Aller au contenu

Lettres écrites d’Égypte et de Nubie en 1828 et 1829/12

La bibliothèque libre.
DOUZIÈME LETTRE.



Séparateur




Biban-el-Molouk (Thèbes), le 25 mars 1829.


J’ai écrit un mot en courant, le 11 de ce mois ou environ, que le consul général d’Autriche, M. Acerbi, quittant la ville royale, m’a promis d’expédier d’Alexandrie par le premier bâtiment partant pour l’Europe. J’annonçais notre arrivée, en très-bonne santé (tous tant que nous sommes), à Thèbes, où nous rentrâmes le 8 mars au matin, après avoir heureusement terminé notre voyage de Nubie et de la haute Thébaïde ; nos barques furent amarrées au pied des colonnades du palais de Louqsor, que nous avons étudié et exploité jusqu’au 23 du mois courant. Je tenais à profiter de nos barques pour notre travail de Louqsor, parce que ce magnifique palais, le plus profane de tous les monuments de l’Égypte, obstrué par des cahuttes de fellah, qui masquent et défigurent ses beaux portiques, sans parler de la chétive maison d’un brin-bachi, juchée sur la plate-forme violemment percée à coups de pic, pour donner passage aux balayures du Turc, qui sont dirigées sur un superbe sanctuaire sculpté sous le règne du fils d’Alexandre-le-Grand ; ce magnifique palais, dis-je, ne nous offrait aucun local commode ni assez propre pour y établir notre ménage. Il a donc fallu garder notre maasch, la dahabié et les petites barques, jusqu’au moment où nos travaux de Louqsor ont été finis.

Nous passâmes sur la rive gauche le 23, et après avoir envoyé notre gros bagage à une maison de Kourna, que nous a laissée un très-brave et excellent homme nommé Piccinini, agent de M. d’Anastasy à Thèbes, nous avons tous pris la route de la vallée de Biban-el-Molouk, où sont les tombeaux des rois de la XVIIIe et de la XIXe dynastie. Cette vallée étant étroite, pierreuse, circonscrite par des montagnes assez élevées et dénuées de toute espèce de végétation, la chaleur doit y être insupportable aux mois de mai, juin et juillet ; il importait donc d’exploiter cette riche et inépuisable mine à une époque où l’atmosphère, quoique déjà fort échauffée, est cependant encore supportable. Notre caravane s’y est donc établie le jour même, et nous occupons le meilleur logement et le plus magnifique qu’il soit possible de trouver en Égypte. C’est le roi Rhamsès (le ive de la XIXe dynastie) qui nous donne l’hospitalité, car nous habitons tous son magnifique tombeau, le second que l’on rencontre à droite en entrant dans la vallée de Biban-el-Molouk. Cet hypogée, d’une admirable conservation, reçoit assez d’air et assez de lumière pour que nous y soyons logés à merveille ; nous occupons les trois premières salles, qui forment une longueur de 65 pas ; les parois, de 15 à 20 pieds de hauteur, et les plafonds sont tout couverts de sculptures peintes, dont les couleurs conservent presque tout leur éclat ; c’est une véritable habitation de prince, à l’inconvénient près de l’enfilade des pièces ; le sol est couvert en entier de nattes et de roseaux ; enfin, les deux kaouas (nos gardes du corps) et les domestiques couchent dans deux tentes dressées à l’entrée du tombeau. Tel est notre établissement dans la vallée des rois, véritable séjour de la mort, puisqu’on n’y trouve ni un brin d’herbe, ni êtres vivants, à l’exception des schacals et des hyènes qui, l’avant-dernière nuit, ont dévoré, à cent pas de notre palais, l’âne qui avait porté mon domestique barabra Mohammed, pendant le temps que l’ânier passait agréablement sa nuit de Ramadhan dans notre cuisine, qui est établie dans un tombeau royal totalement ruiné. Mais en voilà assez sur le ménage.

Un courrier que j’ai reçu à Thèbes m’a apporté les lettres du 20 décembre ; ce sont les plus récentes de toutes celles qui me sont parvenues ; je me réjouis des bonnes nouvelles qu’elles me donnent, et surtout du bon état de notre vénérable M. Dacier. Je lui présente mes félicitations et mes respects ; j’espère que sa santé se sera soutenue, et que mes vœux, partis de la deuxième cataracte le 1er janvier dernier, seront exaucés pour l’année courante et à toujours.

L’annonce de la commission archéologique pour la Morée, donnée par S. Ex. le ministre de l’intérieur à notre ami Dubois, m’a causé une vive satisfaction ; il y a 20 ans que nous rêvions ensemble les voyages d’Égypte et de Grèce que nous exécutons aujourd’hui : ce rêve se réalise enfin ! Je puis donc écrire de Thèbes à Athènes : que de temps historiques rapprochés dans un même but ! C’est comme une fouille générale que fait la civilisation moderne dans les débris de l’ancienne, et j’espère que ce travail ne sera pas infructueux. Je vois d’ici notre ami sous les colonnades du Parthénon, ou dans l’Altis d’Olympie, à la tête de 400

pionniers, ce qui serait encore mieux. 

J’ai aussi fait commencer des fouilles à Karnac et à Kourna. J’ai réuni dix-huit momies de tout genre et de toute espèce ; mais je n’emporterai que les plus remarquables, et surtout les momies gréco-égyptiennes, portant à la fois des inscriptions grecques et des légendes démotiques et hiératiques. J’en ai plusieurs de ce genre, et quelques momies d’enfants intactes, ce qui est rare jusqu’à présent. Tous les bronzes qui proviennent de mes fouilles de Karnac, et tirés des maisons même de la vieille Thèbes, à 15 ou 20 pieds au-dessous du niveau de la plaine, sont dans un état d’oxidation complet, ce qui ne permet pas d’en tirer parti. J’ai mis à la tête de mes excavations sur la rive orientale, l’ancien chef fouilleur de M. Drovetti, le nommé Temsahh (le crocodile), qui me paraît un homme adroit et qui ne manque pas de me donner de grandes espérances. J’y compte peu, parce qu’il faudrait travailler en grand, et que mes moyens ne suffiraient pas. Je tâcherai cependant de donner un peu d’activité à mes fouilles dans les mois de juin, juillet et août, époque à laquelle je serai fixé sur les lieux, soit à Karnac, soit à Kourna. J’ai 40 hommes en train, et je verrai si les produits compensent à peu près les dépenses, et si mon budget pourra les supporter. J’ai aussi 36 hommes qui fouillent à Kourna de compte à demi avec Rosellini. Il est évident que je ne puis songer à emporter ce qui manque justement au Musée royal, de grosses pièces, parce que le transport seul jusqu’à Alexandrie épuiserait mes finances et de beaucoup.

Cela dit, je reprendrai le fil de mon itinéraire et la notice des monuments depuis Ombos, d’où est datée ma dernière lettre.

Partis d’Ombos le 17 février, nous n’arrivâmes, à cause de l’impéritie du réïs de notre grande barque et de la mollesse de nos rameurs, que le 18 au soir à Ghébel-Selséléh (Silsilis), vastes carrières où je me promettais une ample récolte. Mon espoir fut pleinement réalisé, et les cinq jours que nous y avons passés ont été bien employés.

