des principes du Directoire, avaient assez durement refréné les cloches ; contre quelques-unes on avait sévi brutalement ; on leur avait arraché la langue ; à la grosse cloche de la cathédrale de Troyes, on avait enlevé son battant. Après l’établissement des nouvelles magistratures, les préfets même les plus modérés refusèrent la permission de sonner. Dans les villes, on tenait compte de leur défense, mais comment réprimer les milliers de cloches campagnardes qui profitaient de leur éloignement des autorités préfectorales et de leur dispersion, qui épiaient un moment d’inattention ou d’indulgence de la part des maires, pour se remettre séditieusement en branle ? Donc, elles sonnent par intermittences, par instans et par endroits, obstinément, effrontément ; contre les délinquantes, on dresse procès-verbal ; elles récidivent. On les fait taire en tel lieu ; elles s’insurgent à côté. Il n’est guère de département ou d’arrondissement où il n’y ait réveil des cloches, tantôt dans un village, tantôt dans un autre, et ce tintement épars, disséminé, s’arrêtant ici, reprenant là, s’élevant toujours quelque part, passant et repassant par vibrations fugitives d’un bout de la France à l’autre, semble la voix même du peuple s’obstinant à prier tout haut et à laisser monter vers le ciel, avec le chant des cloches, l’envolée des âmes.


IV

Il y avait à la fois renaissance et anarchie religieuse. La poussée se faisait en désordre, par élans divergens. Toute sorte de cultes coexistaient en France, à l’état inorganique. A côté de groupes restreints, calvinistes, luthériens, juifs et théophilanthropes, l’Église constitutionnelle s’efforçait de rassembler ses débris, et la masse des catholiques d’obédience diverse, à peine libérée, apparaissait désunie.

Ces catholiques voulaient tous la religion ; ils la voulaient immaculée, mais différaient d’opinion sur la qualité de ses ministres. Que de variétés de prêtres prétendaient à la conduite des âmes, s’autorisant de motifs divers ! Parmi les pasteurs qui avaient enduré la torture et l’exil, sans jamais pactiser avec l’erreur, et qui portaient les glorieux stigmates de la persécution, on vénérait des saints, dont le front s’ornait de la couronne d’épines, et ceux-là semblaient vraiment en communion avec les martyrs qui dormaient sous la terre. D’autre part, combien de prêtres restés en France au prix de certaines concessions, échappés aux rigueurs extrêmes, avaient déployé discrètement un zèle admirable. Chez le peuple livré à la Révolution, ils avaient conservé la foi, entretenu la lueur sacrée, ravivé l’étincelle. Indépendamment des prêtres qui avaient refusé tous les sermens et de ceux qui les avaient prêtés tous, on en voyait qui avaient refusé les uns et prêté les autres, distingué entre les sermens religieux et les engagemens politiques ; des prêtres qui avaient rétracté leurs sermens ou qu’on supposait les avoir rétractés, des prêtres d’état indéfini, des prêtres de couleur tranchée et d’autres de nuance indécise. Entre tous, à qui se fier et à quoi reconnaître le signe d’orthodoxie ? Tout était entre eux sujet de suspicion et de reproche, la façon dont ils s’étaient comportés pendant la Révolution, la façon dont ils agissaient présentement et le lieu même où ils officiaient. Les ministres rentrés excitaient parfois le peuple contre les ministres restés. Les prêtres de chapelle voyaient de mauvais œil les prêtres d’église, qui s’accommodaient de voisinages odieux, et la dispute établie au sujet de la promesse dominait maintenant tout le débat.

Les ecclésiastiques soumis et leurs adhérens, les promissaires, étaient taxés de faiblesse par les insoumis, qu’ils accusaient à leur tour de sacrifier à une préférence politique le salut des âmes et l’avenir de la religion en France. Les purs répétaient que les concessions avaient tout perdu, les autres répondaient que les plus grands efforts de révolte n’avaient abouti qu’à des catastrophes, et le pis était que ni les uns ni les autres n’avaient absolument tort. Une controverse se poursuivait entre l’école de Saint-Sulpice et les docteurs de l’intransigeance, qui manquaient de charité chrétienne. L’abbé Emery était traité par eux en apologiste de toutes les défaillances. Ses partisans le soutenaient avec conviction. Mandemens et écrits contradictoires circulaient sous main et se heurtaient. La France se remplissait de « schismes partiels[13]. » Dans les villes, voici d’aigres colloques entre ecclé. siastiques, entre laïques, où l’on argumente à force sur le plus ou moins de soumission que l’on doit au pouvoir temporel ; les femmes s’en mêlant et prouvant « ce que peut l’esprit de parti sur une tête de femme[14] ; » des théologiennes et des docteuresses en remontrant à leur curé ; la paix des ménages troublée, le mari inclinant à la modération, la femme intransigeante ; l’angoisse des consciences se prolongeant ; la question des acquisitions de biens ecclésiastiques toujours pendante au tribunal de la pénitence ; les incertitudes et les réticences du confessionnal ; dans les villages, de grosses rixes de femmes et d’enfans se gourmant à propos de deux curés qui se disputent l’église et se qualifient mutuellement d’intrus. Au grand silence de l’oppression succédait un bruissement de voix discordantes.

Les autorités locales interviennent quelquefois dans ces querelles et se mêlent de faire entre les cultes office de juge de paix ou de gendarme. Le préfet de la Manche, pour mettre la paix dans une commune, invite les habitans à faire leur choix entre deux prêtres concurrens : « le maire ne pouvant, faute de temps, constater le nombre des sectateurs de chaque ministre, les invita à se départager en passant chacun du côté de celui qu’ils préféraient. La majorité presque générale se rangea autour du citoyen Gilette. » Vingt personnes environ s’étant rangées du côté de son adversaire, « il leur a été désigné en conséquence à chacun des heures différentes (pour officier]. Par ce moyen, la tranquillité publique et la liberté des cultes n’ont souffert aucune atteinte[15]. » A Luzarches, comme deux partis cherchaient à s’arracher l’église, « le maire s’est conduit avec prudence, et voyant qu’aucun des deux ministres n’était doué de l’esprit de paix et de conciliation nécessaire à la tranquillité d’une commune, a ordonné la clôture du temple jusqu’à ce qu’il se présente un sujet dont les intentions pacifiques, la soumission aux lois et l’attachement au gouvernement ne soient pas équivoques[16]. »

Bonaparte ne voulait point de ces interventions subalternes ; il fera bientôt défense aux préfets de se mêler de « toutes ces discussions religieuses[17]. » C’est à lui seul qu’il réservait le droit d’intervenir, à son heure et en grand. L’idée d’un large édit de réunion, d’un acte à la fois autoritaire et transactionnel qui deviendrait entre ses mains un puissant moyen d’ordre, de pacification et de gouvernement, s’établissait certainement dans sa pensée. Mais les temps n’étaient pas mûrs. D’ailleurs, pour fondre toutes les nuances du catholicisme français et les réduire à l’unité, il avait besoin de s’adjoindre un concours à la fois immatériel et décisif. Cette grande alliance, il lirait tout à l’heure chercher en Italie, au-delà des monts, en même temps que la victoire confirmative de son pouvoir matériel. En attendant, comme il veut contrarier le moins possible le vœu de la majorité, comme il entend se rallier les catholiques urbains et l’immensité des campagnes, il rend au culte traditionnel une certaine liberté de fait. Il tire le catholicisme d’un état intolérable d’oppression et de torture, mais ne permet pas encore son ascension à la liberté complète, à la pleine lumière. Il tient le catholicisme dans les limbes. Sa politique est de laisser fléchir les lois de persécution qu’il se garde encore d’abroger par ménagement pour les révolutionnaires. En matière de cultes, entre la première période du Consulat et l’époque précédente, la différence est moins dans la législation que dans la façon de l’appliquer, dans la manière, dans l’intention, car le Directoire avait prétendu détruire la religion et Bonaparte voulait s’en servir.


