Aller au contenu

Mémoires extraits des recueils de l’Académie royale de Berlin/Mémoire sur une question concernant les annuités

La bibliothèque libre.


MÉMOIRE
SUR UNE
QUESTION CONCERNANT LES ANNUITÉS.


(Nouveaux Mémoires de l’Académie royale des Sciences et Belles-Lettres
de Berlin
, années 1792 et 1793.)


Séparateur


Ce Mémoire a été lu à l’Académie il y a plus de dix ans. Comme il n’a pas été imprimé dans le temps, j’ai cru pouvoir le lui présenter de nouveau, à cause de l’utilité dont les formules et les Tables qu’il contient peuvent être dans différentes occasions.

1. Voici l’objet de la question :

On demande la valeur présente d’une annuité constituée sur une ou plusieurs têtes dont les âges sont donnés, à condition qu’elle ne commence à courir qu’après la mort d’une autre personne d’un âgé donné, et qu’elle cesse aussitôt que toutes les personnes, sur lesquelles l’annuité est constituée, auront passé un âge donné.

Pour se faire une idée plus nette de l’état de la question, on n’a qu’à supposer qu’un père veuille assurer à ses enfants une rente annuelle payable seulement après sa mort, et jusqu’à ce que le plus jeune ait atteint un âge donné, par exemple celui de la majorité ; il s’agit de déterminer la somme qu’il devrait payer pour acheter une telle rente, l’âge du père, le nombre et les âges des enfants étant donnés.

2. On pourrait supposer aussi qu’au lieu de payer d’abord une certaine somme le père s’engageât à payer annuellement, mais seulement pendant sa vie et la minorité de tous ses enfants, une somme donnée pour leur assurer après sa mort une annuité qui ne durerait que jusqu’à la majorité de tous les enfants.

La question présentée de cette manière est un peu plus difficile, parce qu’il y a deux annuités à estimer l’une constituée conjointement sur les têtes du père et des enfants mineurs, et l’autre constituée seulement sur les têtes des enfants et sur leur minorité, mais qui ne doit commencer qu’après la mort du père ; il est clair que l’état de la question exige que la valeur absolue ou présente de chacune de ces deux annuités soit égale, pour qu’on puisse échanger au pair l’une contre l’autre.

3. Quoique les principes nécessaires pour résoudre ces sortes de questions soient connus, l’application en est néanmoins d’autant plus difficile que les questions sont plus compliquées ; et celle que nous venons de proposer l’est assez pour que cette application ne se présente pas facilement. Comme la solution de cette question pourrait être utile dans quelques occasions, j’ai cru qu’on verrait avec plaisir la méthode que j’ai imaginée pour y parvenir, et qui réduit la difficulté au calcul des annuités ordinaires et constituées sur une ou plusieurs têtes. Je donnerai d’ailleurs des applications particulières de cette méthode, et je présenterai des Tables qui serviront à résoudre, avec une exactitude suffisante, la plupart des cas qu’on pourrait proposer.

4. Je remarque d’abord qu’on peut simplifier beaucoup la question dont il s’agit par la considération suivante.

Soit l’annuité que le père doit payer, et dont on cherche la valeur, et l’annuité qu’il veut assurer aux enfants après sa mort ; il est clair qu’on peut supposer, sans rien changer à l’état de la question, que l’annuité soit augmentée de en sorte que l’annuité à payer par le père soit et que l’annuité due aux enfants commence en même temps ; car de cette manière ce que le père paye de trop est immédiatement rendu aux enfants ; mais, en envisageant la question ainsi, on a l’avantage que les deux annuités commencent à la même époque et sont semblables, excepté que l’annuité dépend de la vie du père, et que l’annuité n’en dépend point.

5. Dénotons, en général, par la valeur présente d’une annuité d’une unité (par exemple d’un écu, ou de cent écus, etc.) constituée uniquement sur la minorité des enfants, c’est-à-dire payable tant qu’il y a des enfants mineurs ; et dénotons par la valeur présente d’une annuité égale, mais constituée conjointement sur la tête du père et sur la minorité des enfants, c’est-à-dire payable seulement tant que le père vit et qu’il a des enfants mineurs. La valeur absolue de l’annuité que le père est supposé payer sera donc et la valeur de l’annuité que les enfants reçoivent sera

Donc, pour que ces deux valeurs soient égales, il faudra que l’on ait l’équation

laquelle donne

c’est l’annuité réelle que le père doit payer. Et toute la difficulté se réduira à déterminer les deux quantités et

6. Pour ramener cette question aux notions ordinaires et rendre ce que je vais dire plus simple et plus intelligible, j’appellerai le père et les différents enfants mineurs

Ensuite je désignerai par la valeur d’une annuité d’une unité constituée uniquement sur la minorité de l’enfant ou ou je désignerai de plus par la valeur d’une pareille annuité, mais constituée conjointement sur la minorité des deux enfants et c’est-à-dire payable tant qu’ils sont tous les deux mineurs ; je désignerai de même par la valeur d’une égale annuité, mais constituée sur la minorité des enfants c’est-à-dire payable tant qu’ils seront tous les trois en vie et en minorité ; et ainsi du reste.