Les deux rives du Nil, resserré par des montagnes d’un très-beau grès, ont été exploitées par les anciens Égyptiens, et le voyageur est effrayé s’il considère, en parcourant les carrières, l’immense quantité de pierres qu’on a dû en tirer pour produire les galeries à ciel ouvert et les vastes espaces excavés qu’il se lasse de parcourir. C’est sur la rive gauche qu’on trouve les monuments les plus remarquables.

On rencontre d’abord, en venant du côté de Syène, trois chapelles taillées dans le roc et presque contiguës. Toutes trois appartiennent à la belle époque pharaonique, et se ressemblent soit pour le plan et la distribution, soit pour toute la décoration intérieure et extérieure; toutes s’ouvrent par deux colonnes formées de boutons de lotus tronqués.

La première de ces chapelles (la plus au sud) a été creusée dans le roc sous le règne du Pharaon Ousireï de la XVIIIe dynastie; elle est détruite en très-grande partie. Deux bas-reliefs seuls sont encore visibles, et ne présentent d’intérêt que sous le rapport du travail, qui a toute la finesse et toute l’élégance de l’époque.

La seconde chapelle date du règne suivant, celui de Rhamsès II. Les tableaux qui décorent les parois de droite et de gauche nous font connaître à quelle divinité ce petit édifice avait été dédié par le Pharaon. Il y est représenté adorant d’abord la Triade thébaine, les plus grands des dieux de l’Égypte, Ammou-Ra, Mouth, et Khons, ceux qu’on invoquait dans tous les temples, parce qu’ils étaient le type de tous les autres; plus loin il offre le vin au dieu Phré, à Phtha, seigneur de justice, et au dieu Nil, nommé, dans l’inscription hiéroglyphique, Hapi-Moou, le père vivifiant de tout ce qui existe. C’est à cette dernière divinité que la chapelle de Rhamsès II, ainsi que les deux autres, furent particulièrement consacrées; cela est constaté par une très-longue inscription hiéroglyphique, dont j’ai pris copie, et datée de « l’an IV, le 10e jour de Mésori, sous la majesté de l’Aroéri puissant, ami de la vérité et fils du Soleil, Rhamsès, chéri d’Hapimoou, le père des dieux. » Le texte, qui contient les louanges du dieu Nil (ou Hapimoou), l’identifie avec le Nil céleste Nenmoou, l’eau primordiale, le grand Nilus, que Cicéron, dans son Traité sur la Nature des Dieux, donne comme le père des principales divinités de l’Égypte, même d’Ammon, ce que j’ai trouvé attesté ailleurs par des inscriptions monumentales. La troisième chapelle appartient au règne du fils de Rhamsès le Grand ; il était naturel que les chapelles de Silsilis fussent dédiées à Hapimoou (le Nil terrestre), parce que c’est le lieu de l’Égypte où le fleuve est le plus resserré et qu’il semble y faire une seconde entrée, après avoir brisé les montagnes de grès qui lui fermaient ici le passage, comme il a brisé les rochers de granit de la cataracte pour faire sa première entrée en Égypte.

On trouve, plus au nord de ces chapelles, une suite de tombeaux creusés pour recevoir deux ou trois corps embaumés ; tous remontent jusqu’aux premiers Pharaons de la XVIIIe dynastie, et quelques-uns appartiennent à des chefs de travaux ou inspecteurs supérieurs des carrières de Silsilis. Nous avons aussi copié des stèles portant des dates du règne de divers Rhamsès de la XVIIIe et de la XIXe, ainsi qu’une grande inscription de l’an XXII de Sésonchis.

Le plus important des monuments de Silsilis est un grand spéos, ou édifice creusé dans la montagne, et plus singulier encore par la variété des époques des bas-reliefs qui le décorent. Cette belle excavation a été commencée sous le roi Horus de la XVIIIe dynastie ; on en voulait faire un temple dédié à Ammon-Ra d’abord, et ensuite au dieu Nil, divinité du lieu, et au dieu Sévek (Saturne à tête de crocodile), divinité principale du nome ombite, auquel appartenait Silsilis. C’est dans cette intention qu’ont été exécutés, sous le règne d’Horus, les sculptures et inscriptions de la porte principale, tous les bas-reliefs du sanctuaire, et quelques-uns des bas-reliefs qui décorent une longue et belle galerie transversale qui précède ce sanctuaire.

Cette galerie, très-étendue, forme un véritable musée historique. Une de ses parois est tapissée, dans toute sa longueur, de deux rangées de stèles ou de bas-reliefs sculptés sur le roc, et, pour la plupart, d’époques diverses ; des monuments semblables décorent les intervalles des cinq portes qui donnent entrée dans ce curieux muséum.

Les plus anciens bas-reliefs, ceux du roi Horus, occupent une portion de la paroi ouest : le Pharaon y est représenté debout, la hache d’armes sur l’épaule, recevant d’Ammon-Ra l’emblème de la vie divine, et le don de subjuguer le Nord et de vaincre le Midi. Au-dessous sont des Éthiopiens, les uns renversés, d’autres levant des mains suppliantes devant un chef égyptien, qui leur reproche, dans la légende, d’avoir fermé leur cœur à la prudence et de n’avoir pas écouté lorsqu’on leur disait : « Voici que le lion s’approche de la terre d’Éthiopie (Kousch). » Ce lion-là était le roi Horus, qui fit la conquête d’Éthiopie, et dont le triomphe est retracé sur les bas-reliefs suivants.

Le roi vainqueur est porté par des chefs militaires sur un riche palanquin, accompagné de flabellifères. Des serviteurs préparent le chemin que le cortège doit parcourir ; à la suite du Pharaon viennent des guerriers conduisant des chefs captifs ; d’autres soldats, le bouclier sur l’épaule, sont en marche, précédés d’un trompette ; un groupe de fonctionnaires égyptiens, sacerdotaux et civils, reçoit le roi et lui rend des hommages.

La légende hiéroglyphique de ce tableau exprime ce qui suit : « Le dieu gracieux revient (en Égypte), porté par les chefs de tous les pays (les nomes) ; son arc est dans sa main comme celui de Mandou, le divin seigneur de l’Égypte ; c’est le roi directeur des vigilants, qui conduit (captifs) les chefs de la terre de Kousch (l’Éthiopie), race perverse ; ce roi directeur des mondes, approuvé par Phré, fils du Soleil et de sa race, le serviteur d’Ammon, Hôrus, le vivificateur. Le nom de sa majesté s’est fait connaître dans la terre d’Éthiopie, que le roi a châtiée conformément aux paroles que lui avait adressées son père Ammon. »

Un autre bas-relief représente la conduite, par les soldats, des prisonniers du commun en fort grand nombre ; leur légende exprime les paroles suivantes, qu’ils sont censés prononcer dans leur humiliation : « O toi vengeur ! roi de la terre de Kémé (l’Égypte), soleil de Niphaïat (les peuples libyens), ton nom est grand dans la terre de Kousch (l’Ethiopie), dont tu as foulé les signes royaux sous tes pieds ! »

Tous les autres bas-reliefs de ce spéos, soit stèles, soit tableaux, appartiennent à diverses époques postérieures, mais qui ne descendent pas plus bas que le troisième roi de la XIXe dynastie. On y remarque, entre autres sujets :

1° Un tableau représentant une adoration à Ammon-Ra, Sévek (le dieu du nome) et Bubastis, par le basilicogrammate chargé de l’exécution du palais du roi Rhamsès-Meïamoun dans la partie occidentale de Thèbes (le palais de Médinet-Habou), le nommé Phori, homme véridique ;

2° Trois magnifiques inscriptions en caractères hiératiques, rappelant que le même fonctionnaire est venu à Silsilis l’an Ve, au mois de Paschons, du règne de Rhamsès-Meïamoun, faire exploiter les carrières pour la construction du palais de ce Pharaon (le palais de Médinet-Habou) ;

3° Un grand bas-relief : le roi Rhamsès-Meïamoun adorant le dieu Phtha et sa compagne Pascht (Bubastis).

