Mahāyāna-Sutrālamkāra/Chapitre VII

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Asanga
Mahāyāna-Sutrālamkāra, exposé de la doctrine du Grand Véhicule selon le système yogācāra
Traduction par Sylvain Lévi.
H. Champion (tome 2p. 55-58).
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CHAPITRE VII

LE POUVOIR.

Définition du Pouvoir ; un vers.

1. La connaissance qui n’a pas en dehors de sa portée les Points suivants : naissance, langage, pensée, dépôt de bien et de mal, situation, Évasion, avec leurs subdivisions, qui est universelle, sans entrave, c’est là le Pouvoir qui appartient au Sage.

Connaissance qui porte sur la Renaissance des autres ; c’est le Super-savoir[1] touchant la Renaissance d’un monde à un autre. Connaissance portant sur le langage ; c’est le Super-savoir de l’Ouïe Divine, touchant le langage que parlent dans tel ou tel monde ceux qui y sont allés renaître. Connaissance qui porte sur la Pensée ; c’est le Super-savoir des Rubriques d’états d’esprit. Connaissance qui porte sur le dépôt de bien ou de mal antérieur ; c’est le Super-savoir touchant les séjours antérieurs. Connaissance qui porte sur la situation où sont passés actuellement les Disciplinables ; c’est le Super-savoir du domaine de la Magie, Connaissance qui porte sur l’Évasion ; c’est le Super-savoir de l’Épuisement d’Écoulement, savoir comment les êtres ont une Évasion hors des Renaissances. Voilà les six catégories en question ; la connaissance qui porte sur elles sans que nulle part, dans tous les mondes, avec toutes leurs subdivisions, elles soient en dehors de sa portée, sans rien qui l’entrave, c’est là le Pouvoir des Bodhisattvas, contenu dans les six Super-savoirs.

Il a énoncé le Sens de nature-propre ; il énonce maintenant le Sens de cause, en un vers.

2. Arrivé à la quatrième Extase qui est très pure, par la possession de la connaissance sans différenciation, au moyen de l’Acte mental afférent classe par classe, il parvient à l’accomplissement par excellence du Pouvoir.

Sur quelle base ? par quelle connaissance ? par quel Acte mental ce Pouvoir est-il accompli ? Ce vers le montre. Sens de fruit ; un vers.

3. Par là, il est perpétuellement dans les Stations Brahmiques, saintes, divines, incomparables, sublimes ; dans les régions où il va, il honore les Bouddhas et il mène les créatures à la pureté. Il montre le triple fruit du Pouvoir : personnellement, il est dans une Station de bonheur saint, etc., sans pareil, élevé ; et passant dans d’autres mondes, il honore les Bouddhas et il purifie les créatures.

Quatre vers sur le Sens d’Acte, qui est sextuple. Et d’abord l’acte de voir et l’acte de montrer ; un vers.

4. Les mondes, avec les créatures, avec les Créations et les Destructions Périodiques, il les voit tous comme une Illusion, et il les montre à son gré, par des procédés variés, car il a les Maîtrises[2].

Lui-même il voit que tous les mondes, avec les créatures, avec les Créations et les Destructions Périodiques, sont pareils à une Illusion ; et il le montre aux autres comme il le veut, et par des procédés différents et variés, soit qu’il fasse trembler ou qu’il enflamme, etc. Puisqu’il a les dix Maîtrises, comme elles sont énoncées dans le Daça-Bhûmika, à la huitième Terre.

Acte de rayonnement ; un vers.

5. En émettant des rayons, il fait passer au Ciel les habitants des Enfers, si rudement souffrants ; en faisant trembler les demeures du Démon, embellies de hauts palais volants, il les épouvante, et le Démon avec elles.

Il montre le double acte du rayonnement ; en donnant la Limpidité[3] à ceux qui sont allés renaître aux Enfers, il les fait renaître au Ciel ; et il effraie en les secouant les demeures du Démon avec le Démon lui-même.

Acte d’amusement ; un vers.

6. Il exhibe l’amusement sans mesure de l’Union, au milieu de la compagnie capitale ; il accomplit en tout temps le Sens des créatures par les Métamorphoses d’acte, de naissance, d’ordre supérieur.

Il exhibe l’amusement de l’Union sans mesure au milieu du cercle des assemblées des Bouddhas ; et il exécute constamment le Sens des créatures par une triple Métamorphose. La triple Métamorphose, c’est la Métamorphose des Arts et Métiers ; la Métamorphose des Renaissances à volonté, en rapport avec les Disciplinables ; la Métamorphose d’ordre supérieur, qui est la résidence dans le ciel Tuṣita, etc.

