Nono/05

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Éd. Monnier et Cie (p. 156-195).

CHAPITRE V



Nono écoutait son général qui lui dictait un discours et s’embrouillait passablement, quand la calèche apparut sur le versant de la colline, en face de Tourtoiranne. La fenêtre du cabinet était ouverte. Nono avait bien souvent dévoré d’un œil fiévreux tous les chemins par lequel Mélibar pouvait revenir, mais, à déjeuner, M. Fayor avait déclaré que c’était comme ça ; dès qu’on avait le moindre besoin des femmes, elles s’éclipsaient, elles allaient déjeuner avec du pain bis et de la crème. Le pauvre impatient n’osait plus souffler mot, pourtant il regardait cette voiture, une voiture singulière dont aucun bruit n’annonçait l’approche, ni roulement sur la route sèche, ni claquement de fouet pour solliciter l’attention.

Nono laissa tomber sa plume.

— Je ne suis point un charlatan comme ces adversaires de pacotille égarés dans notre beau pays — continua le général, arpentant la chambre. Je suis un brave et je réclame… Que fais-tu donc, Bruno ? Est-ce que tu deviens fou ? »

Nono au lieu de répondre s’était levé, les deux mains en avant, le regard fixe.

— Général, dit-il d’un ton étranglé, une voiture qui marche toute seule !… »

Le général se retourna tout d’une pièce.

— Vingt-cinq millions de… »

Puis, malgré son discours et l’intérêt qui l’empoignait lui aussi, il ouvrit de grands yeux, car cette calèche et ces trotteurs silencieux semblaient absolument magiques.

— Que signifie ?… Une mauvaise plaisanterie ? » grommela le Sabreur.

Pour lui, tout ce qui s’écartait de l’ordinaire était une mauvaise plaisanterie.

Mlle Renée ! s’écria encore Nono, pressentant un malheur.

— Ma fille !… Allons donc !… Elle a deviné que j’avais besoin d’elle, te dis-je. C’est toujours ainsi, elle ne reviendra pas. À moins qu’elle ramène le préfet, je ne connais pas à Montpellier de semblable équipage. »

La calèche tourna la grille d’enceinte et après avoir déposé la jeune fille, elle rebroussa chemin. Sur le siège s’agitait un espèce d’être humain, gnome si bien dissimulé que le général n’y vit que du feu.

— Adversaire !… Charlatan !… Adversaire ! pacotille !… Alors, tu crois que cette voiture marche toute seule ?… »

La portière du cabinet se souleva, Renée entra un peu ranimée par sa course rapide en huit ressorts. Une réaction s’opéra en elle devant Nono, la plume à l’oreille, la mine confuse, une tache d’encre au front, les cheveux raides, encore hérissés par la recherche des idées que le général ne trouvait pas.

Elle se mit à rire de son rire railleur.

— Ah ! ça, d’où sors-tu ? La calèche ? Mélibar ? interrogea M. Fayor, furieux sans trop savoir pourquoi.

— Mon cher père, je sors d’un miracle ! La calèche, une citrouille prêtée par une bonne fée !… Mélibar m’a lancée contre un arbre et je m’étonne d’avoir encore la force de vous fournir ces explications. »

Elle se laissa glisser sur un fauteuil couvert de papiers.

— Diable !… Tu n’as pas employé les rênes du filet, dit le Sabreur s’adoucissant un peu.

— Il s’agit bien des rênes du filet ! » murmura Renée toujours riant, car ce gamin, avec sa tranquillité ahurie, n’avait pas l’air de se douter qu’elle venait de chercher la mort pour ne plus le revoir, lui, le petit secrétaire, sa plume à l’oreille, sa tache d’encre et ses cheveux hérissés.

— Oui, poursuivit-elle en barbouillant du bout de sa cravache une feuille du fameux discours. Un seigneur du voisinage m’a raccommodée et pensée… Un charmant seigneur, ma foi !…

— Comment !… Et il a daigné te reconduire lui-même. Où demeure-t-il ? Bruno, fais seller un cheval. C’est une dette à acquitter tout de suite… Bruno !… »

Mais Bruno avait obéi à un signe imperceptible de la cravache.

— Inutile ! mon cher papa, ce seigneur désire ne pas être connu. C’est un homme étonnant.

— Un grossier personnage ! fit le général impatienté. Quelles raisons donne-t-il ? » ajouta M. Fayor après une légère pause.

— Il prétend que ses convictions politiques l’empêchent de serrer la main d’un monsieur qui fait des discours du genre de celui-ci !