Ces monuments démontrent, sans aucun doute, que tout le grès employé dans la construction du palais de Médinet-Habou à Thèbes vient de Silsilis, et que ce grand édifice a été commencé au plus tôt la cinquième année du règne de son fondateur.

4° Une grande stèle représentant le même roi adorant les dieux de Silsilis, et dédiée par le basilicogrammate Honi, surintendant des bâtiments de Rhamsès-Meïamoun, intendant de tous les palais du roi existants en Égypte, et chargé de la construction du temple du Soleil bâti à Memphis par ce Pharaon.

Des tableaux d’adoration et plusieurs stèles, plus anciennes que les précédentes, constatent aussi que Rhamsès le Grand (Sésostris) a tiré de Silsilis les matériaux de plusieurs des grands édifices construits sous son règne.

Plusieurs de ces stèles, dédiées soit par des intendants des bâtiments, soit par des princes qui étaient venus en Haute-Égypte pour y tenir des panégyries dans les années XXX, XXXIV, XXXVII, XL et XLIV de son règne, m’ont fourni des détails curieux sur la famille du conquérant. Une de ces stèles nous apprend que Rhamsès le Grand a eu deux femmes : la première, Nofré-Ari, fut l’épouse de sa jeunesse, celle qui paraît, ainsi que ses enfants, dans les monuments d’Ibsamboul et de la Nubie ; la seconde (et dernière jusqu’à présent) se nommait Isénofré ; c’était la mère, 1° de la princesse Bathianthi, qui paraît avoir été sa fille chérie, la benjamine de la vieillesse de Sésostris ; 2° du prince Schohemkémé, celui qui présidait les panégyries dans les dernières années du règne de son père, comme le prouvent trois des grandes stèles de Silsilis. C’est probablement ce fils qui lui succéda en quittant son nom princier, et prenant sur les monuments celui de Thmeïothph (le possesseur de la vérité, ou bien celui que la vérité possède) ; c’est le Sésonsis II de Diodore, et le Phéron d’Hérodote. Ce fut aussi, comme son père, un grand constructeur d’édifices, mais dont il ne reste que peu de traces. On trouve dans le spéos de Silsilis : 1° une petite chapelle dédiée en son honneur par l’intendant des terres du nome ombite, appelé Pnahasi ; 2º une stèle (date effacée) dédiée par le même Pnahasi, et constatant qu’on a tiré des carrières de Silsilis les pierres qui ont servi à la construction du palais que ce roi avait fait élever à Thèbes, où il n’en reste aucune trace, à ma connaissance du moins. Cette stèle nous apprend que la femme de ce Pharaon se nommait Isénofré, comme sa mère, et son fils aîné Phthamen.

3° Une stèle de l’an II, 5e jour de Mésori, rappelant qu’on a pris à Silsilis les pierres pour la construction du palais du roi Thmeïothph à Thèbes, et pour les additions ou réparations faites au palais de son père, le Rhamséion (l’édifice qu’on a improprement nommé tombeau d’Osimandyas et Memnonium).

Il existe enfin à Silsilis des stèles semblables relatives à quelques autres rois de la XVIIIe et de la XIXe dynastie. Deux stèles d’Aménophis-Memnon, le père du roi Hôrus, se voient sur la rive orientale, où se trouvent les carrières les plus étendues ; ces stèles donnent la première date certaine des plus anciennes exploitations de Silsilis. Il est certain qu’après la XIXe dynastie, ces carrières ont toujours fourni des matériaux pour la construction des monuments de la Thébaïde. La stèle de Sésonchis Ier le prouve ; on y parle, en effet, d’exploitations de l’an XXII du règne de ce prince, destinées à des constructions faites dans la grande demeure d’Ammon ; ce sont celles qui forment le côté droit de la première cour de Karnac, près du second pylône, monument du règne de Sésonchis et des rois bubastites, ses descendants et ses successeurs ; enfin, il est naturel de croire que les matériaux des temples d’Edfou et d’Esné viennent en grande partie de ces mêmes carrières.

Le 24 février au matin, nous courions le portique et les colonnades d’Edfou (Apollonopolis Magna). Ce monument, imposant par sa masse, porte cependant l’empreinte de la décadence de l’art égyptien sous les Ptolémées, au règne desquels il appartient tout entier ; ce n’est plus la simplicité antique ; on y remarque une recherche et une profusion d’ornements bien maladroites, et qui marquent la transition entre la noble gravité des monuments pharaoniques et le papillotage fatigant et de si mauvais goût du temple d’Esnéh, construit du temps des empereurs.

La partie la plus antique des décorations du grand temple d’Edfou (l’intérieur du naos et le côté droit extérieur) remonte seulement au règne de Philopator. On continua les travaux sous Épiphane, dont les légendes couvrent une partie du fût des colonnes et des tableaux intérieurs de la paroi droite du pronaos, qui fut terminé sous Évergète II.

Les sculptures de la frise extérieure et des parois de l’extérieur des murailles du pronaos furent décorées sous Soter II. Sous le même roi, on sculpta la galerie de droite de la cour en avant du pronaos. La galerie de gauche appartient à Philométor, ainsi que toutes les sculptures des deux massifs du pylône. J’ai trouvé cependant, vers le bas du massif de droite, un mauvais petit bas-relief représentant l’empereur Claude adorant les dieux du temple.

Le mur d’enceinte qui environne le naos est entièrement chargé de sculptures ; celles de la face intérieure datent du règne de Cléopâtre Cocce et de Soter II, de Cocce, de Ptolémée Alexandre Ier et de sa femme la reine Bérénice.

Voilà qui peut donner une idée exacte de l’antiquité du grand temple d’Edfou : ce ne sont point ici des conjectures, ce sont des faits écrits sur cent portions du monument, en caractères de 10 pouces, et quelquefois de 2 pieds de hauteur.

Ce grand et magnifique édifice était consacré à une Triade composée : 1° du dieu Har-Hat, la science et la lumière célestes personnifiées, et dont le soleil est l’image dans le monde matériel ; 2° de la déesse Hâthor, la Vénus égyptienne ; 3° de leur fils Harsont-Tho (l’Hôrus, soutien du monde), qui répond à l’Amour (Éros) des mythologies grecque et romaine.

Les qualifications, les titres et les diverses formes de ces trois divinités, que nous avons recueillis avec soin, jettent un grand jour sur plusieurs parties importantes du système théogonique égyptien. Il serait trop long ici d’entrer dans de pareils détails.

J’ai fait dessiner aussi une série de quatorze bas-reliefs de l’intérieur du pronaos, représentant le lever du dieu Har-Hat, identifié avec le soleil, son coucher et ses formes symboliques à chacune des douze heures du jour, avec les noms de ces heures. Ce recueil est du plus grand intérêt pour l’intelligence de la petite portion des mythes égyptiens véritablement relative à l’astronomie.

