Aller au contenu

Mémoires extraits des recueils de l’Académie royale de Berlin/Rapports

La bibliothèque libre.


RAPPORTS[1].


(Histoire de l’Académie royale des Sciences et Belles-Lettres de Berlin,
années 1781 et 1782.)


Séparateur


Rapport d’une quadrature du cercle.

L’Académie m’ayant chargé de lui rendre compte de cet Ouvrage sur la quadrature du cercle, je l’ai examiné avec toute l’attention dont je suis capable mais je suis obligé d’avouer qu’il ne m’a pas été possible de découvrir les principes de l’Auteur, ni la marche de ses opérations. Je n’y ai trouvé nulle trace de démonstrations géométriques, et moins encore de calculs algébriques ; et je n’ai pas pu comprendre ce que signifient les Tables des progressions arithmétiques de la quadrature du cercle, lesquelles paraissent servir de fondement à tout l’Ouvrage.

Je n’entends pas non plus ce que l’Auteur nomme points carrés mathématiques, ni ce qu’il appelle liaison du diamètre et de la périphérie, et qu’il fait consister dans la somme de leurs valeurs.

Ne pouvant donc rien dire de la méthode et des raisonnements de l’Auteur, je me contenterai d’en examiner le résultat, c’est-à-dire la valeur qu’il donne pour le rapport de la circonférence au diamètre. Cette valeur est exprimée par la fraction laquelle se réduit à celle-ci plus simple et l’Auteur la donne pour exacte et rigoureuse ; de sorte que par cette seule raison on est déjà en droit de La regarder comme fausse.

Mais, pour pouvoir mieux juger de combien elle s’éloigne de la vérité, je la réduis en décimales, ce qui me donne où les deux chiffres reviennent à l’infini. Cette valeur étant comparée avec la valeur connue on voit qu’elle est fausse dès la quatrième décimale, et qu’elle est nécessairement moindre que la véritable valeur du rapport de la circonférence au diamètre. Ainsi il existe nécessairement une infinité de polygones inscrits au cercle dont les périmètres sont plus grands que la prétendue valeur que l’Auteur assigne à la circonférence, ce qui doit suffire pour en prouver la fausseté.

Snellius, à l’exemple d’Archimède et pour renchérir sur le travail de ce grand homme, a pris la peine de calculer en nombres la valeur des périmètres de quelques polygones inscrits et circonscrits au cercle, en partant des polygones de côtés et doublant continuellement le nombre des côtés. Et l’on voit par les Tables qu’il en donne dans son Cyclometricus, page 17, que le polygone inscrit de côtés a son périmètre plus grand que ce qui est, comme l’on voit, plus grand que la valeur prétendue de la circonférence.

Mais on peut trouver des polygones inscrits d’un moindre nombre de côtés dont les périmètres soient aussi plus grands que cette valeur. Il n’y a pour cela qu’à consulter les Tables que M. Nicole a données dans les Mémoires de Paris pour l’année 1747, à l’occasion d’une nouvelle prétendue quadrature du cercle.

Dans ces Tables on trouve les valeurs numériques des aires et des périmètres des polygones inscrits et circonscrits au cercle, dans lesquels le nombre des côtés augmente dans la progression double depuis le triangle équilatéral jusqu’au polygone régulier de ou côtés, valeurs qui sont poussées par l’extraction des racines carrées jusqu’à décimales.

On voit donc par ces Tables que le polygone inscrit de côtés a pour périmètre (en supposant le diamètre ) ce qui est moindre que la valeur proposée ; mais que le polygone suivant de côtés a pour périmètre quantité plus grande que cette valeur.

Ainsi là prétendue valeur de la circonférence du cercle se trouve moindre que le périmètre du polygone régulier de côtés ; ce qui est une preuve palpable de sa fausseté, puisqu’il saute aux yeux que la périphérie du cercle est nécessairement plus grande que le périmètre de tout polygone inscrit.

Si l’Auteur savait assez de Géométrie et d’Arithmétique pour faire lui-même le calcul de ce polygone, il pourrait se convaincre de la vérité de ce que je viens d’avancer. Et, s’il voulait se fier pour cet effet aux Tables trigonométriques déjà calculées, il n’aurait qu’à remarquer que le côté du polygone inscrit de côtés étant la corde de l’angle et par conséquent le double du sinus de la moitié de cet angle, c’est-à-dire de l’angle il suffit de multiplier le sinus de par pour avoir le périmètre cherché du polygone de côtés.

Faisant donc le calcul par les logarithmes, on a

Ainsi est la valeur approchée de ce périmètre en prenant le rayon pour l’unité ; donc, si l’on prend le diamètre pour l’unité, on a pour la valeur dont il s’agit, laquelle s’accorde, comme l’on voit, avec celle de M. Nicole, et qui est évidemment plus grande que celle de la prétendue quadrature.

Je dois remarquer au reste que la fraction adoptée par l’Auteur, est une de celles de la suite des fractions convergentes vers le rapport de la périphérie au diamètre, mais plus petites que ce rapport, comme on le voit par la Table que j’en ai donnée dans les Additions à l’Algèbre de M. Euler, page 440.

