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Les Tableaux vivants/07

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Les Tableaux vivants (1870)
Éditions Blanche (p. 47-56).

VII

SECOURS AUX VEUVES

C’était dans la ville de Moulins… Imaginez un sombre réduit au fond d’une cour, une chambre à deux lits bonne pour un commis-voyageur et son chien et communiquant par un pont de bois à un autre corps de logis qui se louait bourgeoisement et qui ne faisait point partie de l’hôtel. Car la scène se passe dans un hôtel.

Nous arrivons à Moulins, mon ami Calprenède et moi ; on nous indique le Coq d’or. Nous nous y rendons sans résister. Point de chambre, rien que ce taudis : il y avait fête dans la ville. Il fallut bien nous accommoder du taudis, et l’on va voir si nous eûmes lieu d’en être mécontents.

À peine installés, nous nous mettons en devoir de faire connaissance avec les êtres. Le pont divisé en deux par une barrière. La nuit tombait. Calprenède, apercevant de l’autre côté une lumière et curieux de savoir si elle ne brillait point dans la chambre de quelque belle, ébranle l’obstacle, qui cède. Nous avançons, protégés par l’obscurité, et par une fenêtre ouverte le dialogue suivant arrive à nos oreilles :

— Encore sur la cuvette, Julie !… Êtes-vous bien sûr que l’eau froide soit bonne pour calmer les inquiétudes dont vous souffrez ?

— Aussi, ma sœur, ai-je mis de l’eau tiède.

— Je ne sais si cela est meilleur.

— Ah ! Nanine !

— Julie, vraiment, ce que le bon Dieu a fait en nous privant de nos maris, c’est avoir muselé la nature.

— Je vous en réponds. J’ai là-dessus de terribles choses à vous dire. Je m’essuie, je reviens près de vous.

— Julie, puisque c’est vous qui gouvernez la maison, vous devriez bien me donner de vieille serviettes. Les neuves me grattent trop fort. Je suis devenue si sensible de là…

— Je sens nuit et jour des chatouillements ! Le sang m’incommode ! J’ai des chaleurs…

— J’ai des palpitations de cœur insupportables…

— Allons-nous à l’église faire notre prière du soir, Nanine ?

— Hélas ! Julie, nous avons besoin de prier.

La lumière s’éteignit. Les deux sœurs venaient sans doute de sortir. Calprenède et moi nous nous regardâmes.

— Par quel moyen prendre ces deux tourterelles sans mâles ?

— Comment tirer ces deux bons coups cuits à point ?

Comme nous rêvions depuis un moment, Calprenède s’écria :

— J’ai un godemichet dans ma malle.

Dans ces grandes crises du désir on se comprend à demi-mot. Calprenède va quérir l’instrument providentiel. Nous approchons de la fenêtre entr’ouverte et nous sautons. Nous voilà dans la place. Un cabinet à traverser d’abord. La fameuse cuvette est au milieu. Nous pénétrons dans une chambre où brûle une bougie. Au fond est une alcôve.

Comme j’allais poser le godemichet sur le lit, Calprenède m’arrêta par une réflexion bien naturelle.

— Si nous agissons ainsi, me dit-il, les deux pauvres veuves, en trouvant cette belle pièce sur leur lit, se demanderont qui l’y a mise. Elles penseront que l’on est entré ici ; elles chercheront le visiteur, et si nous nous cachons dans le cabinet, elles nous y trouveront aisément. Ce seront alors des cris, des frayeurs. On accourra, et l’on nous mettra au poste…

— Où nous n’aurons plus de ressource que de faire l’amour au factionnaire !…

— Ce n’est pas ce jeu-là qu’il faut jouer.

Et nous rêvons de plus belle.

Mais deux garçons d’imagination ne sont jamais à bout. Le résultat de notre méditation fut qu’il valait mieux sortir après avoir fait un beau paquet du godemichet sous une honnête enveloppe, joindre nos deux veuves à l’église voisine, leur faire présenter le paquet par le premier polisson venu quand elles quitteraient l’église, les devancer alors, revenir, raccommoder avec soin notre pont, pour ne laisser aucune trace de notre passage, nous jeter alors dans le cabinet, nous cacher derrière une montagne de linge sale que nous y voyions accumulé, et attendre…

Nous partîmes pour l’église. Chemin faisant l’idée nous vint de nous informer auprès des voisins, le plus adroitement possible, de la qualité des deux veuves. Le mal, c’est que nous ne les avions point vues. Si elles allaient être trop laides ! Si elles avaient plus de quarante ans !

Un louis mis dans la main d’un garçon épicier fit l’affaire. Le drôle nous apprit en souriant que les deux dames étaient de fort honnêtes personnes, veuves l’une d’un officier, l’autre d’un receveur des contributions, peu fortunées toutes deux, mais vertueuses, irréprochables et très avenantes. L’aînée n’avait guère plus de trente ans.

— Seulement, nous dit le garçon peseur de sucre, elle est un peu… boiteuse.

— As-tu entendu ? dis-je tout bas à Calprenède. L’une est boiteuse !… Nous les reconnaîtrons à présent !

