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Néologie, ou Vocabulaire de mots nouveaux/Préface

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Lorsque l’institut national forma le projet relatif à la continuation du Dictionnaire de la Langue Française, j’avais déjà fait le mien, celui que je publie, d’un genre absolument nouveau, et le plus hardi, je pense, de tous ceux que l’on a vus jusqu’à ce jour. Cet ouvrage appartenait de droit à l’indépendance absolue de mes idées. La nation entière en sera le juge, mais dans le temps ; je prêterai peu l’oreille à la génération actuelle des littérateurs, parce qu’elle n’est pour moi qu’un parterre qui doit se renouveler demain. L’homme qui pense ou qui sent ses forces, n’écrit pas pour un seul parterre.

Que l’on ne m’appelle point un nouveau Furetière[1], je suis en plein accord avec mes collègues, et il règne entre nous une affection réciproque ; aucun procès ne s’élevera, pour la divertissement du public malin. Je dirai seulement que tous mes collègues savent que j’aime à finir ce que j’ai commencé, à faire vite ; sur-tout, que j’aime à faire seul ; et pour qu’un ouvrage ait une physionomie, il faut qu’il soit empreint d’une volonté une et despotique.

Je pense qu’un Dictionnaire quelconque ne pourra être bien fait que par un seul homme. Il s’élève tant d’opinions contraires, tant de discussions oiseuses, tant de difficultés stériles, tant d’idées divergentes, qu’il faut une tête altière qui ordonne à la plume de trancher court et net.

Il y a une foule de Dictionnaires qui ont chacun leur utilité particulière. Qu’un écrivain s’environne de tous les matériaux, de toutes les lumières, soit ; mais qu’il ose ensuite donner sa loi ou le projet de loi, car il faut oser en ce genre ; qu’il décide ce qui paraît être incertain, il fera bien plus alors que tous les circonspects dits sages. La langue est l’instrument qui doit obéir ; l’instrument, certes, m’appartient, et dès que je suis entendu, me voilà justifié.

J’ai osé, car je ne suis pas de la classe de ces littérateurs hardis à être timides, amoureux de leurs fers, roulant dans la vieille ornière et préjugistes obstinés ; j’ai osé, bravant de vaines et passagères clameurs, envisageant la langue telle qu’on l’a parlée, telle qu’on la parlera sans doute un jour, ou telle enfin qu’on devrait la parler ; j’ai osé, dis-je, certain de son prochain et long triomphe, déployer sur ses plus hautes tours l’oriflamme de la Néologie.

Plus les têtes s’assemblent, plus elles se rétrécissent. Heureux qui dans son travail est libre et despote ! il ne sera vaincu ni par l’ennui, ni par certains égards, ni par ces divagations le supplice de la pensée ; il sentira vivement, il abrégera tout ; il ne sera pas du moins un demi-siècle à tâtonner des mots ; il ne dira que ces paroles : j’adopte, je rejette, car telle est ma volonté.

Puisque vos règles ont fait tant d’avortons, tant d’hommes médiocres, que craignez-vous, lorsque vous supprimerez vos règles ? elles sont la plupart si arbitraires ! elles ont pour unique fondement l’imagination la plus capricieuse. En voulant symétriser nos créations hardies, c’est la source de toutes nos lumières qu’elles essaient de tarir.

On parle de l’importance d’un bon Dictionnaire : la première chose serait de ne pas le confier à une race d’étouffeurs qui se mettent à genoux devant quatre ou cinq hommes du siècle de Louis XIV[2], pour se dispenser, je crois, de connaître et d’étudier tous les autres, et qui, criblés des plus misérables préjugés, fermant le petit temple de leur idolâtrique admiration, ne savent pas qu’il n’y a point de perfection fixe dans les langues.

Les plus belles langues qui aient été connues dans le monde, c’est d’abord le hasard qui les a produites, et l’art ensuite qui les perfectionnées. Quelque parfaite que soit une langue, elle n’a pas d’autre origine que la plus barbare. Elle ne diffère que par l’abondance des mots, la variété des tours et la netteté de l’expression. Le Français qu’on parlera dans deux cents ans, sera peut-être plus différent de celui qu’on parle aujourd’hui, qu’il ne l’est de celui qu’on parlait il y a deux cents ans. Point de langue si barbare qui ne puisse acquérir la perfection de la langue grecque ou latine ; il ne faut que le temps, le nombre et le génie des hommes qui la parleront, qui l’écriront, et qui s’appliqueront sur-tout à la perfectionner.

Plus d’un peuple a trouvé par lui-même l’invention de l’écriture par des signes et caractères dont on ne s’était jamais avisé avant lui. C’est ainsi que tout peuple à naître se fera une langue qui n’a jamais été, et qui ne laissera pas que d’exprimer d’une manière nouvelle, les mêmes choses que nous.

Quand j’intitule cet ouvrage Néologie, qu’on ne l’appelle donc pas Dictionnaire Néologique[3] ! Néologie se prend toujours en bonne part, et Néologisme en mauvaise ; il y a entre ces deux mot, la même différence qu’entre religion et fanatisme, philosophie et philosophisme. Tous les mots que j’ai ressuscités, appartiennent au génie de la langue française, ou par étymologie, ou par analogie ; ces mots viennent de boutures, et sont sortis de l’arbre ou de la forêt, pour former autour d’elle des tiges nouvelles, mais ressemblantes ; ainsi je me fais gloire d’être Néologue et non Néologiste : c’est ici que l’on a besoin, plus qu’ailleurs, de nuances assez fortes, si l’on ne veut pas être injuste. Au reste, les ennemis injustes font du bien, disait Montesquieu.

Il en est d’une langue comme d’un fleuve que rien n’arrête, qui s’accroît dans son cours, et qui devient plus large et plus majestueux, à mesure qu’il s’éloigne de sa source. Mais plus un despotisme est ridicule, plus il affecte de la gravité et de la sagesse. Et qui ne rirait d’un tribunal qui vous dit : je vais fixer la langue. Arrête, imprudent ! tu vas la clouer, la crucifier.

Ces petits magistraux ne connaissent ni les desseins de la nature, ni les destinées de l’homme, car c’est à lui de créer la parole, et la parole envahit tous les mots ; elle composera un jour la langue universelle : la parole, enfin, ne dépend que d’elle-même[4].

L’entendement produit le signe, et le signe réagit sur l’entendement ; rien n’est plus vrai : Bacon et Leibniz nous l’ont dit. Vous voulez donc beaucoup de signes, direz-vous ; oui. — Mais vous allez dégénérer en licence, vous allez apporter la confusion — Ce n’est point là mon dessein ; au contraire, je veux soulager votre pensée, je veux lui donner les moyens de se rendre plus nette et plus visible ; je veux imprimer à notre langue plus de grâce, plus de fécondité, d’énergie, de simplicité, sans violer ses lois fondamentales ; libre à vous de choisir ; mais songez que la liberté en ce genre, quoique poussée un peu loin, est cent fois moins dangereuse que la gêne et que la contrainte[5]. La langue grecque substantifie le verbe à volonté ; j’ai usé quelquefois du même droit dans ce Vocabulaire, et pourquoi serois-je coupable ?

L’âme cherche toujours des choses nouvelles, et ne se repose jamais (dit Montesquieu) ; ainsi on sera toujours sûr de plaire à l’âme, lorsqu’on lui fera voir beaucoup de choses, ou plus qu’elle n’avait espéré d’en voir. Le mot est le corps de l’idée simple ; toute articulation qui ne donne pas une idée simple, n’est pas un mot. Multipliez les mots qui portent avec eux l’idée simple ; la phrase, qui est le corps de l’idée composée, sera plus riche et plus facile : c’est la pression subite de l’esprit ; sur l’idée simple qui produit la pensée, et la pensée n’étant qu’un aperçu du premier principe, s’étend avec la parole ou avec l’écriture dans toutes les différences infinies d’exprimer une vérité. Les langues pauvres s’opposent donc à la pensée.

Écoutez ces hommes à imagination pittoresque, dont le discours est un tableau qui amuse, ou une peinture qui échauffe ; ils éprouvent des sensations étrangères à l’auditeur et créent leurs mots. Les phrases ou les circonlocutions promettent beaucoup, et donnent peu ; mais un mot neuf vous réveille plus que des sons, et fait vibrer chez vous la fibre inconnue. Ainsi, quand une idée pourra être exprimée par un mot, ne souffrez jamais qu’elle le soit par une phrase.

Il n’y a personne qui ne soit charmé de vouloir se rendre raison à lui-même du plaisir que lui donne une expression qui le frappe, un tour original, un trait inattendu ; notre imagination aime qu’on lui parle d’une manière neuve, parce qu’elle est douée elle-même d’une grande vivacité pour tout ce qui porte ce caractère. Or on peut être audacieux dans l’expression, tout en révérant la langue. La Néologie peut se marier à la plus grande clarté. Vous ne pouvez m’empêcher de sentir ; pourquoi voulez-vous m’empêcher de m’exprimer ? Quand vous aurez senti dans votre ame toutes les délices que la méditation y verse, vous aurez alors quelqu’idée de la langue neuve et rapide qui peut-être est encore à créer. Laissez-moi libre ; mes idées ne tariront point.

Nous avons trop redouté un commerce étroit avec les langues étrangères ; notre langue serait devenue plus forte, plus harmonieuse, si, à l’exemple des Anglais et des Allemands, nous eussions su nous enrichir d’une foule de mots, qui étaient à notre bienséance. Il est encore indécis si nous n’avons pas perdu à ne pas adopter entièrement la langue d’Amyot et de Montaigne. La langue d’Amyot et de Montaigne était un heureux composé du grec et du latin. On a manqué, selon moi, l’époque d’une grande et belle fusion, ce que je développerai ailleurs.

Tous les grands écrivains ont été Néologues, et je puis dire qu’il n’y a point d’écrivain qui ne soit tombé plus ou moins dans la Néologie : miratur orbis se esse arianum[6]. L’instinct fait créer des mots qu’il est impossible à la réflexion de ne pas approuver. Une femme aimable passant devant le palais abbatial où avaient été renfermés longtemps son père, monté à l’échafaud, et un de ses amis, bienfaiteur de toute sa famille, monté aussi à l’échafaud, ses yeux se remplirent de larmes, et toute émue, elle dit à la personne qui l’accompagnait : Je ne puis sans révération revoir les lieux qui me rappellent des souvenirs si déchirans et si chers. Mettez vénération, ce n’est plus le même sentiment.

J’ai écarté (à quelques exceptions près) les mots qui tiennent à la révolution[7], ainsi que les mots techniques des sciences et des arts ; ils ont leur Vocabulaire à part. J’aurais pu marquer l’étymologie des mots rendus au jour, leur descendance du grec, et il ne tenait qu’à moi de faire l’érudit ; avec une échelle roulante de bibliothèque, un masque de verre sur le visage, un bras de louage pour déplacer des volumes poudreux et une plume de copiste au bas de l’escalier, l’on devient tel. Je n’ai point voulu de cette gloire ; j’ai fait même grâce au lecteur de tout l’appareil du grammairien, n’ayant pas daigné distinguer le substantif, l’adjectif, la nature des verbes, etc. d’autant plus que je voulais piquer par-là l’intelligence du lecteur, et lui laisser le mérite de créer son idée ou sa sensation. On verra que j’ai dépensé quelqu’esprit pour bien enchâsser tel mot, et le faire sortir net et pur, comme un diamant bien taillé[8].

Je pourrais ensuite justifier cet ouvrage par des exemples sans nombre, par celui de Cicéron qui se plaisait tant à broder, à chamarrer son style par des expressions prises du grec ; je pourrais parler de tous les écrivains qui ont créé une foule de termes nouveaux et adopté des locutions étrangères ; je pourrais citer les vers connus d’Horace, multa, etc ; mais l’homme pensant ne connaît point d’autre autorité que son propre génie ; c’est lui qui fait la parole, et la langue n’est point un objet de convention, comme le disent de futiles métaphysiciens que cette seule proposition pétrifiera.

