Mécanique analytique/Notes du volume 2/Note 8

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Gauthier-Villars et Fils (Œuvres de Lagrange. Tome XIIp. 365-368).
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Note du tome II

NOTE VIII.

Sur un théorème de M. Gauss.


M. Gauss a fait connaître, dans le Tome IV du Journal de M. Crelle, un beau théorème qui comprend à la fois les lois générales de l’équilibre et du mouvement, et semble l’expression la plus générale et la plus élégante qu’on soit parvenu à leur donner ; les lecteurs français nous sauront gré de reproduire ici la traduction des quelques pages consacrées par l’illustre géomètre à l’exposition du nouveau principe.


« Le principe des vitesses virtuelles transforme, comme on sait, tout problème de Statique en une question de Mathématiques pures, et, par le principe de d’Alembert, la Dynamique est, à son tour, ramenée à la Statique. Il résulte de là qu’aucun principe fondamental de l’équilibre et du mouvement ne peut être essentiellement distinct de ceux que nous venons de citer, et que l’on pourra toujours, quel qu’il soit, le regarder comme leur conséquence plus ou moins immédiate.

On ne doit pas en conclure que tout théorème nouveau soit pour cela sans mérite. Il sera, au contraire, toujours intéressant et instructif d’étudier les lois de la nature sous un nouveau point de vue, soit que l’on parvienne ainsi à traiter plus simplement telle ou telle question particulière, ou que l’on obtienne seulement une plus grande précision dans les énoncés.

Le grand géomètre qui a si brillamment fait reposer la science du mouvement sur le principe des vitesses virtuelles n’a pas dédaigné de perfectionner et de généraliser le principe de Maupertuis relatif à la moindre action, et l’on sait que ce principe est employé souvent par les géomètres d’une manière très avantageuse[1].

Le caractère propre du principe des vitesses virtuelles consiste en ce qu’il est, pour ainsi dire, la formule générale qui résout les problèmes de Statique, et qu’il peut, par suite, tenir lieu de tout autre principe, mais il n’a pas ce cachet d’évidence absolue qui entraîne la conviction sit\delta t que l’énoncé est connu.

Sous ce rapport, le théorème fondamental que je vais démontrer me semble devoir être préféré il présente, en outre, l’avantage de comprendre à la fois les lois générales de l’équilibre et du mouvement.

S’il est plus avantageux au perfectionnement successif de la Science et pour l’étude individuelle de passer du facile à ce qui semble plus difficile et des lois les plus simples aux plus composées, d’un autre côté l’esprit, une fois arrivé au point de vue le plus élevé, demande la marche inverse qui lui fait paraître toute la Statique comme un cas particulier de la Dynamique. Aussi le géomètre que nous avons cité semble+il avoir apprécié cette marche inverse, lorsqu’il présente comme un avantage du principe de la moindre action de pouvoir comprendre à la fois les lois du mouvement et celles de l’équilibre, si l’on veut le considérer comme principe de la plus grande ou plus petite force vive. Mais cette remarque est, on doit l’avouer, plus ingénieuse que vraie, car le minimum a lieu, dans ces deux cas, dans des conditions toutes différentes.

» Le nouveau principe est le suivant :


» Le mouvement d’un système de points matériels liés entre eux d’une manière quelconque et soumis à des influences quelconques se fait, à chaque instant, dans le plus parfait accord possible avec le mouvement qu’ils auraient s’ils devenaient tous libres, c’est-à-dire avec la plus petite contrainte possible, en prenant pour mesure de la contrainte subie pendant un instant infiniment petit la somme des produits de la masse de chaque point par le carré de la quantités dont il s’écarte de la position qu’il aurait prise s’il eût été libre.


» Soient

les masses des points ;

leurs positions respectives ;

les places qu’ils occuperaient après un temps infiniment petit en

vertu des forces qui les sollicitent et de la vitesse acquise au commencement de cet instant.