Le second édifice d’Edfou, dit le Typhonium, est un de ces petits temples nommés mammisi (lieu d’accouchement), que l’on construisait toujours à côté de tous les grands temples où une Triade était adorée ; c’était l’image de la demeure céleste où la déesse avait enfanté le troisième personnage de la Triade, qui est toujours figuré sous la forme d’un jeune enfant. Le mammisi d’Edfou représente en effet l’enfance et l’éducation du jeune Har-Sont-Tho, fils d’Har-Hat et d’Hathôr, auquel la flatterie a associé Évergète II, représenté aussi comme un enfant et partageant les caresses que les dieux de tous les ordres prodiguent au nouveau-né d’Har-Hat. J’ai fait copier un assez grand nombre de bas-reliefs de ce monument du règne d’Évergète II et de Soter II.

Nos travaux terminés à Edfou, nous allâmes reposer nos yeux, fatigués des mauvais hiéroglyphes et des pitoyables sculptures égyptiennes du temps des Lagides, dans les tombeaux d’Éléthya (El-Kab), où nous arrivâmes le samedi 28 février. Nous fûmes accueillis par la pluie, qui tomba par torrents avec tonnerre et éclairs, pendant la nuit du 1er au 2 mars. Ainsi nous pourrons dire, comme le dit Hérodote du roi Psamménite : De notre temps il a plu en Haute-Égypte.

Je parcourus avec empressement l’intérieur de l’ancienne ville d’Éléthya, encore subsistante, ainsi que la seconde enceinte qui renfermait les temples et les édifices sacrés. Je n’y trouvai pas une seule colonne debout ; les Barbares ont détruit depuis quelques mois ce qui restait des deux temples intérieurs, et le temple entier situé hors de la ville. Il a fallu me contenter d’examiner une à une les pierres oubliées par les dévastateurs et sur lesquelles il restait quelques sculptures.

J’espérais y trouver quelques débris de légendes, suffisants pour m’éclairer sur l’époque de la construction de ces édifices et sur les divinités auxquelles ils furent consacrés. J’ai été assez heureux dans cette recherche pour me convaincre pleinement que le temple d’Éléthya, dédié à Sévek (Saturne) et à Sowan (Lucine), appartenait à diverses époques pharaoniques ; ceux que la ville renfermait avaient été construits et décorés sous le règne de la reine Amensé, sous celui de son fils Thouthmosis III (Moeris), et sous les Pharaons Aménophis-Memnon et Rhamsès le Grand. Les rois Amyrtée et Achoris, deux des derniers princes de race égyptienne, avaient réparé ces antiques édifices, et y avaient ajouté quelques constructions nouvelles. Je n’ai rien trouvé à Éléthya qui rappelle l’époque grecque ou romaine. Le temple à l’extérieur de la ville est dû au règne de Moeris.

Les tombeaux ou hypogées creusés dans la chaîne arabique voisine de la ville, remontent pour la plupart à une antiquité reculée. Le premier que nous avons visité est celui dont la Commission d’Égypte a publié les bas-reliefs peints, relatifs aux travaux agricoles, à la pêche et à la navigation. Ce tombeau a été creusé pour la famille d’un hiérogrammate nommé Phapé, attaché au collège des prêtres d’Éléthya (Sowan-Kah). J’ai fait dessiner plusieurs bas-reliefs inédits de ce tombeau, et j’ai pris copie de toutes les légendes des scènes agricoles et autres, publiées assez négligemment. Ce tombeau est d’une très-haute antiquité. Un second hypogée, celui d’un grand-prêtre de la déesse Ilithya ou Éléthya (Sowan), la déesse éponyme de la ville de ce nom, porte la date du règne de Rhamsès-Meïamoun ; il présente une foule de détails de famille et quelques scènes d’agriculture en très-mauvais état. J’y ai remarqué, entre autres faits, le foulage ou battage des gerbes de blé par les bœufs, et au-dessus de la scène on lit, en hiéroglyphes presque tous phonétiques, la chanson que le conducteur du foulage est censé chanter, car dans la vieille Égypte, comme dans celle d’aujourd’hui, tout se faisait en chantant, et chaque genre de travail a sa chanson particulière.

Voici celle du battage des grains, en cinq lignes, sorte d’allocution adressée aux bœufs, et que j’ai retrouvée ensuite, avec de très-légères variantes, dans des tombeaux bien plus antiques encore :

Battez pour vous (bis) — ô bœufs — Battez pour vous (bis), — Des boisseaux pour vos maîtres.

La poésie n’en est pas très-brillante ; probablement l’air faisait passer la chanson ; du reste, elle est convenable à la circonstance dans laquelle on la chantait, et elle me paraîtrait déjà fort curieuse quand même elle ne ferait que constater l’antiquité du bis qui est écrit à la fin de la première et de la troisième ligne. J’aurais voulu en trouver la musique pour l’envoyer à notre respectable ami le général de La Salette ; elle lui aurait fourni quelles données de plus pour ses savantes recherches sur la musique des anciens.

Le tombeau voisin de celui-ci est plus intéressant encore sous le rapport historique. C’était celui d’un nommé Ahmosis, fils de Obschné, chef des mariniers, ou plutôt des nautoniers : c’était un grand personnage. J’ai copié dans son hypogée ce qui reste d’une inscription de plus de trente colonnes, dans laquelle cet Ahmosis adresse la parole à tous les individus présents et futurs, et leur raconte son histoire que voici : Après avoir exposé qu’un de ses ancêtres tenait un rang distingué parmi les serviteurs d’un ancien roi de la XVIe dynastie, il nous apprend qu’il est entré lui-même dans la carrière nautique dans les jours du roi Ahmosis (le dernier de la XVIIe dynastie légitime) ; qu’il est allé rejoindre le roi à Tanis ; qu’il a pris part aux guerres de ce temps, où il a servi sur l’eau ; qu’il a ensuite combattu dans le Midi, où il a fait des prisonniers de sa main ; que, dans les guerres de l’an VI du même Pharaon, il a pris un riche butin sur les ennemis ; qu’il a suivi le roi Ahmosis lorsqu’il est monté par eau en Éthiopie pour lui imposer des tributs ; qu’il se distingua dans la guerre qui s’ensuivit ; et qu’enfin il a commandé des bâtiments sous le roi Thouthmosis Ier. C’est là, sans aucun doute, le tombeau d’un de ces braves qui, sous le Pharaon Ahmosis, ont presque achevé l’expulsion des Pasteurs et délivré l’Égypte des Barbares.

Pour ne pas trop allonger l’article d’Éléthya, je terminerai par l’indication d’un tombeau presque ruiné ; il m’a fait connaître quatre générations de grands personnages du pays, qui l’ont gouverné sous le titre sou-ten-si de Sowan (princes d’Éléthya), durant les règnes des cinq premiers rois de la XVIIIe dynastie, savoir : Aménothph Ier (Aménoftep), Thouthmosis Ier, Thouthmosis II, Amensé et Thouthmosis III (Moeris), auprès desquels ils tenaient un rang élevé dans leur service personnel, ainsi que dans celui des reines Ahmosis-Ataré et Ahmosis, femmes des deux premiers rois nommés, et de Ranofré, fille de la reine Amensé et soeur de Moeris. Tous ces personnages royaux sont successivement nommés dans les inscriptions de l’hypogée, et forment ainsi un supplément et une confirmation précieuse de la Table d’Abydos.