Quand je ne ferais que contre-poids à la race des étouffeurs, j’aurais bien mérité, je crois, de ceux qui s’intéressent à la gloire des lettres. Elle dépend d’une sorte de hardiesse généreuse. Les altérations successives que subissent les termes, ne sont rien quand les mots forts et vigoureux reviennent reprendre leur empire. Le mot radical est le père et le souverain qui commande en maître, car c’est lui qui a donné une existence réelle et physique aux êtres intellectuels, abstraits et moraux ; quelle ne sera pas son autorité quant aux objets physiques !

Ainsi, avec le simple mot, sans syntaxe et sans grammaire, vous aurez sous les yeux un tableau raccourci et fidèle de toutes les images de la nature, vous en ferez vous-même la liaison, vous en ferez la réunion, vous inventerez vous-même le style ; vous serez grammairien, sans le savoir. La Néologie s’attache au sens absolu, à la forme radicale des mots, parce que les mots font la matière première des syntaxes. Rudes et sauvages, ils dominent la grammaire, car peindre un objet en noir, en rouge, en verd, c’est toujours en vouloir tracer et transmettre l’image : la phrase viendra ensuite ; elle vient toujours, parce que la nature ordonne que nous allions au même but par des moyens différens.

Il y a une foule immense de langues répandues sur toute la terre, pourquoi dans la mienne, n’aurais-je pas des variétés prodigieuses qui se rattachent au même centre ? Laissez-moi toutes les couleurs et toutes les nuances dont je veux peindre mes idées ; ainsi les langages humains, malgré la diversité du climat, des mœurs et des usages ; tendent à se fondre dans une langue qui ne serait pas nouvelle, mais qui serait excessivement riche et hardie. La langue allemande s’approche avec majesté de cette grande conquête ; et nous, qu’avons-nous fait ? La nation la plus fière dans les combats, est la plus molle, la plus timide dans son Vocabulaire : voilà l’ouvrage de défunte Académie française ! Qu’a fait l’académicien ? Il n’a vu l’édifice immense des langages humains que d’après ses fantaisies ; il a eu ses amours et ses haines pour des mots ; animosités et tendresses aveugles ! ses caprices ont été des règles. Quoi ! la nature n’a mis aucune barrière entre ma pensée et le terme dont je veux la colorer, et tu prétends gêner, anéantir mon expression ! Le sauvage est plus avancé que toi dans l’ordre éternel des choses ; il appelle l’écriture, le papier qui parle, et toi, tu ne veux pas que les mots parlent. Le papier qui parle ! Tu seras donc aussi loin de l’idée que de l’expression.

Un mot neuf, énergique, bien placé, imite la lampe de l’émailleur ; c’est une langue de feu qui fond tout, et à qui rien ne résiste. Pascal, Labruyère et Francklin possédaient cette langue si étrangère à nos académiciens. On pouvait dire autrefois, les Romains d’Italie ; on doit dire aujourd’hui, les Italiens de Rome : celui qui a créé cette expression, a fait un livre.

C’est la serpe, instrument de dommages, c’est le ciseau académique qui a fait tomber nos antiques richesses ; et moi, j’ai dit à tel mot enseveli : lève-toi et marche. Ainsi que l’homme bon est encore meilleur que la loi bonne, et que le méchant est encore plus mauvais que la loi mauvaise ; de même l’homme qui veut enrichir sa langue, vaut mieux à lui seul pour ce grand œuvre, que toute une académie à règle et à compas. Il faudrait plutôt en créer une de permutation et de combinaison de mots nouveaux et de phrases nouvelles ; mais le génie en ce genre n’a point de compagnon.

Les mesures existaient dans la nature, avant les règles qui nous en démontrent les proportions ; ainsi la langue existe dans la force des mots, avant la syntaxe et la grammaire. Il n’y a peut-être qu’une science, celle de la perturbation des mots qui les renferme toutes, l’esprit ne dépendant en partie que d’un récensement perpétuel d’expressions ; mais comme il serait impossible d’avoir un dictionnaire où tous les mots y fussent, et tous les adjectifs, actifs, passifs et participes s’y trouvassent, l’interprétation des mots d’une manière absolument neuve, suppléera à notre indigence. Il y a plusieurs langues dans une seule, pour qui sait bien, en tournant tous les mots, les faire passer dans des acceptions diverses, multipliées ou sans cesse modifiées. C’est ainsi qu’une discipline très-active, imprimée à un régiment, double et triple le nombre des soldats.

Je conçois donc une langue universelle, celle qui emprunterait des mots à toutes les langues connues, et qui les assujétirait ensuite à sa syntaxe. Tous ces mots se feraient adopter dans le besoin ; on parlerait un peu obscurément d’abord, j’en conviens, mais peu à peu on naturaliserait tous ces termes étrangers ; et dans le besoin, il vaut mieux parler imparfaitement, que de ne point parler, ou que de parler trop tard.

Ceux qui ont un peu vécu dans le monde, n’ont-ils pas été frappés de la différence d’une jeune fille élevée sous les yeux d’une mère raisonnable, à un jeune homme qui fait ou qui a presque fait ce qu’on appele ses études ? La première a communément un maintien aisé, se sert de mots qui peignent avec précision, et non de phrases vagues, narre avec clarté ; le jeune homme abonde en circonlocutions, se sert de phrases, de périphrases, et non des mots dont je parle. C’est que les femmes ont un véritable penchant à la Néologie ; et voilà pourquoi elles s’expliquent sans embarras, oublient quelquefois les liaisons des mots, et en mettent beaucoup dans les faits, connaissent tout ce qui est d’usage, et ajoutent à l’usage avec des graces naturelles.

La langue (dit-on) était pure sous la plume de Boileau et de Racine ; d’accord, mais toute la langue est-elle sous leur plume ? Pourquoi le génie de la nation se refuserait-il à des expressions énergiques et concises que ces écrivains auraient eux-mêmes employées ? Qu’il s’enhardisse à la reprise d’une foule de mots chers à nos ancêtres ; qu’il fasse la conquête de synonymes très-nuancés dans leur différence ; qu’il jouisse sur-tout de l’avantage inappréciable de mots composés qui resserrent les idées divagantes ; alors il pourra jouter avec les langues poétiques de ses voisins[9].

Elle est encore à naître parmi nous, cette langue poétique si désirée ; nous n’avons ni augmentatifs, ni diminutifs. Quel a été l’ouvrage de cette compagnie célèbre ? un Vocabulaire timide qui s’est traîné pendant cent années dans la faiblesse et dans la peur, qui trahit à chaque pas l’audace de la pensée et le feu du sentiment. Nos voisins possèdent plusieurs traductions célèbres des poètes de l’antiquité et qui reproduisent toutes leurs beautés originales ; et nous, nous avons tellement fait les difficiles, que nous n’avons qu’un bégaiement enfantin, monotone, près de la voix forte, sonore et musicale, qui se ploie aux mètres les plus difficiles de la Grèce et de Rome. On entend dans plusieurs de ces langues, la marche harmonieuse des dactyles et des spondées, que ne remplace point notre lourd hémistiche.

La plus étonnante des traductions est celle de Tacite, par Davanzati ; souvent plus, serré que l’original, le choix de ses mots italiens est si merveilleux, qu’avec moins de signes il est beaucoup plus clair que l’auteur latin. Cette traduction est une nouvelle espèce de commentaire plus court, moins obscur que le texte. Ceci n’est point un paradoxe, j’en appele à ceux qui ont lu Davanzati ; mais le traducteur doit sa concision, sa force et son énergie à une Néologie qu’il a bien fallu lui pardonner, d’après son rare talent[10].

Je crois avec le président Desbrosses, qu’il existe une langue primitive, organique, physique et nécessaire, commune à tout le genre humain, qu’aucun peuple au monde ne connaît ni ne pratique dans sa première néanmoins, et qui fait le premier fonds du langage de tous les pays ; fonds que l’appareil immense des accessoires dont il est chargé, laisse à peine apercevoir.

Il m’est donc licite, d’après le système fondamental du langage humain, d’étendre la fabrique des mots, qui se trouve nécessitée par la nature de mon entendement. Je vois des objets nouveaux, j’ai des idées sur des objets intellectuels qui n’ont d’existence que dans mon esprit ; je fais descendre de ces noms radicaux, imitatifs des objets réels, des termes inusités, dont la formation devient applicable à mes nouveaux aperçus, parce que la propriété des choses nommées m’appartient, comme homme et comme peintre.

Mais il faut bien connaître la force du terme primitif, pour en apercevoir l’acception dérivée. Le système accessoire de dérivation est intimement lié à la nature du premier, dont il est sorti en second ordre ; et pourquoi ne serait-il pas, comme lui, plutôt nécessaire que conventionnel ?

Toutes les formes d’accroissement qu’un mot primitif est sujet à recevoir, sont indépendantes de la formule générale et particulière des syntaxes ; ce qui fait son impérissabilité ; ainsi les montagnes primitives sont la charpente réelle de notre planisphère, tandis que les secondaires varient au gré de la tourmente des élémens.

Un autre que moi remontera jusqu’aux racines qui ont produit les mots usités dans le langage humain ; un autre cherchera les sources étymologiques ; je suis loin de ce travail : j’ai greffé sur les arbres d’une vaste forêt, plusieurs sauvageons, si l’on veut, mais je me suis attaché à faire manger des fruits nouveaux ; ceux qui ne les trouveront pas bons, les rejetteront ; d’autres leur feront subir une sorte de coction salutaire. Il ne s’agit pas ici d’une ordonnance impérative.

Les costumes, parmi nous, tendent à tout uniformiser ; c’est le contraire que je voudrais, quant au style. Je désirerais que chacun eût le sien, d’après son caractère. Il ne serait pas même indigne de l’écrivain moraliste de descendre à l’examen des patois, et, attentif aux nuances qui les distinguent, de leur dérober des expressions enflammées et des tours naïfs qui nous manquent ; nous avons trop écarté.

Qui croirait que l’on a rangé parmi les expressions Néologiques, les mots souveraineté, incendie, insidieux, féliciter, invectiver, exactitude, remporter la victoire ; à présent, au surplus ?

Racine est le premier qui se soit servi du mot respectable. On ne pouvait pas dire, il y a cent ans, rentrer dans ses foyers ; cela signifiait, selon les critiques, rentrer dans sa cheminée. On avait oublié le pro aris et focis des anciens.

Ouvrez Massillon ; il appelle un homme qui méprise les lois, soit divines, soit humaines, contempteur des lois : il fut réprimandé dans le temps. Quel est, dans notre langue et dans beaucoup d’autres, le synonyme de ce mot, dont on ne peut rendre le sens que par la réunion de plusieurs autres, ce qui blesse ou l’énergie, ou la précision du style ?

N’est-il pas des mots que le préjugé a rendu ignobles, et que de grands écrivains ont eu le courage de rendre à la langue, même dans des vers pompeux, comme vache, bled, chien, pavé ? Lafontaine se plaisait, à placer avec grace, tel mot qui vieillissait. Tel mot est ancien dans le sens littéral, qui devient neuf dans le sens métaphorique, et c’est encore là une source de richesses que nous ne négligerons point.

Enfin il est des mots anciens qui, pour le sens, ont des synonymes qu’on leur a préférés sans un juste motif[11], Montaigne disait longuerie ; nous disons longueur. Il semble que le mot de Montaigne, par sa terminaison, où se trouve un e muet, qui semble prolongé, devrait être préféré au mot longueur, dont la terminaison sèche semble coupée tout-à-coup.

Il y a deux cents ans que courtisane et ribaude étaient parfaitement synonymes ; le caprice a couronné le premier, et jeté l’autre dans la boue. Pourquoi ? on dira, c’est que courtisane est bien la femelle de courtisan, pas mal dit.