Acte de nettoyer le Champ ; un vers.

7. Par sa Maîtrise de la connaissance, il arrive à la pureté pour faire voir un Champ[4] ou l’autre à volonté ; comme il fait entendre le nom des Bouddhas chez ceux qui sont dépourvus du nom des Bouddhas, il les projette dans un autre monde. Le nettoyage du mal est double : il nettoie les Récipients en montrant à son gré les Champs des Bouddhas faits d’or, de béryl, etc., puisqu’il a la Maîtrise de la connaissance. Il nettoie les créatures en faisant entendre le nom des Bouddhas aux créatures qui sont allées renaître dans des mondes où manque le nom des Bouddhas ; en leur faisant prendre la Limpidité, il les fait renaître dans des mondes où ce nom ne manque pas.

Sens d’Application ; un vers.

8. Il devient capable de mûrir les êtres, comme l’oiseau naît avec des ailes ; il reçoit un éloge considérable du Bouddha, et sa parole est agréable aux créatures.

Il montre une triple Application : application de force à permûrir les créatures ; application d’éloge ; application d’agrément de la parole.

Sens de fonction ; un vers.

9. Les six Super-savoirs, la triple science, les huit Libérations, les huit Suprématies, les dix Lieux de Totalité, les Unions sans nombre, voilà le Pouvoir qui appartient au Sage[5].

Le Pouvoir du Bodhisattva fonctionne en six manières : Supersavoirs, sciences, Libérations, Lieux-de-Suprématie, Lieux-de-Totalité, innombrables Unions.

Ayant ainsi montré le Pouvoir par un Indice de section à six Sens, il en magnifie la grandeur dans un vers.

10. Il a par une Maîtrise suprême acquis la Compréhension ; il a remis sous son empire le monde, qui ne se possédait plus ; il ne se plaît qu’à faire le salut des êtres ; il marche dans les existences comme un lion, le Sage.

Il montre la triple grandeur : grandeur de Maîtrise, puisqu’il a obtenu la Maîtrise suprême de la connaissance, et qu’il rend l’empire de soi au monde, qui était soumis à l’empire des Souillures ; — grandeur de sur-joie, puisqu’il se plaît toujours uniquement à faire le salut d’autrui ; — grandeur d’être affranchi de la crainte des existences.


  1. Abhijñâ. Le commentaire en donne au complet la liste régulière. Cf. p. ex. M. Vv., § 14.
  2. Vaçitâ. Tib. dbaṅ « pouvoir » ; chin. tze tsai « indépendance ». Les dix vaçitâ sont énumérées M. Vy., § 27 : âyur° « longévité » ; citta° « pensée » ; pariṣkâra° « appareil » ; karma° « acte » ; upapatti° « renaissance » ; adhimukti° « croyance » ; dharma° « idéal » ; praṇidhâna° « vœu » ; ṛddhi° « magie » ; jñâna° « connaissance ».
  3. Prasâda. Tib. rab daṅ « grande pureté ». Le chinois n’a pas de terme particulier. J’ai tenu à conserver la métaphore qui caractérise si heureusement l’état d’âme de la foi bouddhique ; le mot prasâda évoque par excellence l’image d’une eau calme et pure.
  4. Kṣetra. Tib. ziṅ « champ » ; chin. ts’a fou ou ts’a. C’est la sphère propre d’un Bouddha, celle dont il opère la conversion. Chacun des kṣetra (selon le Fan yi mingyi tsi) contient un « grand-millier » (mahâsahasra) de « plans-de-mondes » (lokadhâtu).
  5. Il est inutile de donner ici tout au long l’énumération des vidyâ, vimokṣa, abhibhvâyatana, kṛtsnâyatana qui n’intéressent pas directement la doctrine de notre texte. Je me contente de renvoyer à la M. Vy., § 70 (vimokṣa), § 71 (abhibhv°), § 72 (kṛtsnây°). J’ignore ce qu’Asaṅga désigne ici par trividha vidyâ. En pali, les « trois sciences » tisso vijjâ sont ou bien la connaissance des trois vérités fondamentales, impermanence-douleur-impersonnalité, ou bien trois des six abhijñâ : pûrvanivâsa, divyacakṣus, âsravakṣanya. Cette dernière série est commune au pali et au sanscrit ; elle est enseignée dans un sutta de l’Aṅguttara I, 163 dont le correspondant se retrouve dans le Saṃyuktâgama, chap. 31 (éd. Tôk., XIII, 3, 83a).