Livre pour l’enseignement de ses filles du Chevalier de La Tour Landry/Chapitre 116

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Cy parle de bonne renommée.

Chappitre CXVIe.



Mes belles filles, si vous sçavés le grant honneur et le grant bien qui yst de la bonne renommée, qui tant est noble vertus, vous mettrés cuer et peine de y entendre, tout aussi comme fait le bon chevalier d’onneur qui tire à venir à vaillance, qui tant en trait de paine et de grans chaux et de frois, et met son corps en tant d’aventure de mourir ou de vivre pour avoir honneur et bonne renommée, et en laisse son corps en mains véages, en maintes battailles, et en maints assaulx, et en maintes armées et en maints grans perilz. Et quant il a assez souffert paine et endurée, il est trait avant et mis en grans honneurs et servis, et lui donne l’en grans dons et prouffis assez. Mais nul ne se apparrage à la grant honneur que l’en li porte, ne à la grant renomée. Et tout aussi est-il de la bonne femme et de la bonne dame qui en tous lieuz est renommée en honneur et en bien, c’est la preude femme qui met paine et travail à tenir nettement son corps et son honneur, et refuse sa juennesce les faulx delis et folles plaisances dont elle puet recouvrer et recevoir blasme. Comme j’ay dit du bon chevalier qui telle peine sueffre pour estre mis ou nombre des bons, ainsi le doit faire toute bonne femme et bonne dame et y penser, et comme elle en acquiert l’amour de Dieu et de son seigneur et du monde et aussy de ses amis, et le sauvement de son ame, qui est le plus digne, dont le monde la loue et Dieu encore plus, car il l’appelle la precieuse margarite, c’est une fine perle, qui est blanche, ronde et clère, sans taiche y veoir. Si a cy bonne exemple comment Dieux loua la bonne femme en l’euvangille, et si doivent toutes gens ; car l’en doist autant faire de bien et d’onneur à la bonne dame ou damoiselle comme au bon chevalier ou escuier, et plus, dont le monde est aujourd’hui bestourné, et honneur n’est point si gardée en sa droite règle et en son droit estat comme elle souloit en plusieurs cas, et spécialement l’onneur des bonnes femmes. Et vous diray comment je l’ouy racompter à mon seigneur de père et à plusieurs bons chevaliers et preud’hommes, comment en son temps on honnouroit les bonnes femmes, et comment les blasmées estoient rusées et séparées des bonnes, et n’a pas encore xl. ans que ceste coustume couroit communement, selon ce que ilz disoient. Car en cellui temps une femme qui fust blasmée ne feust sy hardie de soy retraire ou renc des bonnes qu’elle n’en feust reboutée. Dont je vous conteray de deux bons chevalliers de cellui temps, dont l’un avoit nom Messire Raoul de Lugre et l’autre Messire Gieffroy, et estoient frères et bons chevaliers d’armes, qui lors couroient es voiages, es tournoiz et aux autres lieux là où ilz povoient trouver honneur. Ilz estoient renommés et honnourés comme Charny, Bouciquaut ou Saintré, et pour ce avoient leur parler sur touz, et convenoit que ils feussent escoutés comme chevaliers auctorisez.