II. — LA SOLUTION
I

Le Concordat fut une conséquence de Marengo. En mai 1800, Bonaparte franchissait les Alpes avec l’armée de réserve. Avant de passer lui-même le Saint-Bernard, il avait logé à Martigny sous le toit des Bernardins. Un dimanche, comme l’heure de la messe avait sonné, les moines vinrent l’avertir ; il s’excusa poliment de ne point les suivre, alléguant un surcroît de travail. Quinze jours après, le coup de foudre de Marengo a retenti. Rentré triomphalement à Milan, affranchi par l’épée, investi par la victoire, Bonaparte ne craint plus de s’affirmer chef d’une nation catholique et écrit à ses collègues Cambacérès et Lebrun :

« Aujourd’hui, malgré ce qu’en pourront dire nos athées de Paris, je vais en grande cérémonie au Te Deum que l’on chante à la métropole de Milan. » Dans le Bulletin de l’armée, il insiste sur les particularités de cette cérémonie déjà presque impériale et s’y délecte : « Il a été reçu à la porte par tout le clergé, conduit dans le chœur sur une estrade préparée à cet effet et celle sur laquelle on avait coutume de recevoir les consuls et premiers magistrats de l’empire d’Occident... Cette cérémonie était imposante et superbe[18]. » Recevant les curés de Milan, parlant à ces pasteurs d’un peuple dévot, ressentant l’influence du milieu, il force la note, se fait plus catholique en Italie qu’en France, de même qu’en France il s’est montré plus tolérant dans la Vendée qu’ailleurs. Il affirme la compatibilité de la religion des Apôtres avec l’institution démocratique et montre que la communauté de culte est un lien de plus entre Italiens et Français : « Que pouvez-vous attendre des protestans, des Grecs, des musulmans qu’on vous a envoyés (c’est-à-dire des Anglais, des Russes et des Turcs) ? Les Français, au contraire, sont de la même religion que vous[19]. » Il se résout enfin à la démarche décisive. Au moment de repasser les Alpes, il s’arrête à Verceil pour confier au cardinal-évêque Martiniana et faire parvenir à Rome les premières paroles, celles qui expriment le désir d’un règlement général des affaires religieuses en France par accord avec le Pape, et qui en énoncent les conditions fondamentales.

Rentré à Paris le 2 juillet, après le premier et général enthousiasme qui salua son retour, quand ce grand feu fut un peu tombé, il se retrouva en milieu différent, dans le conflit des passions et la bataille des idées. Devant lui, le passé et le présent se disputaient la France. Son art serait de discerner dans le passé ce qui pouvait revivre et dans le présent ce qui devait nécessairement survivre, de les combiner et de les ajuster. Entre les passions, les opinions, les intérêts antagonistes, il va tirer une impérieuse moyenne, pour l’imposer à tous les Français comme règle à la fois conciliatrice et infrangible.

A Paris, en son absence, la réaction s’était accentuée, sous l’œil de gouvernans intérimaires qui avaient un peu laissé flotter les rênes. Les émigrés maintenant rentraient en foule. A Paris, ils ne prenaient plus guère la peine de se cacher : « Les uns obtiennent des surveillances à l’abri desquelles ils travaillent sans inquiétude à leurs affaires : les autres ne sont munis d’aucune garantie légale ; ils se montrent, vont, viennent, remplissent les spectacles, fréquentent les rendez-vous publics ; on en cite à peine quelques-uns arrêtés ; encore ne peuvent-ils imputer cette vexation qu’à des imprudences. D’après cela, beaucoup d’émigrés se sont faits les chevaliers de Bonaparte[20]. » Le retour des prêtres s’accélérait en même temps ; l’une après l’autre, les églises se rouvraient ; la vogue autant que la renaissance du sens religieux y poussait les foules ; on y allait par protestation contre la tyrannie rationaliste : « La philosophie perd de son crédit dans beaucoup d’esprits. Non pas que la plupart deviennent religieux, mais le règne de l’impiété a fait son temps. C’était une mode, elle est passée. On voit aujourd’hui plus d’ouvrages pour la défense de la religion qu’en faveur du système d’incrédulité, et les athées n’ont plus le haut du pavé[21]. »

Profitant de ce retour des esprits, les doctrines de reconstitution s’affirment plus hardiment. A côté de groupemens qui en font matière à dissertation et à littérature, l’enseignement religieux tend à se reformer. Voici un signe des temps. Un matin, sur les murs de Paris encore bariolés d’emblèmes révolutionnaires, des affiches s’apposent, annonçant la réouverture de l’antique collège de Navarre. Malgré la loi qui défend d’exposer publiquement aucun emblème religieux, ces imprimés portent en tête l’image de l’Enfant Jésus, avec une pieuse devise ; ils annoncent que, dans l’enseignement, une part importante sera faite « au développement des principes religieux et de la morale dont ils sont la base. »

Contre ces audaces, les administrations et les groupes révolutionnaires se roidissent. La police dénonce infatigablement les prêtres, incrimine leurs propos, épluche leurs sermons et leur intente un continuel procès de tendances. Les journaux de gauche, après avoir célébré avec fracas les victoires de la République sur l’ennemi du dehors, signalent le péril intérieur et l’alarme des républicains ; ils prétendent que le déchaînement de la réaction rappelle les temps qui ont précédé Fructidor. Les révolutionnaires même modérés s’offusquent de certains symptômes. Les paroles prononcées à Milan au sujet des « hérétiques » l’ont murmurer les coteries protestantes. Pour refréner la faction rétrograde, pour assurer l’exécution des lois encore existantes, les philosophes invoquent le bras séculier, réclament l’intervention du pouvoir. Par l’organe de la Décade philosophique, l’Institut l’objurgue ; contre le parti qui voudrait faire du Consulat un gouvernement de réaction, il essaie de ramener les Bonaparte à leur origine, à leur fonction révolutionnaire : « Famille des Bonaparte ! c’est sur vous que se reposent les républicains. Vous repousserez loin de vous ces ennemis cachés qui vous flattent, mais ne vous pardonneront jamais d’avoir été les soutiens et même les fondateurs de notre gouvernement actuel[22]. »

