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Lotus de la bonne loi/Chapitre 18

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Lotus de la bonne loi
Version du soûtra du Lotus traduite directement à partir de l’original indien en sanscrit.
Traduction par Eugène Burnouf.
Librairie orientale et américaine (p. 215-226).
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CHAPITRE XVIII.

EXPOSITION DE LA PERFECTION DES SENS.

Ensuite Bhagavat s’adressa ainsi au Bôdhisattva Mahâsattva Satatasamitâbhiyukta : Celui qui, ô fils de famille, possédera cette exposition de la loi, ou qui la récitera, ou qui l’enseignera, ou qui l’écrira, que ce soit un fils ou une fille de famille, obtiendra les huit cents perfections de la vue, les douze cents perfections de l’ouïe, les huit cents perfections de l’odorat, les douze cents perfections du goût, les huit cents perfections du corps, les douze cents perfections de l’intellect. Par ces nombreuses centaines de perfections, la réunion de ses sens deviendra pure, parfaitement pure. À l’aide de l’organe physique de la vue ainsi perfectionné, de cet œil de la chair qu’il doit à son père et à sa mère, il verra dans son entier ce grand millier de trois mille mondes, avec son intérieur et son extérieur, avec ses montagnes, avec ses forêts épaisses, avec ses ermitages, atteignant en bas de son regard jusqu’au grand Enfer Avîtchi, et en haut jusqu’aux lieux où commence l’existence. Il verra tout cela avec l’œil physique de la chair, et les êtres qui sont nés dans ce monde, il les verra tous. Il connaîtra quel doit être le fruit de leurs œuvres.

Ensuite Bhagavat prononça, dans cette occasion, les stances suivantes :

f. 189 b.1. Apprends de ma bouche quelles seront les qualités de l’homme qui, plein d’intrépidité, exposera ce Sûtra au milieu de l’assemblée et qui l’expliquera sans se laisser aller à la paresse.

2. Il aura d’abord les huit cents perfections de la vue, perfections qui rendront son œil parfait et pur de toute tache et de toute obscurité.

3. Avec cet œil de la chair qu’il doit à son père et à sa mère, il verra la totalité de cet univers, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.

4. Il verra tous les Mêrus et les Sumêrus, les monts Tchakravâlas et les autres montagnes célèbres ; il verra de même les océans.

5. Ce héros embrassera de son regard tout ce qui se trouve en bas jusqu’à l’[Enfer] Avîtchi, en haut jusqu’aux lieux où commence l’existence ; tel sera chez lui l’œil de la chair.

6. Il ne possédera pas cependant encore la vue divine, et il n’aura pas encore la science, le champ que je viens de décrire sera celui de sa vue mortelle.

Encore autre chose, ô Satatasamitâbhiyukta. Le fils ou la fille de famille expliquant cette exposition de la loi, la faisant entendre à d’autres, se met en possession des douze cents perfections de l’ouïe. Tous les sons divers qui se produisent dans ce grand millier de trois mille mondes, jusqu’au grand Enfer Avîtchi et jusqu’aux lieux où commence l’existence, en dedans comme en dehors de l’univers : par exemple les bruits que font entendre le serpent, le cheval, le chameau(189 b), la vache, la chèvre, les chars ; ceux que produisent les lamentationsf. 190 a. et la douleur ; les bruits effrayants ; les sons de la conque, de la cloche, du tambourin, du grand tambour ; la voix du plaisir, celle des chants et de la danse ; le cri du chameau et du tigre ; la voix de la femme, de l’homme, des enfants des deux sexes ; les sons de la loi, de l’injustice, du bonheur, du malheur ; les voix des ignorants et des Aryas ; les bruits agréables et désagréables ; ceux que font entendre les Dêvas, les Nâgas, les Yakchas, les Gandharvas, les Asuras, les Garudas et les Kinnaras, les Mahôragas, les hommes, les êtres qui n’appartiennent pas à l’espèce humaine, le feu, le vent, l’eau, les villages, les villes, les Religieux, les Çrâvakas, les Pratyêkabuddhas, les Bôdhisattvas, les Tathâgatas ; autant il y a de bruits qui se produisent dans ce grand millier de trois mille mondes tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, autant il en entend avec cet organe de l’ouïe physique, ainsi perfectionné ; et cependant il ne possède pas pour cela l’ouïe divine. Il perçoit les voix de chacun des êtres, il les discerne, il les distingue ;f. 190 b. et son oreille, qui entend les voix de tous ces êtres avec cet organe naturel de l’ouïe, n’est pas pour cela troublée par tous ces sons. C’est là, ô Satatasamitâbhiyukta, l’organe de l’ouïe dont ce Bôdhisattva Mahâsattva devient possesseur ; et cependant il ne jouit pas pour cela de l’ouïe divine.