Le 3 mars, au matin, nous arrivâmes à Esnéh, où nous fûmes très-gracieusement accueillis par Ibrahim-Bey, le mamour ou gouverneur de la province ; avec son aide, il nous fut permis d’étudier le grand temple d’Esnéh, encombré de coton, et qui, servant de magasin général de cette production, a été crépi de limon du Nil, surtout à l’extérieur. On a également fermé avec des murs de boue l’intervalle qui existe entre le premier rang de colonnes du pronaos, de sorte que notre travail a dû se faire souvent une chandelle à la main, ou avec le secours de nos échelles, afin de voir les bas-reliefs de plus près.

Malgré tous ces obstacles, j’ai recueilli tout ce qu’il importait de savoir relativement à ce grand temple, sous les rapports mythologiques et historiques. Ce monument a été regardé, d’après de simples conjectures établies sur une façon particulière d’interpréter le zodiaque du plafond, comme le plus ancien monument de l’Égypte : l’étude que j’en ai faite m’a pleinement convaincu que c’est, au contraire, le plus moderne de ceux qui existent encore en Égypte ; car les bas-reliefs qui le décorent, et les hiéroglyphes surtout, sont d’un style tellement grossier et tourmenté qu’on y aperçoit au premier coup d’oeil le point extrême de la décadence de l’art. Les inscriptions hiéroglyphiques ne confirment que trop cet aperçu : les masses de ce pronaos ont été élevées sous l’empereur César-Tibérius-Claudius-Germanicus (l’empereur Claude), dont la porte du pronaos offre la dédicace en grands hiéroglyphes. La corniche de la façade et le premier rang de colonnes ont été sculptés sous les empereurs Vespasien et Titus ; la partie postérieure du pronaos porte les légendes des empereurs Antonin, Marc Aurèle et Commode ; quelques colonnes de l’intérieur du pronaos furent décorées de sculptures sous Trajan, Hadrien et Antonin ; mais, à l’exception de quelques bas-reliefs de l’époque de Domitien, tous ceux des parois de droite et de gauche du pronaos portent les images de Septime Sévère et de Géta, que son frère Caracalla eut la barbarie d’assassiner, en même temps qu’il fit proscrire son nom dans tout l’empire ; il paraît que cette proscription du tyran fut exécutée à la lettre jusqu’au fond de la Thébaïde, car les cartouches noms propres de l’empereur Géta sont tous martelés avec soin ; mais ils ne l’ont pas été au point de m’empêcher de lire très-clairement le nom de ce malheureux prince ; l’empereur César-Géta, le directeur.

Je crois que l’on connaît déjà des inscriptions latines ou grecques dans lesquelles ce nom est martelé : voilà des légendes hiéroglyphiques à ajouter à cette série.

Ainsi donc, l’antiquité du pronaos d’Esnéh est incontestablement fixée ; sa construction ne remonte pas au delà de l’empereur Claude ; et ses sculptures descendent jusqu’à Caracalla, et du nombre de celles-ci est le fameux zodiaque dont on a tant parlé.

Ce qui reste du naos, c’est-à-dire le mur du fond du pronaos, est de l’époque de Ptolémée Épiphane, et cela encore est d’hier, comparativement à ce qu’on croyait. Les fouilles que nous avons faites derrière le pronaos nous ont convaincus que le temple proprement dit a été rasé jusqu’aux fondements.

Cependant, que les amis de l’antiquité des monuments de l’Égypte se consolent : Latopolis ou plutôt Esné (car ce nom se lit en hiéroglyphes sur toutes les colonnes et sur tous les bas-reliefs du temple) n’était point un village aux grandes époques pharaoniques ; c’était une ville importante, ornée de beaux monuments, et j’en ai découvert la preuve dans l’inscription des colonnes du pronaos.

J’ai trouvé sur deux de ces colonnes, dont le fût est presque entièrement couvert d’inscriptions hiéroglyphiques disposées verticalement, la notice des fêtes qu’on célébrait annuellement dans le grand temple d’Esnéh. Une d’elles se rapportait à la commémoration de la dédicace de l’ancien temple, faite par le roi Thouthmosis III (Moeris) ; de plus il existe, et j’ai dessiné dans une petite rue d’Esnéh, au quartier de CheïkhMohammed-Ebbédri, un jambage de porte en très-beau granit rose, portant une dédicace du Pharaon Thouthmosis II, et provenant sans doute d’un des vieux monuments de l’Esnéh pharaonique. J’ai aussi trouvé à Edfou une pierre qui est le seul débris connu du temple qui existait dans cette ville avant le temple actuel bâti sous les Lagides ; l’ancien était encore de Mœris, et dédié, comme le nouveau, au grand dieu Har-Hat, seigneur d’Hatfouh (Edfou). C’est donc Thouthmosis III (Mœris) qui, en Thébaïde comme en Nubie, avait construit la plupart des édifices sacrés, après l’invasion des Hykschos, de la même manière que les Ptolémées ont rebâti ceux d’Ombos, d’Esnéh et d’Edfou, pour remplacer les temples primitifs détruits pendant l’invasion persane.

Le grand temple d’Esnéh était dédié à l’une des plus grandes formes de la divinité, à Chnouphis, qualifié des titres nev-en-tho-sne, seigneur du pays d’Esnéh, créateur de l’univers, principe vital des essences divines, soutien de tous les mondes, etc. À ce dieu sont associés la déesse Néith, représentée sous des formes diverses et sous les noms variés de Menhi, Tnébouaou, etc., et le jeune Hâke, représenté sous la forme d’un enfant, ce qui complète la Triade adorée à Esnéh. J’ai ramassé une foule de détails très-curieux sur les attributions de ces trois personnages auxquels étaient consacrées les principales fêtes et panégyries célébrées annuellement à Esnéh. Le 23 du mois d’Hathyr, on célébrait la fête de la déesse Tnébouaou ; celle de la déesse Menhi avait lieu le 25 du même mois ; le 30, celle d’Isis, tertiaire des deux déesses précitées. Le 1er de Choïak, on tenait une panégyrie (assemblée religieuse) en l’honneur du jeune dieu Hâke, et ce même jour avait lieu la panégyrie de Chnouphis. Voici l’article du calendrier sacré sculpté sur l’une des colonnes du pronaos : « A la néoménie de Choïak, panégyries et offrandes faites dans le temple de Chnouphis, seigneur d’Esnéh ; on étale tous les ornements sacrés ; on offre des pains, du vin et autres liqueurs, des bœufs et des oies ; on présente des collyres et des parfums au dieu Chnouphis et à la déesse sa compagne, ensuite le lait à Chnouphis ; quant aux autres dieux du temple, on offre une oie à la déesse Menhi, une oie à la déesse Néith, une oie à Osiris, une oie à Khons et à Thôth, une oie aux dieux Phré, Atmou, Thoré, ainsi qu’aux autres dieux adorés dans le temple ; on présente ensuite des semences, des fleurs et des épis de blé au seigneur Chnouphis, souverain d’Esnéh, et on l’invoque en ces termes, » etc. Suit la prière prononcée en cette occasion solennelle, et que j’ai copiée, parce qu’elle présente un grand intérêt mythologique.