Et Renée lança le feuillet d’un coup sec jusqu’au plafond. Jamais Mlle Renée n’avait critiqué les œuvres de son père ni contrecarré ses idées. La liberté absolue régnait dans Tourtoiranne et c’était même la seule manière pour ses hôtes de vivre en paix. Aussi M. Fayor se demanda s’il fallait envoyer mademoiselle se coucher comme à l’heureuse époque où elle avait sept ans.

— Mes discours politiques !… Mes convictions ! Ne pas me serrer la main !… Bruno, ramasse ce papier. »

Bruno ramassa le papier et voyant que Renée souriait, il ne s’épouvanta pas davantage de la scène qui allait infailliblement avoir lieu.

— Il paraît, mon cher père, que vous vous portez pour la députation. Tout le pays le sait, excepté moi.

— Et depuis quand dois-je rendre des comptes à mademoiselle ma fille ? »

Le général se croisa les bras et devint cramoisi. Son thorax se gonfla sous les brandebourgs de son veston.

Nono, pour se donner une contenance, se mit en devoir de réunir tout le début du discours et s’aperçut avec épouvante que Renée était assise dessus.

— Eh ! mon cher père, je vous empêcherais de faire une grosse bêtise, si vous vouliez m’écouter ! »

Le général passa au vert myrthe.

— À telles enseignes, mademoiselle, que je réunis le Comité républicain ici, au château de Tourtoiranne, dans ma salle à manger, et que je voulais vous prévenir ce matin de faire nettoyer le surtout d’argent, le lustre, la vaisselle, tout l’apparat, enfin !… Trente-six mille diables !

— Miséricorde ! reprit Renée jouant l’effroi… de la vaisselle plate à des républicains, quand déjà les royalistes se plaignent du luxe de leurs rivaux. D’abord, je ne suis pas républicaine et je me moque comme d’un pois chiche des comités.

— Prendriez-vous, par hasard, votre père pour un pois chiche, mademoiselle ? s’écria le général cherchant des yeux une vitre à briser.

— Non, vraiment, car il est beaucoup plus gros ! répliqua audacieusement Renée. »

Nono pensa à part lui, que « plus gros qu’un pois chiche » valait plusieurs pois chiches quant à la proportion de l’injure, mais il toussa discrètement.

— Ferme la fenêtre si tu t’enrhumes ! tempêta le général. Ah ! c’est ma fille qui donne le branle, c’est ma fille qui s’unit à mes ennemis !… On nettoiera la vaisselle plate, vous m’entendez, mademoiselle !… La creuse, la plate !… Celle qui tient des deux, s’il y en a !… Tout pour demain… Demain à six heures. Et les provisions ! Ah ! ce duc de Pluncey a fait des choses royales !… Moi, je ferai des choses républicaines !… Ah ! ce pantin prétend qu’on ne peut que sourire de mes invectives ! On verra bien ! Ah ! il donne des dîners tous les jours à l’Hôtel des couronnes !… Moi, j’aurai un hôtel ici… Table ouverte, mademoiselle, vous avez bien entendu ?

— Une auberge enfin, riposta Renée. Mais… qu’est-ce que ce duc de Pluncey ?…

— Un aventurier !… mademoiselle !… Et il a osé insulter votre père… Un aventurier qui, logeant je ne sais où, a fait irruption dans l’arrondissement, achète les votes, parle comme cinquante histrions. Bref, un misérable… un anglais !…

— On le dit très riche.

— C’est un voleur, alors…

— Mais, papa, pourquoi posez-vous votre candidature si subitement ?

— Mes affaires ne te regardent pas. Je veux améliorer le sort de tous les habitants de Gana-les-Écluses.

— Ah ! et c’est pour une centaine d’imbéciles que vous allez troubler votre vie tranquille ?

— Tais-toi ! Laisse-moi terminer mon allocution de demain. Tu trouveras un exemplaire de mon livre dans ta chambre, je l’y ai fait déposer. Cela vaudra mieux pour ton cerveau détraqué que les romans à la mode. Va !… Bruno, reprends la plume. »

Renée se retira avec une moue significative. Dès qu’elle fut chez elle, ses nerfs se détendirent et elle s’affaissa sur une chaise longue en balbutiant :

— Le père d’un assassin à la tribune !… »

Elle revit, par la pensée, la figure distinguée du duc penchée sur sa tempe meurtrie. Peut-être, celui-là empêcherait-il son père de réussir dans ses projets.