Voilà ce que dit Bhagavat ; ensuite Sugata le Précepteur ayant ainsi parlé, prononça encore les paroles suivantes :

7. L’organe de l’ouïe d’un tel homme devient pur, et tout naturel qu’il est, rien ne l’émousse ; à l’aide de cet organe, il entend d’ici la totalité des voix diverses de cet univers.

8. Il entend la voix des éléphants, des chevaux, des bœufs, des chèvres, des moutons ; le bruit des chars, des timbales, des tambours au son agréable, des Vinâs, des flûtes et des luths.

9. Il entend les chants doux et qui vont au cœur, et plein de fermeté, il ne se laisse pas attirer à ce charme ; il entend les voix de plusieurs kôṭis d’hommes ; il sait tout ce qu’ils disent, dans quelque lieu qu’ils le disent.

10. Il entend toujours les sons que produisent les Dêvas et les Nâgas ; il entend le bruit des chants doux et qui vont au cœur, la voix des hommes, celle des femmes, celle des enfants et celle des jeunes filles ;

11. Celle des êtres qui habitent les montagnes et les cavernes ; celle des Kalavigkas, des Kôkilas et des paons, celle des faisans et des autres oiseaux ; il entend les voix agréables de tous ces êtres.f. 191 a.

12. Il entend les lamentations effrayantes qu’arrache la souffrance aux habitants des Enfers, et les cris que poussent les Prêtas tourmentés par les douleurs de la faim ;

13. Et les paroles diverses que s’adressent les Asuras qui habitent au milieu de l’océan ; tous ces sons, en un mot, cet interprète de la loi les entend de ce monde où il réside, et il n’en est pas ému.

14. Il entend les cris que poussent entre eux les êtres qui sont nés dans des matrices d’animaux ; ces voix diverses et nombreuses, il les perçoit du monde même où il se trouve.

15. Les discours que tiennent entre eux les Dêvas qui habitent le monde de Brahmâ, les Akanichthas et les Dêvas Abhâsvaras, sont complètement perçus par lui. 16. Il entend toujours la voix des Religieux qui, après être entrés ici dans la vie religieuse sous l’enseignement du Sugata, sont occupés à lire ; il entend aussi la loi qu’ils enseignent dans les assemblées ;

17. Et les voix diverses que font entendre les Bôdhisattvas qui, dans cet univers, sont occupés à lire entre eux, et le bruit des entretiens auxquels ils se livrent sur la loi.

18. Le Bôdhisattva qui possède ce Sûtra entend en même temps la loi excellente qu’expose dans les assemblées le bienheureux Buddha qui dompte l’homme comme un cocher [dompte ses chevaux].

19. Les bruits nombreux que font tous les êtres renfermés dans cet univers formé de trois mille mondes, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de son enceinte, jusqu’à l’Enfer Avîtchi,f. 191 b. et au-dessus, jusqu’aux lieux où commence l’existence ;

20. Les bruits de tous ces êtres, en un mot, sont perçus par lui, et cependant son oreille n’en est jamais offensée : grâce à la perfection de son organe, il sait reconnaître le lieu d’où naît chacune de ces voix.

21. Voilà quel est en lui l’organe naturel de l’ouïe, et cependant il n’a pas l’usage de l’ouïe divine ; son oreille est restée dans son état primitif, car ce sont là les qualités de l’homme intrépide qui possède ce Sûtra.