C’est aux mêmes divinités qu’était dédié le temple situé au nord d’Esnéh, dans une magnifique plaine, jadis cultivée, mais aujourd’hui hérissée de broussailles qui nous déchirèrent les jambes, lorsque, le 6 mars au soir, nous allâmes le visiter, en faisant à pied une très-longue course du Nil aux ruines, que nous trouvâmes tout nouvellement dévastées ; ce temple n’est plus tel que la Commission d’Égypte l’a laissé ; il n’en subsiste plus qu’une seule colonne, un petit pan de mur et le soubassement presque à fleur de terre : parmi les bas-reliefs subsistants j’en ai trouvé un d’Évergète Ier et de Bérénice sa femme ; j’ai reconnu les légendes de Philopator sur la colonne ; celles d’Hadrien sur une partie d’architrave ; et sur une autre, en hiéroglyphes tout à fait barbares, les noms des empereurs Antonin et Vérus. Le hasard m’a fait découvrir, dans le soubassement extérieur de la partie gauche du temple, une série de captifs représentant des peuples vaincus (par Évergète Ier, selon toute apparence), et, à l’aide des ongles de nos Arabes, qui fouillèrent vaillamment malgré les pierres et les plantes épineuses, je parvins à copier une dizaine des inscriptions onomastiques de peuples gravées sur l’espèce de bouclier attaché à la poitrine des vaincus. Parmi les nations que le vainqueur se vante d’avoir subjuguées, j’ai lu les noms de l’Arménie, de la Perse, de la Thrace et de la Macédoine ; peut-être encore s’agit-il des victoires d’un empereur romain : je n’ai rien trouvé d’assez conservé aux environs pour éclaircir ce doute.

Le 7 mars au matin, nous fîmes une course pédestre dans l’intérieur des terres, pour voir ce qui restait encore des ruines de la vieille Tuphium, aujourd’hui Taôud, située sur la rive droite du fleuve, mais dans le voisinage de la chaîne arabique et tout près d’Hermonthis, qui est sur la rive opposée. Là existent deux ou trois salles d’un petit temple, habitées par des fellahs ou par leurs bestiaux. Dans la plus grande subsistent encore quelques bas-reliefs qui m’ont donné le mythe du temple : on y adorait la Triade formée de Mandou, de la déesse Ritho et de leur fils Harphré, celle même du temple d’Hermonthis, capitale du nome auquel appartenait la ville de Tuphium.

A midi nous étions à Hermonthis, dont j’ai parlé dans la lettre que j’écrivis après avoir visité ce lieu lorsque nous remontions le Nil pour aller à la seconde cataracte. Nous y passâmes encore quelques heures pour copier quelques bas-reliefs et des légendes hiéroglyphiques qui devaient compléter notre travail sur Erment, commencé à notre premier passage au mois de novembre dernier. Ce temple n’est encore qu’un Mammisi ou Ei-misi consacré à l’accouchement de la déesse Ritho, construit et sculpté, comme le prouvent tous ses bas-reliefs, en commémoration de la reine Cléopâtre, fille d’Aulétès, lorsqu’elle mit au monde Césarion, fils de Jules César, lequel voulut être le Mandou de la nouvelle déesse Ritho, comme Césarion en fut l’Harphré. Du reste, c’était assez l’usage du dictateur romain de chercher à compléter la Triade, lorsqu’il rencontrait surtout des reines qui, comme Cléopâtre, avaient en elles quelque chose de divin, sans dédaigner pour cela les joies terrestres.

Une courte distance nous séparait de Thèbes, et nos coeurs étaient gros de revoir ses ruines imposantes : nos estomacs se mettaient aussi de la partie, puisqu’on parlait d’une barque de provisions fraîches, arrivée à Louqsor, à mon adresse. C’était encore une courtoisie de notre digne consul général, M. Drovetti, et nous avions hâte d’en profiter. Mais un vent du nord, d’une violence extrême, nous arrêta pendant la nuit entre Hermonthis et Thèbes, où nous ne fûmes rendus que le lendemain matin 8 mars, d’assez bonne heure.

Notre petite escadre aborda au pied du quai antique déchaussé par le Nil, et qui ne pourra longtemps encore défendre le palais de Louqsor, dont les dernières colonnes touchent presque aux bords du fleuve. Ce quai est évidemment de deux époques ; le quai égyptien primitif est en grandes briques cuites, liées par un ciment d’une dureté extrême, et ses ruines forment d’énormes blocs de 15 à 18 pieds de large et de 25 à 30 de longueur, semblables à des rochers inclinés sur le fleuve au milieu duquel ils s’avancent. Le quai en pierres de grès est d’une époque très-postérieure ; j’y ai remarqué des pierres portant encore des fragments de sculptures du style des bas temps, et provenant d’édifices démolis.

Notre travail sur Louqsor a été terminé (à très-peu près) avant de venir nous établir ici, à Biban-el-Molouk, et je suis en état de donner tous les détails nécessaires sur l’époque de la construction de toutes les parties qui composent ce grand édifice.

Le fondateur du palais de Louqsor, ou plutôt des palais de Louqsor a été le Pharaon Aménophis-Memnon (Aménothph III), de la XVIIIe dynastie. C’est ce prince qui a bâti la série d’édifices qui s’étend du sud au nord, depuis le Nil jusqu’aux quatorze grandes colonnes de 45 pieds de hauteur, et dont les masses appartiennent encore à ce règne. Sur toutes les architraves des autres colonnes ornant les cours et les salles intérieures, colonnes au nombre de cent cinq, la plupart intactes, on lit, en grands hiéroglyphes d’un relief très-bas et d’un excellent travail, des dédicaces faites au nom du roi Aménophis. Je mets ici la traduction de l’une d’elles, pour donner une idée de toutes les autres, qui ne diffèrent que par quelques titres royaux de plus ou de moins.

« La vie ! l’Hôrus puissant et modéré, régnant par la justice, l’organisateur de son pays, celui qui tient le monde en repos, parce que, grand par sa force, il a frappé les Barbares ; le roi Seigneur de justice, bien aimé du Soleil, le fils du Soleil Aménophis, modérateur de la région pure (l’Égypte), a fait exécuter ces constructions consacrées à son père Ammon, le dieu seigneur des trois zones de l’univers, dans l’Oph du midi[1] ; il les a fait exécuter en pierres dures et bonnes, afin d’ériger un édifice durable ; c’est ce qu’a fait le fils du Soleil Aménophis, chéri d’Ammon-Ra. »

Ces inscriptions lèvent donc toute espèce de doute sur l’époque précise de la construction et de la décoration de cette partie de Louqsor ; mes inscriptions ne sont pas sans verbe comme les inscriptions grecques expliquées par M. Letronne, et qu’on a chicanées si mal à propos ; je puis lui annoncer à ce sujet que je lui porterai les inscriptions dédicatoires égyptiennes des temples de Philæ, d’Ombos et de Dendéra, où le verbe construire ne manque jamais.

Les bas-reliefs qui décorent le palais d’Aménophis sont, en général, relatifs à des actes religieux faits par ce prince aux grandes divinités de cette portion de Thèbes, qui étaient : 1o Ammon-Ra, le dieu suprême de l’Égypte, et celui qu’on adorait presque exclusivement à Thèbes, sa ville éponyme ; 2o sa forme secondaire, Ammon-Ra-Générateur, mystiquement surnommé le mari de sa mère, et représenté sous une forme priapique ; c’est le dieu Pan égyptien, mentionné dans les écrivains grecs ; 3o la déesse Thamoun ou Tamon, c’est-à-dire Ammon femelle, une des formes de Neïth, considérée comme compagne d’Ammon générateur ; 4o la déesse Mouth, la grand’mère divine, compagne d’Ammon-Ra ; 5o et 6o les jeunes dieux Khons et Harka, qui complètent les deux grandes Triades adorées à Thèbes, savoir :

Pères. Mères. Fils.
Ammon-Ra. Mouth. Khons.
Ammon générateur. Thamoun. Harka.

