Les Sables mouvans (RDDM)/01

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Les Sables mouvans (RDDM)
Revue des Deux Mondes6e période, tome 11 (p. 481-530).




LES SABLES MOUVANS [1]



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PREMIÈRE PARTIE

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À la mémoire d’Auguste Huzard.

I

— Je viens vous souhaiter la bonne année en passant, mes amis, dit Addeghem, l’omnipotent critique d’art, en pénétrant dans l’atelier du ménage Fontœuvre.

Et aussitôt, comme il s’avançait, essoufflé des cinq étages et majestueux de sa redoutable autorité, la charmante Fontœuvre quitta son chevalet, courut à lui, devançant à peine son mari qui, précipitamment, posait sa pipe et son journal pour s’empresser près du vieil homme.

— Oh ! cher maître, comme c’est gentil, comme c’est gentil !

Jenny Fontœuvre, menue, brune et jolie, avec sa vivacité d’oiseau, son gracieux talent, son courage, faisait l’admiration du critique. Serrée dans sa blouse blanche d’artiste, elle lui venait au coude ; il la regardait bénévolement, en lui tenant les deux mains ; puis il dit, de sa grosse voix de Flamand, enrouée par quarante ans de brasseries et de criailleries artistiques :

— Hein ! Fontœuvre, vous permettez que je l’embrasse, votre femme, pour le 1er janvier ? Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/486 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/487 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/488 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/489 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/490 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/491 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/492 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/493 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/494 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/495 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/496 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/497 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/498 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/499 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/500 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/501 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/502 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/503 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/504 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/505 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/506 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/507 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/508 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/509 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/510 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/511 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/512 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/513 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/514 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/515 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/516 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/517 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/518 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/519 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/520 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/521 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/522 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/523 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/524 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/525 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/526 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/527 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/528 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/529 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/530 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/531 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/532 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/533 vaut mieux… Vous êtes la première femme qui m’ait jamais ému. C’est un scrupule qui me force d’étouffer ma tendresse. Elle n’est pas pure. Il s’y mêle quelque chose d’odieux. Je suis indigne de vous. Il vaut mieux que vous partiez.

Ils étaient absolument seuls dans l’immense galerie. Les rectangles dorés des cadres fuyaient en perspective jusqu’à la salle des Velasquez, là-bas, et les sombres visages de l’École espagnole, les terribles faces d’Inquisition seules semblaient en ressortir à force de vigueur, de puissance.

— Dites-moi tout, murmura Jeanne d’une voix à peine percejitible, j’ai le droit de savoir.

— Je vous aime riche, voilà ! dit le peintre en la regardant fixement, cette fois, malgré la honte qu’il avait de son aveu. Je vous aime riche comme je vous aime belle. La richesse est aussi une beauté. Elle contribue à donner à une femme telle que vous son charme de patricienne. C’est l’oisiveté de vos mains qui les a faites ce qu’elles sont. C’est la sécurité que crée la fortune qui a sculpté votre visage de paix, vos beaux traits de séraphin placide. C’est la puissance de l’argent qui vous a douée de votre aspect royal, car posséder est une grande chose, posséder, c’est pouvoir. Et c’est pour cela que je vous aime riche, et que votre fortune a allumé, dans le secret de moi-même, une convoitise ignoble.

À ces derniers mots, ses joues, son front rougirent, et il s’attendait à la sévérité de Jeanne. Mais il vit au contraire ses yeux s’adoucir jusqu’à l’humilité ; ses lèvres s’entr’ouvrirent de bonheur et elle vint à lui avec une simplicité de petite fille, prit sa main, la tint dans les siennes en disant :

— Oh ! je suis heureuse ! je suis heureuse !… Je n’ai que cela, moi, ma fortune ; est-ce que j’aurais osé sans cela ?…

Et le cœur défaillant, envahi par un sentiment inconnu d’adoration, il ferma les paupières, pendant que les mains de Jeanne s’accrochaient, se suspendaient à la sienne dans un geste d’abandon puéril, et qu’elle disait :

— Je suis la servante de votre génie…

Colette Yver.

[La deuxième partie au prochain numéro.)

  1. Copyright by Colette Yver, 1912.