Encore autre chose, ô Satatasamitâbhiyukta. Le Bôdhisattva Mahâsattva qui possédera cette exposition de la loi, qui l’expliquera, qui la lira, qui l’écrira, obtiendra la perfection du sens de l’odorat, lequel deviendra pour lui doué de huit cents qualités. Avec cet organe de l’odorat ainsi perfectionné, il percevra les diverses odeurs qui se trouvent dans le grand millier de trois mille mondes, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, comme les mauvaises odeurs, les odeurs agréables ou désagréables, celle des fleurs de diverses espèces, du Djâtika, de la Mallikâ, du Tchampaka, du Pâtala. Il sentira de même les divers parfums des fleurs aquatiques, telles que le lotus bleu, le lotus jaune, le lotus rouge, le lotus blanc, et le Nymphaea. Il sentira les divers parfums qu’exhalent les fleurs et les fruits produits par les arbres qui en portent, comme l’odeur agréable du Santal, du Tamâlapatra, du Tagara, et de l’Aguru. Les cent mille espèces de mélanges de diverses odeurs, il les percevra et les distinguera toutesf. 192 a. sans sortir de la place qu’il occupe. Il sentira aussi les odeurs qu’exhalent les diverses espèces de créatures, telles que l’éléphant, le cheval, le bœuf, la chèvre, les bestiaux, ainsi que celles qui s’échappent du corps des différentes créatures qui sont entrées dans des matrices d’animaux ; celles des enfants des deux sexes, des femmes et des hommes ; celles des herbes, des buissons, des plantes médicinales, des arbres, rois des forêts, qui cependant sont éloignés. Il percevra ces odeurs réellement et telles qu’elles sont ; et il ne sera pas ravi par ces odeurs, il n’en sera pas enivré. Quoique restant dans ce monde, il sentira les odeurs [qui sont le partage] des Dêvas, par exemple, le parfum des fleurs divines du Pûridjâta, du Kôvidâra, du Mandârava, du Mañdjûchaka et du Mahâmañdjûchaka. Il respirera les parfums des poudres divines de Santal et d’Aguru, ainsi que celui des cent mille espèces de mélanges de fleurs divines de tout genre, et il en connaîtra les noms. Il sentira le parfum qui s’exhale du corps d’un fils des Dêvas, par exemple, de Çakra, l’Indra des Dêvas, et il le reconnaîtra, soit que, dans son palais de Vâidjayanta, il se livre au plaisir, il s’amuse, il se divertisse, soit que, dans la salle d’assemblée des Dêvas, nommée Sudharmâ, il enseigne la loi aux dieux Trayastrimças, soit qu’il se retire dans son jardin de plaisance pour y chercher le plaisir. Il saura distinguer l’odeurf. 192 b. qui s’échappe du corps des autres Dêvas en particulier, de même que celle des filles, des femmes et des enfants des Dêvas ; et il ne sera pas ravi par ces odeurs, il n’en sera pas enivré. C’est de cette manière qu’il percevra les odeurs que répand le corps des êtres nés jusqu’aux limites où commence l’existence. Il respirera aussi le parfum qu’exhale le corps des fils des Dêvas Brahmakâyikas et des Mahâbrahmâs. C’est de cette manière qu’il percevra l’odeur qu’exhalent toutes les troupes des Dêvas, ainsi que celles des Çrâvakas, des Pratyêkabuddhas, des Bôdhisattvas et des Tathâgatas. Il percevra l’odeur des sièges des Tathâgatas, et, dans quelque lieu que se trouvent ces Tathâgatas vénérables, il les reconnaîtra ; et l’organe de l’odorat ne sera pas pour cela blessé ni offensé chez lui de ces diverses odeurs. Lorsqu’il sera interrogé, il expliquera aux autres chacune de ces odeurs, et sa mémoire ne souffrira aucune diminution.

Ensuite Bhagavat prononça dans cette occasion les stances suivantes :

22. L’organe de l’odorat est chez lui très pur, et il perçoit les nombreuses et diverses odeurs, agréables ou désagréables, qui existent dans cet univers ;

23. Les odeurs des fleurs et des fruits divers,f. 193 a. telles que celles du Djâtîya, de la Mallikâ, du Tamâlapatra, du Santal, du Tagara et de l’Aguru. 24. Il connaît de même les odeurs que répandent les êtres, quelque éloignés qu’ils soient, les hommes, les femmes, les jeunes gens et les jeunes filles, c’est par l’odeur qu’ils exhalent qu’il sait le lieu où ils se trouvent.

25. C’est à l’odeur qu’il reconnaît les rois Tchakravartins, Balatchakravartins et Mandalins, ainsi que leurs fils, leurs conseillers et tout ce qui se trouve dans leurs gynécées.

26. Ce Bôdhisattva connaît par l’odorat les diverses espèces de joyaux précieux qui sont cachés dans les retraites les plus secrètes de la terre et qui sont destinés à parer les femmes.

27. Et les ornements de diverses espèces dont le corps des femmes est couvert, vêtements, guirlandes et substances onctueuses, ce Bôdhisattva reconnaît tout cela à l’odeur.

28. Il connaît, par l’énergie de son odorat, ceux qui sont debout, assis, couchés, et ceux qui se livrent au plaisir ; il connaît la force des facultés surnaturelles, le sage plein de fermeté qui possède ce Sûtra si puissant.

29. Dans le lieu où il se trouve, il perçoit et sent à la fois les parfums des huiles odoriférantes, ceux des fleurs et des fruits, les rapportant chacun à la source qui les produit.

