Lotus de la bonne loi/Notes/Chapitre 22

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Lotus de la bonne loi
Version du soûtra du Lotus traduite directement à partir de l’original indien en sanscrit.
Traduction par Eugène Burnouf.
Librairie orientale et américaine (p. 421-424).
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Notes du chapitre XXII

CHAPITRE XXII.

f. 213 a.Il se forma un nuage de santal de l’espèce dite Kâlânusâri.] J’avais manqué le sens de cette phrase, parce que j’ignorais que kâlânusârin désignât le benjoin, et que je faisais de ce mot un synonyme de kâlîyaka ou kâlika, le santal noir[1]. Voici maintenant le sens littéral que donne le texte : « Il tomba une pluie de santal de l’espèce dite Uragasâra, qui n’était versée par un nuage de santal et de benjoin. » Au reste, il serait possible que, pour les Buddhistes, le mot kâlânusârin ait désigné aussi « le santal noir ; » c’est du moins de cette manière que l’entendent les traducteurs tibétains du Lalita vistara. Ainsi dans ce passage : Bôdhisattvasya pûdjâkarmanô kâlânusâryagaramêgham abhinirmâya uragasâratchandanatchûrṇavarcham abhipravarchanti sma. « Ayant créé miraculeusement un nuage d’aloès et de Kâlânusârin, ils firent tomber une pluie de poudre de santal Uragasâra[2]. « M. Foucaux traduit d’après les Tibétains, « un nuage d’aloès accompagné de santal noir[3]. » Quant au nom du santal Uragasâra, « essence ou cœur de serpent, » je puis maintenant ajouter un plus haut degré de précision à la note que j’avais écrite dans mon Introduction à l’histoire du Buddhisme indien, à l’occasion du santal Gôçîrcha[4]. Je conjecturais que cet Uragasâra devait être ainsi nommé, parce que les serpents aiment à se retirer dans les cavités du tronc des santals ; ce point me paraît maintenant hors de doute, et ma conjecture est confirmée par l’existence d’un nom analogue usité en singhalais pour désigner le santal, celui à Urag̃gapriya, « cher aux serpents. » Cette dernière épithète exprime d’une manière formelle l’idée indiquée un peu plus vaguement par le mot Uragasâra, « qui a pour essence ou substance les serpents. » Schiefner, dans sa vie de Çâkyamuni composée d’après des textes tibétains, cite divers passages où il est question de cette espèce de santal[5]. Le même auteur a su appliquer la notion du santal nommé Gôçîrcha, « tête de bœuf ou de vache, » à la correction d’un passage du Foe koue ki que A. Rémusat traduisait d’une manière un peu obscure, « il fit sculpter une tête de bœuf en bois de santal, de manière à représenter une image de Foe[6] ; » il est évident qu’il fallait dire, « il fit sculpter une représentation de Foe en bois de santal de l’espèce dite tête de bœuf. »

Doué de mémoire et de sagesse.] J’ai essayé d’établir ci-dessus, chap. ii, f. 18 b, p. 342, qu’on pouvait aussi traduire « ayant l’esprit présent, ayant toute sa connaissance. »

f. 214 b.De mille billions, etc.] C’est là un exemple de ces nombres énormes, dont j’ai étudié deux séries, au no XX de l’Appendice, à l’occasion d’un passage du chap. xvii, f. 185 a. Les nombres qui figurent ici sont Kam̃kara, Vimbara et Akchôbhya. Ce sont des termes sanscrits, mais le premier n’est pas, selon Wilson, employé à la désignation d’un nombre dans la langue classique. Le second, Vimbara, rappelle le nom d’une plante, le sinapis dichotoma, qui par l’abondance et la finesse de ses graines fournit une bonne similitude pour un nombre très-élevé. On sait que cette similitude même est positivement employée dans de nombreux passages des textes buddhiques, et que même, dans ceux de Ceylan, elle sert de base à une fausse étymologie du mot Kalpa, « période de création, » que j’ai rapportée plus haut[7]. Le troisième des noms de nombre cités ici est l’Akchôbhya, moi qui signifie « immobile, qui ne peut être agité. » Si le lecteur veut bien se reporter à la note que je cite en ce moment, il verra que ces trois noms de nombre Kam̃kara, Vimbara et Akchôbhya se succèdent dans le même ordre sur la liste que j’ai empruntée au Latitavistara ; le Kam̃kara ou Kag̃kara est l’unité suivie de treize zéros ou mille billions ; le Vimbara ou Vivara est l’unité suivie de quinze zéros ou cent mille billions ; et l’Akchôbhya est l’unité suivie de dix-sept zéros ou cent quadrillions.