Ainsi cette fraction a l’avantage qu’elle approche plus de la vérité que ne pourrait faire aucune autre fraction plus petite que la vraie valeur et dont le dénominateur serait moindre que mais elle approche moins que la fraction qui la suit immédiatement et qui est et moins encore que la fraction qui est celle de Metius, mais qui est plus grande que la vraie valeur. Je conclus donc :

1o Que la quadrature proposée est fausse, parce qu’elle diffère des résultats connus, et qu’elle donne pour la circonférence du cercle une valeur moindre que le périmètre du polygone inscrit de côtés ;

2o Que l’on ne peut porter aucun jugement sur la méthode et les raisonnements de l’Auteur, parce qu’ils sont inintelligibles ;

3o Qu’il conviendrait d’exhorter cet Auteur, qui paraît d’ailleurs assez laborieux, à employer son temps et son travail à des objets qui soient plus à sa portée et surtout qui puissent être d’une plus grande utilité ; car, outre qu’il n’y a aucune récompense promise ou à espérer pour celui qui carrera le cercle, il ne résulterait même de cette quadrature aucun avantage réel pour la Géométrie. En effet, s’il était possible de trouver une expression finie du rapport de la circonférence au diamètre, cette expression serait nécessairement si compliquée de radicaux, que pour en faire usage il faudrait toujours la réduire en décimales, et par conséquent à une valeur seulement approchée ; or on a déjà des valeurs qui approchent si près de la vraie mesure de la circonférence du cercle, que l’erreur est moindre qu’une fraction qui aurait l’unité pour numérateur, et pour dénominateur l’unité suivie de zéros ; car telle est la valeur trouvée par M. Lagny dans les Mémoires de Paris de 1719.

Rapport fait à l’Académie le 3. août 1782 d’un Mémoires intitulé :
Méthode pour connaître si la Terre est aplatie vers les pôles et renflée sous l’équateur.

La méthode que l’Auteur de ce Mémoire propose pour déterminer la figure de la Terre avec plus de précision et moins de peine qu’on ne l’a fait jusqu’ici consiste à placer verticalement différents styles, les uns sous l’équateur, les autres sous un même méridien quelconque, en sorte que les premiers soient éloignés de ce méridien de degrés, et que les seconds soient pareillement éloignés de degrés de l’équateur. L’Auteur veut que l’on observe l’ombre de chacun de ces styles sur un plan horizontal, lorsque le Soleil sera à la fois dans l’équateur et dans le méridien donné, ce qui a lieu le jour de l’équinoxe à midi par rapport à ce méridien ; et il prétend pouvoir conclure la figure du méridien de la comparaison de l’ombre des styles avec celle des styles de l’équateur.

« Car, dit-il, si le méridien était parfaitement semblable et égal à l’équateur, qui dans une Planète qui roule sur elle-même ne peut ne pas être un cercle parfait, les styles plantés sur l’équateur et sur le méridien seraient également obliques aux rayons solaires, et les ombres projetées par les styles du méridien seraient alors rigoureusement égales aux ombres projetées par les styles correspondants de l’équateur. Il est donc de la dernière évidence que si les ombres des styles du méridien sont respectivement plus longues que les ombres des styles correspondants de l’équateur, les styles du méridien sont plus obliques que ceux de l’équateur aux rayons du Soleil. Or les styles du méridien ne peuvent être plus obliques aux rayons du Soleil que ceux de l’équateur, que parce que le méridien est une circonférence qui va en s’aplatissant de l’équateur aux pôles. »

Quant à la distance des styles, l’Auteur ne trouve pas la moindre difficulté à la déterminer : « L’élévation du pôle, dit-il, pour déterminer les points différents où les styles doivent être plantés sur les méridiens, et l’élévation du Soleil, pour déterminer les points également distants où doivent être plantés sur l’équateur les styles correspondants, sont une règle qui ne saurait manquer. »

Telle est la méthode que l’Auteur a imaginée, et qu’il croit préférable à celles qui ont été employées dans ces derniers temps pour déterminer la figure de la Terre. Or, sans parler de la difficulté de placer exactement les styles, ni de la difficulté encore plus grande d’y faire les observations demandées avec une précision assez grande pour pouvoir en déduire des conséquences bien justes sur la courbure des méridiens et de l’équateur, il est facile de se convaincre que la méthode est en elle-même illusoire, du moins sous le point de vue où l’Auteur la présente. En effet, puisqu’on y suppose que les lieux des styles du méridien y soient déterminés par les hauteurs du pôle, déduites à l’ordinaire de l’observation de l’élévation des astres sur l’horizon, il n’est pas difficile de concevoir que l’inclinaison des styles aux rayons du Soleil dépendra uniquement de leurs distances en latitude, et que si ces distances sont égales aux distances en longitude des styles de l’équateur, les ombres des styles correspondants seront nécessairement les mêmes, quelle que puisse être la figure du méridien. Il faudrait, pour que la méthode de l’Auteur pût servir à la détermination de la figure de la Terre, que les distances en latitude des styles du méridien fussent déterminées par la mesure immédiate des degrés alors les observations de l’ombre projetée par ces styles tiendraient lieu des observations astronomiques nécessaires pour déterminer l’amplitude des arcs du méridien compris entre les styles. Mais cette méthode rentrerait ainsi dans celle qui a été mise en usage par les Académiciens français ; seulement elle serait moins exacte et moins sûre, car il est impossible que des observations faites avec des styles puissent jamais atteindre au degré de précision de celles qui ont été faites avec de très-grands secteurs, et avec tant de soin et de scrupule. Il paraît donc par là que l’Auteur de ce Mémoire n’a pas une idée nette de la question, et encore moins des difficultés qu’elle renferme ; et que le nouveau moyen qu’il propose pour la décider ne peut en aucune manière mériter l’attention des Savants.

fin du tome cinquième.
  1. Nous reproduisons ici les deux seuls Rapports de Lagrange que l’Histoire de l’Académie de Berlin nous ait transmis. Bien que les Mémoires dont l’illustre Géomètre avait à rendre compte soient absolument dépourvus d’intérêt, nous avions le devoir de conserver les Rapports qui les concernent. (Note de l’Éditeur.)