Enfin je dénoterai de même par la valeur d’une annuité constituée sur la minorité de l’enfant et sur la vie du père c’est-à-dire payable pendant que l’enfant est mineur et que le père est en vie ; par je dénoterai pareillement la valeur d’une annuité constituée sur la minorité des enfants et et sur la tête du père, c’est-à-dire payable pendant que les enfants et seront mineurs à la fois et que le père sera vivant ; et ainsi de suite.

7. Cela posé et bien entendu, je vais parcourir successivement les cas d’un enfant de deux enfants et et je déterminerai pour chaque cas les valeurs des quantités et par le moyen des quantités dont la signification est maintenant connue, et dont la détermination peut se tirer des Tables des annuités.

Et d’abord, s’il n’y a qu’un seul enfant il est clair que la valeur de est égale à et que celle de est égale à On a donc dans ce cas

8. En second lieu, s’il y a deux enfants et alors la valeur de doit être celle d’une annuité constituée sur la plus longue des minorités de ces deux enfants, et la valeur de doit être celle d’une annuité constituée sur la plus longue minorité des enfants et en même temps sur la tête du père. Je suppose que la minorité de soit la plus courte, soit parce que meure ou qu’il atteigne l’âge de majorité avant Il est clair que la valeur de l’annuité devra être égale à plus à la valeur d’une annuité constituée sur la minorité de mais payable seulement à la majorité de Il s’agit donc de trouver la valeur de cette dernière annuité. Je l’appelle et je considère que si j’y ajoute la valeur d’une annuité constituée sur la minorité des deux enfants et valeur que j’ai désignée par j’aurai alors la valeur d’une annuité payable pendant la minorité commune des enfants et et ensuite après l’extinction de la minorité de continuée jusqu’à la majorité de ce qui est évidemment la même chose qu’une annuité constituée sur la seule minorité de dont la valeur a été désignée par J’aurai donc

et de là

donc, puisque

j’aurai.

J’ai supposé que la minorité de était la première à s’éteindre ; mais, si l’on supposait que ce fût celle de on parviendrait au même résultat.

9. Reste maintenant à trouver la valeur de . Pour cela, il faut faire un raisonnement semblable au précédent, mais en combinant la vie du père avec la minorité des enfants.

Je considère donc que la valeur de est celle d’une annuité constituée sur la tête du père et sur la plus longue des minorités des deux enfants et et, supposant que la minorité de soit plus longue que celle de j’en conclus que la valeur de doit être égale à la valeur d’une annuité constituée sur la tête du père et sur la minorité de l’enfant valeur qu’on a dénotée par plus à la valeur d’une annuité constituée sur la tête du père et sur la minorité de l’enfant mais qui ne commence qu’après la minorité de Nommant cette dernière valeur j’observe que si j’y ajoute la valeur d’une annuité constituée sur la tête du père et sur la minorité commune des enfants et valeur que nous avons dénotée par j’aurai la valeur d’une annuité payable pendant la vie du père et la minorité totale de l’enfant c’est-à-dire d’une annuité constituée sur la tête du père et sur la minorité de l’enfant valeur exprimée suivant nos dénominations par Donc

et de là

Donc, puisque

on aura enfin

Et l’on trouverait la même expression, si l’on supposait que la minorité de l’enfant s’éteignît avant celle de l’enfant

10. En troisième lieu, s’il y a trois enfants on trouvera, par des raisonnements analogues que je supprimerai pour n’être pas trop long,

et de même

et ainsi de suite s’il y avait un plus grand nombre d’enfants.

11. De là je conclus, en général, que, quel que soit le nombre des enfants mineurs, la valeur de est toujours égale à la somme des valeurs des annuités constituées sur la minorité de chaque enfant en particulier, moins la somme des valeurs des annuités constituées sur la minorité commune de chaque couple d’enfants pris deux à deux de toutes les manières possibles, plus la somme des valeurs des annuités constituées sur la minorité commune de chaque trio d’enfants pris trois à trois de toutes les manières possibles, moins, etc.