Bonaparte ne parut pas d’abord insensible à cet appel. S’il entendait faire la réaction dans ce qu’elle avait de compatible avec ses desseins, il n’admettait pas qu’elle s’opérât d’elle-même, parce qu’elle s’opérerait sans mesure. L’un de ses premiers soins fut encore une fois de mettre résolument le cran d’arrêt. Le 26 messidor, — 15 juillet, — en un seul jour s’accumulent trois mesures de répression et d’avertissement : ordre à Fouché de rédiger un rapport concluant à des mesures sévères contre les émigrés ; ordre d’arracher les affiches du collège de Navarre, leurs auteurs devant être traduits en police correctionnelle, pour contravention aux lois ; enfin, pour complaire à l’Institut, défense aux membres de l’ex-Académie française, qui, encouragés par Elisa Bacciochi et Fontanes, se sont reformés en société libre, de s’assembler sous un titre « propre à réveiller des institutions abolies. — Si cette association continue à prendre le titre ridicule d’Académie française et à suivre ses anciens statuts, l’intention du gouvernement est qu’elle soit sur-le-champ supprimée[23]. » De ces mots tranchans, Bonaparte coupe court au projet de rétablir l’Académie, quitte à la refaire lui-même plus tard en l’englobant dans l’Institut.

Sous le couvert de ces satisfactions accordées à l’esprit révolutionnaire, il va faire passer des mesures toute différentes et d’une portée plus vaste. Après l’espèce de coup de barre qu’il vient de donner à gauche, il prononce un mouvement en sens inverse. Tandis que la police se remet à inquiéter les émigrés et opère quelques arrestations sensationnelles, il rend au culte plus de latitude. Douze jours à peine se sont écoulés lorsqu’il rétablit intégralement la liberté du dimanche. Les arrêtés du 7 thermidor confèrent à tout citoyen non fonctionnaire la faculté légale de chômer à son gré le Décadi ou le dimanche. Le choix fut bientôt fait. A Paris, après beaucoup de bavardage et quelques oscillations, le gros de la population se laissa reprendre au courant des anciennes habitudes. Dans la France entière, le Décadi ne fut bientôt plus qu’un souvenir.

Envers les prêtres, les mesures libérales s’accentuent, plus ou moins accompagnées de restrictions. Réparant une omission cruelle, Bonaparte rappelle les prêtres déportés en Guyane après Fructidor, les derniers survivans de la Terreur sèche ; combien restait-il de ces malheureux pour profiter d’une justice retardataire ? L’arrêté ordonnait ostensiblement de les transférer à Oléron et permettait seulement par un artifice de rédaction de les rendre à la liberté. En revanche, voici d’audacieuses et cordiales paroles à l’adresse des populations catholiques de l’Ouest et de leurs pasteurs. Ordonnant de faire venir à Paris, pour leur rendre honneur, quelques humbles habitans de Vendée qui ont combattu un débarquement des Anglais et marché franchement à l’ennemi, Bonaparte ajoute : « Si parmi ceux qui se sont distingués il y a des prêtres, envoyez-les de préférence, car j’estime et j’aime les prêtres qui sont bons Français, et qui savent défendre la patrie contre ces éternels ennemis du nom Français, ces méchans hérétiques d’Anglais[24]. » Enfin, par disposition comprise dans l’arrêté du 28 vendémiaire, — 20 octobre, — voici la levée formelle des lois de bannissement ; les lois contre l’émigration cesseront de s’appliquer aux insermentés. Le retour des prêtres, simplement toléré jusqu’alors, devient licite ; il peut s’opérer ouvertement. Toutefois, par circulaires réitérées, Fouché prescrit aux préfets d’exiger des prêtres, comme condition de séjour, la promesse de fidélité et de réprimer rigoureusement leurs écarts.

Ainsi, dans cette grande et difficile question des prêtres, les mesures alternatives se succédaient, se contrariaient. Le gouvernement et la police ne marchaient pas dans le même sens. Devant les circulaires de Fouché et son obstination persécutrice, le Consul s’impatientait parfois, s’irritait, sans donner de sanction à ses colères. Jusqu’au dernier moment, il laissera Fouché frapper odieusement certains prêtres et couvrira ces rigueurs. Seulement, tandis qu’il conserve en Fouché le ministre de l’irréligion publique, il se fait de l’abbé Bernier un ministre officieux des cultes, chargé de rassurer sous main et de pratiquer le clergé. Au fond, sans s’inquiéter de contradictions qui résultaient nécessairement d’une situation mal définie, équivoque, dont les complications étaient telles qu’à vouloir la régler d’ensemble par acte de législation intérieure ou de gouvernement on se fût heurté partout à des impossibilités, il suivait son idée personnelle, s’attachait au moyen qu’il s’était choisi, au moyen extérieur et diplomatique, et regardait vers Rome.

Autour de lui, il tâtait et préparait prudemment les esprits. Devant le Conseil d’Etat, d’un air dégagé, avec une affectation d’impartialité dédaigneuse, il disait qu’en bonne politique on doit ménager et se concilier les croyances populaires, quelles qu’elles soient ; c’était son système, et il lui avait toujours réussi : « C’est en me faisant catholique que j’ai fini la guerre de Vendée, en me faisant musulman que je me suis établi en Égypte, en me faisant ultramontain que j’ai gagné les esprits en Italie. Si je gouvernais un peuple de Juifs, je rétablirais le temple de Salomon[25]. » Avec ses hauts amis de l’Institut, il dissertait sur l’utilité de rattacher la religion à l’Etat afin de la mieux tenir. Il n’arrivait pas à convaincre ses interlocuteurs, ceux-ci n’arrivaient pas à le dissuader, et Fouché, d’esprit plus aigu, se sentait en face d’une détermination inflexible, devant laquelle il n’y avait qu’à hausser les épaules et à se taire : « C’est un parti pris, » disait-il. Et voici que les paroles prononcées à Verceil portent leur effet. Le prélat Spina est envoyé de Rome à Verceil, où la cour pontificale s’imagine que les pourparlers auront lieu. Bonaparte le mande impérieusement à Paris, ouvre la négociation ; le fil qu’on lui renvoie, il le tire à soi et le noue fortement.


II

Quelles raisons le déterminaient ? Qu’il eût des raisons de principe et de fond, indépendantes des circonstances, inhérentes à sa façon de concevoir le gouvernement et les sociétés, nul n’y saurait contredire. Il voyait dans la religion un grand instrument de règne, le frein des passions populaires, le moyen de faire la police des âmes et d’amener les hommes à supporter l’inégalité des conditions. Il voulait Dieu par raison d’Etat, pour en faire le suprême auxiliaire des puissances d’ici-bas. De plus, il est certain qu’au fond de lui-même, sous un appareil d’idées philosophiques assez incohérentes, l’empreinte catholique subsistait. Il aimait d’intime prédilection son culte natal, le culte méditerranéen et latin, celui qui avait bercé son enfance, celui dont la voix s’élevant dans le son des cloches, lorsqu’il l’entendait par les calmes soirs d’été, le jetait en un étrange ravissement. De ce culte, il aimait le décor extérieur, la pompe : il en sentait la poésie. Par un contraste tout italien, il se méfiait des prêtres et n’était nullement inaccessible à l’émotion religieuse. Toutefois, ce serait s’abuser singulièrement que d’attribuer à des impressions de ce genre, aussi bien qu’à des raisons purement théoriques, l’acte le plus politique en même temps que le plus brave de sa vie. Il s’y détermina par motifs d’ordre immédiat et contingent. Il fit le Concordat parce que cet acte répondait à ses ambitions présentes, aux nécessités de sa politique pacificatrice, aux besoins contemporains, et parce qu’en vérité, voulant résoudre le problème religieux qui opprimait la France, il ne pouvait faire autrement.

