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Meschacébéennes/Le Souvenir

La bibliothèque libre.
Librairie de Sauvaignat (p. 130-133).


 
Je le sens, pour une âme tendre,
Un amour malheureux est encore un bonheur.
(DESBORDES VALMORE.)



La vierge, ange des cieux, qui dorait notre vie,
Dans un jour de malheur peut nous être ravie :
Mais ce qui ne fuit pas, mais l’éternel trésor
Que l’on garde en son cœur, dont on s’enivre encor,

Mais ce qui reste, alors que l’on perd une femme,
Loin d’elle, dans l’exil, ce qui console l’âme,
Ce qu’à nous enlever, on ne peut parvenir,
Ce qui survit à tout… Oh ! c’est le souvenir !
D’un passé qui n’est plus c’est le reflet fidèle,
Ce sont ces jours si doux qui s’écoulaient près d’elle,
C’est le naissant amour et les premiers aveux,
Les projets d’avenir, alors qu’on cause à deux,
Le bonheur d’écouter une molle romance,
De lui dire, les yeux humides : « Recommence ! »
Et près de son piano, haletant et sans voix,
De l’une à l’autre touche ouïr glisser ses doigts ;
Ce qu’en ses rêves d’or retrouve le poëte,
C’est un front chaste et pur rapproché de sa tête,
Alors que tous deux seuls, et la main dans la main,
On s’entretient d’amour et du prochain hymen ;
C’est un rien, un sourire, un geste, une parole…
Oh ! si jamais, jeune homme, une vierge créole,
Après t’avoir aimé de son premier amour,
Par caprice, ou dédain, ou défiance, un jour,
Craignant pour son bonheur, sans pitié te délaisse..
Oh ! le cœur défaillant, épuisé de tristesse,
En voyant tout à coup tes beaux songes périr,
Tu maudiras la vie et tu voudras mourir !
Et, ne retrouvant plus, dans ta douleur amère,
Pour consoler tes maux l’amour saint d’une mère,

A la terre jetant un éternel adieu,
Pour toujours, tu voudras te reposer en Dieu.
Mais comme un ange pur et que Dieu nous envoie,
Pour soutenir nos pas dans une sombre voie,
Aux heures d’agonie oh ! tu verras venir
Pensif, à ton chevet, s’asseoir le souvenir.
Et si l’orgue, à travers ta morne rêverie,
Te jette un air connu…muet, l’âme attendrie,
Dans ton cœur écoutant s’éveiller mille voix,
Harmonieux écho des songes d’autrefois,
Pleurant, tu t’écrîras, en relisant Valmore :
« Un amour malheureux est un bonheur encore ! »



(Paris, octobre 1838.)