Elle resta songeuse un instant, puis, ses traits pâlirent de nouveau ; de nouveau la cicatrice de son front devint bleue et elle répéta douloureusement :

— Peut-être ! »

Le lendemain matin, Renée, qui avait bien dormi, ouvrit sa croisée de bonne heure afin de revoir la coupole de la salle de bains. Elle espérait vaguement qu’un miracle aurait pulvérisé la roche. Mais celle-ci gisait toujours à sa place. Aux lueurs de l’aurore, les vitraux à facettes du temple funèbre brillaient toujours. Renée s’accoudait sur l’appui sculpté du balcon, lorsqu’il lui sembla que les massifs de verveine s’agitaient et qu’une tête surnaturelle émergeait des fleurs. Elle tressaillit. Sans être devenue peureuse, elle éprouvait maintenant des tressaillements involontaires chaque fois qu’une chose anormale se passait. La tête se haussa, un frac rouge, des culottes courtes sortirent peu à peu et Largess, grave, froid, abaissa jusqu’à terre (ce qui n’était pas difficile avec sa taille lilliputienne) son chapeau ciré.

— Monsieur le duc fait demander à Mademoiselle, comment Mademoiselle se porte ? »

Renée demeura confondue. Croyant qu’elle n’avait pas bien entendu, Largess répéta du même accent la même phrase :

— Remerciez Monsieur le duc. Mais comment avez-vous découvert ma fenêtre ?

— J’ai pris la liberté, Mademoiselle, de coucher dans ces fleurs, ce qui m’a permis d’étudier les lieux.

— Et pourquoi ?

— Monsieur le duc m’a ordonné de saluer Mademoiselle de sa part sans que personne ne me vît et sans offenser Mademoiselle, je ne pouvais m’enquérir auprès des gens de la maison. Alors, j’ai guetté aux lumières de la soirée l’ombre la plus légère sur les rideaux, et me suis étendu là pour exécuter les ordres de Monsieur le duc.

— Vous êtes un prodige, monsieur Largess.

— Oh ! l’habitude… fit modestement le groom. Monsieur le duc m’a aussi chargé, continua-t-il, évidemment flatté du sourire de Renée, de dire à Mademoiselle que Mélibar a été retiré presque vivant et qu’il sera bientôt à la disposition de Mademoiselle. »

Renée poussa un cri de surprise.

— Mélibar vivant !… C’est impossible !

— J’ai l’honneur de l’affirmer à Mademoiselle », répondit le flegmatique Largess.

Mlle Fayor réfléchit une minute, puis elle rentra dans sa chambre et se mit devant son bureau.

— J’ai besoin d’un allié, il vient à moi, je m’abandonne au destin », pensa-t-elle tout haut.

Elle prit une enveloppe et du papier azuré, timbré aux armes de sa mère qu’elle avait ajoutées à ses initiales, elle jeta sur ce papier quelques phrases polies assez insignifiantes pour ne pas la compromettre, assez originales pour fixer l’attention. Renée savait bien qu’un mot plié en quatre est quelquefois la perte d’un homme.

— Monsieur Largess, vous allez porter ce billet à M. le duc, et vous lui direz qu’il ne vous fasse plus coucher à la belle étoile. »

Largess saisit la lettre au vol et disparut.

— Le duc s’ennuie, murmura Renée, refermant la fenêtre, moi, je souffre. Il y a vraiment des affinités. »

Elle pensait juste : M. de Pluncey s’ennuyait et s’ennuyait tant, qu’il daigna venir au-devant de son groom, lequel descendit l’allée des Combasses vers onze heures du matin.

— Eh bien ? interrogea le futur député royaliste.

— Eh bien ! monsieur le duc ne s’était pas trompé ; j’ai déjà une lettre. »

Ce déjà était profond.

— Les femmes écrivent toujours, objecta le duc en dépliant le billet.

— Tu es un garçon intelligent, » fit encore M. de Pluncey, en caressant la tête blonde et grotesque de son domestique.

À Tourtoiranne on faisait de sérieux préparatifs. Nono ne cessait d’écrire, non des billets parfumés, hélas ! mais d’interminables professions de foi.

Le tilbury allait et venait sur la route de Montpellier. Le facteur rural pliait sous le poids des imprimés, les paysans ne quittaient plus les cuisines et les domestiques affolés se multipliaient par les ailes selon l’expression du Sabreur.

Renée profita d’un moment de répit dans ses terribles devoirs de maîtresse de maison pour arracher Nono à ses paperasses.