La France en ses profondeurs restait catholique. Là était le fait, l’indéniable fait. Au courant du siècle, les classes supérieures s’étaient détachées ; la masse populaire et surtout rurale, formant en somme la grosse majorité de la nation, avait conservé le catholicisme dans l’âme. Pendant la Révolution, cette masse brutalement violentée dans sa foi, dans ses observances, dans ses usages, s’y était plus invinciblement rattachée. A présent, cette persévérance purement religieuse du plus grand nombre se distinguait nettement des passions politiques de quelques minorités. Les royalistes n’étaient qu’une classe ; les catholiques étaient un peuple. Bonaparte le savait ; il avait vu pendant huit ans ce peuple réclamer ses églises, réclamer ses prêtres ; il l’avait vu replanter ses croix abattues, défendre ses calvaires, s’opposer aux frénésies terroristes et aux violences systématiques du Directoire, aux furieux briseurs d’images et aux iconoclastes méthodiques ; il l’avait vu sanctifier le dimanche malgré la loi et protester contre la tyrannie du Décadi par plébiscite hebdomadaire. Au sujet de cette opiniâtreté populaire, les renseignemens, les documens s’amoncelaient. Le langage des préfets et des conseils généraux confirmait aujourd’hui celui des agens du Directoire.

D’autres témoignages s’ajoutaient. Parmi les conseillers d’Etat envoyés en mission pour inspecter chacun un groupe de départemens, il se trouve des philosophes naguère militans et d’éminens sectaires. L’un d’eux, Fourcroy, tire d’une partie de son enquête cette conclusion : « C’est une erreur de quelques philosophes modernes, dans laquelle j’ai été moi-même entraîné, de croire à la possibilité d’une instruction assez répandue pour détruire les préjugés religieux... La guerre de Vendée a donné aux gouvernemens modernes une leçon que les prétentions de la philosophie voudraient en vain rendre nulle[26]. » Cet aveu exprime l’état d’esprit d’un certain nombre de théoriciens vaincus par le fait, nullement convertis, mais désabusés. Certes, aucun d’eux n’admet la reconstitution pure et simple du catholicisme romain. Désespérant d’extirper le sentiment religieux, ils songent à l’orienter selon leurs vœux. Fourcroy, comme beaucoup d’autres, regrette qu’on n’ait pu détourner la France vers le protestantisme ; il voudrait au moins obliger les prêtres à se faire précepteurs de morale civique ; ils enseigneraient en même temps le catholicisme, mais c’est « un mal nécessaire[27]. » Fourcroy parle de républicaniser le catéchisme, en attendant que Napoléon l’impérialise. Frochot, préfet de la Seine, appelle une réforme du christianisme. Les rédacteurs de la Décade philosophique se résigneraient à une religion même publique, pourvu qu’elle ne fût pas dominante, mais leurs préférences vont au culte constitutionnel. Tous constatent néanmoins que l’expérience de déchristianisation a totalement échoué. Spectacle exemplaire que ces penseurs, ces savans, reconnaissant leur impuissance à confondre la foi des simples, proclamant leur défaite, avouant leur humiliation. Douloureusement, ces orgueilleux d’esprit s’inclinent devant le Dieu des humbles, et les voici répétant la parole attribuée à l’Apostat mourant, à l’empereur Julien : « Galiléen, tu as vaincu ! »

La Vendée, l’Ouest entier, telle était surtout la réalité de sang et d’horreur qui avait détrompé les sectateurs de la raison pure et consterné ces idolâtres. Ailleurs, la résistance à l’effort anti-religieux, bien qu’elle se fût manifestée par une infinité de tumultes sporadiques, avait été surtout passive. Contre les lois décadaires, la France presque entière s’était faite délinquante ; elle ne s’était pas levée en masse pour les détruire. Dans l’Ouest, une population de plusieurs millions d’âmes s’était trouvée pour se battre à outrance, pour se laisser fusiller, mitrailler, décimer, plutôt que de renoncer à la foi des ancêtres. Ce peuple s’apaisait depuis que l’on avait rendu à son culte des facilités réelles, mais la simple tolérance est en soi arbitraire, précaire, et la soumission demeurerait provisoire tant que la tolérance léserait. Bonaparte se rendait compte qu’à moins de conférer au culte des garanties positives, légales, il ne finirait jamais la grande sécession de l’Ouest. Pendant la négociation du Concordat, le nom de la Vendée reviendra plusieurs fois sur ses lèvres ; il aura toujours sous les yeux la grande plaie à fermer. On doit le reconnaître, le sang versé à flots dans l’Ouest fut pour le catholicisme français la semence de salut. En tant que royaliste, l’insurrection échoua ; elle réussit en tant que catholique, puisqu’elle obligea le vainqueur de céder finalement au vaincu l’objet de la lutte, c’est-à-dire l’exercice du culte. Jusque-là, toutes les pacifications, y compris celle que Bonaparte avait opérée, n’avaient été que trêves momentanées ; le Concordat serait le traité de paix définitif avec l’Ouest.

Bonaparte sentait donc la nécessité de rétablir la religion pour répondre à l’indomptable volonté de certaines populations françaises, pour répondre à l’aspiration de la grande majorité des Français. Et dédaigneux des expédiens bâtards, allant droit à la solution franche, il voulait la religion telle que le peuple la souhaitait, c’est-à-dire publique, solennelle, intégrale.

A la rétablir, il verrait un hommage rendu par lui à la souveraineté nationale, dont il aimait à se dire et à se sentir le délégué. Contre les révolutionnaires, il se replacerait dans la vérité révolutionnaire, puisque l’un des dogmes de 89 avait été d’ériger en loi pour tous le vœu du plus grand nombre : « Ma politique, disait-il, est de gouverner les hommes comme le grand nombre veut l’être. C’est là, je crois, la manière de reconnaître la souveraineté du peuple[28]. » Quoi de plus démocratique en effet que de faire prévaloir contre une minorité de philosophes et de lettrés le suffrage de la multitude plébéienne, rurale, et que de consacrer sur l’incrédulité de certaines classes urbaines la grande victoire des campagnes ! Seulement, cette religion dont l’incompressible vitalité lui était démontrée, Bonaparte n’admettait à aucun prix qu’elle reprît forme régulière sans lui, indépendamment de lui ; il voulut s’adjoindre cette force. C’est pourquoi, malgré ses ministres, malgré son Conseil d’Etat, malgré l’Institut, malgré les assemblées, malgré les généraux et leur incrédulité fanfaronne, malgré la plupart des administrateurs, seul avec la masse obscure, il prit l’inébranlable résolution de réincorporer le culte à l’Etat et de replacer Dieu dans le gouvernement.