À la hauteur de sept empans.] Il vaut mieux prendre, comme les Tibétains[8], tâla dans le sens de palmier que dans celui d’empan ; une hauteur de sept palmiers peut seule placer le Bôdhisattva de niveau avec un édifice aussi élevé que celui qu’indique le texte.

Au sommet d’une maison à étages élevés.] Le mot que je paraphrase en ces termes est kûṭâgâra que Wilson traduit ainsi : « chambre supérieure, appartement placé au sommet d’une maison, c’est également la signification que les textes pâlis assignent à ce terme[9]. Il signifie littéralement, « maison, habitation du toit, » comme l’a bien traduit Lassen[10], et âgâra y est synonyme de notre mot français appartement. Mais les lois de la composition ne s’opposent pas à ce qu’on voie dans ce mot le sens de « maison en pointe ; » il paraît même que les Barmans vont plus loin encore, puisqu’ils désignent quelquefois par le composé Kûṭâgâra ces pointes ou flèches qui servent d’ornement aux toits des maisons et aux tours des édifices religieux ou royaux[11].

f. 215 a.Il faudra élever plusieurs milliers de Stûpas.] On sait que le mot de stûpa désigne les masses de pierres en forme de coupole qu’on élève au-dessus des reliques d’un Buddha ; j’ai résumé ailleurs ce qu’on connaît de plus positif sur ces monuments qui sont devenus la source de tant de belles découvertes numismatiques[12]. Je me contente d’ajouter ici que, suivant la tradition des Buddhistes du Sud, ce ne sont pas les seules reliques des Buddhas qui ont le privilège d’être conservées sous ces grandes constructions. Je trouve à ce sujet un passage formel dans le Thûpa vam̃sa pâli : « Un Tathâgata vénérable, parfaitement et complètement Buddha a droit à un Stûpa ; un Patchtchêkabuddha a droit à un Stûpa ; « l’auditeur d’un Tathâgata a droit à un Stûpa : un roi Tchakkavatti a droit à un Stûpa[13].

f. 218 a.Le grand Océan est le premier de tous les fleuves.] Rien n’est plus commun chez les auteurs Buddhistes que ces énumérations d’êtres et d’objets de tout genre qu’on réunit sous un chef commun qui les rassemble et les résurne tous. Je citerai à ce sujet un morceau emprunté à l’Ag̃guttara, un des livres canoniques des Buddhistes du Sud, où à l’aide d’une comparaison très-populaire, l’attention, ou comme dit le texte la non-inattention, est placée à la tête de tous les préceptes qui enjoignent la pratique des actions vertueuses. « Autant il y a d’êtres sans pieds, ô Religieux, d’êtres à deux pieds, d’êtres à quatre pieds, à beaucoup de pieds, d’êtres n’ayant pas de forme, d’êtres percevants, d’êtres ne percevant pas, ne concevant pas de notions, le Tathâgata vénérable, parfaitement et complétement Buddha, est appelé le premier de ces êtres ; de même, ô Religieux, autant il y a de préceptes qui imposent la pratique des actions vertueuses, tous ces préceptes ont pour origine l’attention, ils se résument dans l’attention ; de tous ces préceptes l’attention est appelée le principal. De même, ô Religieux, que les pieds des êtres doués de mouvement se confondent tous dans l’empreinte du pied de l’éléphant, et que le pied de l’éléphant est nommé le premier de tous, ainsi, ô Religieux, tous les préceptes quels qu’ils soient qui imposent la pratique des actions vertueuses, tous ces préceptes ont pour origine l’attention, ils se résument dans l’attention ; de tous ces préceptes l’attention est appelée le principal[14]. »

Les Kâlaparvatas, les Tchakravâlas.] Voyez sur les noms de ces montagnes, l’Appendice, no XVIII, à l’occasion d’un passage du chap. xi, f. 132 a, p. 401.

f. 218 b.

