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Les Voyages de Cyrus/Discours sur la mythologie/I

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G.-F. Quillau (2p. 3-92).


PREMIERE PARTIE.

De la Theologie des Payens.



JE commence d’abord par les Mages ou les Philosophes Persans. Selon le témoignage d’Herodote,[1] les anciens Perses n’avoient ni statues, ni temples, ni autels. « Ils appellent folie, dit cet auteur, de croire comme les Grecs, que les Dieux ont une figure, & une origine humaine. Ils montent sur les plus hautes montagnes pour sacrifier. Il n’y a chez eux ni libations, ni musique, ni offrandes. Celui qui fait le sacrifice, mene la victime dans un lieu pur, & invoque le Dieu auquel il veut sacrifier, ayant la tiare couronnée de myrthe. Il n’est pas permis au sacrificateur de prier pour lui en particulier ; mais il doit avoir pour objet le bien de toute la nation, & il se trouve ainsi compris avec tous les autres. »

Strabon rend le même témoignage aux anciens Perses.[2] « Ils n’érigeoient ni statues, ni autels, dit cet historien. Ils sacrifioient dans un lieu pur, & fort élevé, où ils immoloient une victime couronnée. Quand le Mage en avoit divisé les parties, chacun prenoit sa portion. Ils ne laissoient rien pour les immortels, disant que Dieu ne veut autre chose que l’ame de la victime. »

Les Orientaux persuadés de la Metempsycose, croyoient que la victime étoit animée d’une Intelligence, dont les peines expiatrices finissoient par le sacrifice.

Il est vrai que les Perses, ainsi que les autres payens, adoroient le feu, le soleil & les astres ; mais on verra qu’ils les regardoient uniquement comme des images visibles, & des symboles d’un Dieu suprême, qu’ils croyoient être le seul maître de la Nature.

Plutarque nous a laissé dans son traité d’Isis & d’Osiris, un fragment de la Theologie des Mages. Cet Historien Philosophe nous assure qu’ils définissoient le grand Dieu Oromaze, le principe de lumiere, qui a tout operé, & tout produit.[3] Ils admettoient encore un autre Dieu, mais subalterne, qu’ils nommoient[4] Mythras, ou le dieu Mitoyen. Ce n’étoit pas un Etre coéternel avec la Divinité suprême, mais la premiere production de sa puissance, qu’il avoit préposé pour être le Chef des Intelligences.

La plus belle définition de la Divinité qui se trouve parmi les anciens, est celle de Zoroastre. Elle nous a été conservée par Eusebe dans sa Préparation Evangelique. Cet auteur n’étoit pas trop favorable aux Payens. Il cherchoit sans cesse à dégrader leur philosophie. Cependant il dit avoir lû mot pour mot les paroles suivantes dans un Livre de Zoroastre qui existoit de son temps, & qui avoit pour titre, Recueil sacré des Monumens Persans.

«[5] Dieu est le premier des incorruptibles, éternel, non engendré. Il n’est point composé de parties. Il n’y a rien de semblable ni d’égal à lui. Il est auteur de tout bien, desinteressé, le plus excellent de tous les Etres excellens, & la plus sage de toutes les Intelligences. Le pere de la justice & des bonnes loix ; instruit par lui seul, suffisant à lui-même, & premier producteur de la Nature. »

Les auteurs modernes des Arabes & des Persans, qui nous ont conservé ce qui reste de l’ancienne doctrine de Zoroastre parmi les Guebres & les Ignicoles, assurent que les premiers Mages n’admettoient qu’un seul Principe Eternel.

Abulfeda, cité par le celebre Docteur Pocok, dit que selon la primitive doctrine des Perses[6] « Dieu étoit plus ancien que la lumiere & les tenebres, & qu’il avoit existé de tout temps, dans une solitude adorable, sans compagnon & sans rival. »

Saristhani, cité par M. Hydde, dit que « les premiers Mages[7] ne regardoient point le bon & le mauvais principe comme coéternels, mais qu’ils croyoient que la lumiere étoit éternelle, & que les tenebres avoient été produites par l’infidelité d’Ahriman chef des Genies. »

M. Bayle dit dans son Dictionnaire, que les anciens Perses étoient tous Manichéens. Il auroit sans doute abandonné ce sentiment, s’il avoit consulté les Auteurs originaux. C’est ce que ce celebre critique ne faisoit pas toujours. Il avoit un genie capable de tout approfondir ; mais il écrivoit quelquefois à la hâte, & se contentoit d’effleurer les matieres les plus graves. D’ailleurs on ne peut justifier cet auteur d’avoir trop aimé l’obscurité desolante du pyrrhonisme. Il semble dans ses Ouvrages être toujours en garde contre les idées satisfaisantes sur la Religion. Il montre avec art & subtilité tous les côtés obscurs d’une question ; mais il en presente rarement le point lumineux, d’où sort l’évidence. Quels éloges n’eût-il pas merité, s’il avoit employé ses rares talens plus utilement pour le genre humain.

Telle est la Theologie des anciens Perses, que j’ai mis dans la bouche de Zoroastre. Les Egyptiens avoient à peu près les mêmes principes que les Orientaux. Rien n’est plus absurde que l’idée qu’on nous donne ordinairement de leur Theologie. Rien aussi n’est plus outré que le sens allegorique que certains Auteurs ont voulu trouver dans leurs Hieroglyphes.

D’un côté il est difficile de croire que la nature humaine puisse jamais être assez aveuglée pour adorer des insectes, des reptiles, & des plantes qu’on voit naître & perir tous les jours, sans y attribuer certaines vertus divines, ou sans les regarder comme des symboles de quelque puissance invisible. Dans les païs les plus barbares, on trouve quelque connoissance d’un Etre superieur, qui fait l’objet de la crainte, ou de l’esperance des Sauvages les plus grossiers. Quand on supposeroit qu’il y a des peuples tombés dans une ignorance assez profonde pour n’avoir aucun sentiment de la Divinité ; il est certain que l’Égypte ne sçauroit être accusée de cette ignorance. Tous les Historiens sacrés & profanes parlent de ce peuple comme de la plus sage de toutes les Nations ; & l’un des éloges que le S. Esprit donne à Moyse & à Salomon, est qu’ils étoient instruits dans toutes les sciences des Égyptiens. L’Esprit divin auroit-il loué ainsi la sagesse d’une Nation tombée dans une barbarie assez grossiere pour adorer les oignons, les crocodiles & les reptiles les plus méprisables.

D’un autre côté certains Auteurs modernes veulent trop exalter la Theologie des Égyptiens, & trouver dans leurs Hieroglyphes tous les mysteres du Christianisme. Après le Déluge, Noé ne laissa point sans doute ignorer à ses enfans, les grands principes de la Religion sur les trois États du monde. Cette tradition a pû se répandre de géneration en géneration parmi tous les peuples de la terre ; mais il ne faut pas conclure de-là que les Payens eussent des idées aussi claires sur la Nature divine, & sur le Messie qu’en avoient les Juifs. Cette supposition, loin de rendre hommage aux Livres sacrés, les dégrade. Je tâcherai de garder le juste milieu entre ces deux extrémités.

Plutarque dans son Traité d’Isis & d’Osiris, nous apprend[8] que la Theologie des Égyptiens avoit deux significations. L’une sainte & symbolique. L’autre vulgaire & litterale, & par conséquent que les figures des animaux qu’ils avoient dans leurs temples, & qu’ils paroissoient adorer, n’étoient que des Hieroglyphes, pour représenter les attributs divins.

Suivant cette distinction, il dit qu’Osiris signifie le Principe actif ou le Très-saint ;[9] Isis, la sagesse ou le terme de son operation ; Orus, la premiere production de sa puissance, le modele selon lequel il a tout produit, ou l’archetype du monde.