III

Pouvait-il résoudre différemment le problème religieux ? D’après quelques-uns de ses conseillers, d’après certains esprits assez libéraux et tolérans, il suffisait d’émanciper réellement les cultes, de les replacer sous des lois justes, de se désintéresser d’eux ensuite et de les laisser s’organiser à leur gré, quitte à réprimer sévèrement les écarts politiques de leurs ministres. On eût ainsi fait l’essai loyal de ce régime de séparation qui, sous la Convention et le Directoire, n’avait été qu’une laide dérision. Ce thème, outre qu’il répugnait à l’esprit essentiellement autoritaire et ordonnateur de Bonaparte, ne nous paraît pas résister à l’examen des faits, si on les considère d’un point de vue purement historique.

En 1800, la France était encore moins mûre pour l’organisation des cultes en dehors de l’État qu’elle ne l’était pour la liberté politique. Son premier besoin était la paix intérieure, dont la paix religieuse est une indispensable assise Or, rien n’indique que les querelles religieuses issues de la Révolution et de ses différentes phases fussent en voie d’apaisement ; rien ne permet de supposer qu’elles se fussent éteintes d’elles-mêmes.

La grande division entre catholiques et constitutionnels se compliquait toujours de multiples déchirures. Prêtres jureurs, prêtres totalement ou partiellement réfractaires, prêtres promissaires, quasi-promissaires, non-promissaires, se disputaient toujours la foule catholique. Les groupes religieux se subdivisaient à l’infini, s’éparpillaient en mille variétés d’opinion et de conduite[29]. Quelques-uns n’étaient séparés que par des nuances, mais on sait qu’en ces délicates matières de controverse où s’exaspère la sensibilité des consciences, les nuances séparent autant que des dissidences tranchées. Entre gens d’église et gens s’occupant de choses d’église, l’universelle polémique continuait. La concurrence des cultes se manifestait en haut par des violences de parole, en bas par des voies de fait ; on la retrouvait dans l’intérieur des familles, au chevet des mourans ; elle se disputait les vivans et les morts. C’était toujours l’incertitude des consciences, le gâchis, la confusion, le chaos, et cette perturbation de la vie religieuse opposait à la pacification du pays un invincible obstacle. Parmi les chrétiens et même les simples amis de la concorde, chacun s’affligeait de ces dissensions et nul n’en voyait le terme. Le maintien de la séparation, appliquée même avec sincérité, eût substitué indéfiniment la guerre entre les cultes à la guerre aux cultes. Il eût été un grand malheur pour l’Église, qui se fût discréditée dans le scandale des disputes ; pour l’Etat, un grave péril ou, pour mieux dire, une impossibilité.

Aussi bien, en dehors des constitutionnels, le clergé français restait en sa grande majorité, quelles que fussent ses dissidences au sujet de l’attitude à prendre envers le gouvernement consulaire, clergé d’ancien régime. Il conservait l’esprit, la tradition, le regret des âges révolus. Pouvait-il en être autrement d’un clergé toujours rivé à l’épiscopat émigré, aux évêques gentilshommes, nommés par le Roi, dévoués au Roi, préférant sans doute atout l’intérêt de la religion, mais trop portés, sauf exceptions, à confondre cet intérêt avec celui de la légitimité et à transformer les plus ardens de leurs prêtres en missionnaires de contre-révolution ? La position du clergé était la plus étrange qui se pût concevoir : il avait, pourrait-on dire, le corps en France et la tête hors de France. La partie supérieure et extérieure, c’est-à-dire l’épiscopat, restait en puissance d’émouvoir les autres ; elle pourrait toujours de ses lieux de refuge contrarier à l’intérieur les volontés conciliantes, prolonger les scrupules, perpétuer une cause de trouble dans cette France où frémissaient encore tant de passions. En somme, soixante-dix à quatre-vingts prélats expatriés restaient maîtres de la tranquillité intérieure en France. Et cette situation sans exemple, les gouvernans de l’an VIII ne disposaient d’aucun moyen de la faire cesser, à moins de recourir à une autorité supérieure à celle des évêques et d’en obtenir les prérogatives de la royauté, c’est-à-dire de restaurer l’accord de l’État et de l’Église sur sa base séculaire et de renouveler l’antique stipulation avec Rome.

Il est très vrai qu’après dix mois de gouvernement consulaire, sous l’influence du libéralisme relatif de Bonaparte, une notable détente s’était opérée entre le catholicisme de l’intérieur et l’Etat. Les fidèles respiraient. Parmi les milliers de prêtres rentrés ou s’occupant à rentrer, nombreux étaient ceux qui, sans rompre avec leurs supérieurs émigrés, se dépouillaient de toute passion politique, se vouaient simplement et saintement au devoir de leur ministère, au soulagement des populations avides de secours religieux et au réconfort des âmes délaissées. Les uns avaient signé la promesse, conformément à la doctrine soutenue par l’abbé Émery et ses collègues. Les autres, sans signer la formule, se soumettaient en fait, pratiquaient et conseillaient l’obéissance au gouvernement. Ceux-là désiraient généralement que le Pape, dont la parole eût fait loi, dont plusieurs sollicitaient la décision, se prononçât dans le sens de la promesse. Ils s’affligeaient du silence de Rome, mais Rome pouvait-elle recommander, imposer la soumission, sans avoir obtenu de l’Etat un acte portant garantie des droits religieux[30] ? En attendant, les prêtres de paix ne prévalaient que partiellement sur les prêtres de combat. La masse des intransigeans demeurait considérable ; dans certains départemens, elle formait la presque-totalité du clergé ; en régions entières, elle maintenait à la religion nationale le caractère d’un culte d’opposition, et cette grosse portion du clergé, parce qu’elle apparaissait immaculée, restait la plus populaire, la plus vénérée[31].

De plus, la soumission au fait consulaire, à supposer qu’elle pût jamais s’étendre à la plupart des prêtres, n’impliquerait nullement de leur part adhésion à certains principes constitutifs de l’ordre nouveau, à certains faits qui lui étaient consubstantiels, à ceux dont la reconnaissance opérerait seule la pacification des esprits. Parmi les prêtres promissaires, quelques-uns pouvaient bien s’incliner devant Bonaparte, célébrer le Consul libérateur, louer et même exagérer ses bienfaits ; à tous, il était interdit de rassurer la conscience des acquéreurs de biens d’Église, de reconnaître le transfert de propriété opéré par la Révolution, de reconnaître les décrets prescripteurs des évêques, d’admettre le mariage comme contrat civil, d’admettre les lois de l’Etat en ce qu’elles avaient de contraire à la discipline ecclésiastique, parce que sur tous ces points Rome n’avait pas transigé. L’Église suppliciée pendant la Révolution pouvait bien, à l’exemple de son divin fondateur, pardonner à ses bourreaux ; sans l’aveu de son chef visible, il lui était impossible en conscience d’absoudre et de légitimer les usurpations révolutionnaires. La soumission des prêtres, si sincère qu’elle fût, restait nécessairement incomplète.

