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Mémoires extraits des recueils de l’Académie royale de Berlin/Sur les courbes tautochrones

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SUR LES
COURBES TAUTOCHRONES[1].


(Mémoires de l’Académie royale des Sciences et Belles-Lettres
de Berlin
, t. XXI, 1765.)


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On appelle en général courbe tautochrone une courbe telle, que si un corps se meut le long de sa concavité, soit en montant, soit en descendant, il emploie toujours le même temps à parcourir un arc quelconque pris du point le plus bas.

M. Huygens ayant démontré, dans son fameux ouvrage intitulé : Horologium oscillatorium, que la cycloïde était la tautochrone des corps pesants dans le vide, cette découverte excita la curiosité des Géomètres, et les engagea à chercher une méthode directe et analytique pour résoudre le Problème du tautochronisme dans une hypothèse quelconque, Problème qui est peut-être un des plus curieux et en même temps des plus difficiles de la Mécanique.

MM. Jean Bernoulli et Euler se sont particulièrement appliqués à cette recherche, et ont donné presque en même temps, l’un dans les Mémoires de l’Académie des Sciences de Paris pour l’année 1730, et l’autre dans le tome IV des Commentaires de l’Académie de Pétersbourg, et ensuite dans le second volume de sa Mécanique, des méthodes très-ingénieuses pour déterminer les tautochrones dans un milieu résistant, comme le carré de la vitesse, et dans quelque hypothèse de pesanteur que ce soit. Ces méthodes, qui sont les mêmes quant au fond, consistent à faire en sorte que l’expression générale du temps devienne égale à une fonction de dimension nulle de deux quantités quelconques, l’une constante et l’autre variable telles qu’en faisant on ait le temps total depuis le commencement du mouvement jusqu’à sa fin. Car alors la quantité qui dépend de l’arc total que le corps doit parcourir, s’évanouit nécessairement de la formule lorsque et par conséquent l’expression du temps se trouve entièrement indépendante de la longueur de cet arc. Or, pour cela il suffit que la quantité différentielle soit elle-même une fonction de dimension nulle de et de comme par exemple et d’autres semblables ; condition à laquelle il n’est pas difficile de satisfaire lorsqu’on peut avoir l’expression de la vitesse ce qui arrive quand la résistance est nulle et quand elle est proportionnelle au carré de la vitesse ; mais il n’en est pas tout à fait de même dans les autres cas où l’équation en n’est point intégrable. Aussi les deux grands Géomètres dont nous venons de parler n’ont-ils considéré d’autres hypothèses de résistance que celle du carré de la vitesse, et M. Fontaine est le seul qui ait fait jusqu’ici quelques pas de plus dans cette recherche. Sa méthode est fondée sur un calcul particulier qu’il appelle fluxio-différentiel et qui consiste à faire varier les mêmes quantités de deux manières différentes ; et l’on peut regarder l’ouvrage qu’il a donné sur cette matière comme un des plus beaux qui se trouvent parmi les Mémoires de l’Académie des Sciences de Paris, et surtout comme celui qui a le plus contribué à la célébrité de cet illustre Mathématicien.

Mais, quelque profonde et quelque ingénieuse que soit cette nouvelle théorie des tautochrones, il faut avouer qu’elle laisse encore beaucoup à désirer. Lorsqu’il n’y a point de résistance, et que par conséquent la force accélératrice du corps est entièrement indépendante de la vitesse, on sait depuis longtemps que le tautochronisisme exige que cette force soit proportionnelle à l’espace qui reste à parcourir. Mais quelle est en général la force nécessaire pour produire le tautochronisisme, en la regardant comme une fonction quelconque de l’espace et de la vitesse ? Voilà le Problème qu’il faut résoudre pour avoir une théorie générale et complète des tautochrones. M’étant occupé de ce Problème, voici la solution que j’en ai trouvée, et qui est, si je ne me trompe, générale et nouvelle.

Solution du Problème des tautochrones.

Soient la vitesse du corps en un point quelconque de la ligne qu’il décrit, sa force accélératrice dans ce point, l’espace qu’il a encore à parcourir, et l’espace total depuis le point d’où le corps est parti jusqu’à celui où il doit arriver ; on aura, comme on sait (à cause que, croissant, diminue), l’équation

Et le temps que le corps doit employer à parcourir l’espace sera exprimé par de sorte qu’en faisant, après l’intégration, on aura le temps total depuis le commencement du mouvement jusqu’à la fin. Or, ce temps doit être indépendant de l’espace parcouru par la nature du Problème ; donc il faut que la valeur de soit telle, qu’en faisant s’évanouisse entièrement.