La boutique où nous étions entrés se trouvait justement en face de l’église. L’office du soir finissait.

— Regarde ! me dit Calprenède. Voici nos amantes !

Un autre louis d’or détermina le garçon épicier à nous servir de messager et à se montrer discret comme la tombe. Nous lui remîmes le paquet, qui, outre la pièce de résistance, contenait un billet. Quant à nous, nous jouons des jambes, nous rentrons à notre logis, nous franchissons et raccommodons notre pont, nous pénétrons dans le cabinet, nous nous couchons à plat ventre derrière le linge sale. Les deux sœurs arrivaient.

— Qu’est-ce qu’il peut y avoir dans ce paquet, Nanine ?

— Je ne sais, ma sœur.

Et Nanine traversa le cabinet pour aller en fermer la fenêtre et les persiennes.

Nous étions immobiles, sans haleine… Julie défaisait le paquet. Elle poussa un grand cri. Nanine accourut.

— Un membre !…

— Un membre d’homme !

— C’est une farce qu’on veut nous faire.

— Quelque insolent !

— Il y a un billet, Nanine.

— Lisons ce billet :

« Présent de deux voyageurs compatissants à deux touchantes infortunes. »

— Julie, il faut jeter cela par la fenêtre.

— Êtes-vous folle, Nanine ? On le ramasserait… et alors…

— Jetons-le au feu.

— C’est en caoutchouc : ça ne brûlerait point.

— En caoutchouc ?

— Tenez ! Nanine, vous avez bien envie de le regarder… Oh ! La vue n’en coûte rien. La meilleure revanche que nous puissions prendre contre le méchant qui nous a envoyé cet outil-là, c’est de ne jamais témoigner que nous l’avons reçu…

— Et de le garder ?

— Il est encore moins embarrassant de le garder que de le détruire.

— Voyons !… Que c’est drôle !…

— Toutes les persiennes sont-elles fermées ?

— Oui, oui… Avec les deux… les deux boules !…

— C’est bien gros !

— Brr !… Ça fait mal à voir… Nous pourrions le jeter dans les latrines.

— Sotte ! c’est là qu’on le trouverait en vidant la fosse.

— Mais enfin, si vous le gardez, qu’en comptez-vous faire, Julie ?

— Vous le prêter, Nanine, pour vous éviter de vous servir de vos doigts. Ce matin, je vous y ai prise !…

— C’est vrai, je n’y tenais plus !… Mais, là, croyez-vous qu’on pourrait se servir de ce joujou toute seule ?

— Sans doute… Cependant à quoi sert ce ruban ? J’y suis… Par exemple, je pourrais me le passer autour de la taille, m’attacher l’objet, et alors…

— Alors ?

— Ne faites donc pas la niaise ? Ne comprenez-vous pas que si je me le mettais ainsi, l’outil se dresserait tout droit devant moi et que je pourrais alors vous faire l’amour comme un homme ?

— Quelle horreur ! Vous n’oseriez pas ni moi non plus.

— J’aurais de la peine à m’y décider… Relevez donc un peu vos jupes, Nanine, que je voie comment cela peut bien marcher !…

— Mais vous me troussez… Julie !… Mais elle me met la ceinture… Voyons ! je ne veux pas qu’on me voie toute nue !… Nous ne songez pas à essayer ce joujou dégoûtant, je pense !… Ôtez cela, ôtez cela !

— Le voilà attaché… Que c’est drôle !… Savez-vous que vous êtes grasse et fraîche ? Quelles cuisses rondelettes !…

— Oh ! Je ne ressemble pas du tout à un homme.

— Vous pourriez cependant jouer le rôle d’un homme… Nanine, essayons un peu.

— Si vous n’étiez pas mon aînée, Julie, je crois que je vous donnerais un soufflet pour les propositions que vous me faites.

— Un soufflet ! Laissez donc ! J’ai plutôt envie de vous embrasser, moi… Tenez !…

— Fi ! fi ! Elle se trousse aussi, elle se frotte les bords de son… ! Vous me dégoûtez ! vous dis-je… Elle m’enlace !… Julie !… Mais c’est qu’elle est tout en feu !… Votre mari Gustave disait bien que vous aviez du tempérament…

Pauvre Gustave !… Mais vous voyez bien que nos jupes retombent !

— Mettons-nous en chemise !…

Julie s’élança, ferma tous les verrous, y compris celui du cabinet où je me trouvais caché en compagnie de Calprenède.

— Bon ! lui dis-je.

— J’ai ma bague de diamant pour couper une vitre au bon moment, quand elles jouiront, fit-il.

La porte du cabinet était vitrée en effet, et garnie d’un rideau de mousseline. Nous n’y pouvons tenir plus longtemps. Nous nous levons, nous venons coller nos yeux à ce rideau transparent.

En chemise toutes les deux ! Le garçon épicier avait eu bien raison de dire qu’elles étaient accortes. Elles se ressemblaient beaucoup, petites, grasses, rondes et fermes l’une et l’autre. En chemise, ai-je dit ? C’est vrai, mais troussées jusqu’à la ceinture !… Julie alla ouvrir les rideaux de l’alcôve.