Il seroit témeraire de soutenir que les Payens ayent jamais eu aucune connoissance d’une Trinité de Personnes distinctes, dans l’Unité indivisible de la Nature divine. Mais il est constant que les Chaldéens & les Egyptiens croyoient que tous les attributs de la Divinité pouvoient se réduire à trois : Puissance, Intelligence & Amour. Ils distinguoient aussi trois sortes de mondes : le monde sensible, le monde aërien, & le monde étheréen. Dans chacun de ces mondes ils reconnoissoient encore trois principales proprietés, figure, lumiere & mouvement ; matiere, forme & force.[10] C’est pour cela que les anciens Philosophes regardoient le nombre de trois comme mysterieux.

En lisant avec attention le Traité de Plutarque, les Ouvrages de Jamblique, & tout ce qui nous reste sur la Religion des Orientaux & des Egyptiens, on verra que la Mythologie de ces peuples regarde principalement les operations internes, & les attributs de la Divinité ; comme celle des Grecs, ses operations externes, ou les proprietés de la Nature. Les Orientaux & les Egyptiens avoient l’esprit plus subtil & plus metaphysique que les Grecs & les Romains. Ces derniers aimoient mieux les sciences qui sont du ressort de l’imagination & du sentiment. Cette clef peut servir beaucoup à l’intelligence des anciennes Mythologies.

Plutarque conclut ainsi son Traité d’Isis & d’Osiris.[11] « Comme l’on dit que celui qui lit les Ouvrages de Platon, lit Platon ; & celui qui joüe la Comedie de Menandre, joüe Menandre : de même les anciens ont appellé du nom des Dieux les différentes productions de la Divinité. » Plutarque avoit dit plus haut « qu’il faut prendre garde de ne pas transformer, dissoudre & dissiper la Nature divine en rivieres, en vents, en vegetations, en formes & en mouvemens corporels ; ce seroit ressembler à ceux qui croyent que les voiles, les cables, les cordages & l’anchre sont le Pilote ; que le fil, la trame & la navette sont le Tisserand. Par cette conduite insensée on blasphemeroit contre les Puissances celestes, en donnant le nom de Dieu à des natures insensibles, inanimées & corruptibles. Rien de ce qui n’a point d’ame, poursuit-il, rien de materiel & de sensible ne peut être Dieu. Il ne faut pas croire non plus que les Dieux soient différens selon les différens païs, Grecs & Barbares, Septentrionaux & Meridionaux. Comme le Soleil est commun à tous, quoiqu’on l’appelle de divers noms en divers lieux ; de même il n’y a qu’une seule Intelligence souveraine, & une même Providence qui gouverne le monde, quoiqu’on l’adore sous différens noms, & quoiqu’elle ait établi des Puissances inférieures pour ses Ministres. » Voilà, selon Plutarque, la doctrine des premiers Egyptiens sur la Nature divine.

Origene qui étoit contemporain de Plutarque, suit les mêmes principes dans son Livre contre Celse. Ce Philosophe payen se vantoit de connoître la Religion Chrétienne, parcequ’il en avoit vû quelques cérémonies, mais il n’en pénetroit point l’esprit. Origene s’exprime ainsi :[12] « En Egypte les Philosophes ont une science sublime & cachée sur la Nature divine, qu’ils ne montrent au peuple que sous l’enveloppe de fables & d’allegories. Celse ressemble à un homme qui ayant voyagé dans ce païs, & qui n’ayant jamais conversé qu’avec le vulgaire grossier, croiroit entendre la religion Egyptienne. Toutes les Nations Orientales, ajoute-t-il, les Perses, les Indiens, les Syriens cachent des mysteres secrets sous leurs fables religieuses. Le Sage de toutes ces religions en pénétre le sens, tandis que le vulgaire n’en voit que le symbole extérieur & l’écorce. »

Ecoutons à present Jamblique, qui avoit étudié à fond la religion des Egyptiens. Il vivoit au commencement du troisiéme siecle, & étoit disciple du fameux Porphyre, selon le témoignage de S.  Clement[13] & de S. Cyrille d’Alexandrie.[14] On lisoit encore alors plusieurs Livres Egyptiens qui n’existent plus aujourd’hui. Ces Livres étoient respectés par leur antiquité. On les attribuoit à Hermes Trismegiste, ou à quelqu’un de ses premiers disciples. Jamblique avoit lû ces Livres que les Grecs avoient fait traduire. Voici ce qu’il dit de la Theologie qu’ils enseignoient.

[15] « Selon les Egyptiens, le premier Dieu exista dans son unité solitaire avant tous les Etres. Il est la source & l’origine de tout ce qui est intelligent ou intelligible. Il est le premier principe, suffisant à lui-même, incomprehensible, & le Pere de toutes les essences. »

« Hermes dit encore, continue Jamblique, que ce Dieu suprême a préposé un autre Dieu nommé Emeph, comme chef de tous les Esprits étheréens, empyréens & celestes ; que ce second Dieu qu’il appelle Conducteur, est une Sagesse qui transforme & qui convertit en elle toutes les Intelligences. Il ne préfere à ce Dieu Conducteur que le premier Intelligent & le premier Intelligible, qu’on doit adorer dans le silence. » Il ajoûte « que l’Esprit Producteur a différens noms, selon ses différentes propriétés ou operations ; qu’on l’appelle en langue Egyptienne Amoun, en tant qu’il est sage ; Ptha, en tant qu’il est la vie de toutes choses ; & Osiris, en tant qu’il est l’auteur de tout bien. »

Telle est, selon Jamblique, la doctrine des Egyptiens ; par-là il est manifeste qu’ils admettoient un seul Principe, & un Dieu Mitoyen semblable au Mythras des Perses.

L’idée d’un Esprit préposé par la Divinité suprême pour être le chef & le conducteur de tous les Esprits, est très-ancienne. Les Docteurs Hebreux croyoient que l’ame du Messie avoit été créée dès le commencement du monde, & préposée à tous les ordres des Intelligences. Cette opinion étoit fondée sur ce que la Nature finie ne peut pas contempler sans cesse les splendeurs de l’Essence divine ; qu’elle est obligée d’en détourner quelquefois la vûe, pour adorer le Créateur dans ses productions, & que dans ces momens il falloit un chef qui conduisît les Esprits par toutes les regions de l’immensité, pour leur en montrer les beautés & les merveilles.

Pour connoître à fond la Theologie des Orientaux & des Egyptiens, examinons celle des Grecs & des Romains qui en dérive originairement. Les Philosophes de la Grece alloient étudier la sagesse en Asie & en Egypte. Thales, Pythagore, Platon y ont puisé leurs plus grandes lumieres : les traces de la Tradition Orientale sont presque effacées aujourd’hui ; mais on nous a conservé plusieurs monumens de la Theologie des Grecs. Jugeons des maîtres par leurs disciples.

Il faut distinguer les Dieux des Poëtes d’avec ceux des Philosophes. La Poësie divinise toutes les différentes parties de la Nature, & donne tour à tour de l’esprit au corps, & du corps aux Esprits. Elle exprime les operations & les proprietez de la matiere par les actions & les passions des Puissances invisibles, que les Payens supposoient conductrices de tous les mouvemens & de tous les évenemens qu’on voit dans l’univers. Les Poëtes passent subitement de l’allegorie au sens litteral, & du sens litteral à l’allegorie, des Dieux réels aux Dieux fabuleux ; c’est ce qui cause le mélange de leurs images, l’absurdité de leurs fictions, & l’indécence de leurs expressions justement condamnées par les Philosophes.

Malgré cette multiplicité de Dieux subalternes, ces Poëtes reconnoissoient cependant qu’il n’y avoit qu’une seule Divinité suprême ; c’est ce que nous allons voir dans les très-anciennes Traditions qui nous restent de la Philosophie d’Orphée. Je suis bien éloigné de vouloir attribuer à ce Poëte les Ouvrages qui portent son nom. Je crois avec le celebre Grotius que les Pythagoriciens qui reconnoissoient Orphée pour leur maître, sont les Auteurs de ces Livres. Quoi qu’il en soit, comme ces Ecrits sont plus anciens qu’Herodote & Platon, & qu’ils étoient fort estimés parmi les Payens, nous pouvons juger par les fragmens qui nous en restent de l’ancienne Theologie des Grecs.