— Pourquoi ne m’as-tu pas dit ce qui se préparait, méchant enfant ? » demanda-t-elle, ne faisant qu’un bond de la portière du cabinet à la table de travail.

Nono lâcha la plume.

— J’avais donné ma parole, parce que le général se défiait de vous.

— Et tu l’as tenue !… Je t’en félicite ! »

Renée était en grande toilette : robe de satin bleue garnie de longues guipures blanches, très décolletée, avec une touffe de verveines roses et rouges dans ses cheveux relevés par un peigne de perles fines.

Elle lui frôla son éventail sur la joue, prise d’humeur contre lui, peut-être parce que ce n’était pas lui qui l’avait sauvée, là-bas près de la mare.

Nono se taisait.

— D’où venait cette voiture ? dit-il enfin très bas.

— De chez le duc de Pluncey, répondit Renée.

— Et vous ne l’avez pas avoué ?

— Non, monsieur, j’avais donné ma parole ! ajouta-t-elle d’un ton railleur. »

Nono se leva, les yeux étincelants.

— Vous vous entendez donc avec ce duc ? s’écria-t-il.

— Je crois, Bruno Maldas que vous me posez des questions ! »

Nono frémit de rage. Il était exaspéré depuis la veille parce qu’il soupçonnait quelque chose de louche.

— Pourquoi, continua-t-il, ne voulez-vous pas que votre père soit député ?

— Parce que j’ai mes raisons pour ne pas le vouloir.

— Lesquelles ?… Lesquelles ?… répéta-t-il n’osant croire à une perfidie de celle qui avait toute sa confiance.

— Les miennes ! répondit Renée.

— Et vous allez chez un duc toute seule ?

— Non, mais emportée par un cheval qui, à cette heure, est mort au fond de l’étang des Combasses. »

Nono saisit Renée par ses deux bras nus et l’attira violemment sur sa poitrine.

— Tu mens !… » rugit-il avec force.

Renée, étourdie, resta un moment abandonnée dans la violence de cette étreinte.

— Tu es jaloux ? demanda-t-elle, cherchant ses lèvres.

— Je ne veux pas que tu me mentes à moi !… bégaya Nono, dont les larmes s’arrêtaient au bord des cils.

— Je ne te mens pas, mon petit lion ! »

Elle ne se souvenait plus que Largess lui avait parlé de la résurrection possible de Mélibar, d’ailleurs, elle ne doutait pas qu’il fût mort en sa présence.

— Oh ! je suis jaloux comme personne ne l’est, dit Nono, détournant la tête, jaloux à mourir sans te vouloir le moindre mal, mais jaloux à tuer tous ceux qui viendront ce soir contempler tes épaules. »

Un nuage passa sur les prunelles de Renée.

— Comme je t’aime ! » murmura-t-elle, le front dans son cou, appuyant très fort sa tempe sillonnée de noir à cette peau brûlante.

Nono oublia le duc, l’enfant reparut et là, derrière la portière, il se frotta les genoux dans la traîne de sa robe de satin. Il aurait pu d’un seul geste faire tomber les dentelles recouvrant ce grain de beauté bizarre qu’avait découvert le duc. Mais Nono n’était pas un viveur, il dit seulement :

— Je te pardonne de te décolleter, car…

— Voyons, achève !… fit-elle en souriant de sa rougeur de vierge.

— Car… ça m’y habitue !… » ajouta Nono qui ne trouva que ce mot pour rendre toutes ses nouvelles sensations.

Elle l’embrassa, mais cette fois sans lui causer aucun mal.

Le dîner fut merveilleux, Mlle Fayor s’y montra bienveillante et certes monsieur son père s’attendait peu à tant de bonne volonté.

Il y avait des sommités de Montpellier, le maire républicain, les adjoints, le curé de Gana, ancien aumônier qui jurait et sablait le champagne, un médecin enthousiaste, de gros propriétaires opinant du bonnet. Cela se passa de point en point comme le racontait le duc de Pluncey au cours de ses boutades. Quelqu’un émettait une grosse sottise politique, aussitôt tout le monde d’applaudir. Personne ne comprenait, mais on parlait tous à la fois. Sauf la couleur politique, même solennité que dans la salle à manger des Combasses ou à l’Hôtel des couronnes.

Renée ne fit à son père qu’une guerre courtoise, mais elle la lui fit bravement.

