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Lettres de Platon (trad. Cousin)/Notes

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Œuvres de Platon,
traduites par Victor Cousin
Tome treizième
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LETTRES.

J’ai eu sous les yeux l’édition générale de Bekker, la traduction latine de Ficin, la traduction allemande de Schlosser (Plato’s Briefe ; Kœnigsberg, 1795), avec une petite dissertation de Wiegand sur la première lettre (Epistolarum quœ Platonis nomine vulgo feruntur specimen criticum ; Gissæ, 1828).

J’ai rencontré une traduction française des lettres de Platon, publiée par Dugour, ci-devant professeur au collége de La Flèche ; Paris, an V (1797). L’éditeur dit, dans l’avertissement, que cette traduction est l’ouvrage d’un ecclésiastique du Mans, mort en 1752, nommé N. Papin. Cet ecclésiastique avait traduit tout Platon, et M. Dugour déclare qu’il possède cette traduction tout entière. Quant à celle des Lettres, il est difficile de rien voir de plus défectueux, et pour le fond et pour la forme. Un exemple suffira pour en donner une idée. Dans la Lettre XII, ces mots : λέγονται γὰρ δὴ οἱ ἄνδρες οὗτοι μυρίοι εἶναι, sont ainsi traduits : ils passent pour être originaires de Myra.

Page 59. — Tu n’es pas content, à ce qu’il dit, de l’explication que je t’ai donnée de la nature première. Je vais la reprendre sous le voile de l’énigme, afin que s’il arrive quelque malheur à cette lettre sur terre ou sur mer, celui qui la lirait ne puisse en saisir le sens. Voici ce qui en est : Tout est autour du roi de tout ; il est la fin de tout, etc. Bekker, p. 403.

Imitation visible et exagération ridicule du passage du Timée sur la nature du premier être (trad. fr., t. xii, p, 117) : « Mais il est difficile de trouver l’auteur et le père de l’univers, et impossible, après l’avoir trouvé, de le faire connaître à tout le monde. » On commence par promettre une énigme et on finit par les choses les plus vulgaires : Tout est autour du roi de tout, etc.


Ibid. — Que dire, fils de Denys et de Doris, de la question que tu me fais, quelle est la cause de tous les maux ? Bekker, p. 403 : ἀλλὰ ποῖόν τι μὲν τοῦτ’ ἐστίν, ᾤ παῖ Διονυσίου ϰαὶ Δωρίδος, τὸ ἐρώτημα, ὃ πάντων αἴτιόν ἐστι ϰαϰῶν.

Le sens litteral est inadmissible : cette question qui est la cause de tous les maux, ὃ πάντ..... Je suis donc forcé de lire τὶ au lieu de , et j’entends avec Schlosser (p. 89) : cette question, quelle est la cause de tous les maux ?


Page 61. — Aie soin surtout de ne rien écrire sur ces matières ; il faut tout confier à la mémoire ; car on n’est jamais sûr que le papier ne nous échappera pas : aussi je n’ai jamais rien écrit, et il n’y a et il n’y aura jamais d’ouvrage de Platon ; ceux qu’on m’attribue sont de Socrate, quand il était jeune, etc.

Nouvelle exagération du passage du Phèdre (tome vi, p. 123). « Socrate : Celui donc qui prétend laisser l’art consigné dans les pages d’un livre, et celui qui croit l’y puiser, comme s’il pouvait sortir d’un écrit quelque chose de clair et de solide, me paraît d’une grande simplicité ; et vraiment il ignore l’oracle d’Ammon, s'il croit que des discours écrits soient quelque chose de plus qu'un moyen de réminiscence pour celui qui connait déjà le sujet qu'ils traitent. »

Page 72. — Quand un mal est incurable, les conseils ne peuvent rien ni sur le malade ni sur la maladie.