Voici l’abregé que fait Timothée Cosmographe de la doctrine d’Orphée ; cet abregé nous a été conservé dans Suidas,[16] Cedrenus,[17] & Eusebe.

« Il y a un Etre inconnu, qui est le plus élevé & le plus ancien de tous les Etres, & le Producteur de toutes choses, même de l’Ether, & de tout ce qui est au-dessous de l’Ether. Cet Etre sublime est Vie, Lumiere, Sagesse ; ces trois noms marquent la même & unique Puissance qui a tiré du néant tous les Etres visibles & invisibles. »

Il paroît par ce passage que l’idée de la création, c’est-à-dire de la production des substances, n’étoit pas inconnue aux Philosophes Payens ; nous la trouverons bien-tôt dans Platon.

Proclus nous a conservé encore ce merveilleux passage de la Theologie d’Orphée :[18] « L’univers a été produit par Jupiter. L’Empyrée, le profond Tartare, la Terre & l’Ocean, les Dieux immortels & les Déesses, tout ce qui est, tout ce qui a été, tout ce qui sera, étoit contenu originairement dans le sein fécond de Jupiter, & en est sorti. Jupiter est le premier & le dernier, le commencement & la fin. Tous les Etres émanent de lui. Il est le Pere primitif, & la Vierge immortelle. Il est la vie, la cause & la force de toutes choses. Il n’y a qu’une seule Puissance, un seul Dieu, & un seul Roy universel de tout. »

Je finis la Théologie d’Orphée par ce passage fameux de l’Auteur des Argonautiques, qui a suivi la doctrine d’Orphée.[19] « Nous chanterons d’abord un hymne sur l’ancien Cahos ; comment le ciel, la mer & la terre en furent formez. Nous chanterons aussi l’Amour parfait, sage & éternel, qui a débroüillé ce Cahos.[20] »

Il paroît par la doctrine de la Theogonie, ou la naissance des Dieux qui est la même que la Cosmogonie, ou la generation de l’univers, que les anciens Poëtes rapportoient tout à un premier Etre de qui tous les autres émanoient. Le Poëme de la Theogonie d’Hesiode[21] parle de l’Amour comme du premier Principe qui débrouilla le Cahos. « De ce Cahos sortit la nuit ; de la nuit, l’Ether ; de l’Ether, la lumiere ; ensuite les étoiles, les planettes, la terre, & enfin les Dieux qui gouvernent tout. »

Ovide parle aussi le même langage dans le premier Livre de ses Métamorphoses :[22] « Avant qu’il y eût, dit-il, une mer & une terre ; avant qu’il y eût un ciel qui enveloppât le monde, toute la nature étoit une masse informe & grossiere que l’on nomme le Cahos. Les semences de toutes choses étoient dans une perpetuelle discorde ; mais une Divinité bienfaisante termina tous ces differends. » Il est évident par ces paroles que le Poëte Latin, qui a suivi la tradition Grecque, distingue entre le Cahos, & Dieu qui le débrouilla avec intelligence.

Je dois remarquer ici cependant que la Mythologie Grecque & Romaine sur le cahos est bien plus imparfaite que celle des Orientaux & des Egyptiens, qui nous enseignent qu’un état heureux & parfait a précedé le cahos ; que le bon Principe n’a pû rien produire de mauvais ; que son premier ouvrage ne pouvoit pas être la confusion & le désordre ; & enfin que le mal physique n’a été qu’une suite du mal moral. L’imagination des Poëtes Grecs enfanta d’abord la monstrueuse doctrine de Manés sur les deux Principes coéternels ; une Intelligence souveraine, & une Matiere aveugle ; la lumiere, & les ténebres ; un cahos informe, & une Divinité qui le débrouille. Je quitte Hesiode & Ovide, pour parler de la Theologie d’Homere & de Virgile son imitateur. Quiconque lira attentivement ces deux Poëtes Epiques, verra que le merveilleux qui regne dans leurs Fables, est fondé sur ces trois principes : 1o. Qu’il y a un Dieu suprême qu’ils appellent par tout le Pere & le Maître Souverain des Hommes & des Dieux, l’Architecte du monde, le Prince & le Gouverneur de l’univers, le premier Dieu & le grand Dieu. 2o. Que toute la Nature est remplie d’Intelligences subalternes qui sont les ministres de cette Divinité suprême. 3o. Que les biens & les maux, que les vertus & les vices, que les connoissances & les erreurs viennent de l’action & de l’inspiration différente des bons & des mauvais Genies qui habitent l’air, la mer, la terre & le ciel.

Les Poëtes tragiques & lyriques parlent comme les Poëtes épiques. Euripide reconnoît hautement la dépendance de tous les Etres d’un seul Principe : « O ! Pere & Roy des Hommes & des Dieux, dit-il, pourquoi croyons-nous, misérables mortels, sçavoir ou pouvoir quelque chose ? Notre sort dépend de votre volonté.[23] »

Sophocle nous représente la Divinité comme une Intelligence souveraine qui est la Verité, la Sagesse, & la Loi éternelle de tous les Esprits :[24] « La nature mortelle, dit-il, n’a point engendré les loix : Elles viennent d’en-haut : Elles descendent du Ciel même. Jupiter Olympien en est le seul Pere. »

Pindare dit[25] « que Chiron apprenoit à Achille à adorer au-dessus de tous les autres Dieux, Jupiter qui lance la foudre. »

Plaute introduit un Dieu subalterne parlant ainsi :[26] « Je suis citoyen de la cité celeste, dont Jupiter, pere des Dieux & des Hommes, est le chef. Il commande aux Nations, & nous envoye par tous les Royaumes pour connoître les mœurs & les actions, la pieté & la vertu des hommes. C’est en vain que les mortels tâchent de le corrompre par les offrandes & les sacrifices. Ils perdent leur peine, car il a en horreur le culte des impies. »

« Muses, dit Horace, celebrez en premier lieu, selon la coutume de nos peres, le grand Jupiter qui gouverne les mortels & les immortels, la terre, les mers, & tout l’univers. Il n’y a rien de plus grand que lui, rien de semblable, rien d’égal à lui.[27] »

Je finis ce que j’ai à citer des Poëtes par ce passage merveilleux de Lucain. Lorsque Caton arrive au Temple de Jupiter Ammon, après avoir traversé les deserts de la Lybie, Labienus veut lui persuader de consulter l’Oracle. Voici la réponse que le Poëte met à la bouche de ce Philosophe Heros :[28] « Pourquoi me proposez-vous, ô Labienus, de demander à l’Oracle si l’on doit mieux aimer mourir libre les armes à la main, que de voir la tyrannie triompher dans sa patrie ; si cette vie mortelle n’est que le retardement d’une immortalité heureuse ; si la violence peut nuire à un homme de bien ; si la vertu ne nous rend point superieurs aux malheurs, & si la vraye gloire dépend des succès : Nous sçavons déja ces verités, & l’Oracle ne peut pas nous faire des réponses plus claires que celles que Dieu nous fait à tout moment dans le fond de notre cœur. Nous sommes tous unis à la Divinité, elle n’a pas besoin de paroles pour se faire entendre, & elle nous a dit en naissant tout ce que nous avons besoin de sçavoir. Elle n’a pas choisi les sables arides de la Lybie pour y ensevelir la verité, afin qu’elle ne soit entendue que d’un petit nombre de personnes. Elle se fait connoître à tous. Elle remplit tous les lieux, la terre, la mer, l’air, le ciel. Elle habite sur-tout dans l’ame des justes. Pourquoi la chercher plus loin ? »

Passons des Poëtes aux Philosophes, & commençons par Thales Milesien, chef de l’école Ionique. Il vivoit plus de six cens ans avant l’Ere chrétienne.[29] Nous n’avons aucuns de ses ouvrages ; mais voici quelques-unes de ses maximes, qui nous ont été conservées par les auteurs les plus respectables de l’antiquité.