Et la valeur de sera pareillement égale à la somme des valeurs des annuités constituées sur la vie du père et sur la minorité de chaque enfant en particulier, moins la somme des valeurs des annuités constituées sur la vie du père et sur la minorité commune de chaque couple d’enfants pris deux à deux de toutes les manières possibles, plus la somme des valeurs des annuités constituées sur la vie du père et sur la minorité commune de chaque trio d’enfants pris trois à trois de toutes les manières possibles, moins, etc.

12. La question est donc réduite maintenant à trouver les valeurs de ces différentes annuités ; c’est à quoi on peut parvenir par les règles connues pour l’évaluation des rentes viagères. J’observerai seulement qu’entre une annuité ordinaire constituée sur la vie d’une ou de plusieurs personnes et la même annuité constituée sur la vie de quelques-unes de ces personnes et sur la minorité des autres, il n’y a d’autre différence, si ce n’est que la première doit être censée continuée jusqu’au dernier terme de la vie, et que la seconde ne doit être continuée que jusqu’au temps où le plus âgé des mineurs deviendrait majeur ; parce qu’alors cette personne, devenue majeure, est, par rapport à l’annuité, dans le même cas que si elle mourait tout à coup dès qu’elle atteint l’âge de majorité.

Voici les formules générales pour le calcul des annuités.

13. Je désigne par les nombres des personnes nées en même temps et qui ont atteint l’âge d’un an, de deux ans, de trois ans, Ces nombres sont donnés par les Tables connues de mortalité, et varient suivant ces différentes Tables. Suivant la Table de feu Sus\sinilch, donnée dans la première édition de son Ouvrage, on a

Ainsi ces nombres sont supposés connus.

Je suppose, de plus, que l’intérêt de l’argent soit de pour et je fais, pour abréger,

Cela posé, la valeur présente d’une annuité à vie, constituée sur une personne de l’âge et payable au commencement de chaque année, est, compris la première année, de

La valeur présente d’une annuité à vie, constituée sur deux personnes dont les âges sont a et est, y compris la première année, de

La valeur présente d’une annuité à vie, constituée sur trois personnes dont les âges sont est, y compris toujours la première année, de

et ainsi de suite.

Et, si l’on veut que ces annuités dépendent de la minorité de quelques-unes des personnes sur lesquelles elles sont constituées, alors si est l’âge du mineur le plus âgé, il ne faudra prendre qu’autant de termes de la série qu’il y a d’unités dans en supposant que la minorité cesse à ans ; en sorte qu’il faudra s’arrêter au terme qui aura au dénominateur.

14. L’application-de ces formules n’a plus, comme on voit, d’autre difficulté que la longueur du calcul, mais on peut l’abréger en considérant que, comme les Tables de mortalité ne sont pas rigoureusement exactes et qu’elles n’ont même été construites que par des milieux pris entre différentes années, il suffira de prendre les années de quatre en quatre, ou de cinq en cinq, et de supposer que les termes intermédiaires dans les formules soient en progression arithmétique.

Or, si l’on a la série

et qu’entre les termes consécutifs de cette série il faille placer rra autres termes qui soient en progression arithmétique avec les termes donnés, en dénotant par les termes entre et par les termes entre et et ainsi de suite, il est clair qu’on aura, par la propriété

connue des progressions arithmétiques,

donc, ajoutant,

et par conséquent la somme entière de la série

sera

D’où il s’ensuit que, pour avoir la somme de la série interpolée, il n’y aura qu’à multiplier la somme de la série primitive par et en retrancher la somme des deux termes extrêmes multipliée par

Si l’on ne prend les années que de quatre en quatre, on aura alors et il faudra quadrupler la somme de la série et en retrancher les la somme des termes extrêmes.

15. J’ai calculé de cette manière deux Tables pour le cas d’un seul enfant mineur, et en prenant successivement pour l’âge de l’enfant ans, et pour l’âge du père jusqu’à ans ; mais dans l’une de ces Tables j’ai tenu compte de la mortalité de l’enfant conformément à l’état de la question ; dans l’autre, au contraire, j’en ai fait abstraction, c’est-à-dire que j’ai supposé que l’enfant parvienne sûrement à l’âge de la majorité. Voici la raison qui m’a engagé à calculer cette seconde Table conjointement à la première.

16. Il est visible, en général, que plus le nombre des têtes sur lesquelles une annuité quelconque est constituée est grand, plus aussi doit être grande la valeur présente de cette annuité, c’est-à-dire ce qu’il faudrait payer pour l’acheter, parce que le risque de la perdre par la mort de toutes les personnes sur lesquelles elle est constituée en est d’autant moindre. Mais, d’un côté, quelque grand que soit le nombre de ces personnes, la valeur de l’annuité sera toujours moindre que si l’on n’avait point d’égard à leur mortalité, et qu’on supposât que la plus jeune atteignît sûrement un âge donné.