Autre, exemple. Roué, est un mot nouveau introduit dans la langue, sous la régence du duc d’Orléans. Les courtisans de ce prince expliquaient ce mot de roué, en courtisans, gens qui se feraient rouer pour lui. Le prince plus heureux dans son explication, mais un peu ingrat, (a dit Chamfort) prétendait que ce mot voulait dire, gens bons à rouer.

L’Académie française n’a eu garde d’enregistrer cette expression. Les roués de l’Académie étaient les grands protecteurs des académiciens.

On ne trouvera dans ce Vocabulaire aucun mot qui puisse réveiller une idée libre ; l’Académie française a mis dans, son Dictionnaire, trois mots étranges ; je vais les transcrire, et l’on ne sera pas peu surpris. 1o Dépuceler, verbe actif, ôter le pucelage ; quelle rédaction ridicule et indécente ! 2o Dépucelé, participe au masculin. Bon dieu ! 3o. Pucelage, substantif masculin, l’état d’un homme qui n’a point vu de femmes, et d’une femme qui n’a point connu d’hommes. Cette définition académique n’est-elle pas vicieuse sous tous les rapports. 4o Puceau, garçon qui n’a point connu de femmes ; comme cela est essentiel ! Enfin la pudeur (selon l’Académie,) est une honte honnête. Racine était-il présent à cette rédaction, ou son ombre du moins ?

L’Académie a cru devoir donner l’entrée aux mots Forniquer, Fornication et même Fornicateur, et elle en répudie de chastes et d’honnêtes ; enfin je lis dans ce Dictionnaire, l’ouvrage de tant d’abbés, trousser une femme, pour dire, lui lever les jupes, et si vous ne m’en croyez pas, ouvrez le volume, revu, corrigé et augmenté par l’Académie elle-même[12] cinquième édition.

Cherchez-vous Dimension, vous trouverez étendue des corps ; cherchez-vous étendue, vous trouverez dimension d’une chose.

Voyez Paon ; gros oiseau domestique, il a comme une espèce de petite aigrette sur la tête, et les plumes de sa queue sont remplies de marques de différentes couleurs en forme d’yeux. Quel pinceau suave ! cent articles sont non moins ridicules que ceux-ci. C’est dommage, en vérité, que ce corps ne soit plus ; il prêtait tant aux plaisanteries et gaîtés des sages et des gens d’esprit !

J’ai pris (en riant), pour point de départ ce Dictionnaire de l’académie française, afin de prouver que nous avons, tout à côté de lui, une série nombreuse d’expressions propres à être naturalisées ; et si j’ai employé quelques mots qui se trouvent dans ce même Dictionnaire, je leur ai imprimé sur-le-champ une valeur décuple[13].

La Néologie débarrasse la langue de l’emploi perpétuel de ces verbes auxiliaires dont la physionomie monotone pèche encore contre le laconisme, et alonge le style en pure perte.

Mais c’était n’avoir rien fait, ou du moins bien peu de chose, que de donner le mot dans toute sa sécheresse ; je l’ai enveloppé de phrases qui font son ornement ; de manière qu’il ne paraisse point tout-à-fait étranger, et qu’on daigne lui sourire comme à un Persan qui aurait pris, le lendemain de son arrivée, notre costume et nos mœurs. Plusieurs, sans doute, retravailleront les mots de ce Vocabulaire, s’appliqueront à les mettre en œuvre d’une manière plus précise, plus vive et plus brillante. Eh bien, je jouirai encore de ma défaite, et mon vainqueur sera pour moi un vainqueur inhostile, et même aimable.

S’il ne se formait pas une seule langue impératrice pour l’Europe entière, d’ici à deux ou trois siècles, il est à présumer que, vu la multiplication des langues et des connaissances humaines, les impressions, les livres, les traductions iront toujours en croissant, et feront masse, au point qu’il sera impossible à la vie d’un homme de suffire aux premières études nécessaires pour entrer dans le sanctuaire des sciences ; et d’après ces réflexions, serait-il déraisonnable de dire : Ne prenez pas une langue factice, Européens, projet long, difficile, impraticable ; prenez une langue parlée, mais enrichissez-la de tous les trésors de la Néologie : déjà tous les peuples chargent davantage la composition du nom, quand ils veulent marquer le degré superlatif d’une chose ; un seul mot est quelquefois devenu le fondement d’une science ; la parole est la peinture par excellence, l’écriture n’est que la parole fixée, l’écriture n’a presque point de bornes, et si je veux exprimer un langage pathétique et usité (même parmi les brutes), ne me faudra-t-il pas des signes ou des accens nouveaux ? Et comment renoncerions-nous, par exemple, aux agranditifs ? C’est la nature elle-même qui nous en fait une loi et qui nous indique l’échelle. des expressions.

Pour prix de mes intentions libérales et d’un assez long travail, l’on me prodiguera ces injures qui m’ont toujours trouvé calme et indifférent : je serai un barbare, barbarus hic ego sum ; mais il y a vingt-cinq ans que j’ai mis sous les pieds, louanges et critiques, éloges et satires, non par orgueil, mais pour être plus libre et plus indépendant dans ma manière de voir et d’écrire. Il est donc inutile de prévenir le lecteur que j’ai fait ce Vocabulaire, d’abord pour moi, c’est-à-dire que, sous tel ou tel mot, j’ai laissé courir ma plume selon la libre fantaisie ou l’inspiration du moment, m’embarrassant fort peu si cela entrait ou n’entrait pas dans la composition d’un ouvrage de cette espèce. Or, dans tous les écrits que j’ai publiés jusqu’à ce jour, j’ai toujours eu soin de me payer d’avance et de mes propres mains, afin de n’avoir pas ensuite à crier à l’ingratitude. Je donne, c’est au public à recevoir, je le dispense de toute reconnaissance ; mais qu’il apprenne une bonne fois de ma bouche, que je me regarde comme son instituteur, et non point comme son esclave.

Dès que l’impression fait éclore un poète,
Il est esclave né de quiconque l’achète.

Je méprise beaucoup l’auteur de ces vers-là, et je proteste hautement contre leur impertinence.

C’était une langue très-riche que celle de nos anciens historiens, orateurs et poètes, jusqu’au dix-septième siècle, mais l’amour subit, l’idolâtrie aveugle pour quatre à cinq écrivains plus modernes qui ont conquêté le gros des lecteurs, ont comme ordonné la suppression et proscription d’un nombre très-considérable de mots très-expressifs et très-énergiques, qui ne sont point remplacés. Une fausse délicatesse, un caprice, un engouement vif et rapide ont été cause de ces bannissemens. Il y a des mots qu’on a rejetés, parce que les poètes comiques s’en sont servis dans un sens défavorable.

Laurent, serrez ma haire avec ma discipline,
Et priez que toujours le ciel vous illumine !

Voilà un verbe ridiculisé ; ô suave merveille du même poète ! suave et suavité sont mis hors de la langue.

Bellement, bellè, proscrit, et pourquoi ? Il y a un proverbe qui dit : qui a faim ne peut manger bellement ; expression naïve ; dites agréablement, vous direz mal.

S’il n’y a point de langue assez féconde pour fournir autant de mots différens que nous avons de différentes pensées à exprimer, l’on ne risque donc rien d’avoir une palette riche en couleurs, et je me suis mis à arranger la palette. Voilà des couleurs toutes broyées, mais c’est de leur mélange heureux que l’écrivain fera sortir son tableau : elles doivent paraître crues avant d’avoir été employées par le pinceau, l’heureux pinceau qui doit les délayer. Je laisse donc au peintre le soin de combiner ces mots-couleurs de toutes les manières possibles.

Ne vivez point d’imitation ; voilà ce que je dis et redirai sans cesse.

Ce Vocabulaire exige à sa suite un traité sur les inversions ; je m’en occupe sans relâche, l’on verra que je suis infatigable dans ma carrière littéraire[14].

À proprement parler nous n’avons dans notre langue, ni tournures, ni constructions, ni périodes. Ces trois choses supposent nécessairement le pouvoir et la liberté de transporter, d’arranger les mots à son gré, pour rendre la diction plus harmonieuse ou plus pittoresque. Les anciens comparaient la phrase périodique, tantôt à un bâtiment construit en voûte, et tantôt aux mouvemens tortueux d’un fleuve qui serpente ; les uns la présentent sous l’image de ces animaux féroces qui se replient sur eux-mêmes pour s’élancer avec plus de force ; les autres, sous celle d’un arc d’où la flèche part avec d’autant plus de rapidité, qu’on s’est plus efforcé de le tendre. Le mécanisme de notre diction aurait-il jamais inspiré l’idée de ces comparaisons ? Nous rapprochons les mots, nous les enchaînons les uns aux autres, mais nous ne les groupons jamais ; nous ne les construisons pas, nous les accumulons ; nous ne saurions les disposer de manière à se prêter mutuellement de la force et de l’appui ; les mouvemens circulaires et les mouvemens obliques nous sont également défendus, nous ne pouvons parcourir que la ligne droite ; enfin nous n’avons que le choix des mots ; du reste leur place est presque toujours invariablement fixée. Ou nos grammairiens n’ont pas assez senti les avantages de l’inversion, ou ils ont craint de les exposer. C’est l’inversion qui conduisit les anciens à varier presqu’à l’infini les formes de leur langage, à les distinguer les unes des autres, et à les adapter convenablement aux différens genres, oratoire, historique, épistolaire, etc. À ce moyen s’en joignait un autre non moins riche et non moins puissant. Les élémens de chaque mot ayant leurs temps fixes et déterminés, de leurs diverses combinaisons on obtint les pieds et les nombres propres à précipiter ou à ralentir la marche de la diction, selon l’effet qu’on voulait produire. On sent comment avec ces ressources l’élocution acquit des principes, des règles et des procédés constans et invariables. Il en est de nos écrivains, relativement à ceux de l’antiquité, comme de celui qui compose un chant par instinct et par oreille, relativement à un musicien qui connaît parfaitement les routes de l’harmonie et toutes les richesses de l’art[15].

Le savant Malezieux disait que les Français n’avaient point la tête épique ; il aurait dû dire que les Français n’ont point la langue épique. Notre poésie est assujétie à un joug monotone. L’hémistiche renfermé dans une mesure constante, devient assommant. Cette langue, si belle dans la prose, perd toute sa liberté sous le travail du versificateur. Il est impossible, lorsqu’on connaît la versification latine, italienne et anglaise, de supporter la lecture des vers français. Diminuer le nombre des versificateurs[16], c’est s’intéresser à la gloire des vrais poètes.

L’on me reprochera peut-être d’avoir inventé les mots Lockistes, Lockiens ; je m’y suis attendu et je l’ai fait à dessein.

Comment ne pas se moquer de la poupée de Condillac, lorsqu’on soutient qu’elle peut en quelques circonstances s’ouvrir sans ame à certaines sensations, et sans esprit, à quelques idées ; quelle plus grande extravagance que de placer nos idées et nos sentimens dans la sensibilité physique, puisque c’est-là précisément la question, et que cette sensibilité elle-même est inconcevable dans ses organes incapables de sentir par eux-mêmes. N’a-t-il donc pas fallu créer des mots nouveaux pour livrer au ridicule ces idiologues qui ont anéanti de fait l’ame de l’homme, et qui veulent nous traîner de force dans l’obscure caverne de leur terminologie pour y fanfarer leur prétendue victoire. Toutes leurs définitions fausses ou insignifiantes ne peuvent que nous égarer. Reconnaissons que toutes nos facultés sont indivisibles, innées, libres dans leur développement et impérissables de leur nature. Voilà la vérité qui repousse au loin la mauvaise doctrine de Locke et de Condillac. Les idéologues en ont fait des saints, car il leur faut des saints ; or c’est bien à eux de se croire au-dessus du vulgaire. Allez, messieurs les professeurs, allez vous agenouiller devant la poupée de Condillac ; c’est-là votre Madone.