Soient une fonction quelconque de et une pareille fonction de il est clair que la condition dont il s’agit aura lieu si, en faisant et substituant la valeur de tirée de cette équation dans la formule cette substitution y fait disparaître la quantité et la réduit à n’être qu’une fonction de car alors la supposition de donnera et par conséquent de sorte que la formule aura dans ce cas une valeur déterminée et indépendante de Donc, si l’on différentie cette formule en faisant varier et qu’ensuite on suppose ( étant une fonction de ou et une pareille fonction de ou ), et qu’on mette à la place de sa valeur il faudra que le coefficient de soit égal à zéro. Cela posé, comme la vitesse doit dépendre des deux quantités et supposons qu’en les faisant varier toutes deux en même temps on ait la différentielle

il est clair qu’on aura d’abord, en vertu de l’équation

ensuite la différentielle de sera, dans la même supposition,

laquelle, en faisant les substitutions convenables, c’est-à-dire en mettant au lieu de et au lieu de deviendra

Donc il faudra que l’on ait

c’est-à-dire, en remettant pour sa valeur et faisant, pour plus de simplicité, et

D’où, en faisant varier seul, on tire

et mettant pour sa valeur ou bien

De sorte que la valeur complète de sera en général

étant une fonction quelconque de et une pareille fonction de

Maintenant, soit le facteur composé de et de qui, multipliant l’équation

dans laquelle est supposé constant, la rendrait intégrable, il est évident que ce même facteur étant regardé comme une fonction de et doit aussi rendre intégrable l’équation

donc il faut que l’équation

soit intégrable ; et comme le terme est une fonction de seul, et que les termes ne contiennent point mais seulement et il s’ensuit : 1o que le multiplicateur commun doit être une quantité constante, c’est-à-dire que doit être réciproquement proportionnel à 2o que par conséquent la quantité doit être une différentielle complète de et

Soit

ce qui donne

et l’on aura la transformée

laquelle, en faisant se changera en celle-ci

Or, comme est une fonction de il est visible que cette quantité ne saurait être une différentielle complète, à moins que ne soit une fonction de seule.

Donc, si l’on dénote par une fonction quelconque de , il faudra que l’on ait c’est-à-dire, à cause de Donc, en substituant cette valeur de dans l’équation on aura

Telle est l’expression générale de la force accélératrice nécessaire pour le tautochronisme, où peut être une fonction quelconque de et une fonction quelconque de

Remarque. — La solution précédente est fondée sur cette considération qu’en faisant l’expression du temps doit devenir une fonction de la seule variable Soit donc cette fonction ; on aura en général

la constante devant être telle que soit nul lorsque Or, puisque est une fonction quelconque de supposons qu’elle devienne

égale à quand et l’on aura dans ce cas donc il faudra que

et par conséquent que

de sorte qu’on aura

d’où l’on voit que la valeur de contiendra nécessairement la quantité à moins que ne soit égal à zéro. Donc il faut, pour l’exactitude de la solution, que la fonction soit telle qu’elle s’évanouisse lorsque et comme il faudra aussi que la quantité devienne nulle dans le même cas.

Exemple. — Supposons

étant des constantes quelconques, nous aurons

Soit en sorte que

et l’on trouvera par l’intégration

étant une constante arbitraire qu’on déterminera par la condition que lorsque (Remarque précédente) ; de sorte qu’on aura

et par conséquent

On voit par là que pour que le tautochronisme ait lieu dans un milieu dont la résistance serait en général il faut que le mobile soit sollicité par une force proportionnelle à c’est-à-dire à étant l’espace à parcourir.

Si c’est-à-dire si la résistance du milieu était simplement proportionnelle à la vitesse, on aurait (en supposant infiniment petit) la force proportionnelle à et il en serait de même si la résistance était tout à fait nulle. Ce qui s’accorde avec ce que l’on sait d’ailleurs.

Au reste, ces cas sont les seuls où l’on ait pu jusqu’ici déterminer les lois du tautochronisme ; notre méthode donne, comme on voit, le moyen d’étendre cette recherche aussi loin qu’il est possible.

Corollaire I. — C’est une chose digne de remarque que l’expression de la force sollicitatrice qu’on vient de trouver pour le cas de la résistance ne dépende en aucune manière du terme de sorte que la même courbe qui est tautochrone dans le vide, ou dans un milieu résistant comme le carré de la vitesse, doit l’être aussi dans un milieu dont la résistance serait proportionnelle à la vitesse, ou en partie aq carré de la vitesse. Pour en trouver la raison, il n’y a qu’à examiner l’expression générale de et l’on verra que, comme la quantité exprime une fonction quelconque de on peut écrire au lieu de ce qui donnera simplement dans la valeur de le nouveau terme D’où l’on peut conclure en général que toute courbe, qui est tautochrone dans une hypothèse quelconque de force et de résistance, l’est aussi en supposant la résistance augmentée d’une quantité proportionnelle à la vitesse.