30. Les nombreux arbres de Santal tout en fleurs, qui se trouvent dans les fentes des montagnes, ainsi que les êtres qui habitent dans les cavernes, ce sage les connaît tous par les parfums qu’ils exhalent.

31. Les êtres qui se trouvent sur les flancs des monts Tchakravâlas, ceux qui résident au milieu de l’océan, ceux qui vivent dans les entrailles de la terre, ce sage les reconnaît tousf. 193 b. à l’odeur.

32. Il connaît les Suras, les Asuras, les filles des Asuras ; il connaît leurs jeux et leurs plaisirs, tant est grande la force de son odorat.

33. Les animaux qui vivent dans les forêts, lions, tigres, éléphants, serpents, buffles, bœufs, Gayals, lui sont tous connus ; son odorat lui révèle leur retraite.

34. Il reconnaît à l’odeur, en quelque lieu que ce soit, si c’est un fils ou une fille que portent dans leurs flancs les femmes enceintes dont le corps est épuisé de fatigue.

35. Il reconnaît les êtres dans le sein de leur mère ; il les reconnaît quand ils sont dans les conditions de la destruction. Cette femme, [dit-il,] débarrassée de ses souffrances, mettra au monde un fils vertueux.

36. Il devine les diverses intentions des hommes, et il les devine à l’odorat ; c’est à l’odeur qu’il reconnaît s’ils sont passionnés, méchants, dissimulés ou amis de la quiétude. 37. Ce Bôdhisattva reconnaît à l’odeur les trésors cachés sous la terre, les objets précieux, l’or, les Suvarnas, l’argent, les coffres de fer et les monnaies qu’ils renferment ;

38. Les colliers, les guirlandes, les pierreries, les perles et les divers joyaux de prix : lui sont tous connus par leur odeur, ainsi que toutes les choses dont le nom est précieux et la forme brillante.

39. Ce héros, de ce monde où il réside, sent les fleurs de Mandâravas de Mandjûchaka, et celles dont se couvrent Avîtchi,f. 194 a. les Pâridjâtas qui croissent chez les Dêvas, au-dessus de nos têtes.

40. De ce monde, il connaît par la force de l’odorat quels sont et à qui appartiennent les chars divins, ceux qui sont grands, moyens ou petits ; il connaît leurs formes variées, et sait où chacun d’eux se trouve.

41. Il connaît de même la place du jardin [des Dêvas], la salle de Sudharmâ et la ville de Vâidjayanta, et le meilleur des palais, et les fils des Dêvas qui s’y livrent au plaisir.

42. De ce monde où il est, il perçoit l’odeur de tout cela ; il connaît, par ce moyen, les fils des Dêvas, et sait quelles actions exécute chacun d’eux, en quel lieu il les exécute, qu’il soit debout, qu’il marche ou qu’il écoute.

43. Ce Bôdhisattva reconnaît par l’odorat les filles des Dêvas qui sont couvertes de fleurs, parées de leurs guirlandes et embellies de leurs ornements ; il sait où elles vont et où elles se livrent au plaisir.

44. Avec ce sens, il voit au-dessus de lui, jusqu’aux lieux où commence l’existence, les Dêvas Brahmâs et Mahâbrahmâs qui montent des chars divins ; il les voit absorbés dans la contemplation et au moment où ils en sortent.

45. Il connaît les fils des Dêvas Abhâsvaras, et quand ils quittent leur condition, et quand ils naissent, tant est puissant l’organe de l’odorat chez le Bôdhisattva qui possède ce Sûtra.

46. Ce Bôdhisattva reconnaît également tous les Religieux quels qu’ils soient, qui, sous l’enseignement du Sugata, toujours appliqués quand ils sont debout ou qu’ils se promènent, sont passionnés pour l’enseignement et pour la lecture.

47. Les fils du Djina qui sont des Çrâvakas, ceux qui vivent sans cesse auprès des troncs des arbres, il les connaît tousf. 194 b. avec son odorat, et il peut dire : « Voilà un Religieux qui est dans tel endroit. »

48. Les Bôdhisattvas pleins de mémoire et livrés à la contemplation, qui, toujours passionnés pour la lecture et pour l’enseignement, expliquent la loi dans les assemblées, ce Bôdhisattva les connaît par l’odorat.

49. En quelque lieu de l’espace que le Sugata, le grand Solitaire, plein de bonté et de compassion, explique la loi, ce Bôdhisattva reconnaît par l’odorat le Chef du monde au milieu de l’assemblée des Çrâvakas dont il est honoré.