Condillac prétendait expliquer par elle l’acquisition des idées ; il ouvrait un sens, puis un second, puis un troisième ; il oubliait seulement celui qui sert de liaison à tous, et qui les remplace quelquefois, il oubliait l’intuition, parce qu’il ne voulait rien qui ne fût corde matérielle. Ah, risible statue ! tu es bien la digne fille du philosophisme.

Mais nous sommes tous métaphysiciens, car nous sommes tous près de nous-mêmes, de notre ame, de notre pensée, de notre intelligence ; nous pouvons tenter des découvertes sur nous-mêmes, et nous n’avons pas besoin de la logomachie des idéologistes pour ouvrir les yeux de notre esprit.

Les charmes de l’intelligence seront à nous, dès que nous voudrons connaître notre dignité primitive ; il y a une métaphysique grande et simple qui étincelle de tous les rayons de la divinité.

Ces réflexions expliquent le but de cet ouvrage, parce que le tableau de toutes les pensées d’un seul homme serait le tableau le plus grand, le plus magnifique, le plus superbe et le plus neuf que l’on puisse jamais offrir à l’intérêt, comme à la curiosité des humains ; et c’est pour le posséder, ce tableau, que j’ai voulu donner à l’esprit toutes les expressions les plus variées, les plus mobiles, afin que reparaissant toujours sous une forme et sous des couleurs différentes, la même pensée ne fût jamais la même. Quel aperçu ravissant que la réunion de toutes les pensées d’un seul homme ! que de variétés ! que de richesses ! quel champ vaste ouvert à la méditation ! Il y aurait de quoi frapper d’étonnement et de respect le plus savant homme du monde. Ce serait l’harmonieux ensemble des vérités célestes ; ce serait un jour pur, un rayon lumineux jeté dans l’abyme de l’immensité et de l’éternité, comme de l’infinie grandeur de l’Être qui les préside ; car l’homme ne nous est inconnu que parce que sa langue est très-imparfaite.

Eh bien ! tentons d’en établir une qui soit d’une richesse sans bornes, et qui déconcerte à jamais la morgue académique. Ouvrons à la pensée, dans des termes tout nouveaux, dans des expressions de toute espèce, des points de vue inépuisables de vérité et de finesse. La prévention défavorable, le souffle empesté de l’esprit moqueur environnent les meilleures conceptions, ainsi que les meilleures actions, d’un brouillard funeste ; les portes de l’erreur sont plus larges que celles de la vérité. Mais le projet d’ouvrir une langue à toutes les pensées des hommes se développera de plus en plus sous la plume courageuse de ceux qui me succéderont. Qui sait si, dans l’atmosphère de l’esprit humain épuré et de la réunion de mille étincelles, il ne se formera pas un faisceau de lumière inconnu à toutes les nations du monde, et qu’un Vocabulaire hardi ne soit le premier gage de cette intéressante promesse ? Une grande espérance est rarement trompée, quand elle a souri à l’esprit de l’homme[17].

Les idiologues[18], en niant le souffle divin, ou en le soumettant à une multitude d’opérations matérielles, rejettent loin de nous cette espérance.

Ils supposent que les hommes ont vécu pendant un grand nombre de siècles sans faire usage du langage ; c’est une absurdité. Le langage est un don du créateur, et naturel à l’homme, comme de penser et de réfléchir. Le sauvage fait de la métaphysique tout comme ............[19] ; souvent une pensée est exprimée dans sa langue par un seul mot. L’onomatopée est familière à tous les sauvages, et c’est plutôt une marque de force d’entendement que de faiblesse ; car avoir lié ensemble l’action, l’agent et le sujet, ce n’est point l’opération de pauvres facultés. Voyez le Huron former le verbe, cette partie du discours où l’on remarque le plus d’art : s’il ne le modifie pas, c’est que son imagination met tout, pour ainsi dire, au présent ; de là ces expressions hardies, animées, qu’on remarque dans leur élocution. Comme leurs idées sont immédiatement tirées de la nature, leur style est concis, parce qu’ils ont plus d’idées que de mots ; mais leurs mots font tous image. Il me paraît que les langues dites barbares ou naissantes, tendent toutes à abréger les choses confuses, et à faire servir la principale circonstance d’une action à en représenter la totalité. Quelle est la manière la plus aisée et la plus naturelle d’enregistrer leurs conceptions, si ce n’est celle de parler par images ? Je sais que les idées abstraites ne peuvent être toutes exprimées par ce langage ; mais il y a peu d’idées abstraites véritablement nécessaires pour aborder les grandes vérités morales[20].

Si le langage est un présent fait à l’homme par la Divinité, que dirons-nous de l’invention de l’Alphabet, si ingénieuse, si profonde, si admirable qu’elle ne peut s’expliquer que par les idées innées, que par une émanation divine, est Deus in nobis ?

Jamais les lois de la physique n’expliqueront comment un oiseau fait son nid, ni comment l’homme parle et écrit.

Vous parlez de la génération des idées ; mais quelle est la première ? Je pense, donc je suis, voilà bien une idée innée, voilà le premier anneau indestructible et qui nous attache à la connaissance de la Divinité ; elle rayonne en nous, et quand vous direz que les langues des sauvages sont les moins philosophiques, tout au contraire, elles simplifient tout ce que les subtiles rubriques des idiologues ne font qu’obscurcir. Selon moi la pensée ne devient vivante que lorsque la métaphysique la laisse dans un état de repos, sans la tourmenter de ses formules. Les images, les métaphores, les inversions, les ellipses abondent dans ces langues que vous appelez barbares, et vont au-devant de toutes les vérités par l’énergie du sentiment. Si pour s’exprimer avec clarté, il faut avoir porté dans son propre entendement la plus grande franchise, la netteté du style appartient plus aux sauvages qu’aux professeurs d’entendement humain.

Le passage de l’écriture symbolique à l’écriture alphabétique, s’est opéré plusieurs fois chez différens peuples, car puisque l’on ne peut assigner l’époque et l’origine de cette découverte, je pense qu’elle est entrée dans la tête de plus d’un homme, parce que chaque homme porte en soi les semences des plus hautes pensées. Moyse est un de ces génies extraordinaires qui commandent le respect, et que des têtes futiles comme celle de Voltaire, n’ont jamais lu ni compris. On dit que Moyse apporta l’alphabet d’Égypte ; mais je le répète, il y a dans ce monde plusieurs Moyses, qui brisent toutes les figures idolâtriques, tous les objets matériels, pour voir au-dedans d’eux-mêmes l’ultime présence de la Divinité, et en recevoir l’influence bienfesante.

Le commencement de la société, ces mots me font rire ; l’homme a toujours été en société, non pas il est vrai comme dans la ville de Paris ; mais l’homme ayant reçu le principe de morale et de religion, a toujours communiqué avec son semblable par la parole ; il n’a pas été réduit aux cris des animaux, comme veulent nous le dire des docteurs qui se font animaux. Voilà où conduit le métier de la métaphysique, quand on s’intitule métaphysicien en titre. On le fait de nos jours, comme s’il n’y avait plus de Molière, ou comme si Dieu n’en devait pas faire naître un tout exprès[21].

Pascal disait, se moquer de la philosophie, c’est déjà philosopher ; ce mot a un sens exquis, il veut dire qu’il ne faut pas prendre le jargon de la philosophie pour son langage. Celui-ci n’admet rien de recherché, ni de fastueux ; il avait sa perfection dans la bouche de Socrate, car on ne peut se lasser d’exposer ce grand homme comme un modèle de lumière, de simplicité et de courage.

C’est ce même Socrate qui disait, que si l’on voulait faire apprendre un art frivole à quelqu’un, on ne manquait point de maîtres à qui l’envoyer ; de même, si l’on voulait faire dresser un cheval, ou un chien, il y avait assez de personnes pour en prendre l’engagement ; mais que si l’on voulait apprendre à être homme de bien, on ne savait où le prendre.

Vous chassez l’ignorance et la barbarie, vous faites tomber les superstitions, mais en éclairant les hommes sur les désordres de leur esprit, vous leur inspirez l’envie d’examiner tout, de sonder tout ; ils subtilisent tant, qu’ils ne trouvent plus rien qui contente leur misérable raison. La saine philosophie est le remède de l’impiété et de la superstition ; mais la mauvaise vous précipite dans une foule d’idées abstraites, et trouble l’entendement à force de l’enorgueillir. Ainsi ce mélange de bien et de mal qui se rencontre dans toutes les choses humaines, se remarque dans l’emploi de la philosophie ; il importe donc de bien connaître l’instrument dont nous devons nous servir.

Il fut toujours pour la liberté publique de plus grands dangers que la violence des usurpations. Les sophistes qui ruinent la morale, en renversant ses bases, et livrent à l’indécision les pensées majestueuses et fondamentales de tout ordre public et particulier, attaquent réellement l’association, et tendent à dissoudre les parties de l’état, toujours prêtes à se séparer par les chocs terribles qu’elles reçoivent de l’intérêt particulier.

On croit toucher des orgues ordinaires en touchant l’homme, a dit Pascal ; ce sont des orgues, à la vérité, mais bizarres, changeantes, difficiles ; pour en tirer des accords, il faut avoir une science toute différente que celle qui s’apprend par des livres. C’est d’après cette idée que je pense qu’il n’appartient qu’à une langue toute nouvelle de dissiper la plus grande partie de nos erreurs. Elle fera sur-tout le désespoir de nos ordonnateurs du monde.

Je me suis séparé, et de toutes les puissances de mon ame, des métaphysiciens modernes français ; ils ont le ton de l’école et la sécheresse du nihilisme ; ils ont résolu, je crois, et par vengeance malicieuse, de me faire périr d’ennui et d’impatience ; non moins obscurs, non moins tranchans que des théologiens, la logomachie de ces nouveaux docteurs remplace les vieilles formes scolastiques : c’est le poison de la pensée, de la sensibilité, de la vertu et du style que leurs froides, discordantes et inutiles thèses, véritables scories de la science, et que le célèbre Kant a su frapper d’un mépris ineffaçable. Armés de leur terminologie, vous ne nous entendez pas, disent-ils gravement, et nous vous avons pris vingt fois sur le fait ; vous ne vous entendez pas vous-mêmes ; nous entendons Descartes, nous entendons Leibnitz, nous entendons Wolaston, Shaftesbury, Kant, et nous comprenons que vous êtes parfaitement creux. Primus sapientiæ gradus, est falsa intelligere.

Établissons tout-à-coup la distance qui nous sépare ; écoutez ! Dieu existe, il a donné à l’homme la faculté de la parole ; atque affigit humo divinæ particulam auræ, comme le dit notre cher Horace, quoique Épicurien ; la parole est innée chez l’homme, la langue de l’homme n’est pas une convention… Vous fuyez à ces mots, vous craignez ce trait d’invincible lumière ! Eh bien ! nous aurons, nous, une métaphysique intelligible, sentimentale, adoratrice, qui plaît et qui plaira au genre humain. La vôtre est faite avec des ténèbres et pour des esprits de ténèbres.

Si toute la nature, lecteur, est en mouvement, il y a donc un premier moteur ; ce mouvement est assujéti à un ordre constant, il existe donc une intelligence suprême : brouillards fétides de la fausse métaphysique, n’obscurcissez point cette pensée lucide ! Et pourquoi les hommes reçurent-ils ce don le plus funeste, s’il n’est pas le plus beau de tous, le don de s’attendrir sur les malheurs de leurs semblables ? C’est qu’il y a un Dieu qui a l’œil ouvert entre mon frère et moi ; voilà les bases de toute morale. Vous ne la renverserez pas, froids et cruels idiologistes.