— Julie ! Julie ! s’écria Nanine. C’est donc vous qui ferez le cavalier.

— Oh ! que non point ! dit Julie. C’est trop gros pour toi, Nanine. Moi, j’ai eu ma petite Lili. Je suis bien plus large depuis mon accouchement. Il faut essayer sur moi. Viens…

— Ah ! je n’oserai jamais.

— Sotte !… Je vais me mettre au bord du lit… Tiens ! me voilà dans la posture… Viens donc… Faut-il aller te chercher ?

— Hélas ! Julie… Eh bien ! ma foi, tant pis, tu as raison… J’arrive !

— Embrasse-moi d’abord… Oh ! ne crains point !… Sur la bouche. C’est l’illusion que nous cherchons !… Tu es un homme. Tu es mon mari Gustave… Sur la bouche !… Mets-le… mets-le moi !…

— Ah ! friponne !…

— Aïe ! aïe !… Tu me déchires… Arrête-toi… Je me vantais trop d’être large !…

— Comment faire, Julie ? Si cela ne peut entrer ?

— Comme te faisait ton mari Onésime… Il n’entrait pas dans toi tout de suite… Il te caressait avec les doigts… avec la langue, il te faisait peut-être minette…

— Julie, je ne peux pourtant vous lécher.

— Suce-moi seulement le bout du sein.

— Que vous êtes pervertie, ma sœur !

— Là, là… Si tu voulais un moment, avec ton doigt… je t’en prie… Là, là… bien ! merci !… je sens que je me… que je me mouille. Fais entrer l’instrument… Aïe !… il entre… Embrasse-moi encore… Aïe ! aïe !… Quelle tête énorme !… Va.

— Je pousse, je pousse… Tant pis !

— Tu… tu m’éventres !… Il est… il est au fond… Ah !…

— À mon tour ! À mon tour, Julie !

— Je ne peux ! Je ne peux ! Je suis brisée… Attends un peu !

— Non ! non ! Je brûle… Tiens ! Je t’attache la ceinture. Prends ma place… je vais prendre la tienne… Vite ! vite ! je me meurs !

— Eh bien ! soit… Sur le bord du lit, à ton tour… Écarte-toi bien… C’est cela !… Quel joli petit chat, coquine !… Ah ! si j’étais vraiment un homme, je te lécherais, ma petite sœur…

— Branle-moi seulement… Julie ! Julie !… Rien qu’avec ton doigt, tu me fais… tu me fais jouir… Ciel !…

— Je mets l’outil, je pousse !

— Ah ! quelle douleur !… quel supplice !… J’en pleure ! J’y renonce !…

— Écarte-toi encore… Tu auras beau crier à présent !

— Ah !… Je sens !… Julie !… holà !…

— Crie ! crie !… La tête est passée… tout ira !

— Baise-moi, lèche-moi… Seigneur !… Va !… Encore un coup ! Mon Dieu !… Mon Dieu !…

Calprenède faisait jouer son diamant sur une des vitres de la porte et tirait doucement le verrou.

Les deux sœurs s’étaient couchées sur le lit, côte à côte, épuisées, anéanties.

— Ah ! Julie !

— Ah ! Nanine !

— Ces jeux-là ne valent point la nature, ma sœur.

— Avouez, Nanine, que si nous tenions en ce moment chacun un joli garçon, nous commettrions le péché.

— Madame, dit Calprenède en s’avançant, je ne sais si nous sommes de jolis garçons…

— Au secours ! des hommes !… des voleurs !…

— Mesdames, dis-je, prenant la parole à mon tour, si vous criez, vous vous perdez vous-mêmes.

— Sans compter, reprit Calprenède, que nous conterons l’histoire de ce membre en caoutchouc…

— Que madame tient encore attaché devant elle, continuai-je en montrant du doigt le godemichet passé autour de la ceinture de Julie et qu’elle ôtait furtivement…

Nous nous accommodâmes sans trop de peine…

Le choix entre ces deux amants tombés du ciel appartenait de droit aux dames. Julie choisit Calprenède. Je devins le lot de Nanine ; et comme il n’y avait qu’un lit, chacun des deux couples fut témoin des exploits du couple voisin.

Calprenède enfilait Julie du côté de la ruelle, et moi Nanine sur le bord de cette couche si longtemps arrosée des pleurs des deux veuves, témoin de leurs regrets et de leurs jouissances solitaires.

— Monsieur, me dit Nanine, je vous en prie, ne m’engrossez pas.

— Monstre ! cria Julie à Calprenède, ne va pas me faire un enfant !

— Madame, dis-je à Nanine, prêtez-moi donc le secours de votre main.

— Achève-moi avec ta patte blanche ! cria Calprenède à Julie.

Elles ne se firent pas prier ; toutes les deux elles nous branlèrent ; le même cri de joie leur échappa quand elles virent s’échapper la liqueur divine…

— Nanine !

— Julie !