50. Et les êtres qui écoutent la loi de la bouche de ce Buddha, et qui, après l’avoir entendue, en ont l’esprit satisfait, ce Bôdhisattva, du monde où il se trouve, les connaît, ainsi que l’assemblée tout entière du Djina.

51. Telle est la force de son odorat ; et cependant ce n’est pas l’odorat des Dêvas qu’il possède ; mais la sûreté de son organe l’emporte sur celui des Dêvas, quelque parfait que soit ce dernier.

Encore autre chose, ô Satatasamitâbhiyukta. Le fils ou la fille de famille qui possède cette exposition de la loi, qui l’enseigne, qui l’explique, qui l’écrit, obtiendra la perfection de l’organe du goût, lequel deviendra pour lui doué des douze cents qualités du goût. Les saveurs quelconques qu’avec un organe du goût ainsi perfectionné, il goûtera, il percevra, celles qu’il déposera sur sa langue seront toutes, il faut aussi le savoir, des saveurs divines, d’excellentes saveurs ; et il emploiera son organe de telle sorte, qu’il ne percevra aucune saveur désagréable ; et les saveurs désagréables elles-mêmes qui viendront se déposer sur sa langue, Avîtchi, f. 195 a.seront appelées des saveurs divines ; et la loi qu’il prononcera, quand il sera au milieu de l’assemblée, les créatures en ressentiront de la joie dans leurs organes ; elles en seront satisfaites, contentes, pleines de plaisir. Il fera entendre une voix douce, belle, agréable, profonde, allant au cœur, aimable, dont les êtres seront contents et auront le cœur ravi ; et les êtres auxquels il enseignera la loi, après avoir entendu ses accents doux, beaux, agréables, penseront, fussent-ils même des Dêvas, qu’ils doivent aller le trouver, pour le voir, pour le vénérer, pour le servir, pour entendre la loi de sa bouche. Les filles des Dêvas elles-mêmes, les fils des Dêvas, Çakra, Brahmâ, les fils des Dêvas Brahmakâyikas, penseront qu’ils doivent aller le trouver pour le voir, pour le vénérer, pour le servir et pour entendre la loi de sa bouche. Les Nâgas et les filles des Nâgas elles-mêmes penseront de même, ainsi que les Asuras et leurs filles, les Garudas et leurs filles, les Kinnaras et leurs filles, les Mahôragas et leurs filles, les Yakchas et leurs filles, les Piçâtchas et leurs filles ; et tous l’honoreront, Avîtchi,f. 195 b. le vénéreront, le respecteront, l’adoreront. Les Religieux et les fidèles des deux sexes éprouveront aussi le désir de le voir ; les rois, les fils des rois, leurs conseillers, leurs grands ministres éprouveront le même désir. Les rois Balatchakravartins eux-mêmes, possesseurs des sept choses précieuses, accompagnés de leurs héritiers présomptifs, de leurs ministres et des femmes de leurs appartements intérieurs, viendront pour le voir, désireux de l’honorer, tant sera doux le langage dans lequel cet interprète de la loi exposera la loi, d’une manière fidèle et comme elle a été prêchée par le Tathâgata. D’autres, comme les Brahmanes, les maîtres de maison, les habitants des provinces et des villages s’attacheront à la suite de cet interprète de la loi, jusqu’à la fin de leur vie. Les Çrâvakas du Tathâgata eux-mêmes viendront pour le voir, ainsi que les Pratyêkabuddhas et les Buddhas bienheureux. Et dans quelque point de l’espace que se trouve ce fils ou cette fille de famille, dans ce lieu il enseignera la loi en présence du Tathâgata, et il sera le vase capable de recevoir les lois des Buddhas. Tels et aussi agréables seront les accents profonds de la loi qu’il fera entendre.

Ensuite Bhagavat prononça dans cette occasion les stances suivantes :

f. 196 a.52. L’organe du goût est excellent chez lui, et jamais il ne perçoit une saveur désagréable ; les saveurs n’ont qu’à être mises en contact avec sa langue pour devenir divines et douées d’un goût surnaturel.

53. Il fait entendre une voix douce, belle, agréable, qu’on désire et qu’on veut écouter ; il parle toujours au milieu de l’assemblée avec une voix profonde et ravissante.

54. Et celui qui écoute la loi pendant que ce sage l’expose, au moyen de plusieurs myriades de kôṭis d’exemples, en conçoit une joie extrême et lui rend un culte incomparable.

55. Les Dêvas, les Nâgas, les Asuras et les Guhyakas désirent le voir sans cesse ; ils entendent avec respect la loi de sa bouche : ce sont là, en effet, les qualités qui le distinguent.