Qu’ils soient Maîtres ou qu’ils ne le soient pas.] Lisez, « qu’ils soient disciples ou qu’ils ne le soient pas. »

Du Sakrĭdâgâmin, etc.] Sur ces noms qui marquent divers degrés de perfection dans la science qui mène au Nirvâṇa, voyez l’Introduction à l’histoire du Buddhisme indien, t. I, p. 293 et suiv.

f. 219 a.Qui sollicite l’habileté nécessaire pour devenir Roi de la loi.] Je ne sais comment j’ai pu traduire ainsi un texte dont le sens véritable est le suivant : « c’est le Tathâgata qui ceint sa tête du bandeau de Roi de la loi. »

Comme une vache, etc.] Il faut lire, « comme un bateau ; » les deux manuscrits de M. Hodgson ne laissent aucun doute sur ce point en donnant naur ivâ ; mais le manuscrit de la Société asiatique lisait ce mot avec un cérébral népalais, lettre qui a quelque ressemblance avec un g, et cette ressemblance m’avait induit en erreur. La correction que je propose est ici d’autant plus nécessaire qu’il existe dans le recueil de la Discipline, tel que nous l’a fait connaître Csoma de Cörös d’après les Tibétains, une prescription religieuse qui défend à un Buddhiste de s’attacher à la queue d’une vache pour passer un fleuve, comme le font les Brâhmanes[15].

f. 219 b.Dont la science même d’un Buddha ne pourrait atteindre le terme.] Lisez, « dont la science seule d’un Buddha pourrait atteindre le terme. »

De Navamâlikâ.] Ce nom désigne, selon Wilson, le double jasmin de l’espèce dite Zambac ; un des manuscrits de M. Hodgson lit Vanamâlikâ, qui semble désigner un jasmin des bois. En effet, ce mot a beaucoup de rapport avec celui que donne Wilson, Vanamalli, dans le sens de jasmin sauvage.

f. 221 a.À l’intime essence de l’état de Bôdhi.] Lisez, « au trône de la Bôdhi, arrivé au trône de la Bôdhi. » La comparaison des deux manuscrits de M. Hodgson avec celui de la Société asiatique permet de traduire plus exactement la suite de ce passage : « Il prendra de l’herbe, il étendra cette herbe sur le trône de la Bôdhi. » Ce passage est la répétition des pratiques auxquelles se livra Çâkyamuni au moment d’atteindre à l’état sublime de Buddha parfaitement accompli, et dont on trouve la description dans le Lalita vistara[16], ainsi que dans les commentaires ou Atthakathâs des Buddhistes du Sud[17].

  1. Lassen, Indische Aller thumskunde, t. I, p. 287, note 1.
  2. Lalita vistara, chap. xx, f. 154 b, man. A.
  3. Rgya tch’er rol pa, t. II, p. 283.
  4. Voy. t. I, p. 619 et 620.
  5. Schiefner, Eine libet. Lehensbeschreibung Çâkyamuni’s, p. 93.
  6. Foe koue ki, p. 172.
  7. Ci-dessus, chap. i, f. 10 b, p. 324.
  8. Rgya tch’er rolpa, t. II, p. 15 et pass.
  9. Nêmi djâtaka, f. 43 a, man. Bibl. Nat. et p. 278 de ma copie.
  10. Indische Alterthumsk. t. II, p. 421, note 4.
  11. Nêmi djâtaka, f. 43 a, et p. 297 de ma copie.
  12. Introd. à l’hist. du Buddh. indien, t. I, p. 348 et suiv.
  13. Thûpa vam̃sa, f. 1, fin.
  14. Ag̃guttara, man. pâli-barman de la Bibl. nat. f. kho a.
  15. Csoma, Analysis of the Dulva, dans Asiat. Res. t. XX, p. 60.
  16. Rgya tch’er rol pa, t. II, p. 273 et suiv.
  17. Turnour, Examin. of Pâli Buddh. Annals, dans Journ. as. Soc. of Bengal, t. VII, 2e part. p. 811, d’après le récit de Buddhaghôsa.