J’aperçois telle révolution heureuse attachée à un mot neuf. Qui ne sent pas que les hommes, un jour, se rallieront à quelques axiomes d’une grande simplicité et d’un parfait laconisme ; le décalogue est le plus haut travail de la pensée. Toute grande pensée vient de l’auteur de tout bien. On peut méditer long-temps sans obtenir une seule pensée ; mais l’on n’a une bonne pensée que lorsqu’on désire vivement de l’avoir. Si vous ne retirez de votre méditation que des inquiétudes, des tourmens, des doutes obstinés, c’est que vous cherchez de vains fantômes. On nous peint Spinosa comme un petit homme, pâle, maigre, n’ayant que le souffle, à l’œil creux, au visage effilé ; il devait être ainsi. La figure de l’athée est triste et tourmentée. Il affirme et il est dans le doute ; il s’épouvante quelquefois de lui-même ; il tient par orgueil à un système qu’il abandonnerait s’il se trouvait seul sur un rocher nu. Je ne connais rien de plus beau, dans aucun livre, que Robinson Crusoé à genoux, les mains jointes, pontife de son île déserte, adorant Dieu avec ferveur, et sans être vu d’aucun homme.

Penser, parler, écrire, c’est absolument la même opération de l’entendement humain. Ce n’est au fond que la peinture des idées, peinture plus ou moins rapide, et les idées étant la représentation des êtres, on peut dire que les modèles que le langage doit imiter, sont tous les êtres généralement quelconques.

Qu’on ne soit point étonné que l’ame perçoive la connaissance d’un si grand nombre d’êtres ; elle embrasse, elle pénètre tout dans sa vaste compréhension. Tout ce qui ne peut se concevoir que par l’intelligence, lui appartient. Toutes nos facultés intellectuelles et morales ne sont que le développement d’une chose unique, indivisible et indestructible. Il n’y a que la pensée qui existe ; tout ce qui n’a pas la conscience de soi, est comme s’il n’existait pas. La matière n’ayant ni la pensée, ni la volonté, ni une action propre, n’a point l’existence proprement dit. Voilà ce qui démontre la fausseté du système qui fait venir nos idées des sens. Elles passent par nos sens, d’accord ; mais nous avons des idées, et une multitude d’idées, malgré nos sens. Cet univers matériel, nous l’apercevons bien, mais pour nous élever au-dessus de lui, et pour juger que toutes les formes ne sont qu’accidentelles et passagères, qu’il n’y a qu’une réalité, la pensée, qu’elle est indépendante de tout ce qui l’environne, et qu’elle se suffit à elle-même par sa propre émanation.

Ces observations ne sont point étrangères à la littérature. Comme je veux lui restituer son empire, je veux que tout soit de son ressort, que rien n’échappe à son pinceau. Mallebranche est plus propre à former un poète que tout autre écrivain, et j’adopterais ses écrits comme la première poétique du style indépendant. Plaisans métaphysiciens, que ceux qui ne nous entretiennent que de la matière !

Vous tous qui m’écoutez, qui me lisez, vous êtes tous auteurs, métaphysiciens, qui plus est, puisque vous pensez, puisque vous parlez ; faites votre langue, faites votre style, créez et prononcez, prononcez et créez. Si vous êtes émus, nous vous entendrons et nous vous écouterons ; si vous êtes pleins de vos idées, mais sans calcul intéressé, vous serez éloquens. Presque toutes les sciences humaines ont été jusqu’ici un double amas d’extravagances et d’erreurs. Élevez-vous au-dessus de tout ce qu’on vous a dit ; regardez en vous-mêmes, et ces prétendus beaux génies deviendront bien petits. Je crois voir des impotens qui regardent avec admiration une troupe de danseurs. Levez-vous ! vous danserez comme eux.

L’exercice de la pensée appartient, également à tous ; et puisque le génie transcendant, véritablement lumineux, n’est pas dans les livres, il est dans les hommes. Méprisez les livres[22], et cherchez les hommes.

Le scepticisme est désolant en morale et en politique, mais il est très-utile en littérature ; il fait jouer toutes les clartés en tournant le prisme des couleurs qui colore l’horizon et agrandit la scène ; il rétablit cette espèce d’égalité qui sur-tout, en fait d’esprit, est la grande loi de la nature ; l’orgueil académique s’en affligera, mais tous les autres individus y gagneront.

Le sceptique lit le roman de l’Iliade comme il lit un roman anglais ; il éteint tous les noms, il marie les ouvrages séparés par de longs intervalles ; il remarque les plus vives étincelles dans le temps même de ces catastrophes qui répandent la nuit épaisse de la barbarie. Par-tout il poursuit la lumière, il la rencontre par-tout ; et les lettres n’ont plus, comme on se plaît à le dire, des siècles privilégiés.

Que devient la trompette adulatrice des louanges désordonnées devant le sceptique ? Que devient le dénigrement absurde de l’envie liliputienne ? Quelle pitié, en effet, de voir le petit homme accabler le nain, et le nain écraser un ciron ! Toutes ces feuilles périodiques qui distribuent d’un côté de grands éloges, et de l’autre de grosses injures, tomberont devant le scepticisme littéraire, et dans un plus grand élan de liberté, il en résultera le progrès des connaissances humaines. On ne marchera plus sous les étendards d’une petite faction niaise qui produit toujours des lois prohibitives, analogues à sa faiblesse.

On demande vainement aux feseurs de règles, qu’ils nous révèlent l’art d’écrire ; il faut le puiser en soi-même. Aristote n’a fait sa Rhétorique que pour combattre un rhéteur obscur. Cicéron, dans son Traité de l’Orateur, n’a d’autre objet que de faire l’éloge de sa manière d’écrire.

Quintilien est un rhéteur très-exact, et non un écrivain propre à vous ouvrir de nouvelles routes. Il ne parle que de tout ce qui s’est fait. L’Art poétique d’Horace n’est entendu que de quelques poètes ; et il est bien étonnant que Boileau qui avait traduit Longin, n’ait péniblement tracé que l’art du versificateur. En un mot, aucun de ces écrivains n’a donné les élémens de l’art qu’il professait : c’est que ces élémens sont si étendus, si variables, si délicats, si fugitifs, qu’ils échappent lorsqu’on veut les fixer.

Dans cet art que l’on nomme peinture, il y a des études préliminaires, longues, fatigantes ; dessin, correction, manipulation de la palette ; c’est toujours avec de la matière qu’il faut rendre les images matérielles ; mais l’art d’écrire qui se compose de la parole, n’a rien de matériel. Voilà pourquoi l’écolier en sait souvent plus que le maître ; que Voltaire a fait Œdipe à dix-huit ans, que Lafontaine est devenu poète par inspiration : voilà pourquoi l’on se forme seul dans cet art, et qu’on sera toujours plus près du succès en n’écoutant que soi, qu’en prêtant l’oreille à ces hommes qui, comme le dit Montesquieu, mettent à toutes les choses une robe de docteur. Les gens qui veulent toujours enseigner, empêchent beaucoup d’apprendre.

J’ai d’ailleurs une singulière conformation dans l’œil, et qui provient de naissance : quand j’entends un homme parler en public, développer sa doctrine, faire grand trophée de ce qu’il dit, parler de son génie et de son goût, je vois autour de son fauteuil, dessus, dessous, à côté, une multitude prodigieuse de petites têtes enfantines qui rient malignement, montrent au doigt le professeur, s’amusent de ses paroles, et donnent toutes les marques les plus plaisantes de la compassion et de la pitié ; c’est véritablement la génération qui naîtra dans quelques années, que j’aperçois distinctement, et qui se moquera de toutes nos thèses. Quoique ces petits génies soient muets, je comprends à merveille dans leurs gestes tout ce qu’ils veulent dire ; et c’est cette vue (que je dois à la bonté du ciel) qui m’a empêché d’adopter les erreurs de mon siècle : sa très-plaisante astronomie, sa mauvaise métaphysique, son goût idolâtrique et dangereux pour les arts matériellement imitatifs, enfin le Dictionnaire des étouffeurs. Oh ! combien tous ces enfançons, devenus grands, vont se divertir à nos dépens ! Je me tromperois fort si je n’ai pas distingué dans la foule un nouveau Rabelais, mais plus intelligible que l’ancien, tant sa petite mine avait de finesse et de malice : ah ! jolie petite figure espritée, tu m’as fait un signe expressif sur ..... soit, je ne dirai rien.

Telle tête humaine n’est qu’une des cent mille variétés de la nature ; et l’on voudrait que tous les esprits se moulassent sur un ou sur plusieurs ! Si les langues sont la proie du temps, elles ne sont donc pas si sacrées qu’un mortel n’y puisse toucher, et qu’il n’agisse comme le temps, qui les recompose, s’il les décompose. Le Dialecte national, par qui a-t-il été fait ? par la masse entière des écrivains. C’est donc aux écrivains, c’est-à-dire à chacun d’eux en particulier que l’idiome appartient. D’où naît l’élocution ? du concours, du concert immense de tous les auteurs. C’est de cette voix large qui n’en fait bientôt plus qu’une, que sort tout vocabulaire ; ce qu’on appelle innovations, hérésies, se fond dans le dogme, et les novateurs deviennent orthodoxes.

On réclame un sénat conservateur de la langue française ; mais si ce sénat ne fesait dans la république des lettres que choyer ses intérêts, ses propres écrits, et sur-tout conserver ses prééminences, où en serions-nous ? Ne vaudrait-il pas mieux tout de suite un indépendant qui nous dise avec Horace, qu’il sera toujours permis d’introduire un terme nouveau, pourvu qu’il soit marqué au coin du langage actuel, et conforme à l’analogie ?

.......... Licuit semperque licebit,
Signatum præsente notâ producere nomen
.

J’avouerai qu’il y a, en fait de langue, des pertes qui l’enrichissent ; que toutes ses acquisitions ne sont pas également bonnes et fructueuses ; mais dans l’incertitude de la direction constante et invariable qu’elle doit prendre, je soutiens que la langue périra plutôt d’inanition que d’abondance. C’est faute de certains diminutifs et de mots échelonnés, gradués, soit qu’ils montent, soit qu’ils descendent, que toutes les nuances si nécessaires nous échappent, que les erreurs naissent, et que les mauvais raisonnemens s’ensuivent. L’indétermination cessera lorsqu’on pourra donner à la pensée une mesure plus précise, plus détaillée. La langue des grands écrivains est précieuse, qui en doute ? mais elle ne se prête pas à tout ce que la conversation commande quelquefois. Parler comme un livre, c’est mal parler ; il faut rompre la convention générale, pour le charme, l’agrément, le plaisir des conventions particulières. Or donc, que la petite monnaie soit toujours d’une empreinte plus neuve et plus marquée que la grande, afin de mieux résister au frottement ; la circulation, l’échange rapide des idées l’exigent ainsi ; et ne vaut-il pas mieux créer un mot nouveau, que d’en corrompre, d’en altérer un ancien ?

L’autorité législative résidera dans l’homme qui fera adopter ses néologies. Qu’il fasse ou qu’il ne fasse pas un Vocabulaire comme celui-ci, si l’usage consacre ses expressions, si, plus heureux, il se fait lire, tous les journalistes, puristes du monde[23], ne paraîtront plus alors devant lui que livrés à une chicane puérile et sèche ; il plaira aux esprits pénétrans, étendus, qui, guidés par le sentiment, surpasseront bientôt le néologue lui-même, satisfait de s’avouer vaincu. Les génies créateurs, c’est d’eux que j’attends, non point des suffrages (je peux m’en passer), mais la grande langue harmonieuse et forte dont je ne leur ai offert tout au plus que l’instrument.

C’est donc sans crainte que je donne à ma chère nation, dont j’ai tant aimé la gloire et servi la liberté et l’indépendance politique, dans toutes les époques de ma vie ; c’est donc à elle que je livre avec pleine confiance cette Néologie, qui veut dire création de termes nouveaux[24] ; c’est lui annoncer en même temps que je pourrai bientôt reproduire sous ses yeux et reporter à son oreille les mâles expressions de la langue républicaine, qui me fut familière pendant quatre ou cinq années. Il y a là de quoi faire pâlir à jamais la langue monarchique ; mais encore un peu de temps, un peu de temps encore ; vous nous l’accorderez, génie protecteur de la France, invincible génie à qui j’adresse toutes mes pensées.