56. Il peut, s’il le désire, instruire de sa voix la totalité de cet univers ; sa voix a un accent doux, caressant, profond, beau et agréable.

57. Les rois Tchakravartins, maîtres de la terre, désireux de l’honorer, se rendent auprès de lui, accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants ; et tenant les mains réunies en signe de respect, ils entendent sans cesse la loi de sa bouche.

58. Il est toujours suivi par des Yakchas, par des troupes de Nâgas, de Gandharvas, de Piçâtchas mâles et femelles, dont il est respecté, honoré et adoré.

59. Brahmâ lui-même obéit à sa volonté, ainsi que les fils des Dêvas, Mahêç- vara et Îçvara, ainsi que Çakra et les autres Dêvas ; de nombreuses filles des Dêvas se rendent auprès de lui.

60. Et les Buddhas qui sont bons et compatissants pour le monde, entendant avec leurs Çrâvakas le son de sa voix, f. 196 b.veillent sur lui pour lui montrer leur visage et sont satisfaits de l’entendre exposer la loi.

Encore autre chose, ô Satatasamitâbhiyukta. Le Bôdhisattva Mahâsattva qui possède cette exposition de la loi, qui la récite, qui l’explique, qui l’enseigne, qui l’écrit, obtiendra les huit cents perfections du corps. Son corps deviendra pur et doué de la couleur et de l’éclat parfait du lapis-lazuli. Il sera pour les créatures un objet agréable à voir. Sur ce corps ainsi purifié, il verra tous les êtres que renferme le grand millier de trois mille mondes. Les êtres qui meurent et ceux qui naissent dans le grand millier de trois mille mondes, les êtres inférieurs ou parfaits, ayant une couleur belle ou laide, suivant la bonne ou la mauvaise loi, ceux qui habitent les rois des montagnes, les Tchakravâlas, les Mêrus et les Sumêrus, ceux qui résident au-dessous de la terre, depuis l’Enfer Avîtchi, et au-dessus, jusqu’aux limites où commence l’existence, il les verra sur son propre corps. Les Çrâvakas, les Pratyêkabuddhas, les Bôdhisattvas et les Tathâgatas, quels qu’ils soient, qui habiteront dans ce grand millier de trois mille mondes, ainsi que la loi que ces Tathâgatas enseigneront, et les êtres qui serviront chaque Tathâgata, il les verra tous sur son propre corps, parce qu’il aura reçu [l’image de] la forme de chacun d’eux. Pourquoi cela ? C’est à cause de la pureté que possède son corps.

Ensuite Bhagavat prononça dans cette occasion les stances suivantes :

f. 197 a.61. Son corps devient parfaitement pur, pur comme s’il était de lapis-lazuli ; celui qui possède ce noble Sûtra est constamment un objet agréable aux yeux des créatures.

62. Il voit le monde sur son propre corps, comme on voit l’image réfléchie sur la surface d’un miroir, existant par lui-même, il ne voit pas d’autres êtres [hors de lui], car telle est la parfaite pureté de son corps.

63. Les créatures qui existent dans l’univers, hommes, Dêvas, Asuras et Guhyakas, les êtres nés dans les Enfers, parmi les Prêtas et dans des matrices d’animaux, viennent chacun se réfléchir sur son propre corps.

64. Il voit complètement sur son corps les chars divins des Dêvas, jusqu’aux lieux où commence l’existence, les montagnes et les monts Tchakravâlas, l’Himavat, le Sumêru et le grand Sumêru.

65. Il voit également sur sa personne les Buddhas avec leurs Çrâvakas et les autres fils des Buddhas ; il voit les Bôdhisattvas qui vivent solitaires et ceux qui, réunis en troupes, enseignent la loi.

66. La pureté de son corps est telle, qu’il y voit la totalité de cet univers ; et cependant il n’est pas en possession de l’état de Dêva ; c’est son corps naturel qui est ainsi doué.