« Dieu est le plus ancien de tous les Etres. Il a produit l’univers plein de merveilles.[30] Il est l’Intelligence qui a débrouillé le caos.[31] Il est sans commencement & sans fin, & rien ne lui est caché.[32] Rien ne peut resister à la force du destin ; mais ce destin n’est autre que la raison immuable, & la puissance éternelle de la Providence.[33] »

Ce qu’il y a de plus surprenant en Thales, c’est sa définition de l’ame. Il l’appelle « un Principe,[34] ou une nature qui se meut elle-même, pour la distinguer de la matiere. »

Pythagore[35] est le second grand Philosophe après Thales, & le chef de l’école Italique.

On sçait l’abstinence, le silence, la retraite & la grande pureté de mœurs qu’il exigeoit de ses disciples. Il avoit senti que l’esprit seul ne peut atteindre à la connoissance des choses divines, à moins que le cœur ne soit épuré de ses passions. Voici les idées qu’il nous donne de la Divinité.

« Dieu n’est ni sensible, ni passible, mais invisible, purement intelligible,[36] & souverainement intelligent.[37] Par son corps, il ressemble à la lumiere, & par son ame à la verité.[38] Il est l’Esprit universel qui penetre, & qui se répand par toute la Nature. Tous les Etres reçoivent leur vie de lui.[39] Il n’y a qu’un seul Dieu, qui n’est pas, comme quelques-uns se l’imaginent, placé au-dessus du monde, hors de l’enceinte de l’univers : mais étant tout entier en soi, il voit tous les Etres qui remplissent son immensité. Principe unique, lumiere du ciel, pere de tous, il produit tout, il arrange tout, il est la raison, la vie, & le mouvement de tous les Etres.[40] »

Il enseignoit qu’outre le premier Principe, il y avoit trois sortes d’Intelligences, les Dieux, les Heros, & les Ames.[41] Il regardoit les premiers comme les images inalterables de la souveraine Intelligence ; les Ames humaines comme les moins parfaites des substances raisonnables ; & les Heros comme des Etres mitoyens placés entre les deux, pour élever les Ames à l’union divine.[42]

Il nous represente ainsi l’Immensité comme remplie d’Esprits de differens ordres.[43] Thales avoit la même idée. Ces deux Sages avoient puisé cette doctrine en Egypte, où l’on croyoit que c’étoit borner la puissance divine, que de la supposer moins feconde en Intelligences, qu’en objets materiels.

C’est là le vrai sens de cette expression fameuse attribuée aux Pythagoriciens, que l’unité a été le principe de toutes choses, & que de cette unité étoit sortie une Dualité infinie. On ne doit pas entendre par cette Dualité deux des personnes de la Trinité Chrétienne, ni les deux Principes de Manes ; mais un monde d’Intelligences & de Corps, qui est l’effet dont l’Unité est la cause.[44] C’est là le sentiment de Porphyre. Il doit être préferé à celui de Plutarque, qui veut attribuer à Pythagore le systême Manichéen, sans en donner aucune preuve.

Pythagore définissoit l’ame comme Thales, un principe qui se meut lui-même.[45] Il soutenoit de plus « qu’en sortant du corps, elle se réunit à l’ame du monde ;[46] qu’elle n’est pas un Dieu, mais l’ouvrage d’un Dieu Eternel,[47] & qu’elle est immortelle à cause de son principe.[48] »

Ce Philosophe croyoit que l’homme étoit composé de trois parties, de l’esprit pur, d’une matiere étherée, qu’il appelloit le char subtil de l’ame, & d’un corps mortel ou grossier. Il étoit encore redevable de cette idée aux Egyptiens, qui l’avoient donnée peut-être aux Hebreux, dont la Theologie distingue[49] l’esprit pur,[50] le corps celeste,[51] & le corps terrestre.

Les Pythagoriciens appellent souvent le char subtil ou le corps celeste, l’Ame, parcequ’ils la regardent comme la vertu active qui anime le corps terrestre. C’est ce qui fait croire à ceux qui n’approfondissent point leur philosophie, qu’ils regardoient la substance pensante comme materielle. Rien n’est plus faux. Ils distinguoient toujours entre l’entendement ou l’esprit pur, & l’ame ou le corps étheréen. Ils regardoient l’un comme la source de nos pensées ; l’autre comme la cause de nos mouvemens, & les croyoient deux substances differentes. Anaxagore, comme nous verrons bien-tôt, redressa cette erreur.

Les anciens Poëtes Grecs avoient déguisé cette opinion. Ils appelloient le corps celeste le simulacre, l’image ou l’ombre, parcequ’ils s’imaginoient que ce corps subtil en descendant du ciel pour animer le corps terrestre, en prenoit la forme, comme la fonte prend celle du moule où on la jette. Ils disoient qu’après la mort, l’esprit revêtu de ce char subtil s’envoloit vers les regions de la Lune, où ils avoient placé les champs Elisées. Selon eux il arrivoit là une seconde mort par la separation de l’esprit pur d’avec son char. L’un se réunissoit aux Dieux, & l’autre restoit dans le sejour des ombres ; c’est pour cela qu’Ulisse dit dans l’Odissée, « qu’il apperçut dans les champs Elisées le divin Hercule, c’est à dire son image, continue le Poëte, car pour lui il est avec les Dieux immortels, & assiste à leurs festins.[52] »

Pythagore n’adoptoit point la fiction poëtique de la seconde mort. Il enseignoit que le pur esprit & son char subtil étant nés ensemble, étoient inseparables, & retournoient après la mort à l’astre d’où ils étoient descendus.

Je ne parle point ici de la Metempsycose, elle ne regardoit que les ames qui s’étoient dégradées & corrompues dans les corps mortels. J’en parlerai dans la seconde partie de ce discours.

Je finis l’article de Pythagore par le sommaire que saint Cyrille fait de la doctrine de ce Philosophe. Nous voyons clairement, dit ce Pere « que Pythagore soutenoit qu’il y avoit un seul Dieu, principe & cause de toutes choses, qui éclaire tout, qui anime tout, de qui tout émane, qui a donné l’être à tous, & qui est l’origine du mouvement.[53] »

Après Pythagore vient Anaxagore[54] de la Secte Ionique, né à Clazomene, & maître de Pericles Heros Athenien. Ce Philosophe fut le premier après Thales dans l’Ecole Ionique qui sentit la necessité d’introduire une souveraine Intelligence pour la formation de l’Univers. Il rejetta avec mépris, & refuta avec force la doctrine de ceux qui soutenoient[55] que la nécessité aveugle, & les mouvemens fortuits de la matiere avoient produit le monde. Il tâcha de prouver qu’une Intelligence pure & sans mêlange préside à l’Univers.

Selon le rapport d’Aristote, les raisonnemens d’Anaxagore étoient fondés sur ces deux principes, 1o. « que l’idée de la matiere ne renfermant pas celle de force, le mouvement ne peut pas être une de ses proprietés. Il faut par consequent, disoit-il, chercher ailleurs la cause de son activité. Or ce principe actif, en tant que cause du mouvement, il l’appelloit l’Ame, parcequ’il anime l’Univers.[56] »

2o. « Il distinguoit entre ce principe universel du mouvement, & le principe pensant, il appelloit ce dernier Entendement. [57] Il ne voyoit rien dans la matiere qui fût semblable à cette proprieté, de là il concluoit qu’il y avoit dans la Nature une autre substance que la matiere. Mais il ajoûtoit que l’ame & l’esprit étoient la même substance, qu’on distinguoit selon ses operations, & que de toutes les Essences, elle étoit la plus simple, la plus pure, & la plus exempte de mêlange. »

Ce Philosophe passoit à Athenes pour un Athée, parcequ’il nioit que les astres & les planetes fussent des Dieux.[58] Il soutenoit que les premiers étoient des soleils, & les autres des mondes habitables. Le systême de la pluralité des mondes, est très ancien.