Le temps est un trésor plus grand qu’on ne peut croire ;
J’en obtins, et je crus obtenir la victoire. (Corneille)

Me voilà à peu près sûr que les généreux descendans des Gaulois et des Francs s’affranchiront eux-mêmes de tous les fers qui retardent et contrarient les progrès de leur langue, car elle est faite (s’ils nous écoutent) pour multiplier à l’infini et d’une manière incalculable, tous les rapports heureux qui féconderont la masse des idées ordinairement inertes, faute d’un langage analogue à l’indépendance et à la vivacité de l’imagination humaine. Quand j’ai travaillé ce Dictionnaire avec un nouveau degré d’alacrité et de courage, c’est qu’il en fallait ; et, je le dirai, c’est la vertu la plus nécessaire dans l’épineuse carrière des lettres. Vaincre aujourd’hui je ne sais quel dédain superbe qui, chez le lecteur, surpasse encore de beaucoup l’amour-propre ou l’orgueil tant reproché aux auteurs ; voilà votre nouvelle tâche, écrivains !

Mais aussi il est de la dignité de mon art, de l’art que je cultive, de lui donner incessamment la préférence sur la peinture et la sculpture ; ainsi, que l’on n’attende pas de moi l’aveu tardif que l’on me suppose, que ces derniers arts puissent jamais rivaliser avec la poésie. Non, je n’ai plus besoin de les voir, ces héros armés de la lance ou décochant le trait de l’arc qui siffle ; Ossian fait entendre le son du javelot sur le bouclier qui le repousse. Éloignez-vous, statuaires, vos figures sont immobiles, et je veux des images mobiles. Qu’est ce que ces guerriers dont les bras sont toujours levés, et dont les glaives ne descendent jamais ? Qui les a pétrifiés ? le peintre. Qui les remettra en mouvement ? le poète.

Tant que l’art d’écrire ne sera pas réputé le premier de tous, je combattrai les autres arts imitatifs qui ne lui rendront pas cet hommage. Il en sera de même de cette géométrie transcendante, qui, superbe et aveugle, marchant dans les abymes, sans véritable base et sans véritable fin, ne prouve rien, et se trouve sans cesse en opposition avec les lois physiques. Un ouvrage que je conseille à un homme sensé, et qui immortaliserait un auteur, serait celui qui rétablirait un art totalement perdu, l’art de ne voir que par nos yeux. Incrédule à Newton, je me ris de son système, mais je déduirai bientôt pourquoi et comment j’ai été conduit à cette sage incrédulité. Ma raison m’a parlé ; si Dieu a créé deux raisons humaines, c’est ce que j’ignore. La raison des chiffres est donc toute autre que celle que je possède. Dis-moi, Newtonien, le spectre que je vois dans le miroir, qu’est-il ? où est-il ? y a-t-il réalité ? Quoi ! ce phénomène ne te dit pas que tout l’univers visible n’est… Achève ma pensée, si tu as su l’entrevoir.

Qu’est-ce enfin qu’un littérateur digne de ce nom ? C’est un homme qui oppose la raison aux préjugés, ses études et ses connaissances à l’opinion courante, et son jugement à l’erreur.

P. S. Voyez néologuer, à la fin du Vocabulaire, parmi les mots survenus pendant l’impression.

Paris, 15 messidor an 9.

    est faite, et que l’impunité en ce genre, ne ferait que doubler l’insolence du sot et du méchant. Puisque la paix est impossible, aiguisons nos armes : l’hypocrisie est le plus dangereux des vices ; ils n’ont pas de quoi guérir leurs blessures, eux, comme je puis guérir les miennes. Il est inutile d’être bon, modéré au milieu de gens chez lesquels il est une certaine dose de perversité acquise, qui paraît mettre le comble à leur perversité naturelle. Les méchants deviennent leur propre dupe, en apprenant aux autres à les imiter pour leur échapper : ils seront surpris de trouver enfin quelque habileté dans les bons qui vont toujours de pied ferme ; car le méchant peut donner des chaînes, s’il est puissant, mais il ne l’est jamais assez pour rompre les siennes. Sans doute on pardonnerait à la vanité grossière ; mais doit-on pardonner à la méchanceté réfléchie ?

    Il est donc une vengeance légitime que le philosophe peut exercer sans haine et sans orgueil, uniquement pour remettre l’équilibre dans la république des lettres. Il n’est presque point de méchant qui n’ait de soi une idée supérieure ; il faut lui prouver que sa sottise égale au moins sa méchanceté ; il en sera plus humilié alors, que d’être convaincu de fausseté, de perfidie et de scélératesse.

  1. Les démêlés de Furetière avec l’Académie française, au sujet de son Dictionnaire, ont produit des mémoires et factums très-curieux à consulter aujourd’hui ; car rien ne prouve mieux que les hommes de lettres sont des triangles qui jettent tout leur esprit d’un seul côté. Il y a presque impossibilité qu’un bon Dictionnaire soit l’ouvrage d’une société de savans. Furetière nous peint les académiciens de ce temps-là, qui s’imaginaient que la langue leur appartenait, comme la barberie exclusive appartenait alors aux maîtres barbiers ; il parle d’un certain Balesdent (l’abbé Morellet de la bande), assis au milieu des Cotin, des Cassagne, des Daucourt, lequel soutenait obstinément que langue, grammaire, rhétorique, poétique étaient des propriétés académiques inséparables du fauteuil, des jetons et du tapis vert. Balesdent est ressuscité ; il écrit sous un autre nom, qui ira de même à la postérité pour la réjouir.

    Furetière se moque amplement du phénix des Dictionnaires, qui veut être seul en son espèce, et n’avoir point de pareil. Il y a apparence, dit-il, que le phénix-oiseau et le phénix-dictionnaire seront également invisibles. Il remarque un intervalle de trente-trois ans entre la facture de l’I et celle de l’M ; et voici pourquoi, ajoute-t-il : « Quand un bureau est composé de cinq à six personnes, il y en a un qui lit, un qui opine, deux qui causent, un qui dort ou qui s’amuse à lire quelques papiers qui sont sur la table ; il ne se passe point deux lignes, qu’on ne fasse de longues digressions, que chacun ne débite un conte plaisant ou quelques nouvelles, qu’on ne parle des affaires d’état et de réformer le gouvernement. Quand on veut faire une définition, on consulte tous les Dictionnaires qui sont sur le bureau ; on prend celle qui paraît la meilleure ; on la copie mot à mot dans le cahier, et alors elle est sacrée, et personne n’y oserait plus toucher, en vertu de la clause de leur prétendu privilége. »

    Le Dictionnaire de l’Académie fut, dans l’origine, le dictionnaire des halles : ce n’est pas cela que je lui reproche ; mais d’avoir redouté, après l’adoption de tant de termes communs, celle d’expressions nobles et relevées qui auraient tiré le langage de sa honteuse servitude.

    Balesdent académicien ! prononçant sur les délicatesses de la langue ; réclamant la propriété exclusive du Dictionnaire ! qu’en dites-vous, abbé Morellet ? il y a métempsycose.

  2. Il serait facile de prouver qu’il y avait plus de génie en France dans le seizième siècle, que du temps de Louis-le-Grand ; mais dites à nos beaux esprits de lire du vieux gaulois !
  3. L’abbé Desfontaines a publié, sous ce titre, une critique de la Néologie de son temps. Qu’est-il arrivé ? c’est que la presque-totalité des expressions qu’il a blâmées, se sont naturalisées parmi nous. Il semble avoir donné le signal de leur adoption, en croyant déterminer leur réprobation éternelle. Exemple insigne de la gaucherie de nos feuillistes !
  4. Revêtu du sacerdoce littéraire, et même costumé, je puis faire l’eau lustrale, la distribuer à longs jets, pontifier comme un autre, et sacramenter des mots : j’userai de mon droit, et ne serai point sacrilège. J’aurai même pour cet office solemnel, des évêques suffragans, diacre, archidiacre, acolyte ; ainsi rien ne manquera à la consécration ; et si l’on dit qu’elle n’est pas bonne, eh bien ! je pontifierai toujours dans mon église, dont j’élargirai peu à peu les murailles ; et, priant pour ceux qui me damnent, j’en appellerai au futur concile.

    Balesdent-Morellet, ou Morlaux, ou Morlet (car on ne sait pas encore comment s’écrit au juste le nom de cet illustre auteur), a prétendu qu’il n’y avait que lui et les siens pour faire un Dictionnaire de la langue. Je veux venger ici venger l’Institut national qu’il a outragé. Je dirai que Morellet-Balesdent avait entrepris, à ma connaissance, un Dictionnaire du Commerce, qui fut si longtemps annoncé, prôné, payé, sans jamais paraître, qu’on lui décocha cette épigramme bien méritée, qu’il ne fesait pas le Dictionnaire du Commerce, mais le commerce du Dictionnaire. Il aimerait à recommencer le jeu ; inde iræ. Oh ! c’était le bon temps que celui où l’on fesait des panégyriques et harangues à la louange du roi ! ce qui valait tantôt un bénéfice, tantôt une abbaye, quelquefois un évêché. Morellet le regrette beaucoup, ce temps-là. Morellet ci-devant docteur de Sorbonne ! on ne le dirait pas à ses brochures, à ses traductions de romans. Il n’a jamais écrit une page de son métier de prêtre. Lallemand, son prédécesseur, avait gagné quelqu’argent au métier de Morellet ; aussi avons-nous de lui un beau et long discours sur l’utilité de l’Académie française.

    Ô fauteuil ! ô lit oiseux où Morellet se pavanait en immortel ! Que la foudre écrase l’Institut ! Doux prêtre, point d’imprécations !

    Tel académicien avait à la lettre le traitement d’un maréchal de France ; et ces Chapelains défroqués s’écrient, comme l’auteur de la Vieille Pucelle, le mieux renté des beaux esprits : Ô rage ! ô désespoir ! ô perruque ma mie ! n’ai-je donc tant vécu ?……

  5. Charles Pougens nous a donné un Vocabulaire de nouveaux privatifs français, qui ne forment qu’une très-petite branche de la Néologie. Il est du nombre de ces littérateurs qui osent affranchir la langue de ses servitudes, et qui sont en état de nous donner un ouvrage très-utile, et qui satisfasse à la fois le savant, l’orateur et le poète.
  6. Le besoin fait les mots, le goût les sanctionne ; mais ce n’est point ce goût étroit, futile et passager qui rétrécit tous les objets ; c’est toujours le défaut d’imagination et l’absence des grandes idées qui se servent de cette expression banale pour voiler leur insuffisance. Ce mot mystérieux, jamais défini, est devenu familier à des hommes sans talent, qui, n’osant décrier tout-à-fait cette imagination qui agrandit la nature, toujours méconnaissable aux examinateurs froids et rigides, se retranchent dans un cercle étroit, comme ces animaux timides qui gagnent leurs terriers dès qu’ils entendent un son inaccoutumé.

    Ces prétendus hommes de goût, soumis à des préjugés qui sont comme une seconde ignorance entée sur leur ignorance naturelle, savent-ils que les fautes d’un homme de génie pourraient devenir les qualités de tel académicien ?