Encore autre chose, ô Satatasamitâbhiyukta. Le Bôdhisattva Mahâsattva qui, depuis l’entrée du Tathâgata dans le Nirvâṇa complet, possédera cette exposition de la loi, qui l’enseignera, l’expliquera, l’écrira, la récitera, ce Bôdhisattva, dis-je, obtiendra la perfection de l’organe de l’intellect, lequel sera doué des douze cents qualitésf. 197 b. de la compréhension. Avec cet organe de l’intellect ainsi perfectionné, s’il vient à entendre ne fût-ce qu’une stance unique, il en connaîtra les sens nombreux. Après les avoir complètement pénétrés, il en fera pour un mois l’objet de l’enseignement qu’il donnera de la loi ; il pourra même les expliquer pendant quatre mois, pendant une année. La loi qu’il prêchera ne tombera jamais en oubli dans son esprit. Les maximes du monde relatives aux circonstances de la vie mondaine, soit dictons, soit axiomes, seront par lui conciliées avec les règles de la loi. Tous les êtres qui, étant entrés par les six voies de l’existence dans le grand millier de trois mille mondes, y sont soumis aux lois de la transmigration, il connaîtra l’action et les mouvements de leur intelligence à eux tous ; il connaîtra, il distinguera leurs mouvements, leurs pensées et leurs actions. Quoique n’ayant pas encore atteint à la science des Aryas, l’organe de l’intellect sera doué chez lui d’une perfection aussi accomplie. Quand, après avoir médité sur les diverses expositions de la loi, il l’enseignera, tout ce qu’il enseignera sera conforme à la vérité. Il exposera tout ce qui aura été dit par le Tathâgata ; il prêchera tout ce qui aura été expliqué dans l’exposition des Sûtras par les anciens Djinas.

Ensuite Bhagavat prononça, dans cette occasion, les stances suivantes :

67. L’organe de l’intellect est chez lui parfaitement pur, clair, lumineux et exempt de tout ce qui pourrait le troubler ; au moyen de cet organe, il connaît les diverses lois, les inférieures,f. 198 a. les supérieures et les intermédiaires.

68. Ce sage, plein de fermeté, entendant une stance unique, sait y voir un grand nombre de sens, et il peut, pendant un mois, quatre mois, ou même une année, en expliquer la valeur véritable et parfaitement liée.

69. Et les êtres qui habitent ici-bas cet univers, soit dans l’intérieur, soit à l’extérieur de son enceinte, Dêvas, hommes, Asuras, Guhyakas, Nâgas et créatures renfermées dans des matrices d’animaux,

70. Les êtres qui habitent ici dans les six voies de l’existence, ce sage connaît dans le même moment toutes les pensées qui s’élèvent dans leurs esprits ; car c’est là l’avantage attaché à la possession de ce Sûtra.

71. Il entend aussi la voix pure du Buddha, décoré des cent signes de vertu, qui explique la loi dans toute l’étendue de l’univers, et il saisit ce que dit le Buddha.

72. Il se livre à de nombreuses réflexions sur la loi excellente, et il parle abondamment et sans relâche ; jamais, cependant, il n’éprouve d’hésitation ; car c’est là l’avantage attaché à la possession de ce Sûtra.

73. Il connaît les concordances et les combinaisons, et ne voit entre toutes les lois aucune différence ; il en sait le sens et les explications, et il les expose comme il les sait.

74. Le Sûtra qui a été pendant longtemps exposé ici-bas par les anciens Maîtres du monde, c’est là la loi qu’il ne cesse d’exposer, sans éprouver jamais de crainte, au milieu de l’assemblée.

75. Tel est l’organe de l’intelligence de celui qui possède ce Sûtra et qui l’expose ; et cependant ce n’est pas la science du détachement qu’il a obtenue ; mais celle qu’il possède est supérieure.

f. 198 b.76. En effet, il est placé sur le terrain des Maîtres, il peut exposer la loi à la totalité des créatures et il dispose habilement de myriades d’explications, celui qui possède ce Sûtra du Sugata.


Notes du chapitre XVIII

CHAPITRES XVII ET XVIII.

f. 185 a. Asam̃khyêyas.] Ce mot signifie « innumérable. » On trouvera une note sur ce terme à l’Appendice, no XX.

f. 185 b. Des Çrôtâpannas.] Sur ce terme et sur les suivants, voyez l’Introduction à l’histoire du Buddhisme indien, t. I, p. 291 et suiv. Sur les huit délivrances ou affranchissements, voyez ci-dessus, chap. vi, f. 82 b, p. 386. et Appendice, no XV.

f. 188 a. St. 5. Semblables à un mirage.] Ajoutez, « et à de l’écume. »

f. 189 b. Le chameau.] Un des manuscrits de M. Hodgson lit l’éléphant ; un autre manuscrit omet le mot. La leçon du manuscrit qui substitue l’éléphant au chameau est la meilleure, parce que le cri du chameau va être indiqué une ligne plus bas.

f. 191 a. St. 15. Les Akanichṭhas et les Dêvas Abhâsvaras.] Quant au nom de ces divinités, voyez Introduction à l’histoire du Buddhisme indien, t. I, Appendice, p. 184 et 616, et de plus, p. 611 et 612.