Platon[59] accuse Anaxagore d’avoir expliqué tous les phenomenes de la Nature par la matiere & le mouvement. Descartes n’a fait que renouveller ce sentiment. Il me semble que c’est avec grande injustice qu’on attaqueroit le Philosophe de Clazomene, ou son imitateur, puisque l’un & l’autre pose pour principe que le mouvement n’est pas une proprieté de la matiere, & que les loix du mouvement sont établies avec connoissance & dessein. En supposant ces deux principes, il me paroît que c’est avoir une idée plus noble & plus digne de la Divinité, de soutenir qu’étant presente à son ouvrage, Elle donne la vie, l’être & le mouvement à toutes les creatures ; que d’imaginer avec les Peripateticiens des Intelligences subalternes, des formes substantielles, des Etres Mitoyens & indéfinissables, qui produisent tous les différens arrangemens de la matiere. Aristote & son Ecole en multipliant les causes secondes, ont dérobé à la Cause premiere sa puissance & sa gloire.

Socrate[60] suit de près Anaxagore. On dit vulgairement qu’il a été martyr de l’Unité divine pour avoir refusé son hommage aux Dieux de la Grece, mais c’est une erreur. Dans l’apologie que Platon fait de ce Philosophe, Socrate reconnoît des Dieux subalternes, & enseigne que les astres & le soleil sont animés par des Intelligences à qui il faut rendre un culte divin. Le même Platon dans son dialogue sur la sainteté[61] nous apprend que Socrate ne fut point puni pour avoir nié qu’il y eût des Dieux inferieurs, mais parcequ’il déclamoit hautement contre les Poëtes qui attribuoient à ces divinités des passions humaines, & des crimes énormes.

En supposant plusieurs divinités inferieures, Socrate n’admettoit cependant qu’un seul Principe Eternel. Xenophon nous a laissé un excellent abregé de la Theologie de ce Philosophe. C’est peut-être le plus important morceau qui nous reste de l’antiquité. Il contient les entretiens de Socrate avec Aristodeme qui doutoit de l’existence de Dieu. Socrate lui fait remarquer d’abord tous les caracteres de dessein, d’art & de sagesse répandus dans l’univers, & sur-tout dans la mécanique du corps humain.[62] « Croyez-vous, dit-il ensuite à Aristodeme, croyez-vous que vous soyez le seul Etre Intelligent, vous sçavez que vous ne possedez qu’une petite parcelle de cette matiere qui compose le monde, une petite portion de l’eau qui l’arrose, une étincelle de cette flâme qui l’anime ; l’Intelligence vous appartient-elle en propre ? L’avez-vous tellement retirée & renfermée en vous-même, qu’elle ne se trouve nulle part ailleurs ? Le hazard fait-il tout sans qu’il y ait aucune sagesse hors de vous ? »

Aristodeme ayant repliqué qu’il ne voyoit point ce sage architecte de l’Univers, Socrate lui répond : « Vous ne voyez pas non plus l’ame qui gouverne votre corps, & qui regle tous ses mouvemens ; vous pourriez aussi-bien conclure que vous ne faites rien avec dessein & raison, que de soutenir que tout se fait par hazard dans l’Univers. »

Aristodeme ayant reconnu un Etre souverain, doute cependant de la Providence, parcequ’il ne comprend pas comment Elle peut tout voir à la fois. Socrate lui replique : « Si l’Esprit qui reside dans votre corps le meut & le dispose selon sa volonté, pourquoi la Sagesse souveraine qui préside à l’Univers, ne peut-elle pas aussi regler tout comme il lui plaît. Si votre œil peut voir les objets à la distance de plusieurs stades ; pourquoi l’œil de Dieu ne peut-il pas tout voir à la fois. Si votre ame peut penser en même tems à ce qui est à Athenes, en Egypte, & en Sicile, pourquoi la Sagesse divine ne peut-Elle pas avoir soin de tout, étant presente par-tout à son ouvrage. »

Socrate sentant enfin que l’incredulité d’Aristodeme venoit plutôt de son cœur que de son esprit, conclud par ces paroles : « O ! Aristodeme appliquez-vous sincerement à adorer Dieu, il vous éclairera, & tous vos doutes se dissiperont bientôt. »

Platon[63] disciple de Socrate suit les mêmes principes. Il vivoit dans un temps où la doctrine de Democrite avoit fait de grands progrès à Athenes. Le dessein de toute sa Theologie, est de nous donner des sentimens nobles de la Divinité ; de nous montrer que les ames n’ont été condamnées à animer des corps mortels que pour expier les fautes commises dans un état precedent ; & d’enseigner enfin que la Religion est le seul moyen de nous rétablir dans notre premiere grandeur. Il meprise tous les dogmes de la superstition Atheniene, & tâche d’en purger la Religion. Le principal objet de ce Philosophe est l’homme immortel. Il ne parle de l’homme politique que pour montrer que le plus court chemin de l’immortalité est de remplir pour l’amour du beau les devoirs de la societé civile.

Platon dans un de ses Dialogues définit Dieu la cause productrice qui fait exister ce qui n’étoit pas auparavant.[64] Il semble par-là qu’il ait eu une idée de la création. La matiere selon lui n’étoit éternelle que parcequ’elle étoit produite de tout temps. Il ne l’a jamais regardée comme independante de Dieu, ni comme une émanation de sa substance ; mais comme une veritable production.[65] Il est vrai que dans son Timée Locrien[66] il appelle quelquefois la substance divine une matiere incréée ; mais il la distingue toujours de l’univers sensible, qui n’en est qu’un effet, & une production.

Il n’est pas surprenant que Platon aidé de la seule lumiere naturelle ait connu la création. Cette verité ne renferme aucune contradiction. En effet quand Dieu crée, il ne tire pas l’Etre du néant comme d’un sujet sur lequel il opere ; mais il fait exister ce qui n’étoit pas précedemment. L’idée de puissance infinie suppose nécessairement celle de pouvoir produire de nouvelles substances, aussi bien que de nouvelles formes. Faire exister une substance qui n’existoit pas auparavant, ne paroît pas plus inconcevable que de faire exister une forme qui n’étoit pas auparavant ; puisque dans l’un & dans l’autre cas on produit un Etre nouveau. Ce passage du Néant à l’Etre embarasse également dans tous les deux. Or comme on ne nie pas qu’il y ait une force mouvante, quoiqu’on ne conçoive pas comment elle agit ; de même il ne faut pas nier qu’il y ait une puissance créatrice, parceque nous n’en avons pas une idée claire.

Revenons à Platon.[67] « Il appelle Dieu le souverain Architecte qui a créé l’univers & les Dieux, & qui fait tout ce qu’il lui plaît dans le Ciel, sur la terre, & aux Enfers. »

Il considere la Divinité dans sa solitude éternelle avant la production des Etres finis. Il dit souvent après les Egyptiens « que cette premiere source de la Divinité est environnée de tenebres épaisses ; que nul mortel ne peut les penetrer ; & qu’il ne faut adorer ce Dieu caché que par le silence. C’est ce premier principe qu’il appelle en plusieurs endroits l’Etre, l’unité, le bien souverain.[68] Le même dans le monde intelligent, que le soleil dans le monde visible. » C’est selon Platon cette fontaine de la Divinité que les Poëtes nommoient Cœlus.

Ce Philosophe nous represente ensuite le premier Etre comme sortant de son unité pour considerer toutes les differentes manieres par lesquelles il peut se dépeindre au dehors. Par là se forme dans l’entendement divin, le monde intelligible contenant les idées de toutes choses, & les vérités qui en resultent. Platon distingue toujours entre le bien suprême, & cette sagesse qui n’en est que l’émanation. « Ce qui nous presente la verité, dit-il, & ce qui nous donne la raison, est le bien suprême. Cet Etre est la cause, & la source de la verité.[69] Il l’a engendrée semblable à lui-même.[70] Comme la lumiere n’est pas le Soleil, mais son émanation ; de même, la verité n’est pas le premier principe, mais son émanation. Comme le Soleil non seulement éclaire les corps, & les rend visibles, mais encore qu’il contribue à leur generation, & à leur accroissement : de même le bien suprême fait non seulement connoître les creatures, mais il leur donne aussi leur être & leur existence. » C’est cette émanation qu’il appelle Saturne, ou le fils de Cœlus.