    Songeons que toutes ces magnifiques expressions, aujourd’hui admises dans notre langue, ont été mal accueillies dans leur origine ; qu’il y a des milliers de volumes qui blâment le langage de nos grands écrivains, et que, sans le mépris dont ils ont justement frappé leurs ineptes adversaires, nous serions privés de leurs chefs-d’œuvre. Constamment Néologue dans mes écrits, et sur-tout dans mon Tableau de Paris, j’ai fait lire le Tableau de Paris à toute l’Europe : c’est que je sais mieux peut-être que tel qui se dit mon adversaire, ce qui doit plaire aux hommes de tous les temps et de tous les lieux. Mais savez-vous ce qui rend les sots incurables ? c’est la gravité pédantesque avec laquelle ils traitent des matières de littérature, qui sont toutes d’instinct, et qui ne vont guère au-delà de l’instinct. Vous ne vous en doutez seulement pas, sermonneurs au Mercure ! Or dites-moi, avec vos parallèles, qu’ai-je de commun avec le pédagogue La Harpe, ce fakir littéraire qui a passé sa vit à regarder des cirons au bout de son nez ? Ce petit juge effronté des nations, qui ignore la langue de Milton et de Shakespeare, et qui ne sait pas même la sienne, est-il jamais sorti de la vanité collégiale, de la prévention ignorante ou de la pédanterie académique ? Il est parfaitement inconnu chez l’étranger. Copiste éternel ! c’est ce scholâtre cependant qui juge et calomnie tous ses confrères. Il a remboursé la haine de tous. Mais comme je suis né sans fiel, je ne lui adresse que le dédain, disposé à l’éclairer sur la composition originale, s’il consentait à l’être, ou plutôt s’il ne lui était pas interdit à jamais de comprendre une idée haute. Je ne me serais pas permis ce ton envers lui, s’il n’avait pas indécemment attaqué une foule de gens de lettres recommandables ; mais il faut remettre à sa place un auteur qui n’est au fond qu’un homme de collége, et qui s’arme d’une férule qu’on peut aisément lui arracher.

  7. La plupart de ces expressions sont fortes et vigoureuses, elles correspondaient à des idées terribles ; la plupart sont bizarres, elles appartenaient à la tourmente des événemens ; et lorsque les vents sifflent, que le vaisseau est battu par une horrible tempête, qu’il touche à des écueils, l’on ne parle pas comme quand le zéphyr règne ; les matelots jurent, mais ils font la manœuvre qui sauve. Le temps n’est pas encore venu de bien peindre la lutte du crime et de la vertu, qui eut lieu dans l’enceinte de cette fameuse Convention nationale ; lutte énergique et longue. L’idiome fut tout aussi neuf que la position de la France. Les victimes et les bourreaux, tout fut empreint d’un grand caractère ; le courage fut égal. Quand on succombe dans cette surabondance de forces, l’on ne sent plus le trépas ; et mourir n’est rien, quand on se voit ou qu’on se croit grand sur l’échafaud. Gens reposés, ne parlez point de ces temps orageux, ou transformez-vous par la pensée, en ces grands acteurs qui virent tant de fois la mort sous tant de formes, et dont rien ne lassa la constance et la fermeté. La France ne fut ni vaincue, ni morcelée, ni avilie ; elle s’ensanglanta elle-même, pour échapper à toute tyrannie. Dans cette grande assemblée, le patriotisme y fut rage ; les bourreaux n’ont pas méprisé leurs victimes, et toutes les victimes tombèrent avec une dignité tranquille, comme se donnant elles-mêmes en sacrifice à leurs propres vertus. Gens reposés, attendez le Tacite… il viendra.
  8. Chacun pourra à son tour modifier le mot créé, et lui imprimer une physionomie toute nouvelle. J’ai beaucoup compté sur ce genre d’exercice et d’instruction.
  9. On ne perd les états que par timidité ; il en est de même des langues. Je veux étouffer la race des étouffeurs ; je me sens pour cela les bras d’Hercule : il ne faut plus qu’enlever le pédant en l’air, et le séparer de ce qui fait sa force. Quand Corneille s’est présenté à l’Académie avec son mot invaincu, on l’a mis à la porte ; mais moi, qui sais comment on doit traiter la sottise et la pédanterie, je marche avec une phalange de trois mille mots, infanterie, cavalerie, hussards ; et s’il y a beaucoup de morts et de blessés dans le combat, eh bien ! j’ai une autre armée en réserve, je marche une seconde fois, car je brûle de culbuter tous ces corps académiques, qui n’ont servi qu’à rétrécir l’esprit de l’homme.

    Si un Vocabulaire français doit avoir quelque teinte de gaîté, celui-ci n’en manquera point, comme on voit ; c’est qu’il n’y a qu’un seul moyen de répondre au pédantisme, se moquer de lui, lui dire à voix haute : Je me servirai de tel mot, précisément parce que tu n’en veux pas ; et quand tu soulignes, tu m’avertis que c’est-là la bonne expression.

    Il n’y a rien de tel qu’un peuple sans Académie, pour avoir une langue forte, neuve, hardie et grande. Je suis persuadé de cette vérité comme de ma propre existence. Ce mot n’est pas français, et moi je dis qu’il est français, car tu m’as compris : si vous ne voulez pas de mon expression, moi je ne veux pas de la vôtre. Mais le peuple qui a l’imagination vive, et qui crée tous les mots, qui n’écoute point, qui n’entend point ces lamentations enfantines sur la prétendue décadence du goût, lamentations absolument les mêmes de temps immémorial, le peuple bafoue les régenteurs de la langue, et l’enrichit d’expressions pittoresques, tandis que le lamentateur s’abandonne à des plaintes que le vent emporte. J’en appelle donc au peuple, juge souverain du langage ; car si l’on écoute les puristes, l’on n’adoptera aucun mot, l’on n’exploitera aucune mine, l’on sera toujours tremblant, incertain ; l’on demandera à trois ou quatre hommes s’ils veulent bien nous permettre de parler et d’écrire de telle on telle manière, et quand nous en aurons reçu la permission, ils voudront encore présider à la structure de nos phrases : l’homme serait enchaîné dans la plus glorieuse fonction qui constitue un être pensant. Loin de nous cette servitude : la hardiesse dans l’expression, suppose la hardiesse de la pensée.

    Pourquoi un bègue ne balbutie-t-il plus en lisant, en déclamant ou en chantant ? c’est qu’il commande, par un nouvel effort, à ses nerfs et à ses fibres, et pour quelque chose de plus grand et de plus neuf que la simple parole. Qu’un de nos infortunés rimeurs ose adopter ma Néologie, ou même la surpasser, je lui réponds de quelques succès. Il faut toujours une secousse plus forte pour s’élever, quand il y a imperfection dans le jarret.

  10. Point d’art ni de métier qui n’ait une foule de mots particuliers pour ses outils et pour les instrumens de son travail ; et qui songe à leur disputer les termes dont ils se servent ? Si vous examinez bien ces mots, vous y trouverez de l’ingéniosité, des imitations de la nature, des rapports très-subtils. La plupart des Français, même les plus instruits, ne connaissent pas cette foule de mots. Le procès-verbal d’un huissier-priseur dit plus de choses sur nos mœurs que la dissertation d’un moraliste. C’est le chapitre du Tableau de Paris que je n’ai pas encore su faire, parce qu’il est au-dessus de mes forces. Ennemis de la Néologie, allez dans les ateliers, et laissez-moi tranquille dans le mien. N’ai-je pas le privilège que se donne un manufacturier dans sa manufacture ?

    Je n’ai vu dans aucun Dictionnaire le mot verticalité, qualité, état d’une chose placée perpendiculairement à l’horizon.

    Je représenterai à l’administration ou aux administrateurs des contributions publiques, qu’il faut dire garnisonnaire, et non garnisaire ; que si c’est une faute que de ne point payer ses contributions, c’en est une aussi que de dire garnisaire ; qu’elle daigne prendre mes observations pour sa gouverne, et qu’elle envoie le moins possible ses garnisonnaires. Or, je tâche de mettre dans toutes mes remontrances de la jovialité, parce qu’avec ce ton, aucun esprit n’est irramenable. Si j’emploie ici tous ces mots, c’est que je les ai oubliés dans l’ordre alphabétique ; et comme je suis un auteur consciencieux, et non illibéral, je veux, jusques dans la dernière ligne de cet aimable ouvrage, annoncer que je ne me permettrai point le moindre infanticide littéraire. Plus d’enfans foisonneront autour de moi, et plus je serai fier du nom de Néologue. Ainsi, jusques dans le finissement de mon Vocabulaire, l’on me verra le même ; car je brave l’inintelligibilité de tous mes adversaires, et je crois fermement à mon invulnérabilité.

    Misce stultitiam consilis brevem. Horat. 4.

    Beaux esprits ! vous ne lisez pas le vieux gaulois ; le mot seul… aussi êtes-vous des ignorans. L’on dirait, en vérité, que l’on n’a commencé à écrire en France que lorsque Boileau et Racine ont pris la plume ; qu’avant eux, il n’y avait ni esprit, ni raisonnement, ni style ; erreur bien singulière, et propagée par des rangeurs de mots. Si vous saviez lire, beaux esprits, ce qui est écrit ; mais vous ne seriez plus alors ce qu’on appelle aujourd’hui gens de lettres ; vous seriez quelque chose de mieux. Allons, restez ignares, et complaisez-vous dans vos dictions élégantées et futiles ; faites des vers français et de la prose lycéenne ; je vous jure que dans deux cent cinquante ans on ne recherchera point vos vieilles productions. Point de contestation alors sur vos mérites……

  11. Qu’est-ce que la postérité ? Un public qui succède à un autre. Je suis donc autorisé à appeler le public d’à-présent, un parterre.

    On réfutait vivement une opinion de M**. sur un ouvrage qui venait de paraître, en lui disant que le public en jugeait mal. Le public ! le public ! dit-il ; combien faut-il de sots pour faire un public ? Il est très-difficile de donner une définition juste et précise des mots multitude, peuple, public. Les académiciens et les journalistes ont, à cet égard, deux poids et deux mesures. Quand un ouvrage de leur facture ou de leur tripot réussit, ils s’écrient en chorus : Vous voyez bien que le public est le grand juge ! quand il tombe, c’est le petit nombre qui a raison et qui a du goût.

    Qui fut toujours loué ? c’est le froid Saint-Lambert,
    Qui, des quatre saisons, a fait un long hiver.

    Voici le soliloque d’un journaliste moderne, à insérer dans toutes les feuilles périodiques.

    J’écris, et toujours sans succès ;
    Hélas ! quel sera mon refuge ?
    Je ne sais que dix mots français !
    C’est bon ; je vais me faire juge.

  12. Morellet présent.
  13. Il faut que l’écrivain ait son orgueil ; qu’il se dise, ou même qu’il ose dire : Lecteur, qui de nous deux doit fléchir le genou ? ni vous, ni moi. Mais quel est l’homme magnifique ? celui qui donne. Je viens vous combler de toutes mes grâces ; je vous apporte toutes mes idées, le fruit d’une vie entière de travaux ; et vous, que me donnez-vous pour cela ?