Corollaire II. — L’équation

donne, en mettant pour sa valeur et faisant, comme ci-dessus,

d’où l’on tirera la valeur de en et par conséquent aussi celle de à cause que

Soit

l’intégrale étant prise de manière qu’elle soit nulle lorsque on aura, en substituant au lieu de et intégrant ensuite,

étant la valeur de lorsque Or, puisque et que doit être égal à zéro au commencement du mouvement lorsque et par conséquent on aura donc

et faisant

Dénotons par la fonction réciproque de c’est-à-dire une fonction telle que et l’on aura donc donc

quantité qui doit être intégrée de manière qu’elle soit nulle lorsque Or est donnée en par l’équation donc on connaîtra Cdx aussi la vitesse et le temps en Si l’on veut avoir le temps total

employé à décrire l’arc il faudra faire ou bien et comme l’expression du temps est une fonction de seul, il est clair que le temps total sera indépendant de la longueur de l’arc parcouru

Corollaire III. — Soit le temps employé à parcourir un arc quelconque pris du point où le corps commence à se mouvoir, en sorte que l’on ait

et comme on aura

et mettant au lieu de valeur tirée de l’équation

il viendra

Or, au commencement du mouvement, on a et donc et à la fin on a et par conséquent aussi (par la Remarque précédente), donc Ainsi, pour déterminer le mouvement du corps, il n’y a qu’à intégrer les équations

de manière que soit nulle lorsque et et l’on aura en et en ou bien, à cause de on aura en et en et À l’égard du temps total, on le trouvera en faisant, dans l’expression de

Corollaire IV. — Soit, comme dans l’exemple ci-dessus,

en sorte que la résistance du milieu soit et la force sollicitatrice l’équation

deviendra

ou bien

dont l’intégrale, prise de manière que lorsque est

c’est-à-dire

d’où l’on tirera la valeur de en Ensuite on aura

c’est-à-dire, en intégrant de manière que lorsque

Faisant on aura le temps total égal à

étant l’angle de degrés.

Soit on aura

d’où

On aura de plus

Or

donc

et faisant on aura pour le temps total

Scolie. — Si l’on voulait que le temps employé à parcourir l’espace fût proportionnel à le Problème pourrait se résoudre de la même manière, en supposant ( étant une fonction quelconque de ), ce qui donnerait par la différentiation

c’est-à-dire, en substituant à la place de la différence de sa valeur trouvée dans le Problème précédent,

Donc, comparant ensemble les termes de

c’est-à-dire, en multipliant par et substituant à la place de à la place de et à la place de

d’où, en différentiant, on aura

ou bien, à cause de

Ainsi on trouvera que la quantité

doit être une différentielle complète ; de sorte qu’en faisant

la question se réduira à rendre la quantité

une différentielle exacte.

Qu’on mette à la place de et qu’on divise le haut et le bas de la fraction par elle se changera en celle-ci

c’est-à-dire en

d’où l’on voit que doit être une fonction de c’est-à-dire de de sorte qu’on aura

et par conséquent

À l’égard de la valeur de on la déterminera par le moyen de l’équation laquelle donne Au reste, on prouvera encore ici, comme on a fait dans la Remarque précédente, que la valeur de doit être nulle lorsque

Soit

on aura

et faisant

on aura

donc

d’où l’on tire

et ensuite

Donc, si l’on fait, pour abréger,

on aura

et le temps total employé à parcourir l’espace sera proportionnel à

Si alors et le temps total devient proportionnel à


APPENDICE[2].

En examinant la solution que nous venons de donner du Problème des tautochrones, il est aisé de voir qu’elle se réduit à faire en sorte que l’élément du temps soit de cette forme dénotant une fonction quelconque de , et étant égal à En effet, puisque au commencement du mouvement on a et à la fin et par conséquent aussi (hypothèse), il est clair que le temps total sera égal à l’intégrale de prise de manière qu’elle soit nulle lorsque et qu’elle finisse lorsque et qu’ainsi il sera tout à fait indépendant de l’arc parcouru, comme la nature du Problème exige.

De là il s’ensuit que l’on peut rendre notre solution beaucoup plus générale en prenant pour y une fonction quelconque de et de pourvu qu’elle soit nulle lorsque et qu’elle soit infinie lorsque conditions qui peuvent avoir lieu d’une infinité de manières.

Soit donc une fonction quelconque de et de telle, que quand et quand et soit qu’on dénote par une fonction quelconque de , et l’on aura en général, dans le cas du tautochronisme,

c’est-à-dire, en mettant pour sa valeur et pour

Or l’équation donne donc, faisant cette substitution, et divisant toute l’équation par on aura

d’où l’on tire

C’est là, ce me semble, la solution la plus simple et en même temps la plus générale qu’on puisse donner du Problème dont il s’agit.


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  1. Lu dans l’Assemblée du 4 mars 1767.
  2. Lu à l’Académie le 30 avril 1767.