Il considere enfin la cause productrice comme animant l’Univers & lui donnant la vie & le mouvement. Dans le dixiéme livre de ses Loix[71] il prouve que la cause du mouvement ne peut pas être corporelle, parceque la matiere n’est point active par elle-même & suppose un autre principe pour la mouvoir. Il nomme ce premier Moteur l’ame du monde & Jupiter, ou le fils de Saturne. On voit par-là que la Trinité de Platon ne renferme que trois attributs de la divinité, & nullement trois personnes.

Aristote Disciple de Platon & Prince des Philosophes Peripateticiens appelle Dieu «[72] l’Etre éternel, & vivant, le plus noble de tous les Etres, une substance totalement distincte de la matiere, sans étendue, sans division, sans parties, & sans succession, qui comprend tout par un seul acte, qui demeurant immobile en soi remue tout, & qui possede en lui-même un bonheur parfait, parcequ’il se connoît lui-même, & se contemple avec un plaisir infini. »

Dans sa Metaphysique il pose pour principe « que Dieu[73] est une intelligence souveraine qui agit avec ordre, proportion, & dessein, & qu’il est la source du bon, du beau, & du juste. »

Dans son Traité de l’ame, il dit que « l’intellect suprême[74] est par sa nature le plus ancien de tous les Etres, qu’il a une domination souveraine sur tous. » Il dit ailleurs[75] que « le premier principe n’est ni le feu, ni la terre, ni l’eau, ni rien de sensible, mais que l’esprit est la cause de l’univers, & la source de tout l’ordre, & de toutes les beautés, aussi-bien que de tous les mouvemens, & de toutes les formes qu’on y admire. »

Ces passages prouvent qu’Aristote ne soutenoit l’éternité du monde que comme d’une émanation posterieure en nature à l’intelligence divine, qui étant tout acte & toute énergie ne pouvoit pas demeurer dans l’oisiveté.

Outre cette substance premiere & éternelle, il reconnoît plusieurs autres intelligences qui président aux mouvemens des Spheres Celestes. « Il n’y a, dit-il, qu’un seul premier Moteur & plusieurs dieux subalternes.[76] Tout ce qu’on a ajouté sur la forme humaine de ces divinités sont des fictions faites exprès pour instruire la Multitude, & pour faire observer les bonnes Loix. Il faut reduire tout à une seule substance primitive, & à plusieurs substances subordonnées, qui gouvernent sous elle. Voilà la pure doctrine des anciens échappée du naufrage des erreurs vulgaires, & des fables poëtiques. »

Ciceron vivoit dans un temps, où la corruption des mœurs, & le libertinage d’esprit, étoient parvenus à leur comble. La Secte d’Epicure avoit prevalu à Rome sur celle de Pythagore, & les esprits les plus sages en raisonnant sur la nature Divine se contentoient de flotter entre les deux opinions, d’une intelligence souveraine & d’une matiere aveugle. Ciceron dans son Traité sur la nature des Dieux, plaide la cause des Academiciens qui doutoient de tout. Il est à remarquer cependant qu’il refute fort bien Epicure dans son premier livre, & que les objections qu’il fait dans son troisiéme comme Academicien, sont beaucoup plus foibles que les preuves fondées sur les merveilles de la nature, qu’il rapporte dans son second livre, pour démontrer l’existence d’une intelligence souveraine.

Dans ses autres ouvrages, & sur tout dans son livre des loix, il nous dépeint « l’Univers comme une Republique[77] dont Jupiter est le Prince & le pere commun. La grande Loi imprimée dans le cœur de tous les Hommes, est d’aimer le bien public, & les membres de la société comme soi-même. Cet amour de l’ordre est la souveraine justice, & cette justice est aimable par elle-même. Si l’on ne l’aime que pour l’utilité qu’elle procure, on n’est pas bon, mais politique. La souveraine injustice, c’est d’aimer la justice seulement pour la récompense. En un mot la Loi universelle, immuable, éternelle de toutes les intelligences est de chercher le bonheur les unes des autres comme les enfans d’un même pere. »

Il nous represente ensuite Dieu comme une sagesse souveraine à l’autorité de qui toutes les natures intelligentes peuvent encore moins se soustraire que les natures corporelles. « Selon l’opinion des plus sages & des plus grands genies, dit ce Philosophe,[78] la Loi n’est pas une invention de l’esprit humain, ni l’établissement arbitraire des peuples, mais une suite de la raison éternelle, qui gouverne l’Univers. »

« L’outrage que Tarquin fit à Lucrece, continue-t-il, n’en étoit pas moins criminel, parcequ’il n’y avoit point encore de Loi écrite à Rome contre ces sortes de violences. Ce Tyran manqua à la Loi éternelle qui n’a pas commençé à être Loi, lorsqu’elle a été écrite, mais lorsqu’elle a été faite. Or son origine est aussi ancienne que l’esprit divin. Car la vraye, la primitive, & la principale Loi n’est autre que la souveraine raison du grand Jupiter.[79] Cette loi, dit-il ailleurs, est universelle, éternelle, immuable. Elle ne varie point selon les lieux & les temps. Elle n’est pas differente aujourd’hui de ce qu’elle étoit autrefois. La même Loi immortelle regle toutes les nations, parcequ’il n’y a qu’un seul Dieu, qui a enfanté & publié cette Loi. »

Quelle idée ne nous donne pas Ciceron de la nature de l’ame dans son Traité de la consolation. [80] « Thalès, dit-il, qu’Appollon lui-même déclara le plus sage de tous les hommes, a toujours soutenu que l’ame est une parcelle de la substance divine, & qu’elle retourne dans le Ciel sitôt qu’elle est degagée du corps mortel. Tous les Philosophes de l’Ecole Italique, ont suivi ce sentiment. C’est leur doctrine constante que les ames descendent du Ciel, & qu’elles sont non seulement l’ouvrage de la Divinité, mais une participation de son essence. »

« Si quelqu’un doute de ces verités, continue-t-il, il est facile de les prouver : la nature immortelle de l’ame est demontrée par deux proprietés que nous y reconnoissons, son activité & sa simplicité.

« Elle est active par elle-même ; elle est la source de tous ses propres mouvemens ; elle n’a point de principe d’où elle emprunte sa force : Elle est par consequent une image de la Divinité, & une émanation de sa lumiere. Or si Dieu est immortel, comment l’ame qui en est une partie peut-elle perir.

« De plus l’ame est d’une nature simple, sans mélange, & sans composition ; elle n’a rien de commun avec les Elemens, rien qui ressemble à la terre, à l’eau, à l’air, au feu. On ne voit dans la matiere aucune propriété semblable à la memoire qui retient le passé, à la raison qui prevoit l’avenir, à l’esprit qui comprend le present. Toutes ces qualités sont divines, & ne peuvent venir que de Dieu seul. L’ame qui sort de Dieu participe à son éternité. C’est cette esperance qui rend les sages tranquilles aux approches de la mort. C’est cette attente qui fit boire à Socrate avec joye la coupe fatale. Les ames enfoncées dans la matiere craignent la dissolution de ce corps, parcequ’elles ne songent à rien qu’à ce qui est terrestre. O pensée honteuse, & qui doit faire rougir les mortels. L’homme est la seule creature sur la terre qui soit alliée à la Divinité, & qui en ait la connoissance ; cependant il est assez aveugle & insensé pour oublier son origine celeste, & pour craindre de retourner dans sa patrie. »

Tels étoient les raisonnemens de Ciceron lorsqu’il consultoit ses lumieres naturelles, & que l’envie de faire briller son esprit ne l’engageoit plus à défendre la doctrine des Pyrrhoniens.

Ecoutons enfin Seneque le Stoïcien. Il étoit precepteur de Neron & vivoit dans un siécle où le christianisme n’étoit pas assez respecté pour que les payens en empruntassent des lumieres philosophiques.