f. 191 b. Du Djâtika.] Lisez, « de la Djâtikâ. » Voici la synonymie de ces noms d’après Wilson. La Djâtikâ, qui plus bas, st. 28, est nommée Djâtiyâ, est probablement la même plante que la Djâti ou le jasminum grandiflorum. La Mallikâ est le jasminum zambac ou jasmin d’Arabie. Le Tchampâka est le Mitchelia tchampaka. Le Pâṭala est la Bignonia suaveolens, ou la fleur en trompette. L’Utpala est le nymphæa cærulea, ou le nymphæa bleu. Le Padma est le nelambium speciosum. Le Kumuda est le nymphæa rubra. Le Pandarika est le lotus blanc, sans doute le nymphæa alba. Le Sâugandhika est le nymphæa lotus, ou lis blanc d’eau. Il faut en outre voir sur ces derniers noms qui désignent des plantes aquatiques, les recherches de M. E. Ariel, qui s’est attaché, dans l’Inde même où il réside, à fixer avec précision la synonymie des noms indiens, et leur rapport avec les végétaux mêmes qu’il avait sous les yeux[1]. En sanscrit Tchandana est le sirium myrtifolium. Le Tamâlapatra est à proprement parler la feuille du Tamâla, qui serait soit le xanthocymus pictorius, soit le laurus cassia. Le Tagara est le Tabernæmontana coronaria. L’Agaru est l’aquilaria agalloca ou l’aloès.

Des fleurs divines du Pâridjâta.] Nous trouvons ici des noms de plantes ou d’arbres qualifiés de divins ou célestes. À ce compte ils n’auraient pas le droit de nous occuper, parce que nous pouvons ignorer à jamais comment se les représentait l’imagination indienne. Quelques-uns de ces noms ont cependant des synonymies terrestres, et ce sont celles-là qu’il faut relever. Le Pâridjâta est l’Erythrina fulgens ou l’arbre de corail. Le Kôvidâra est le Bauhinia variegata ou une espèce d’ébène. Le Mandârava nous a déjà occupés ci-dessus, chap. I, f. 4 a, p. 306 ; ce serait, selon Wilson, un autre nom de l’Erythrina fulgens. Il en faut dire autant du Mañdjûchaka ou du Mahâmañdjûchaka, dont le premier, nommé par Wilson Mandjûchâ, désigne la garance du Bengale. Il est aisé de reconnaître que pour se représenter les arbres divins, on a pris les végétaux les plus remarquables par la beauté de leurs fleurs.

f. 194 b. Seront toutes, il faut aussi le savoir, des saveurs divines.] La comparaison des trois manuscrits qui sont actuellement sous mes yeux me prouve que je n’ai pas rendu ce passage assez exactement ; on doit lire ainsi toute la phrase : « produiront toutes, il faut le savoir, des goûts excellents, et il les percevra ainsi. » Une correction analogue doit être faite à la phrase suivante : « et les saveurs désagréables elles-mêmes, etc. ; » cette phrase doit être remplacée par ce qui suit : « et les saveurs désagréables » elles-mêmes qui viendront se déposer sur sa langue, produiront des goûts divins. »

f. 195 b. Les rois Balatchakravartins eux-mêmes.] Après ces mots les deux manuscrits de M. Hodgson ajoutent : « et les rois Tchakravartins ; » ces derniers mots doivent être rétablis dans le texte, et leur présence est ici d’autant plus nécessaire, que c’est à eux que se rapporte l’épithète de « possesseurs des sept choses précieuses. » On sait en effet que les Tchakravartins ont seuls le privilége de posséder sept objets de grand prix qui sont énumérés dans beaucoup de livres, et notamment dans le Lalita vistara[2]. Je renvoie le lecteur aux remarques que j’ai exposées sur le titre de Tchakravartin, ci-dessus, chap. 1, f. 4 b, p. 307 et 308, et chap. vii, f. 89 a, p. 387 et 388.

f. 197 b. Il exposera tout ce qui aura été dit par le Tathâgata.] Le rapprochement de la phrase suivante prouve qu’il faut faire rapporter le mot tout à Tathâgata, et traduire ainsi : « il exposera ce qui aura été dit par tous les Tathâgatas. »


  1. Ariel, Tchorapantchaçat, dans Journ. Asiat. IVe série, t. XI, p. 531.
  2. Rgya tcher rolpa, t. II, p. 14 et suiv. Conf. ci-dessus, p. 321, et Appendice, no VIII.