Au lieu de cette phrase, lisez :

« En effet, si nous avions un mal incurable, on nous abandonnerait, et on ne se mêlerait pas de nous donner des conseils ni sur nous ni sur nos affaires. Sois heureux. » Bekker, p. 423 : εἰ γὰρ δόξαιμεν ἀνιάτως ἔχειν πολλὰ ἂν χαίρειν ἡμῖν εἰπών ἐϰτὸς ἂν γίγνοιτο τῆς περὶ ἐμὲ ϰαὶ τὰ ἐμὰ ξυμϐουλῆς. Εὐτύχει.

Il est impossible de construire cette phrase telle qu’elle est. Εἰπών contient le vice auquel je ne vois pas de remède. Schlosser (p. 243 ) déclare que, ne voyant pas ce que Platon a voulu dire, il a mis ce qu’il a pu dire : Und fühlten wir vollends dass wir unheilbar sind, so würde man mich ohnehin laufen lassen, und meinen Rath noch überflüssiger finden. Ficin : Si enim insanabiles videremur, re dimissa omni de me meisque consilio abstineret.


Page 74. — ..... Établir une convention, une loi inviolable, et même un serment (c’est la régie), avec un enseignement digne des Muses et des exercices analogues à cet enseignement, en prenant à témoin Dieu, maître de toutes choses présentes et futures, et le souverain père de ce Dieu, de cette cause qu’un jour, si nous devenons de vrais philosophes, nous connaîtrons tous clairement, autant que cela a été donné au génie de l’homme. Bekker, p. 426 : ϰαὶ χρῆσθαι συνθέϰῃ ϰαὶ νόμῳ ϰυρίῳ, ὅ ἐστι δίϰαιον, ἐπομνύντας σπουδῇ τε ἅμα μὲ ἀμούσῳ ϰαὶ τῇ τῆς σπουδῆς ἀδελφῇ παιδειᾷ, ϰαὶ τὸν τῶν πάντων θεὸν ἠγεμόνα τῶν τε ὄντων ϰαὶ τῶν μελλόντων τοῦ τε ἡγεμόνος καὶ αἰτίου πατέρα ϰύριον ἐπομνύντας, ὅν, ἂν ὂντως φιλοσοφῶμεν, εἰσόμεθα πάντες σαφῶς εἰς δύναμιν ἀνθρώπων εὐδαιμόνων.

La première partie de cette phrase, depuis ϰαὶ χρῆσθαι jusqu’à τὸν τῶν πάντων θεὸν, est une sorte d’invitation à une société secrète avec serment, un retour au pythagorisme qui trahit un imitateur maladroit de Platon. La seconde partie, ϰαὶ τὸν τῶν π. θ., paraît à Tiedemann une interpolation de quelque chrétien platonicien. Pour moi, cette phrase ne me paraît pas être interpolée, mais venir de la même main qui, dans ces lettres, a écrit tant d’autres phrases semblables, plus affectées que profondes, et superficiellement alexandrines.



Page 96.

La Lettre viie est de beaucoup supérieure aux autres. Plutarque, dans la vie de Dion, s’en est servi, et Boeckh la regarde comme seule authentique ; mais il nous est impossible d’admettre que jamais Platon ait écrit les lignes suivantes : « Je n’ai jamais rien écrit et je n’écrirai jamais rien sur ces matières. Cette science ne s’enseigne pas, comme les autres, avec des mots ; mais, après un long commerce, et une vie passée ensemble dans la méditation de ces mêmes choses, elle jaillit tout à coup comme une étincelle, et devient pour l’âme un aliment qui la soutient à lui seul, sans autre secours. Je sais bien que mes écrits ou mes paroles ne seraient pas sans mérite ; s’ils étaient mauvais, j’en aurais un grand chagrin. Si j’avais cru qu’il était bon de livrer cette science au peuple par mes écrits ou par mes paroles, qu’aurais-je pu faire de mieux dans ma vie que d’écrire une chose si utile aux hommes, et de faire connaître à tous les merveilles de la nature ? »


Page 98. — C’est cette même insuffisance qui empêchera toujours un homme sensé d’avoir la témérité d’ordonner ici ses pensées en une théorie, et encore en une théorie inflexible, comme cela peut avoir lieu pour des images sensibles.