    Quand nous avons déjà à combattre le superbe et dédaigneux public, il est fâcheux que la guerre se soit établie entre les gens de lettres : s’ils avaient su faire le faisceau, ils seraient les maîtres du monde ; mais la guerre existe ; il n’y a que le lâche qui recule devant un adversaire quelconque. Les armes dont nous nous servons, ne font point couler le sang ; et quand l’agresseur est blessé jusqu’au vif, qu’il est châtié dans son impertinence, le cri de douleur qu’il jette satisfait l’homme de bien, parce que justice

  14. J’ai un magnifique projet pour la confection parfaite d’un Dictionnaire universel de la Langue, dans l’espace de trois années. Je le mûris, ce projet, pour l’offrir au public incessamment.
  15. Quand j’aurai publié leTraité sur les Inversions, j’aurai payé aux lettres mon dernier tribut ; j’aurai travaillé sur-tout pour ces versificateurs qui étouffent sous leurs étroites bandelettes, et qui se complaisent dans leurs liens ; j’aurai indiqué un nouvel idiome analogue à notre génie ; car je serai toujours intelligible : je ne toucherai ni à la clarté de la langue, ni à son harmonie ; je l’augmenterai seulement d’une foule de tournures qui introduiront des nuances infiniment différenciées, et précieuses dans leurs détails. Voilà le nouveau travail que je me propose, et qui soulèvera contre moi la tourbe des esprits médiocres : mais qui ne craint point l’examen réfléchi de la pensée, brave le bavardage académique. La langue est à celui qui sait la faire obéir à ses idées. Laissez la langue entre les mains de nos feuillistes, folliculaires, souligneurs, elle deviendra nigaude comme eux. Donnez-vous la peine d’orienter la carte de la littérature, pour en désigner le midi et le septentrion, c’est-à-dire, les gens de lettres d’un côté, qui produisent des ouvrages, qui creusent les idées, qui vont en avant, et de l’autre, les jugeurs, impuissans à créer, et qui sont les dignes objets de la risée publique. Que reste-t-il de toute la scolastique de l’abbé Desfontaines jusqu’à celle de nos jours ? C’est du langage sorbonique littéraire, rien de plus.
  16. Qui n’aurait pitié de tous ces jeunes gens perdus, abymés dans la versification française, et qui s’éloignent d’autant plus de la poésie ! Je suis venu pour les guérir, pour dessiller leurs yeux, pour leur donner peut-être une langue poétique ; elle tiendra au développement de la nôtre, d’après son mécanisme et ses anomalies. Médecin curateur, je veux les préserver de la rimaille française, véritable habitude émanée d’un siècle sourd et barbare ; monotonie insoutenable, enfantillage honteux, qui, pour avoir été caressé par plusieurs écrivains, n’en est pas moins ridicule. La prose est à nous ; sa marche est libre ; il n’appartient qu’à nous de lui imprimer un caractère pins vivant. Les prosateurs sont nos vrais poètes ; qu’ils osent, et la langue prendra des accents tout nouveaux : les mots, les syllabes mêmes ne peuvent-ils pas se placer de manière que leur concours produise l’effet le plus inattendu ? Nos constructions ne sont pas aussi rigides qu’on a voulu le persuader : je le prouverai dans le Traité que j’annonce. Les athlètes ne montraient toutes leurs forces que lorsqu’ils paraissaient presque nus dans l’arène ; et nous, nous n’avons pas encore osé dévoiler l’ossature de notre langue : c’est notre timidité qui fait tout l’orgueil de nos voisins.

    À ce mot d’ossature, tous nos versificateurs pâlissent ; ils le comprennent fort bien, ce mot ; ils sentent qu’ils ont été de misérables galériens, sillonnant une mer rebelle, tandis qu’ils auraient pu jouir d’une langue sans gêne, et qui se prêtât aux scènes éternelles et variées du grand théâtre du monde.

    Mais la sottise un jour, sous le masque de la rime, est entrée dans le palais de l’imagination : son œil hébété ne put suivre la rapidité des images qui l’environnaient ; chargée de richesses factices, elle n’a retenu que le mot de passe, qui l’a introduite dans ce palais ; elle y est, elle y sera encore quelque temps : elle marche en cadençant ses hémistiches ; elle sourit niaisement à ses ritournelles. Nous l’apercevons, nous la distinguons à son pas symétrisé ; mais nous multiplierons nos féeries, comme si elle n’y était pas.

    Cependant que fais-je, en cherchant à délivrer le versificateur français de pénibles et ridicules entraves ? il se soulevera contre moi. C’est ainsi que le fiévreux, dans son délire, veut battre son médecin. J’ai guéri cependant deux ou trois jeunes gens, de la tragédie française ; ils ont lu mon Essai sur le Théâtre, imprimé en 1773 ; ouvrage traduit en plusieurs langues, et qui a fait dire aux étrangers que j’étais le seul homme en France qui, sur cet article-là, eût eu le sens commun. Pauvre La Harpe ! tu n’y comprends rien, toi ; tant mieux pour le livre.

    Remanier, en quelque sorte, tout ce qui forme la contexture de notre langue, en la refesant sans la décomposer ; examiner l’ordre et la génération des idées intellectuelles, pour courir aussi rapidement qu’elles ; voilà un beau dessein, et qui mérite du moins qu’on lui laisse sa marche et son développement.

    A-t-on jamais voulu donner des bornes aux moyens imitateurs puisés dans la pantomime ? Si la langue des signes a une si grande latitude dans toute l’expression physique du corps, comment osez-vous resserrer le signe écrit, et l’atténuer, lorsque j’en ai le plus grand besoin ? Assurons à nos écrivains la liberté d’enchaîner tout à-la-fois et des expressions toutes nouvelles, et des inversions hardies ; nous en verrons naître un coloris plus animé, une plus grande harmonie. Ne se plairait-on que dans le travail et la gêne ? La difficulté vaincue sera-t-elle le premier mérite ? Une singulière adresse tiendra-t-elle lieu des sublimes beautés de la poésie ? Chercherons-nous enfin un vain plaisir dans une admiration stérile ? Quant à moi, je souris de voir s’accréditer des licences qui tourneront à la plus grande gloire de la langue ;

    j’aime le style d’Atala*, parce que j’aime le style qui, indigné des obstacles qu’il rencontre, élance, pour les franchir, ses phrases audacieuses, offre à l’esprit étonné des merveilles nées du sein même des obstacles. Allez vous endormir près des lacs tranquilles ou des eaux stagnantes ; j’aime tout fleuve majestueux qui roule ses ondes sur les rochers inégaux, qui les précipite par torrens de perles éclatantes, qui emplit mon oreille d’un mugissement harmonieux, qui frappe mon œil d’une tourmente écumeuse, et qui me rappelle sans cesse près de ce magnifique spectacle, toujours plus enchanté des concordantes convulsions de la nature. Allumez-vous au milieu de nous, volcans des arts !

    * Roman un peu imité de l’Homme sauvage, que j’ai publié il y a long-temps, mais qui porte le caractère d’un écrivain fait pour imposer silence à la tourbe des niais critiques dont notre sol abonde.

  17. C’est un grand mot dans la langue, que le mot sympathie ; tout homme pourrait se juger lui-même, si, en regardant bien au fond de son âme, il se rendait compte de sa sympathie. Celui qui, dans un rêve, poignarde son semblable, est un assassin ; qu’il veille dès ce jour-là sur lui-même, qu’il se craigne et qu’il s’amende. Nous avons l’œil intérieur pour nous apercevoir ; et celui qui s’est aperçu bon, réconcilié avec l’existence, aura une physionomie, une démarche et un style qui diront à tous : Cet homme n’est pas méchant ; et le méchant devinera le premier que c’est là un homme d’une autre trempe que la sienne.

    Le sentiment de la vertu s’accroît et se fortifie par sa propre apercevance. Il ne tient qu’à l’homme de savoir s’il est bon ou méchant ; qu’il suive sa sympathie ; qu’il l’analyse avec courage : s’il a cette fermeté, s’il ose être lui-même son juge, il n’aura plus qu’à prier l’Être suprême de le continuer ou de le changer.

    Il n’y a sur terre que des hommes bons ou des hommes méchans ; point de milieu ; on appartient à l’une ou à l’autre de ces classes. On peut redevenir bon après avoir été criminel ; mais on n’est jamais bon ni méchant à demi. L’action morale, en son origine, n’admet point de nuances ; elle ne saurait être indifférente. C’est dans un des deux infinis que penche la balance ; la plus légère inclinaison détermine le bien ou le mal. Le balancier est en nous ; la conscience et le remords nous diront toutes ses oscillations. La langue étant le véritable organe de l’homme intérieur, il y a un style de bonté que l’on aperçoit facilement. Tout style obscur est un style de méchanceté ; l’homme qui l’emploie, veut tromper.

  18. Je dis idiologues, au lieu d’idéologues, pour me moquer de leur déplorable doctrine.
  19. Ton Phébus s’explique si bien,
    Que tes volumes ne sont rien
    Qu’une éternelle Apocalypse. (Maynard.)

  20. Quand on a des observations subtiles à faire, on ne saurait employer trop d’images. Il serait aisé de prouver que le style figuré est toujours le plus clair et le plus précis. Ôtez l’imagination, l’esprit humain ne vole plus ; il se traîne à pas lents sur les objets, et ternit tout ce qu’il touche. (Rivarol)
  21. C’est la langue de la tour de Babel, que celle des idiologistes ; c’est la confusion de tous les termes ; c’est le cercle vicieux de tous les argumens scolastiques. Ils font jouer des termes fantastiques ; voilà toute leur science.

    On dit que Condillac et Locke ont eu leur maître ; ce que je crois sans peine, parce que toute philosophie glacée n’est point une philosophie d’inspiration. Kant dit à l’homme : « Tu es un être moral ; tu portes en toi le commandement et les lois d’une sévère moralité : donc il est un Dieu juste qui récompensera ou punira ton âme immortelle. » Cette doctrine sublime et vraie, sauve d’un coup la morale et la religiosité des atteintes du matérialisme. L’homme porte en soi la législation de l’ordre physique et celle de l’ordre moral, par conséquent tout ce qui lui est nécessaire pour cette vie et pour l’autre. Connais-toi toi-même ! Tout est dans ces admirables paroles, autrefois gravées sur une des portes du temple d’Apollon. L’idiologiste nous traîne sans cesse hors de nous-mêmes, nous écarte du point central de notre être, ce lieu de majesté et de calme où les influences de sens ne parviennent point, où nous portons les principes de toute science, où nous tenons Dieu, la liberté, l’immortalité, le bien. Et comme je ne veux pas rester seul dans l’univers, j’adopte la doctrine de Platon et celle de Kant, et je m’apprête à combattre sous leurs étendards ; ce que j’ai fait d’ailleurs précédemment, et dans tous mes écrits.

  22. Nous avons beaucoup de livres, et le livre nous manque ; le livre que je conçois, et qui pourrait nous tenir lieu de tous les autres ; il séparerait ce qui est de ce qui n’est pas ; il serait écrit en langue vulgaire ; chaque phrase dirait oui ou non : point d’équivoque, point d’écart dans la pensée ; tout serait soumis au sentiment intime de l’homme. La vertu se rapporte à la vérité ; elle rentre en quelque sorte en elle-même, lorsqu’elle l’obtient ; c’est qu’elle n’en est que l’ardent amour. Celui qui nie la perfectibilité de l’homme, aime le mensonge. Riches par le sentiment, pauvres par la pensée, si nous savons développer en nous l’amour de la vérité, nous aurons la science, et les fantômes cesseront de nous obséder. Le mot probabilité n’entrerait point dans le livre dont je parle ; il y aurait certitude complète pour entraîner l’assentiment de l’esprit ; et la certitude serait fixée par ces deux mots : La chose est, ou n’est pas ; vel ou non.
  23. Ceux de nos jours sont, en général, de petits bégayeurs, faits tout au plus pour parler de versiculets ; quand il paraît un ouvrage substantiel, ils ne savent ni le lire, ni le juger. Lorsque Le Joyand est venu foudroyer le philosophisme des abstractions, des figures et des nombres, dont le seul Descartes avait fixé la juste valeur, et dont certains géomètres depuis, et malgré ce grand homme, ont voulu faire dominer exclusivement la manie, qu’ont-ils dit ? de pauvres injures ! C’est au préjudice des principes physiques, naturels, et de la voix éclatante de l’univers, que ce philosophisme, à l’aide d’innombrables suppositions, est venu désorganiser la nature. Voilà le délit des savans qui ont attaché aux mathématiques l’exclusif privilège d’une certitude démonstrative. Nous ferons bientôt justice de cette absurde et ténébreuse folie. Quand elle a réalisé des idées abstraites, elle les prend ensuite pour l’essence même des choses. Ce qui n’est qu’instrument, le philosophisme l’appelle science.
  24. Néologisme, au contraire, abus de la Néologie. Observez bien ceci, lecteurs !