L’Ouest, auquel il faut toujours revenir à raison du rôle considérable qu’il joue dans les préliminaires de la pacification, offrait de cette vérité un frappant exemple. Nulle part le culte n’était plus libre et le clergé mieux intentionné. Les prêtres sortis de leurs caches ou revenus d’exil eussent pu prolonger la guerre civile ; ils avaient coopéré à sa fin. De ce fait, les préfets, les conseillers d’Etat en tournée leur rendent un éclatant témoignage : « Les préfets, écrit Fourcroy, reconnaissent que leur bonne conduite a produit des avantages inappréciables ; ils pensent qu’on peut répondre des campagnes aussi longtemps qu’on sera sûr des prêtres[32]. » En sera-t-on toujours sûr ? Voilà ce qu’aucun préfet ne prend sur soi de garantir. Ces prêtres pacifiques refusent de signer la promesse et de s’engager au gouvernement. En le faisant, ils craindraient à la fois de s’entacher aux yeux des populations et d’encourir la censure de leurs supérieurs.

En certains endroits, des défenses épiscopales leur interdisent de rentrer dans les églises et d’officier au grand jour. Dans le diocèse de Cornouailles, le culte n’a pas repris parce que l’évêque du dehors s’y est opposé. Dans le diocèse du Mans, le correspondant du vicaire général émigré lui écrit : « Vous savez que je ne me suis prêté qu’avec répugnance à l’ouverture des églises. Mais, les voyant ouvertes en Anjou et en Bretagne, il n’y avait pas moyen de s’y opposer[33]. » La masse des prêtres résisterait-elle à un appel contre-révolutionnaire lancé de Londres par l’intermédiaire des prélats émigrés ? Le préfet des Côtes-du-Nord croit qu’en cas de nouvelle tentative insurrectionnelle, « tous les prêtres réfractaires, ceux même du caractère le plus doux, le plus pacifique, stimulés par les lettres pastorales, les mandemens incendiaires des douze évêques qui sont à Londres, pourront en un seul jour produire un embrasement général. » Le préfet d’Ille-et-Vilaine, sans aller aussi loin, décrit les anomalies, les contradictions qui se manifestent dans la conduite des différentes catégories d’insermentés : « Insermentés soumis et insoumis jouissent d’un grand crédit. Ils regrettent toujours le salaire assuré qui les empêchait de rester à la charge des fidèles. Ils sont tranquilles et obéissent aux lois. Ils ne peuvent haïr le gouvernement qui les laisse exercer librement leur culte... Ils inquiètent la conscience des acquéreurs. »

La situation de ce clergé restait matériellement très précaire : « Nous ne mourons pas de faim, voilà tout, » écrivait un de ses membres[34]. Le bruit courait que dans certains cantons de l’Ouest les paysans s’étaient remis d’eux-mêmes à payer la dîme ; ce ne pouvait être qu’une rare exception. En général, le peuple veut la religion et ne veut pas la payer ; c’est ce que Rœderer dira plus tard des paysans de Normandie, après enquête sur les lieux : « ils ont voulu avec ardeur leur messe et leur sermon le dimanche, comme du passé, mais payer est autre chose[35]. » Les cotisations des fidèles, les quêtes, les collectes subviennent avec peine aux frais du culte et à l’entretien de ses ministres. Les inconvéniens de cette situation frappent tellement certains préfets de l’Ouest qu’ils proposent de distribuer des secours aux prêtres ; d’autres, pour tourner la prohibition légale, proposent de les nommer instituteurs, ce qui permettrait de les salarier en cette qualité. Il est certain que les prêtres catholiques, s’ils s’accommodaient du présent, ne se sentaient nullement assurés de l’avenir. Quant aux constitutionnels, pasteurs délaissés, bergers sans troupeau, ils vivent dans le dénuement et se jugent mal récompensés de leur zèle patriotique. Ils en viennent à désirer un rapprochement avec les catholiques, mais ils comprennent l’impossibilité de l’opérer par fusion spontanée et en dehors d’une intervention romaine. Fait remarquable : c’est dans l’Ouest, redevenu pays de liberté religieuse, qu’après Marengo des voix s’élèvent pour suggérer au Consul l’idée qui lui est venue spontanément, pour demander une négociation avec Rome ; on la demande comme moyen de pacification et non de restauration religieuse, puisqu’en fait le culte se rétablit. Les délégués des Côtes-du-Nord à la fête nationale du 1er vendémiaire écrivent dans un mémoire adressé au gouvernement : « Un schisme prétendu divise le clergé de France, et le peuple a malheureusement pris une part souvent trop active dans ses divisions. Serait-il impossible de déterminer le Pape à intervenir pour rallier tous les partis ? Le désir de voir l’union rétablie nous abuse peut-être, mais nous osons nous flatter qu’une négociation diplomatique ne pourrait manquer de la réaliser ; nous nous croyons fondés à vous assurer que l’on trouvera dans le clergé assermenté toutes les facilités que l’on peut attendre d’un dévouement habituel[36]. »


IV

En somme, ce qu’il fallait à Bonaparte et ce qu’il fallait à la France, c’était un clergé pacifié, ramené à l’unité, rigoureusement catholique et par cela même non suspect aux populations, mais sincèrement rallié ou résigné aux institutions nouvelles. Ce ralliement, le gouvernement ne pouvait à lui seul l’opérer. Vis-à-vis des récalcitrans, il multipliait, variait et épuisait ses moyens ; dans certains départemens, on les emprisonnait encore, sans lasser leur constance ; ailleurs, on les expulsait ; ailleurs, les préfets leur adressaient de pathétiques exhortations ou bien argumentaient, subtilisaient, tâchaient de convaincre ; le préfet de la Loire avait entamé avec ses prêtres une véritable « discussion théologique. » Les raisonnemens ne réussissaient pas mieux que les rigueurs et les menaces. Au bout de ces efforts, on se heurtait toujours à l’inaccessible, au for intérieur, à l’inviolable arcane, où l’action temporelle rencontre et sent sa limite. En réalité, il ne dépendait d’aucun pouvoir purement humain, fût-ce le victorieux Consulat, de résoudre le grand cas de conscience qui s’était élevé entre l’Église et la Révolution.

Voilà ce que le bon sens de Bonaparte lui fit clairement discerner. Son mérite fut de dégager la solution nécessaire, telle qu’elle était incluse dans les circonstances, et de l’extraire hardiment, alors que les révolutionnaires ne voulaient et que les autres osaient à peine y penser. Il comprit qu’avec son génie et sa puissance, avec ses glorieuses armées, ses généraux, ses préfets, ses juges, ses commissaires, ses gendarmes, il n’arriverait pas cependant à discipliner et à enrégimenter les consciences. Pour se les concilier, il reconnut le besoin d’un médiateur spirituel, d’un coopérateur dont la voix prévaudrait par-dessus le tumulte des dissidences. Et l’impérieux despote s’en fut vers le blanc pontife, vers celui qui dans Rome ne disposait d’aucune force matérielle, mais qui avait reçu pouvoir ici-bas délier et de délier les consciences. L’insigne force morale qui résidait en ce régulateur des âmes, il la supputa mathématiquement : « Comment dois-je le traiter ? » lui dit son premier envoyé auprès de Pie : « Traitez-le comme s’il avait deux cent mille hommes[37]. » S’adressant au Pape carrément, sans ambages ni fausse honte, il lui demanda de concourir à faire cesser en France l’anarchie des âmes chrétiennes et de les ranger à une règle de paix. L’objet du Concordat fut avant tout d’amener le Pape à sanctionner la doctrine du ralliement, à l’imposer aux prêtres catholiques comme obligation stricte, à retourner le schisme, en quelque sorte, et à le rejeter du côté des insoumis, à l’anéantir en fait et à trancher les liens qui rattachaient encore l’Église de France aux institutions abolies.