Au lieu de cela, lisez :

« C’est cette même insuffisance qui empêchera toujours un homme sensé d’avoir la témérité d’ordonner ses pensées en une théorie, et encore en une théorie immuable, comme cela arrive lorsqu’elle est fixée par l’écriture. Bekker, p. 462 : ὧν ἕνεϰα νοῦν ἔχων οὐδεὶς τολμήσει ποτὲ εἰς αὐτὸ τιθέναι τὰ νενοημένα, ϰαὶ ταῦτα εἰς ἀμεταϰίνετον, ὄ δὴ πάσϰει τὰ γεγραμμένα τύποις.


Ibid. — Quand l’âme cherche à connaître l’être, et non les qualités, Bekker, p. 463 : Οὐ τὸ ποιόν τι, τὸ δὲ τί ζητούσης εἰδέναι τῆς ψυχῆς.

Τὸ δὲ τί pour l’essence ne se trouve pas dans Platon, et trahit déjà des habitudes de langage péripatéticien qui placent la composition de cette lettre après Aristote.


Ibid. — Ce qui, tombant aisément sous les contradictions des sens, des mots et des images, ne remplit l’esprit de tout homme que de doutes et d’obscurités. Bekker, p. 463 : αἰσθήσεσιν εὐέλεγτον τό τε λεγόμενον ϰαὶ δειϰνύμενον αἰεί παρεϰόμενον ἕϰαστον, ἀπορίας τε ϰαὶ ἀσαφείας ἐμπίπλησι πάσης ὡς ἔπος εἰπεῖν πάντ’ ἄνδρα.


Avec Schlosser (p. 190) je soupçonne ici quelque altération dans le texte, et je ne donne ma traduction que comme une conjecture et un premier essai.


Page 100. — S’il avait mis par écrit ce qu’il avait de sérieux dans l’âme, c’est alors qu’il faudrait dire : Ce ne sont pas les dieux..... Bekker, p. 466 : εἰ δὲ ὄντως αὐτῷ ταῦτ’ ἐσπουδαμένα ἐν γράμμασιν ἐτέθη, ἐξ ἄρα δὴ οἱ ἔπειτα, θεοί μὲν οὔ, βροτοὶ δὲ φρένας ὤλεσαν αὐτοί.


Schlosser soupçonne à tort que ce texte est corrompu. Évidemment il y a ici les débris d’un hexamètre. C’est le vers d’Homère (Iliad., xii, 234) : Ἐξ ἄρα δὲ τοι ἔπειτα θεοὶ φρένας ὤλεσαν αὑτοὶ.


Page 119. — Mais je puis te donner, pour toi et les colonies, des conseils qui paraîtront peut-être frivoles dans ma bouche, comme dit Hésiode, et qui cependant sont difficiles à trouver. Bekker, p. 496 : συμϐουλεῦσαι μέντοι ἔχω σοί τε ϰαὶ τοῖς οἰϰισταῖς, ὃ εἰπόντος μὲν ἐμοῦ, φησὶν Ἠσίοδος, δόξαι ἂν εἶναι φαῦλον χαλεπὸν δὲ νοῆσαι.

Il m’a été impossible de retrouver dans Hésiode le passage auquel il est fait ici allusion.


Page 121. — C’est dans ce dessein que je vous envoie un homme qui appartient aux pythagoriciens et à cette école, qui pourra, je crois, vous être utile, à toi et à Archytas. Bekker, p. 498 : ϰαὶ ἐγὼ νῦν τοῦτ’ αὐτὸ παρασϰευάζων τῶν τε Πυθαγορείων πέμπω σοι ϰαὶ τῶν διαιρέσεων, ϰαὶ ἄνδρα....