« Il importe peu, dit-il,[81] de quel nom on appelle la premiere nature, & la divine raison qui preside à l’univers, & qui en remplit toutes les parties ; c’est toujours le même Dieu. On le nomme Jupiter flateur, non comme disent les Historiens, parcequ’il arrêta les armées Romaines qui fuyoient, mais parcequ’il est le ferme appui de tous les Etres. On peut l’appeller Destin, parcequ’il est la premiere cause d’où dépendent toutes les autres. Nos Stoïciens l’appellent tantôt le pere Bacchus, parcequ’il est la vie universelle qui anime la nature ; Hercule, parceque sa puissance est invincible ; Mercure, parcequ’il est la raison, l’ordre, & la sagesse éternelle. Vous pouvez lui donner autant de noms que vous voudrez, pourvû que vous n’admettiez qu’un seul principe present partout. »

Seneque considere après Platon, l’entendement divin comme contenant en soi le modéle de toutes choses, qu’il appelle les idées immuables, & toutes-puissantes. « Tout ouvrier, dit-il,[82] a un modéle sur lequel il forme son ouvrage ; n’importe si ce modéle existe hors de lui devant ses yeux, ou s’il se forme en lui par l’effort de son propre genie : Dieu produit ainsi au dedans de lui-même ce modéle parfait qui est la proportion, l’ordre & la beauté de tous les Etres. »

« Les anciens, dit-il ailleurs,[83] ne croyoient point Jupiter tel que nous le representons dans le Capitole & dans les autres Edifices : Mais ils entendoient par Jupiter, le Gardien & le Gouverneur de l’univers, l’entendement & l’esprit, le maître & l’ouvrier de cette grande machine. Tous les noms lui conviennent, vous ne vous trompez pas en l’appellant Destin, parcequ’il est la cause des causes de qui tout dépend. Voulez-vous l’appeller Providence, vous ne vous trompez point, c’est par sa sagesse que ce monde se gouverne. Voulez-vous l’appeller Nature, vous ne pecherez pas, c’est de lui que tous les Etres sont nés ; & par lui qu’ils respirent. »

On ne peut lire sans admiration les ouvrages d’Epictete, d’Arrien son disciple, & de Marc-Antonin. On y trouve des regles de Morale dignes du Christianisme. Ces disciples de Zenon croyoient cependant comme leur maître qu’il n’y avoit qu’une seule substance ; que l’intelligence souveraine étoit materielle ; que son essence étoit un pur Ether qui remplissoit tout par diffusion locale. L’erreur de ces Corporalistes ne prouve pas qu’ils ayent été Athées. Une fausse idée sur la Divinité ne forme point l’atheisme. Ce qui constitue l’Athée, n’est pas de soutenir avec les Stoïciens que l’etendue & la pensée peuvent être des proprietés de la même substance, ni avec Pythagore & Platon que la matiere est une production éternelle de la Divinité. Le véritable Atheisme consiste à nier qu’il y ait une intelligence souveraine qui ait produit le monde par sa puissance, & qui le gouverne par sa sagesse.

Voyons enfin quel sentiment avoient les Peres de l’Eglise sur la Theologie des Payens. Ils étoient à portée de la connoître à fond, par les frequentes disputes qu’ils avoient avec eux. Il faut craindre dans une matiere aussi délicate, de s’abandonner à ses propres conjectures. Ecoutons la sage Antiquité Chretienne.

Arnobe introduit les Payens se plaignant de l’injustice des Chrétiens. « C’est une calomnie,[84] disent ces Payens, de nous imputer le crime, de nier un Dieu suprême. Nous l’appellons Jupiter le très-grand, & le très-bon ; nous lui dedions nos plus superbes Edifices & nos Capitoles, pour marquer que nous l’exaltons au-dessus de toutes les autres Divinités. »

«[85] Saint Paul insinue dans sa prédication à Athenes, dit Saint Clement Alexandrin, que les Grecs connoissoient la Divinité. Il suppose que ces peuples adorent le même Dieu que nous, quoique ce ne soit pas de la même maniere. Il ne nous défend point d’adorer le même Dieu que les Grecs, mais il nous défend de l’adorer de la même façon. Il nous ordonne de changer la maniere de notre culte, & nullement l’objet. »

« Les Payens, dit Lactance,[86] qui admettent plusieurs Dieux, disent cependant que ces Divinités subalternes president tellement à toutes les parties de l’univers, qu’il n’y a qu’un seul Recteur & Gouverneur suprême : de-là il suit que toutes les autres puissances invisibles ne sont pas des Dieux, mais des Ministres ou des Deputés de ce Dieu unique, très-grand, & tout-puissant, qui les a constitués pour executeurs de ses volontés. »

Eusebe de Cesarée ajoute :[87] « Les payens reconnoissoient qu’il n’y avoit qu’un seul Dieu, qui remplit tout, qui penetre tout, & preside tout. Mais ils croyent qu’étant present à son ouvrage d’une maniere incorporelle & invisible, c’est avec raison qu’on l’adore dans ses effets visibles & corporels. »

Je finis par un fameux passage de saint Augustin qui reduit le Polytheisme des Payens à l’unité d’un seul principe. « Jupiter, dit ce Pere,[88] est selon les Philosophes l’ame du monde qui prend des noms differens selon les effets qu’il produit. Dans les espaces étherées on l’appelle Jupiter, dans l’air Junon, dans la Mer Neptune, dans la terre Pluton, aux Enfers Proserpine, dans l’Element du feu Vulcain, dans le Soleil Phœbus, dans les devins Appollon, dans la Guerre Mars, dans la Vigne Bacchus, dans les moissons Cerès, dans les bois Diane, dans les sciences, Minerve. Toute cette foule de Dieux & de Déesses ne sont que le même Jupiter, dont on exprime les differentes vertus par des noms differens. »

Il est donc évident par le témoignage des Poëtes profanes, des Philosophes Gentils, & des Peres de l’Eglise, que les Payens reconnoissoient une seule Divinité suprême. Les Orientaux, les Egyptiens, les Grecs, les Romains & toutes les Nations enseignoient universellement cette vérité.

Vers la cinquantiéme Olympiade six cens ans avant l’Ere Chrétienne, les Grecs ayant perdu les sciences traditionnelles des Orientaux, negligerent la doctrine des Anciens, & commencerent à raisonner sur la nature divine par les prejugés des sens & de l’imagination. Anaximandre vivoit alors, il fut le premier qui voulut bannir de l’univers, le sentiment d’une intelligence souveraine, pour reduire tout à l’action d’une matiere aveugle qui prend nécessairement toutes sortes de formes. Il fut suivi par Leucippe, Democrite, Epicure, Straton, Lucrece, & toute l’Ecole des Atomistes.

Pythagore, Anaxagore, Socrate, Platon, Aristote, & tous les Grands Hommes de la Grece, se souleverent contre cette doctrine impie, & tâcherent de rétablir l’ancienne Theologie des Orientaux. Ces genies superieurs voyoient dans la nature, mouvement, pensée, dessein. Or comme l’idée de la matiere, ne renferme aucune de ces trois proprietés, ils concluoient qu’il y avoit dans la nature une autre substance que la matiere.

La Grece s’étant ainsi partagée en deux Sectes, on disputa long-temps de part & d’autre sans se convaincre. Vers la 120e Olympiade Pyrrhon forma une troisiéme Secte dont le Grand principe étoit de douter de tout & de ne rien decider.[89]. Tous les Atomistes qui avoient cherché en vain une démonstration de leurs faux principes, se réunirent bien-tôt à la Secte Pyrrhonienne, ils s’abandonnerent follement au doute universel, & parvinrent peu après à un tel excès de phrenesie, qu’ils douterent des verités les plus claires & les plus sensibles. Ils soutinrent sans allegorie que tout ce qu’on voit n’est qu’une illusion, & que la vie entiere est un songe perpetuel dont ceux de la nuit ne sont que des images.

Enfin Zenon établit une quatriéme Ecole, vers la cent trentiéme Olympiade. Ce Philosophe tâcha de concilier les disciples de Democrite avec ceux de Platon en soutenant que le premier principe étoit une sagesse infinie, mais que son essence étoit un pur Ether, ou une lumiere subtile qui se répandoit par-tout pour donner la vie, le mouvement, & la raison à tous les Etres.