» L’énoncé précédent revient à dire que les positions qu’ils prendront seront, parmi toutes celles que permettent les liaisons, celles pour lesquelles la somme

sera un minimum.

» L’équilibre est un cas particulier de la loi générale ; il aura lieu lorsque, les points étant sans vitesse, la somme

sera un minimum, ou, en d’autres termes, lorsque la conservation du système dans l’état de repos sera plus près du mouvement libre que chacun tend à prendre que tout déplacement possible qu’on imaginerait. La démonstration du principe se fait facilement comme il suit :

» La force qui sollicite le point pendant l’instant est évidemment composée : 1o d’une force qui, s’adjoignant à l’effet de la vitesse acquise, mènerait le point de en 2o d’une force qui, prenant le point au repos en le ferait, dans le même temps, parvenir de en Ceci s’applique évidemment aux autres peints.

En vertu du principe de d’Alembert, les points seraient en équilibre s’ils se trouvaient, dans les positions sous l’influence des secondes forces ci-dessus mentionnées qui agissent suivant et sont proportionnelles à ces petites lignes. Il faut donc, d’après le principe des vitesses virtuelles, que la somme des moments virtuels de ces forces soit nulle pour tous les déplacements compatibles avec les liaisons, ou mieux, que cette somme ne puisse jamais devenir positive.

» Soient donc des positions que les points puissent prendre sans violer les liaisons du système, et les angles que font respectivement avec il faut que

soit nul ou négatif.

» Mais il est clair que l’on a

et, par suite,

donc

et, par suite,

est toujours positif, d’où il résulte que est toujours plus grand que c’est-à-dire que est toujours un minimum. c. q. f. d.

» Il est bien remarquable que les mouvements libres, lorsqu’ils sont incompatibles avec la nature du système, sont précisément modifiés de la même manière que les géomètres, dans leurs calculs, modifient les résultats obtenus directement en leur appliquant la méthode des moindres carrés pour les rendre compatiblesavec les conditions nécessaires qui leur sont imposées par la nature de la question.

» On pourrait poursuivre cette analogie, mais cela n’entre pas dans le but que je me propose en ce moment. »


Ce serait un exercice facile et de peu d’utilité que de déduire du théorème qu’on vient de lire les équations générales du mouvement et de l’équilibre ; on retomberait tout de suite sur les formes connues, et le problème général, au point de vue analytique, n’aurait par conséquent pas avancé. En faut-il conclure que le beau principe de M. Gauss doit être pour cela considéré comme inutile ? Personne ne le pensera. Le but de la Science est, avant tout, la connaissance des lois générales qui régissent les phénomènes, et le théorème qui fait l’objet de cette Note semble l’expression la plus nette et la plus satisfaisante que les géomètres aient pu leur donner. Il n’existe pas, en effet, à ma connaissance, un seul théorème général de Dynamique qui semble plus propre à frapper d’admiration un esprit juste encore peu exercé aux transformations analytiques ; et à faire naître le désir d’étudier la Science qui lui permettra d’en apercevoir clairement la démonstration.

(Note de M. J. Bertrand.)

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  1. Qu’il me soit permis de placer ici mon observation. Je ne trouve pas satisfaisante la méthode employée par un autre grand géomètre*. pour déduire la loi des réfractions d’Huygens du principe de la moindre action. Ce principe, en effet, suppose essentiellement l’existence de celui des forces vives, en vertu duquel la vitesse des points en mouvement est complètement déterminée par leur position, et la direction qu’ils suivent n’exerce sur

    * Laplace, Mémoires de l’Institut, 1809.

    . elle aucune influence. Cette influence est cependant le point de départ de l’auteur dont nous parlons. Il me semble que tous les efforts des géomètres pour expliquer la double réfraction dans l’hypothèse de l’émission resteront infructueux tant qu’ils regarderont les molécules lumineuses comme de simples points. (Note de M. Gauss.)