D’abord, j’adopte ici la correction de Valois, que Bekker n’a point admise, et qui donne ϰαὶ τῶνδὲ αἱρέσεων, c’est-à-dire, de cette école, de l’école pythagoricienne. Ensuite, si on lit avec Bekker et tous les manuscrits ϰαὶ ἄνδρα, pour expliquer les génitifs τῶνδὲ Πυθ. ϰαὶ τῶνδὲ αἱρέσ., il faut sous-entendre τὶ βιϐλίον ou τινὰ βιϐλία. Schlosser, qui ne connaît pas ou n’admet pas la correction de Valois, traduit (p. 62) : etwas auch der Schule der Pythagoreer und etwas über die logische Unterschiede. Mais il ne paraît pas qu’il soit ici question d’un envoi d’ouvrages pythagoriciens, encore moins d’ouvrages sur la logique ; du moins n’est-il pas fait la moindre allusion à un pareil envoi dans tout le reste de la lettre. Il semble qu’il s’agit particulièrement d’un ami, d’un conseiller que Platon envoie à Denys. Voilà pourquoi, puisqu’un manuscrit cité par Bekker retranche ϰαὶ avant ἄνδρα, je propose de rapporter ἄνδρα à τῶν τε Πυθαγορείων ϰαὶ τῶνδὲ αἱρέσεων, sans attacher d’ailleurs grande importance à cette correction dans un texte si peu digne d’intérêt.


Page 122. — Quant aux objets que tu m’as recommandé de t’envoyer, j’ai acheté l’Apollon : c’est l’ouvrage d’un jeune artiste de mérite nommé Léocharès.

Ce passage est, je crois, le seul avec celui de Pausanias, Att. iii, qui attribue à Léocharès une statue d’Apollon. Pausanias nous apprend que cette statue était placée dans le Céramique. L’auteur de la Lettre xiii ajoute que cet Apollon était l’ouvrage de Léocharès dans sa jeunesse. Sillig, dans son Catalogue, à l’article de Léocharès et de l’Apollon du Céramique, ne cite point ce passage, et s’avise de le citer pour les statues de Jupiter et du Peuple qui étaient au Pirée et de la main de Léocharès, comme nous l’apprend Pausanias, Att. i. Notre treizième Lettre ne dit pas un mot de ces deux dernières statues.


Page 123. — Il t’importerait beaucoup de rembourser le plus tôt possible ce qu’on t’aura avancé ; autrement on n’obtient pas d’avances ; il faut attendre jusqu’à ce qu’il arrive un exprès de ta part, et c’est un inconvénient, et de plus une honte. Bekker, p. 500 : ἐπεὶ ϰαὶ ἄν τί σοι αὐτῷ διαφέρῃ μέγα, ὤστε ἀναλωθὲν μὲν ἤδη ὀνῆσαι, μὴ ἀναλωθὲν δὲ ἀλλ’ ἐγχρονισθέν, ἔως ἄν τις παρά σου ἔλθῃ, βλάψαι, πρὸς τῷ ϰαλεπῷ τὸ τοιοῦτον σοὶ ἐστι ϰαὶ αἰσχρόν.

J’avoue que j’ai traduit cette phrase, comme Schlosser avait fait avant moi, plutôt par conjecture que littéralement ; car le texte me paraît altéré. J’incline à penser que le premier ἄν τι est interpolé et vient du second ἄν τις.


Page 125. — Quant au signe qui distingue mes lettres sérieuses de celles qui ne le sont pas, je pense que tu ne l’as point oublié, etc. Je commence mes lettres sérieuses par Dieu, et les autres par les dieux.

À ce compte, nous n’aurions de Platon ni lettres serieuses ni non sérieuses, aucune des Lettres qui sont venues jusqu’à nous sous son nom ne commençant ni par Dieu ni par les Dieux. D’ailleurs, cette distinction est d’une puerilité qui ne permet pas de la rapporter à Platon.