Dans sa façon de traiter cet objet, Bonaparte allait se montrer dur, exigeant, tyrannique, mais il se serait facilité à l’avance toutes ses fins auprès du Pape parce qu’il aurait commencé par le reconnaître et l’invoquer. Ainsi put-il réserver à l’État tout ce qui pour l’Église n’est pas l’indispensable.

Le catholicisme serait reconnu comme religion professée par la majorité des Français. Son public exercice serait solennellement garanti, mais soumis aux règlemens édictés en vue de la tranquillité générale. L’État reconnaîtrait la hiérarchie catholique, ce que les lois révolutionnaires n’avaient jamais voulu faire ; il la reconnaîtrait par le fait même qu’il demanderait au Pape de la renouveler dans ses membres, sans en modifier l’essence ou les attributions. Le Pape inviterait l’ancien épiscopat à se démettre et au besoin l’y obligerait ; les nouveaux évêques seraient nommés par le premier Consul et recevraient l’institution canonique. C’est à la disposition des évêques que seraient remis les édifices affectés au culte. Tous les ecclésiastiques seraient tenus de prêter serment de fidélité au gouvernement. Le Pape défendrait d’inquiéter la conscience des acquéreurs de biens d’Église et procurerait ainsi l’incommutabilité de ces domaines. Le clergé recevrait un traitement approprié à ses besoins. Les constitutionnels, quoique non nommés dans le Concordat, seraient admis à la réconciliation, et même au partage des dignités ecclésiastiques. C’est autour de ces bases sommairement posées dès l’entrevue de Verceil que la négociation se poursuivrait. C’est à ces points qu’après huit mois de lutte entre les scrupules légitimes de Rome et la diplomatie tour à tour artificieuse et violente de Bonaparte, l’accord se fixerait finalement.

La haute pensée dont s’inspirait le Consul se doublait d’une arrière-pensée, celle-ci erronée et chimérique. Le paradoxe du Concordat, ce fut l’idée conçue par Bonaparte d’employer le Pape à refaire une Église très peu papiste, une Église non seulement respectueuse de l’ordre temporel, mais gallicane, qui dépendrait de l’Etat autant que possible et qui dépendrait de Rome aussi peu que possible, sans aller jusqu’au schisme.

Bonaparte admettait pour une fois et requérait l’intervention du Saint-Siège ; il voulait qu’elle s’exerçât souverainement, parce qu’impartiale et simplement chrétienne, elle s’exercerait à l’encontre des évêques royalistes, procurerait la pacification et la soumission des pasteurs du second ordre. A cet effet, il jugeait l’autorité pontificale bonne, utile, indispensable. Il s’estimait heureux qu’il existât en matière de discipline catholique une autorité suprême, par le moyen de laquelle il obtiendrait l’accommodement du clergé aux institutions nouvelles ; susciter cette autorité d’accord avec la sienne, c’était pour lui le vrai moyen de concilier la loi religieuse et la loi civile, le moyen à la fois canonique et légal, — le mot est de Portalis dans son célèbre Exposé des motifs de la loi concordataire. « En général, disait Portalis en faisant allusion à l’intervention romaine, il est toujours heureux d’avoir un moyen canonique et légal d’apaiser les troubles religieux[38]. » Seulement, le grand résultat obtenu, Bonaparte entendait bien se passer du Pape toutes les fois qu’il le pourrait ; son espoir était que, sous la pression d’un gouvernement énergique, les liens entre l’Église de France et Rome se distendraient aisément. L’avenir devait démontrer la vanité de cette conception. En ce point, le Concordat tourna contre les vues de son auteur ; il fortifia finalement l’autorité pontificale en France, car il créa en sa faveur un grand précédent en faisant briser par la main du Pape tout l’ancien épiscopat français et en provoquant ce coup d’Etat ultramontain.

Au premier bruit de la négociation avec Rome, les assemblées légiférantes, les assemblées philosophes s’étaient émues, tandis que de leur côté les royalistes ne supportaient pas l’idée d’un Pape traitant avec la République et criaient à l’indignité[39]. On sait que, pour avoir raison de l’opposition parlementaire, Bonaparte devait faire épurer le Tribunat et le Corps législatif par vote du Sénat. Dès le premier moment, son jeu vis-à-vis des assemblées serait d’opposer le vœu de la nation à l’opinion de ses pseudo-représentans. Un jour, dit-on, il parlerait de faire voter les citoyens sur la question de savoir s’ils préféraient payer pour l’entretien du clergé ou pour l’entretien « d’assemblées délibérantes qui ne servaient à rien, » et il proposerait cet original referendum[40]. En février 1801, convoquant un groupe de tribuns, il s’expliqua rudement avec eux. Le texte de sa harangue n’a pas été publié jusqu’ici ; elle est significative de ses raisons[41]. Tout ce qu’il y avait dans sa pensée de profond et de rationnel, de grand et d’abusif, de libérateur et de despotique, il le fit voir, avec un bon sens véhément et une arrogance superbe :

« Les prêtres ! Un gouvernement peut-il espérer conserver le peuple autour de lui, quand en même temps il poursuit la majorité de ce même peuple dans ses opinions les plus chères ? On ne peut se le dissimuler, la majorité du peuple français tient à la religion catholique. Veut-on que je contrarie cette majorité du peuple ? Ce peuple est libre et souverain ; on l’intitule tel depuis dix ans ; il est temps qu’il soit tel en effet. Ne disait-on pas jusqu’ici : Vive la liberté ! Vive l’humanité ! et le peuple libre ne pouvait pas aller à la messe, et le gouvernement humain arrachait du sein de leurs foyers des vieillards de quatre-vingts ans que l’exil dévorait bientôt. Il faut rendre aux mots leur valeur ; il faut que les partisans de la souveraineté du peuple et de l’humanité ne me reprochent pas de respecter l’opinion publique et de rappeler d’exil des victimes qu’elle rappelle. D’ailleurs, suis-je un cagot ? Veut-on me faire passer pour un fanatique qui rappelle son église ? Je veux que les religions soient tolérées et que celle de la majorité de la nation ne soit pas exceptée de ce principe. »