Le Pharaon est représenté faisant des offrandes, quelquefois très-riches, à ces différentes divinités, ou accompagnant leurs bari ou arches sacrées, portées processionnellement par des prêtres.

Mais j’ai trouvé et fait dessiner dans deux des salles du palais une série de bas-reliefs plus intéressants encore et relatifs à la personne même du fondateur. Voici un mot sur les principaux.

Le dieu Thoth annonçant à la reine Tmauhemva, femme du Pharaon Thouthmosis IV, qu’Ammon générateur lui a accordé un fils.

La même reine, dont l’état de grossesse est visiblement exprimé, conduite par Chnouphis et Hathôr (Vénus) vers la chambre d’enfantement (le mammisi) ; cette même princesse placée sur un lit, mettant au monde le roi Aménophis ; des femmes soutiennent la gisante, et des génies divins, rangés sous le lit, élèvent l’emblème de la vie vers le nouveau-né. — La reine nourrissant le jeune prince. — Le dieu Nil peint en bleu (le temps des basses eaux), et le dieu Nil peint en rouge (le temps de l’inondation), présentant le petit Aménophis, ainsi que le petit dieu Harka et autres enfants divins, aux grandes divinités de Thèbes. — Le royal enfant dans les bras d’Ammon-Ra, qui le caresse. — Le jeune roi institué par Ammon-Ra ; les déesses protectrices de la haute et de la basse Égypte lui offrant les couronnes, emblèmes de la domination sur les deux pays ; et Thoth lui choisissant son grand nom, c’est-à-dire son prénom royal, Soleil seigneur de justice et de vérité, qui, sur les monuments, le distingue de tous les autres Aménophis.

L’une des dernières salles du palais, d’un caractère plus religieux que toutes les autres, et qui a dû servir de chapelle royale ou de sanctuaire, n’est décorée que d’adorations aux deux Triades de Thèbes par Aménophis ; et dans cette salle, dont le plafond existe encore, on trouve un second sanctuaire emboîté dans le premier, et dont voici la dédicace, qui en donne très-clairement l’époque, tout à fait récente en comparaison de celle du grand sanctuaire : « Restauration de l’édifice faite par le roi (chéri de Phré, approuvé par Ammon), le fils du Soleil, seigneur des diadèmes, Alexandre, en l’honneur de son père Ammon-Ra, gardien des régions des Oph (Thèbes) ; il a fait construire le sanctuaire nouveau en pierres dures et bonnes à la place de celui qui avait été fait sous la majesté du roi Soleil, seigneur de justice, le fils du Soleil Aménophis, modérateur de la région pure. »

Ainsi, ce second sanctuaire remonte seulement à l’origine de la domination des Grecs en Égypte, au règne d’Alexandre, fils d’Alexandre le Grand, et non ce dernier, ce que prouve d’ailleurs le visage enfantin du roi, représenté, à l’extérieur comme à l’intérieur de ce petit édifice, adorant les Triades thébaines. Dans un de ces bas-reliefs, la déesse Thamoun est remplacée par la ville de Thèbes personnifiée sous la forme d’une femme, avec cette légende :

« Voici ce que dit Thèbes (Toph), la grande rectrice du monde : Nous avons mis en ta puissance toutes les contrées (les nomes) ; nous t’avons donné Kémé (l’Égypte), terre nourricière. »

La déesse Thèbes adresse ces paroles au jeune roi Alexandre, auquel Ammon générateur dit en même temps : « Nous accordons que les édifices que tu élèves soient aussi durables que le firmament. »

On ne trouve que cette seule partie moderne dans le vieux palais d’Aménophis : car il ne vaut la peine de citer le fait suivant que sous le rapport de la singularité. Dans une salle qui précède le sanctuaire, existe une pierre d’architrave qui, ayant été renouvelée sous un Ptolémée et ornée d’une inscription, produit, en lisant les caractères qu’elle porte, une dédicace bizarre, en ce qu’on ne s’est point inquiété des vieilles pierres d’architrave voisines, conservant la dédicace primitive ; la voici :

1re pierre moderne. « Restauration de l’édifice faite par le roi Ptolémée, toujours vivant, aimé de Ptha. » — 2e pierre antique. « Monde, le Soleil, seigneur de justice, le fils du Soleil Aménophis, a fait exécuter ces constructions en l’honneur de son père Ammon, etc. »

L’ancienne pierre, remplacée par le Lagide, portait la légende : « L’Aroëris puissant, etc., seigneur du monde, etc. » On ne s’est point inquiété si la nouvelle légende se liait ou non avec l’ancienne.

C’est aux quatorze grandes colonnes de Louqsor que finissent les travaux du règne d’Aménophis, sous lequel ont cependant encore été décorées la deuxième et la 7e des deux rangées, en allant du midi au nord. Les bas-reliefs appartiennent au règne du roi Hôrus, fils d’Aménophis, et les quatre dernières au règne suivant.

Toute la partie nord des édifices de Louqsor est d’une autre époque, et formait un monument particulier, quoique lié par la grande colonnade à l’Aménophion ou palais d’Aménophis. C’est à Rhamsès le Grand (Sésostris) que l’on doit ces constructions, et il a eu l’intention, non pas d’embellir le palais d’Aménophis, son ancêtre, mais de construire un édifice distinct, ce qui résulte évidemment de la dédicace suivante, sculptée en grands hiéroglyphes au-dessous de la corniche du pylône, et répétée sur les architraves de toutes les colonnades que les cahuttes modernes n’ont pas encore ensevelies.

« La vie ! l’Aroëris, enfant d’Ammon, le maître de la région supérieure et de la région inférieure, deux fois aimable, l’Hôrus plein de force, l’ami du monde, le roi (Soleil gardien de vérité, approuvé par Phré), le fils préféré du roi des dieux, qui, assis sur le trône de son père, domine sur la terre, a fait exécuter ces constructions en l’honneur de son père, Ammon-Ra, roi des dieux. Il a construit ce Rhamesséion dans la ville d’Ammon, dans l’Oph du midi. C’est ce qu’a fait le fils du Soleil (le fils chéri d’Ammon-Rhamsès), vivificateur à toujours[2]. »

C’est donc ici un monument particulier, distinct de l’Aménophion, et cela explique très-bien pourquoi ces deux grands édifices ne sont pas sur le même alignement, défaut choquant remarqué par tous les voyageurs, qui supposaient à tort que toutes ces constructions étaient du même temps et formaient un seul tout, ce qui n’est pas.

C’est devant le pylône nord du Rhamséion de Louqsor que s’élèvent les deux célèbres obélisques de granit rose, d’un travail si pur et d’une si belle conservation. Ces deux masses énormes, véritables joyaux de plus de 70 pieds de hauteur, ont été érigées à cette place par Rhamsès le Grand, qui a voulu en décorer son Rhamesséion, comme cela est dit textuellement dans l’inscription hiéroglyphique de l’obélisque de gauche, face nord, colonne médiale, que voici : « Le Seigneur du monde, Soleil gardien de la vérité (ou justice), approuvé par Phré, a fait exécuter cet édifice en l’honneur de son père Ammon-Ra, et il lui a érigé ces deux grands obélisques de pierre, devant le Rhamesséion de la ville d’Ammon. »

Je possède des copies exactes de ces deux beaux monolithes[Footnote : Un de ces deux obélisques a été apporté à Paris et dressé sur la place de la Concorde.]. Je les ai prises avec un soin extrême, en corrigeant les erreurs des gravures déjà connues, et en les complétant par les fouilles que nous avons faites jusqu’à la base des obélisques. Malheureusement il est impossible d’avoir la fin de la face est de l’obélisque de droite, et de la face ouest de l’obélisque de gauche : il aurait fallu abattre pour cela quelques maisons de terre et faire déménager plusieurs pauvres familles de fellahs[3].