Nono, du bout de la table, l’examinait derrière les verres mousseline et il était partagé entre la crainte de l’entendre soutenir ce duc maudit, arrivé on ne savait d’où, et celle de casser ces coupes fragiles lorsqu’il les touchait du bout des lèvres. Il dîna très peu, fut d’une maladresse notoire, si bien que son général lui cria à brûle-pourpoint :

— Bruno ! vous ne serez jamais qu’un rustre ! » seul avis qui rencontra réellement l’unanimité des convives.

Renée, à l’aurore suivante, courut au balcon de sa chambre. Largess était là, son chapeau ciré à la main.

— Monsieur le duc fait demander à Mademoiselle comment se porte Mademoiselle et me charge de remettre ceci à Mademoiselle.

Il glissa une lettre sous les verveines et disparut pour ne pas avoir l’air d’attendre une réponse. Renée descendit par son escalier particulier, traversa la corbeille des rosiers nains, prit la lettre, mais au lieu de rentrer elle se dirigea vers sa salle de bain. La missive était longue, gracieuse, d’une diplomatie tendre, sur un papier havane dont l’écusson microscopique portait les plus belles armes qu’on pût rêver.

« Si nous parlions politique, disait le duc en post-scriptum, je vous apprendrais bien que Monsieur votre père vient de me donner un rendez-vous à l’Hôtel des couronnes, seulement nous ne parlons pas politique. »

Et il y avait des points, ce qui signifiait qu’on voulait demander une ligne de conduite.

— Largess est parti ! » s’écria Mlle Fayor

L’exclamation n’était pas jetée que Largess s’encadrait dans un vitrail et dégringolait avec l’agilité d’un chat sur la margelle de la vasque.

— Mademoiselle désire ?… fit le groom redevenant correct.

— Largess, il paraît que mon père…

— Je sais, mademoiselle.

— Alors, je ne veux pas qu’il y ait duel. Croyez-vous monsieur de Pluncey sérieusement offensé ?

— Non, Mademoiselle, mais Monsieur le duc se bat sans offense pour s’entretenir la main. Ensuite, c’est une affaire de parti.

— Puis-je avoir confiance en vous, Largess ?

— Du moment que Mademoiselle le demande, certainement.

— Eh bien ! Largess, je ne voudrais pas que mon père fût élu. »

Malgré son habitude des aventures, Largess eut un imperceptible mouvement des paupières qui indiquait sa stupeur.

— Oui, je ne le veux pas !

— Il suffit, Mademoiselle.

— J’ai des raisons personnelles pour vouloir empêcher sa réussite.

— Mademoiselle n’ignore pas que monsieur le duc a moins de chances que monsieur votre père. Le général est plus connu, ses propriétés sont mieux entretenues et ses paysans sont mieux disposés que les nôtres (Largess, voyant le chemin fait, n’hésitait pas à prendre sa petite part de responsabilités politiques). Monsieur le duc ne se dissimule pas nos désavantages.

— Tant pis ! J’espérais que la tranquillité de Tourtoiranne ne serait jamais troublée. Maintenant, jusqu’à mon retour à Paris, ce ne sera que réceptions, dîners, réunions. Vous comprenez, Largess, une jeune fille déteste ces choses-là. Ensuite, nous nous créons des ennemis… »

Elle s’arrêta, pensant qu’elle en avait dit assez pour éclairer le duc.

— Dois-je répéter ?…, interrogea Largess.

— Je vous autorise… ; si je n’écris pas, c’est que je ne puis trahir…, et, bien que je considère ces élections comme jeux d’enfants…

— Peste ! murmura Largess…, des jeux d’enfants ! nous dépenserons peut-être un million dans la contrée.

Renée se tut, Largess se retira après un salut cérémonieux.

Monsieur de Pluncey attendait encore, dans son carrosse, le retour du petit groom. Cette fois, Largess revenait à cheval.

— Pas de lettres, hein ? fit le duc avec un rire narquois, mais une conversation détaillée, des questions… des…

— Monsieur le duc est sorcier ! répondit Largess sautant à terre comme un jeune singe, une conversation seulement politique… Mademoiselle ne veut pas que son père soit nommé !

— Tiens… quelle originale ! »

Puis, il se frappa le front.

— J’y suis… Chagrins d’amour !… Recherche de la solitude…, elle trouve ce branle-bas vulgaire… a laissé un cœur à Paris…, etc.

Largess accoutumé aux perspicacités de son maître hochait simplement la tête.

— Où t’a-t-elle reçu ?

— Dans une salle de bain très sombre, divan, tentures, vitraux violets. La salle est adossée à un gros rocher distant de quelques cents mètres au moins du château…

— Ah ! ah !…

— La baignoire est en marbre blanc, une source y coule à pleins bords. Très bon goût. Des romans et des fleurs sur un guéridon cloisonné d’émail.