Dans ces derniers temps on n’a fait que renouveller les anciennes erreurs. Jordano Bruno, Vanini, & Spinoza ont rappellé le monstrueux systême d’Anaximandre. Et ce dernier a tâché d’éblouir les ames foibles, en donnant une forme geometrique à ce systême.

Quelques Spinosistes sentant que l’évidence leur échappe à tout moment dans les prétendues démonstrations de leur maître, sont tombés dans une espece de Pyrrhonisme insensé, nommé l’Egomisme, où chacun se croit le seul être existent.

M. Hobbès & plusieurs autres Philosophes sans se déclarer athées osent soutenir que la pensée & l’étendue peuvent être des proprietés de la même substance.

Descartes, le Pere Malebranche, Leibnitz, Bentley, le Dr. Clarke, & plusieurs Metaphysiciens d’un génie également subtil & profond tâchent de réfuter ces erreurs, & de confirmer par leur raisonnement l’ancienne Theologie. Ils ajoutent aux preuves tirées des effets, celles qu’on tire de l’idée de la premiere cause : ils font sentir que les raisons de croire sont infiniment plus fortes que celles qu’on a de douter. C’est tout ce qu’il faut chercher dans les discussions Metaphysiques.

L’histoire des temps passés est semblable à celle de nos jours. L’esprit humain prend à peu près les mêmes formes dans les différens siécles. Il s’égare dans les mêmes routes. Il y a des erreurs universelles, comme des verités immuables. Il y a des maladies periodiques pour l’esprit, comme pour les corps.



  1. Herod. Clio lib. 1. p. 56. § 131. Edit. Francof. 1608.
  2. Strabon. lib. 15. p. 732. Edit. Lut. Paris. an. 1620.
  3. Plut. de Isid. & Osir. Edit. Lut. Paris. an. 1624. p. 370.
  4. Μεσίτης θεός.
  5. Euseb. Prœp. Evang. lib. 1. p. 42. Edit. Paris.
  6. Pocok. Specil. hist. Arab. p. 146.
  7. Hydde Relig. ant. Persar. cap. 9. p. 161. & cap. 22. p. 290.
  8. Plut. de Isid. & Osir. p. 354.
  9. Ibid. p. 373. 374. & 375.
  10. Voyez Athan. Kirch. Oedip. Ægypt. tom. 1. p. 144. jusqu’à la p. 157. & tom. 2. p. 132.
  11. p. 377. & 378.
  12. Orig. contre Celse liv. 1. p. 11.
  13. Strom. lib. 6. p. 133.
  14. Contra Julian. lib. 1.
  15. Jambl. de Myst. Ægypt. Edit. Lug. an. 1552. p.153. 154.
  16. Suidas de Orph. p. 350.
  17. Cedrenus, p. 47.
  18. Proclus de Timæo p. 95.
  19. Argon. Steph. p. 71. Edit. Fugger. an. 1566.
  20. ℣. 423. Πρεσβύτατον τὲ καὶ αὐτο τελῆ πολυμητιν ἔρωτα.
  21. Hesiode Theog. Edit. Steph. ℣. 120. Ἠδ’ Ἔρος ὃς κάλλιστος ἐν ἀθανάτοισι θεοῖσι.
  22. Ovid. Met. 1. p. 1.
  23. Eurip. sup. act. 3. ℣. 734. & c. Ed. Cant.
  24. In Oedip. Tyran.
  25. Pyth. Ode 6. p. 265. Edit. Oxon.
  26. Plaut. Rudens.
  27. Liv. 1. Ode 12.
  28. Lucan lib. IX. ℣. 566.
  29. Flor. Olymp. l.
  30. Diog. Laert. vita Thal. lib. 1.
  31. Cicer. de Nat. Deor. lib. 1. p. 1113. Edit. Amst. 1661.
  32. S. Clem. Alex. Strom V.
  33. Stob. Eccl. Phys. cap. 8.
  34. Plut. de Plac. Phil. lib. 4. c. 2. Stob. Eccl. Phys. cap. 40.
  35. Flor. Olymp. LX.
  36. Plut. vita Numæ.
  37. Diog. Laert. lib. 12.
  38. Vit. Pyth. Porphyr.
  39. Lact. Inst. lib. V.
  40. Cohort. 1. ad Grec. p. 18. S. Just.
  41. Diog. Laert. lib. VIII.
  42. Hierocl. Comm. in Carm. aurea Pyth.
  43. Laert. de Pyth. Cic. de Leg. lib. 2. p. 1197.
  44. Porphyr. vita Pyth.
  45. Plut. Plac. Phil. lib. 4. cap. 2.
  46. Cicer. de Senect. cap. 21.
  47. Ibid. de Nat. Deor. lib. 2.
  48. Tuscul. lib. 1. & de Consol. p. 1300.
  49. Πνεῦμα.
  50. Ψύχη.
  51. Σῶμα.
  52. Odyss. liv. II. p. 167.
  53. S. Cyril. contra Julian. lib. 1. p. 85.
  54. Flor. Olymp. LXXX.
  55. Plut. vita Peric.
  56. Arist. de anim. lib 1. cap. 2. p. 619. Edit. Lut. Paris. 1629.
  57. Ibid. p. 620.
  58. Plat. de Legib. 10. p. 886.
  59. Plat. Phœdon. p. 73.
  60. Flor. Olymp. XC.
  61. Plat. Eutyph. page 5. & 6.
  62. Xen. Mem. Soc. Edit. Basil. 1579. lib. 1. p. 573.
  63. Olymp. c.
  64. Ποιητικὴν πᾶσαν ἔφαμεν εἶναι, δύναμιν ἥ τις ἄν αἰτία γίγνηται τοῖς μὴ πρότερον οὖσιν ὕστερον γίγνεσθαι. Plat. Sophist. p. CLXXXV. Edit. Franc. 1602.
  65. Voyez Cic. Tusc. quæst. lib. 1. p. 1059. Possumus-ne dubitare quin mundo præsit aliquis effector, ut Platoni videtur, vel moderator tanti operis, ut Aristoteli placet.
  66. Plat. Tim. Loc. pag. 1089. Ἰδέαν, ὕλαν, αἰσθητόν τε, ἔκγονον τουτέων.
  67. Plat. de Repub. Lib. X. p. 749.
  68. De Repub. Lib. 6. p. 686.
  69. De Repub. Lib. VI. p. 687.
  70. Ibid. τοῦτον τοίνυν φάναι με λέγειν τὸν τοῦ ἀγαθοῦ ἔκγονον ὃν τἀγαθὸν ἐγέννησεν ἀνάλογον ἑαυτῷ.
  71. Lib. X. p. 951. 952.
  72. Arist. Ed. Paris 1629. Metaph. Lib. XIV. Cap. 7. p.1000.
  73. Metaphy. Lib. XIV. Cap. 10. p. 1005.
  74. Id. de anim. lib. I. Cap. VII. p. 628.
  75. Met. Lib. I. Cap. 2. & 3. p. 844. & 845.
  76. Met. Lib. XIV. Cap. 8. p. 1003.
  77. Cic. de Leg. Ed. Amst. 1661 lib. 1. p. 1188. 1189. 1190. 1191, &c.
  78. Cic. de leg. lib. 2. p. 1194.
  79. Frag. de la repub. de Cicer. conservé par Lactance lib. VI Cap. 8.
  80. Cicer. de Consol. p. 1300.
  81. Senec. Edit. Ant. à Lipsio 1632. de Benef. Lib. 4. p. 311.
  82. Senec. Epist. 65. p. 493.
  83. Ibid. Natur. quæst. lib. 2. p. 715.
  84. Arnob. Lib. 1. p. 19.
  85. Strom liv. VI. p. 635.
  86. Lib. 1. p. 16.
  87. Præp. Evang. lib. 3. cap. 13. p. 105.
  88. S. August. de Civit. Dei, lib. IV. cap. XI.
  89. Olymp.CXX.