Il insista ensuite sur le péril que ferait courir à l’Etat une Église dirigée par des évêques contre-révolutionnaires[42]. Serrant de près le grand objet de gouvernement qu’il avait en vue, il dit : « Prétend-on que je gouverne avec succès un peuple dont les consciences seraient soumises à la direction de chefs ecclésiastiques ennemis de l’ordre actuel ? Telle est pourtant ma position aujourd’hui. Il faut que j’arrache les catholiques de France à des évêques qui, de Vienne, de Londres, de Madrid, contrarient le gouvernement républicain jusque dans l’intérieur des familles. Est-ce avec des baïonnettes que j’extirperai cet ennemi ? Veut-on que je recrée la Vendée ? Qu’on sente maintenant la faute qu’on a commise en détruisant le système de la Constituante, qui aux évêques émigrés avait substitué des chefs dévoués au régime nouveau. Il me faut le Pape maintenant pour réparer cette destruction impolitique que Robespierre lui-même jugeait telle, quand le grand instigateur de la mesure, Chaumette, fut traîné à l’échafaud. Jamais le Pape ne pourra me rendre un plus grand service ; sans effusion de sang, sans secousse, lui seul peut réorganiser les catholiques de France sous l’obéissance républicaine. Je le lui ai demandé. Le catholicisme une fois soumis d’affection, je pourrai supprimer l’intermédiaire étranger, conciliateur entre la République et les ecclésiastiques. La direction de ces derniers restera entière alors entre les mains du gouvernement. Telles sont mes vues. Ne peut-on pas s’en reposer sur moi ! Quel intérêt si grand peut agiter ces orateurs, à côté de celui qui domine mes actions et répond de moi à mon pays ! Certes, leur nom ne sera pas attaché à ce siècle ; ce sera le mien. C’est à moi à n’attacher ce nom à rien d’indigne. Ce souci me regarde. »


ALBERT VANDAL.

  1. Tous les documens que nous citons sans indiquer de référence spéciale sont tirés des Archives nationales, série FIC, III. Cette série contient notamment les rapports des dernières administrations du Directoire et des premiers préfets.
  2. Dès 1796, le général Clarke écrivait dans une note destinée à Bonaparte, commandant de l’armée d’Italie : « Nous avons manqué notre révolution de religion. On est redevenu catholique romain en France, et nous en sommes peut-être au point d’avoir besoin du Pape lui-même, pour faire seconder chez nous la Révolution par les prêtres, et par conséquent par les campagnes, qu’ils sont parvenus à gouverner de nouveau. Si on eût pu anéantir le Pape il y a trois ans, c’eût été régénérer l’Europe... Il faut trente ans de liberté de la presse en Italie et en France pour amener ce moment et abattre la puissance spirituelle de l’évêque de Rome... » Du Teil, Rome, Naples et le Directoire, p. 406-407.
  3. Bibliothèque nationale, fonds français, 113651.
  4. Ibid.
  5. Guizot.
  6. Archives de Chantilly.
  7. Archives nationales, papiers Beugnot, AB, XIX.
  8. Ibid.
  9. L’Ancien clergé de France, par l’abbé Sicard, t. III, 501. Cet ouvrage est capital pour l’histoire du clergé et surtout de l’épiscopat pendant la période révolutionnaire.
  10. Archives de Chantilly.
  11. Dans le Sancerrois, l’administration écrit, après avoir signalé les menées des réacteurs : « Le petit peuple ignorant, influencé par eux, appelle Bonaparte Bon-attrape, parce qu’il n’a pas rétabli entièrement la religion, c’est-à-dire la domination d’un culte sur les autres
  12. Souvenirs du baron de Barante, I, 50.
  13. Lettre d’Émery du 15 mai 1800, citée par l’abbé Sicard, III, 356.
  14. Lettre de l’évêque Mercy, 20 juillet 1801. — Abbé Sicard, III, 366.
  15. Bibl. nationale, fonds français, 1161.
  16. Ibid.
  17. Correspondance de Napoléon Ier, VI, 5024.
  18. Corr., 4927. -.»
  19. Œuvres de Rœderer, VI, 411.
  20. Lettre de Mme d’Anjou, correspondante à Paris de Louis XVIII et du comte d’Avaray, 11 juillet 1800. Documens inédits.
  21. Lettre de Mme d’Anjou, 11 juillet 1800.
  22. Décade philosophique, numéro du 10 messidor an VIII.
  23. Corr., 4982.
  24. Corr., 5026.
  25. Rœderer, III, 334.
  26. Rocquain, État de la France après le 18 brumaire, p. 152.
  27. Rocquain, 153.
  28. Rœderer, III, 334.
  29. A Paris, on lisait dans les Petites Affiches l’offre d’une église à louer dans les conditions suivantes : « S’il se présentait une société d’ecclésiastiques bien d’accord, on pourrait traiter avec eux d’une manière satisfaisante. » Aulard, Parts sous le Consulat, I, 623-624. Cf. Lanzac de Laborie, Paris sous Napoléon, I, 307-308.
  30. En 1796, le pape Pie VI s’était montré disposé à entrer en accommodement avec le Directoire au sujet des affaires religieuses. Il avait même émis un bref exhortant les catholiques de France à la soumission aux autorités constituées, mais il avait suspendu la publicité de ce bref et l’avait comme laissé tomber devant les exigences ineptes du Directoire, qui prétendait lui faire rétracter toutes ses censures antérieures contre les atteintes portées à la constitution et à la discipline de l’Église. Voyez Du Teil, Rome, Naples et le Directoire, passim. En 1800, le pape Pie VII, qui se prêterait au Concordat, désapprouvait au fond la promesse, sans se prononcer ouvertement. Voyez Boulay de la Meurthe, Documens sur la négociation du Concordat, I, 140.
  31. Voyez spécialement Aulard, l’État de la France en l’an VIII et en l’an IX, dernière partie.
  32. Rocquain, 124.
  33. Lettre publiée par M. Léon Séché, les Origines du Concordat, II, 209-213.
  34. Lettre citée par M. Séché, II, 212.
  35. T. III, p. 475.
  36. Archives nationales, Fic, III.
  37. Paroles citées notamment par le cardinal Mathieu, Le Concordat de 1801, p. 135.
  38. De Clercq, Traités de la France, I, 514.
  39. Mme d’Anjou écrivait à d’Avaray le 1er décembre 1800 : « Si cela est vrai, je deviens protestante, et si le Pape s’avise d’un pareil coup, lorsque le Roi sera sur son trône, il fera bien de le lui faire payer et de faire des évêques sans bulles ni annates... » Documens inédits.
  40. Boulay de la Meurthe, t. IV supplémentaire, 428.
  41. Ce texte fut recueilli tout vif par l’un des assistans, Lagarde, secrétaire général des Consuls. Nous en devons la communication à l’obligeance de ses descendans.
  42. L’écrivain Fiévée, dans un passage très curieux de ses Lettres et rapports à Bonaparte, fait allusion à un autre péril que le premier Consul aurait entrevu à l’horizon et dont il lui aurait parlé, celui d’un clergé se faisant à la longue trop démocrate ; il aurait aperçu « cette grande vérité que les prêtres catholiques seraient nécessairement et franchement démocrates, s’ils étaient abandonnés à eux-mêmes, ainsi qu’on peut en avoir la preuve en Irlande et dans les États-Unis d’Amérique. » Correspondance de Fiévée, I, 17. Il est vrai que Fiévée était grand ennemi de la démocratie et que Bonaparte employait volontiers vis-à-vis de chacun l’argument ad hominem.