— Ah ! ah !… fit de nouveau le duc, puis il eut une grimace singulière, pinçant les deux lèvres et les écartant tout d’un coup sous sa barbe soyeuse.

— Quels sont les ordres pour demain ?

— Tu mettras dans la baignoire le bouquet qui arrivera de Nice au crépuscule. D’abord, il se tiendra plus frais, ensuite, personne ne pourra le prendre avant elle. Il n’y aura pas de lettre… le reste me regarde… Ah ! j’oubliais ! mon intendant a enfin déniché un étalon merveilleux, absolument semblable au Mélibar défunt. La selle a été restaurée. Tu iras lâcher ce cheval dans la cour de Tourtoiranne vers sept heures. »

Largess s’inclina et M. de Pluncey continua sa promenade solitaire.

Ce soir là, Bruno Maldas descendit dans la cour de Tourtoiranne pour aller porter des plis très urgents à la poste de Gana-les-Écluses, lorsqu’il aperçut, caracolant en liberté, un cheval noir comme du jais, sellé, bridé, et secouant une superbe crinière ondulée. Bruno reçut un choc violent à la poitrine, si violent qu’il faillit tomber sur les marches du perron.

— Mélibar ! » cria-t-il d’une voix rauque.

Tous les domestiques accoururent.

— Oui ! Oui ! c’est Mélibar. Mademoiselle va être bien contente. D’où arrive-t-il ? Réponds donc, grande bête, tu t’es laissé voler ?…

— C’est lui ! il n’y a qu’un pareil cheval au monde… c’est lui !… répétait Nono en proie à une horrible émotion.

— Allez donc prévenir Mademoiselle, vous, dit le cocher, nous allons fermer la grille et rattraper le sauvage. »

Nono oublia les lettres. Il se précipita dans le corridor conduisant à la chambre de Renée et heurta joyeusement. Elle ouvrit.

— Vous êtes pâle, Nono, dit-elle.

— Mélibar est revenu ! »

Ce fut tout ce qu’il put accentuer, il tomba sur une chaise, à moitié suffoqué.

— Allons-donc !

— Les femmes sont traîtres ! ajouta Nono se mordant les poings.

— Je te jure sur l’honneur que Mélibar a agonisé devant moi, dans l’étang des Combasses !

— Va voir dans la cour, maintenant ! »

Elle y alla, mais elle ne s’y trompa pas, ce Mélibar n’était pas le vrai, car il ne témoigna aucune joie en revoyant sa maîtresse. Renée ne dit rien. Son père fut persuadé, lui.

— Je savais qu’on nous le détenait. Mille tonnerres ! ce doit être le maire de Gana.

— Pourquoi pas le duc de Pluncey !… murmura Renée ironiquement.

— Parbleu ! oui ! pourquoi pas ? Un sacripant qui ne répond pas à mes provocations. Oh ! si je mets la main dessus !… »

Et il ordonna à tous les domestiques présents de faire des enquêtes au sujet du recéleur de Mélibar.

Le lendemain matin Renée gagna son petit salon d’été. Elle avait attendu Nono toute la nuit ; Nono boudait, et, nerveuse, elle en voulait à ce duc qui s’emparait malgré elle d’une large moitié de sa vie. Dès le seuil, elle fut entourée d’une pénétrante odeur de lilas blanc. À la fin du mois d’août il n’y avait pas de lilas blanc dans le jardin ; elle approcha : un bouquet immense, d’une blancheur éblouissante et d’une facture idéale tenait toute la largeur de la vasque. Une enveloppe de dentelle de Gênes enserrait les fleurs négligemment, comme une simple découpure de papier.

— Mais il est amoureux ! » dit Renée à mi-voix.

Elle resta pensive, les mains perdues dans les fleurs parfumées. Largess ne parut pas. Le fait se passait aisément de commentaires. Renée se redressa, les yeux sombres, le front plissé.

— Mon père député, moi duchesse…, et soudain elle eut un mouvement d’une fierté sinistre.

— L’ambition guérit des remords. Soit ! montons si haut que la justice reculera le jour où il lui faudra sévir. »

Au même instant, Bruno Maldas poussa la porte vitrée, puis il la referma avec un soin timide.

— Je suis là… mademoiselle Renée », bégaya-t-il, les lèvres tremblantes.

Il était là, toujours inévitable, toujours honnête, toujours transi, toujours enfant.