De là il s’ensuit que, si une annuité est constituée sur plusieurs personnes, sa valeur, quelle qu’elle soit, sera toujours nécessairement renfermée entre ces deux limites, dont l’une sera la valeur de la même annuité constituée seulement sur la plus jeune de ces personnes, en ayant égard à sa mortalité, et l’autre sera la valeur de l’annuité, constituée de même sur cette personne, mais en n’ayant aucun égard à sa mortalité.

Et, s’il arrive que ces deux limites soient peu différentes entre elles, alors on sera assuré que la valeur de l’annuité est-à peu près la même, quel que soit le nombre des têtes sur lesquelles elle est constituée.

17. On doit donc regarder les deux Tables dont nous venons de parler comme les limites de toutes les Tables pareilles qu’on pourrait construire pour les cas de deux, de trois, ou d’un nombre quelconque d’enfants mineurs.

Dans ces Tables nous avons pris pour base la Table de mortalité qui se trouve dans la nouvelle édition de l’Ouvrage de Sussmilch (tome III, Table XXII, no 4), et qui a été dressée particulièrement pour ce pays ; suivant cette Table, on a

À l’égard de l’intérêt de l’argent, nous l’avons supposé à pour ce qui donne

Ces Tables donnent immédiatement la somme annuelle ou l’annuité que le père devrait payer pendant sa vie et la minorité de son enfant, pour lui assurer après sa mort une annuité d’une unité qui ne durerait que jusqu’à ce qu’il eût atteint sa vingt-cinquième année. Dans la première Table on a fait abstraction de la mortalité de l’enfant, et l’on voit que les nombres sont tous un peu plus grands que dans la seconde, où l’on a tenu compte de cette mortalité, mais on voit en même temps que les différences des nombres correspondants dans les deux Tables sont en général fort petites. De sorte que, lorsqu’il y aura plusieurs enfants, on ne se trompera pas beaucoup en prenant le milieu entre les nombres donnés par ces deux Tables et relatifs à l’âge du père et à celui du plus jeune des enfants. Mais on pourrait peut-être dans ce cas approcher davantage de l’exactitude par la formule suivante

Soit le nombre des enfants, et les nombres donnés par la première et par la seconde Table, pour le cas du plus jeune de ces enfants, on prendra, pour l’annuité que le père doit payer, la quantité cette formule devient égale à lorsque et égale à lorsque ce qui doit être.

TABLE I.
en faisant abstraction de la mortalité de l’enfant.
ÂGE
du
père.
ÂGE DE L’ENFANT.
1 5 9 13 17 21
1 30 0,1699 0,1399 0,1108 0,0815 0,0527 0,0251
2 34 1957 1597 1264 0940 0617 0300
3 38 2253 1808 1403 1033 0681 0332
4 42 2674 2114 1601 1144 0736 0358
5 46 3327 2616 1958 1361 0840 0389
6 50 4358 3446 2590 1805 1105 0504
7 54 5705 4555 3754 2412 1489 0676
8 58 7360 5945 4522 3171 1962 0903
9 62 9289 8002 5830 4094 2498 1122
10 66 1,1777 9760 7604 5417 3331 1510
11 70 4505 1,2187 9622 6908 4334 1950
12 74 6987 4342 1,1473 8346 5219 2337
13 78 9516 6499 3213 9788 6150 2728
14 82 2,1946 8681 4871 1,0913 7090 3166
15 86 3560 2,0131 6128 1445 7015 3359
16 90 5770 2113 7848 2856 7018 2261


TABLE II.
en tenant compte de la mortalité de l’enfant.
ÂGE
du
père.
ÂGE DE L’ENFANT.
1 5 9 13 17 21
1 30 0,1513 0,1324 0,1069 0,0792 0,0514 0,0246
2 34 1740 1511 1220 0914 0602 0293
3 38 1994 1707 1354 0979 0665 0325
4 42 2353 1989 1543 1111 0718 0350
5 46 2906 2455 1881 1320 0820 0381
6 50 3783 3225 2488 1748 1076 0492
7 54 4917 4251 3298 2335 1449 0660
8 58 6286 5531 4329 3066 1910 0882
9 62 7851 7035 5568 3952 2429 1095
10 66 9844 9009 7251 5220 3236 1446
11 70 1,1991 1,1206 9161 6686 4206 1899
12 74 3898 3145 1,0905 8022 5059 2273
13 78 5794 5066 2551 9393 5956 2653
14 82 7654 6983 4101 1,0481 6861 3076
15 86 8719 8214 5214 0957 6802 3262
16 90 2,0001 9838 6761 2195 6732 2200

Séparateur