Je n’entre pas dans de plus grands détails sur le contenu des légendes des deux obélisques. On sait déjà que, loin de renfermer, comme on l’a cru si longtemps, de grands mystères religieux, de hautes spéculations philosophiques, les secrets de la science occulte, ou tout au moins des leçons d’astronomie, ce sont tout simplement des dédicaces, plus ou moins fastueuses, des édifices devant lesquels s’élèvent les monuments de ce genre. Je passe donc à la description des pylônes, qui sont d’un bien autre intérêt.

L’immense surface de chacun de ces deux massifs est couverte de sculptures d’un très-bon style, sujets tous militaires et composés de plusieurs centaines de personnages. Massif de droite : le roi Rhamsès le Grand, assis sur son trône au milieu de son camp, reçoit les chefs militaires et des envoyés étrangers ; détails du camp, bagages, tentes, fourgons, etc., etc. ; en dehors, l’armée égyptienne est rangée en bataille ; chars de guerre à l’avant, à l’arrière et sur les flancs ; au centre, les fantassins régulièrement formés en carrés. Massif de gauche : bataille sanglante, défaite des ennemis, leur poursuite, passage d’un fleuve, prise d’une ville ; on amène ensuite les prisonniers.

Voilà le sujet général de ces deux tableaux, d’environ 50 pieds chacun ; nous en avons des dessins fort exacts, ainsi que du peu d’inscriptions entremêlées aux scènes militaires. Les grands textes relatifs à cette campagne de Sésostris sont au-dessous des bas-reliefs. Malheureusement il faudrait abattre une partie du village de Louqsor pour en avoir des copies. Il a donc fallu me contenter d’apprendre, par le haut des lignes encore visibles, que cette guerre avait eu lieu en l’an Ve du règne du conquérant, et que la bataille s’était donnée le 5 du mois d’épiphi. Ces dates me prouvent qu’il s’agit ici de la même guerre que celle dont on a sculpté les événements sur la paroi droite du grand monument d’Ibsamboul, et qui portent aussi la date de l’an V. La bataille figurée dans ce dernier temple est aussi du mois d’épiphi, mais du 9 et non pas du 5. Il s’agit donc évidemment de deux affaires de la même campagne. Les peuples que les Égyptiens avaient à combattre sont des Asiatiques, qu’à leur costume on peut reconnaître pour des Bactriens, des Mèdes et des Babyloniens. Le pays de ces derniers est expressément nommé (Naharaïna-Kah, le pays de Naharaïna, la Mésopotamie) dans les inscriptions d’Ibsamboul, ainsi que les contrées de Schôt, Robschi, Schabatoun, Marou, Bachoua, qu’il faut chercher nécessairement dans la géographie primitive de l’Asie occidentale.

Les obélisques, les quatre colonnes, le pylône, et le vaste péristyle ou cour environnée de colonnes, qui s’y rattachent, forment tout ce qui reste du Rhamesséion de la rive droite, et on lit partout les dédicaces de Rhamsès le Grand, deux seuls points exceptés de ce grand édifice. Il paraît, en effet, que vers le huitième siècle avant J.-C., l’ancienne décoration de la grande porte située entre ces deux massifs du pylône était, par une cause quelconque, en fort mauvais état, et qu’on en refit les masses entièrement à neuf ; les bas-reliefs de Rhamsès le Grand furent alors remplacés par de nouveaux, qui existent encore et qui représentent le chef de la XXIVe dynastie, le conquérant éthiopien Sabaco ou Sabacon, qui, pendant de longues années, gouverna l’Égypte avec beaucoup de douceur, faisant les offrandes accoutumées aux dieux protecteurs du palais et de la ville de Thèbes. Ces bas-reliefs, sur lesquels on voit le nom du roi, qui est écrit Schabak et qu’on y lit très-clairement, quoiqu’on ait pris soin de le marteler à une époque fort ancienne, ces bas-reliefs, dis-je, sont très-curieux aussi sous le rapport du style. Les figures en sont fortes et très-accusées, avec les muscles vigoureusement prononcés, sans qu’elles aient pour cela la lourdeur des sculptures du temps des Ptolémées et des Romains. Ce sont, au reste, les seules sculptures de ce règne que j’aie rencontrées en Égypte.

Une seconde restauration, mais de peu d’importance, a eu également lieu au Rhamesséion de Louqsor. Trois pierres d’une architrave et le chapiteau de la première colonne gauche du péristyle ont été renouvelés sous Ptolémée Philopator, et l’on n’a pas manqué de sculpter sur l’architrave l’inscription suivante : « Restauration de l’édifice, faite par le roi Ptolémée toujours vivant, chéri d’Isis et de Phtha, et par la dominatrice du monde, Arsinoé, dieux Philopatores aimés par Ammon-Ra, roi des dieux. »

Je ne mets point au nombre des restaurations quelques sculptures de Rhamsès-Meïamoun, que l’on remarque en dehors du Rhamesséion, du côté de l’est, parce qu’elles peuvent avoir appartenu à un édifice contigu et sans liaison réelle avec le monument de Sésostris.

Je termine ici, pour cette fois, mes notices monumentales ; je parlerai, dans ma prochaine lettre, des tombeaux des rois thébains que nous exploitons dans ce moment ... Adieu.

P.S. 2 avril. Je ferme aujourd’hui ma lettre, le courrier devant partir ce matin même pour le Kaire. Rien de nouveau depuis le 25 ; toujours bonne santé et bon courage. Je donne ce soir à nos compagnons une fête dans une des plus jolies salles du tombeau d’Ousireï ; nous y oublierons la stérilité et le voisinage de la seconde cataracte, où nous avions à peine du pain à manger. La chère ne répondra pas à la magnificence du local, mais on fera l’impossible pour n’être pas trop au-dessous. Je voulais offrir à notre jeunesse un plat nouveau pour nous, et qui devait ajouter aux plaisirs de la réunion ; c’était un morceau de jeune crocodile mis à la sauce piquante, le hasard ayant voulu qu’on m’en apportât un tué d’hier matin ; mais j’ai joué de malheur, la pièce de crocodile s’est gâtée : nous n’y perdrons vraisemblablement qu’une bonne indigestion chacun.

  1. C’est-à-dire la partie méridionale de la portion de Thèbes (Amon-Ei) sise sur la rive droite du Nil.
  2. Les mots entre les paranthèses indiquent le contenu des cartouches prénom et nom prore du roi.
  3. Depuis le retour de Champollion à Paris, M. Lebas, ingénieur de la marine française, s’est rendu à Thèbes pour diriger le transport à Paris de l’obélisque de droite sur le bâtiment le Louxor, commandé par M. de Verninac. Cet habile ingénieur s’est empressé d’envoyer à Paris une bonne copie de la partie de l’inscription hiéroglyphique que le savant français regrette de n’avoir pu prendre lui-même. M. Lebas a envoyé en même temps le dessin des has-reliefs qui ornent les quatre faces du dé sur lequel pose l’obélisque, et qui sera aussi transporté à Paris. C. F.