— Que me veux-tu ? demanda Renée en s’asseyant sur le divan, et en renouant son peignoir de mousseline.

— Oh ! je ne veux rien ! répliqua-t-il sans regarder les fleurs.

— Des reproches, tu n’as pas le droit de m’en faire ! dit-elle vivement, paraissant poursuivre un monologue mental, tu ignores trop de choses pour pouvoir me juger. Notre amour est une folie qui n’a pas d’issue possible. Le hasard place sur ma route un autre homme que toi. Il peut m’épouser. Il est grand seigneur ! très riche ! Mon caprice va te le préférer. Il fallait deviner que j’étais capricieuse. D’ailleurs, n’es-tu pas consolé de la perte d’Amélie ? Tu te consoleras encore ! Mais je vais te donner un conseil en échange du sourire que tu as mis dans mes tristesses : Nono, les femmes sont sans pitié… Nono, moque-toi des femmes !

— Je vous remercie ! » répondit-il d’un accent navré. Il s’agenouilla près d’elle en s’enveloppant le visage de sa mousseline pour la respirer, bien qu’elle sentît déjà les fleurs offertes par un autre. Il était immobile, le corps ployé sous une douleur atroce, et ne formulait aucun reproche, puisqu’elle ne lui accordait plus le droit de lui en faire.

Nono se rappelait qu’un jour (il sortait à peine du collège) il avait relu tout son Virgile à l’ombre du lilas qui ornait le pauvre jardinet de sa mère. La chaleur était forte comme par ce matin d’août et les grappes exhalaient une pénétrante odeur, une odeur grisant ses sens au point de le faire souffrir. Il se le rappelait bien, il venait d’atteindre ses seize ans, son sang courait très vite dans ses veines plus chaudes et il y avait une bergère à travers ce qu’il lisait. Il voyait cette bergère assise sur les branches basses de l’arbre, lui tendant des poignées de fleurs, montrant ses jambes nues.

Ce jour-là, Nono se crut malade… En eût-il parlé à sa mère, il n’aurait pas été plus avancé, car certainement sa mère ne lui aurait pas répondu.

Dans l’ombre de la salle, une lâcheté l’envahissait, lâcheté souffrante qui lui aurait fait commettre des crimes pour pouvoir embrasser une fois encore cette femme cruelle. Renée posa l’index sur les cheveux noirs de Nono.

— Enfant ! » fit-elle le cœur oppressé.

Elle avait dépensé beaucoup de force pour lui dire tout ce qu’elle lui avait dit.

— Je voudrais être un homme ! » murmura Nono.

Mlle Fayor essaya de rire.

— Moque-toi des femmes ! répéta-t-elle.

— Vous me tuez ! »

Renée haussa les épaules.

— Si tu y tiens… oui ! pourtant, je ne suis pas digne de toi. Nono, je me marie pour te fuir ! Je me montre odieuse pour que tu me haïsses !

— Oh ! taisez-vous ! taisez-vous donc ! je voudrais que vous fussiez la dernière des misérables. Vous m’accepteriez peut-être pour soutien alors ! Nous irions très loin, je vous cacherais. Vous n’auriez pas honte du pauvre Nono, car son honnêteté rachèterait vos fautes. Renée, avant de nous quitter, dites-moi votre secret. Si vous ne me méprisez tout à fait, servez-vous de moi. Mon corps et mon âme vous appartiennent. Je me suis donné, je ne me reprends pas. Renée…, que je vous sois bon à quelque chose… par pitié ! Ou ôtez-moi ce feu qui me brûle… j’étouffe ! je deviens fou ! »

Elle le repoussa doucement.

— Non ! restons ce que nous sommes, je t’en prie ! Tu ne sais pas ce que tu me demandes ! »

Puis, avec une brusquerie forcée, elle lui frappa la joue en lui disant : — Tu es lâche ! »

Il se releva éperdu.

— Vous m’insultez à présent !

— Je tâche de te donner du courage ! »

Nono, saisi de vertige, se rua sur le bouquet et en joncha toute l’eau. Il mordait les fleurs, lacérait la dentelle, écrasait les tiges. Il ne tenait pas le duc, malheureusement…

— C’est vrai ! je suis un lâche ! dit-il en s’affaissant sur la margelle de marbre, mais il ne pleurait pas, il souffrait trop.

— Allons ! va-t’en, supplia Renée, c’est l’heure de mon bain !

— Tu me chasses ?

— Admettons-le, Nono. »

Il alla jusqu’à la porte.

— Écoute, Renée, je veux savoir si tu m’as toujours menti… Ai-je rêvé ? n’es-tu pas venue toi-même m’avouer ton amour ?

— Tu as rêvé. »

Nono pour ne pas s’évanouir fut obligé de s’appuyer aux vitraux.

— Rêvé… quand tu étais dans ma chambre ?

— Probablement !

— Rêvé… quand j’étais dans la tienne ?

— Sans doute !

— Rêvé… quand tu m’as baisé les lèvres ?

— Ce qu’il y a de plus rêvé, Nono ! »

Alors il éclata de rire.

— Où vas-tu ? interrogea-t-elle sévèrement.

— Je vais trouver le duc de Pluncey

— Pour ?…

— L’assassiner… et Bruno Maldas eut un geste effrayant de résolution.

— Tu serais donc capable, toi, d’assassiner quelqu’un ?

— Oui ! Quand on fait bon marché de sa vie, la vie des autres n’est rien. »

Elle courut à lui.

— Silence ! les pierres écoutent, sais-tu ? »

Il regarda autour de lui avec un morne désespoir.

— Je t’aimais tant, » fit-il d’un ton sourd.

Elle le poussa dehors en murmurant :

— Laisse-moi… j’ai besoin de penser ! Tu reviendras quand tu m’entendras sonner Louise.

Il s’en alla à travers les allées, ne comprenant plus ce qui arrivait. Mais non, il ne pouvait pas l’épouser, c’était impossible ! Elle avait trop de fortune et sa beauté lui faisait trop peur. Il ne le voulait même pas. Il avait juré, dans l’église de Montpellier, qu’il serait pour elle plus respectueux encore qu’il ne l’avait été pour Amélie. Seulement, un feu terrible le consumait à cette idée qu’elle aimait ce duc. Oh ! l’infernale créature, comme elle savait bien faire tomber du ciel lorsqu’on venait à peiner d’y monter.

Le timbre résonna au bout d’une demi-heure, Nono se glissa derrière la roche et attendit que la femme de chambre eût déposé le peignoir de soie de Chine qu’elle apportait tous les matins après le bain de sa maîtresse. En voyant flotter cette étoffe bleue toute couverte de rubans, il tressaillit sans savoir pourquoi ; puis il lui sembla que Renée était bien lente à s’en revêtir. Si le général l’appelait, il perdrait à jamais l’occasion de baiser, une dernière fois, les douces mains de celle qui le chassait.

Le général allait décidément partir pour les Combasses. On lui avait appris enfin l’adresse de son ennemi et il voulait le relancer dans son antre, selon son expression favorite… il ne songeait pas du tout à Nono…

Un vitrail s’ouvrit. On appela. Le jeune homme se précipita vers la porte, les yeux pleins d’une joie délirante. Qui sait ? Elle l’aimait peut-être malgré ses méchancetés…

Renée avait les pieds nus dans des mules de satin rouge brodées de turquoises, des mules étroites comme des bibelots d’étagères.

Le peignoir était très léger et sous la soie, le corps finement sculpté gardait l’humidité du bain qui collait l’étoffe aux plus saillants endroits. Elle se poudrait les bras devant une glace. Sur les dalles traînaient des linges de batiste mouillés, un long drap de flanelle chiffonné et, dans l’eau s’écoulant, on voyait un bracelet de corail. Le lilas éparpillé formait une écume neigeuse aux remous de la vasque à rendre jalouse une Vénus naissante. Cela sentait beaucoup les fleurs, mais davantage la femme et Nono, les narines dilatées, la bouche brûlante, regrettait maintenant d’être là. Il se figurait sa laideur parmi ces beautés, sa gaucherie parmi ces grâces.

— Nono, dit Mlle Fayor, arrangeant ses cheveux qu’elle peignait toujours elle-même, tu es bien malheureux, n’est-ce pas ?

— Oh ! oui ! répondit l’enfant dont la raison se perdait.

— Pourquoi baisses-tu ainsi les yeux ?

— Je ne veux plus que vous puissiez voir mes larmes !

— Je te défends de pleurer. »

Il se coucha à ses pieds qu’il se mit à caresser du bout des doigts, craignant de briser cette chose fragile veinée d’azur et de rose.

— Resterais-tu longtemps comme cela si je te le permettais ?

— Toujours !

— Et si le duc de Pluncey était mon mari ?

Nono se redressa sur les genoux.

— Je passerais devant toi sans même me souvenir de ta permission.

Il s’aperçut alors qu’elle déroulait complètement ses cheveux au lieu de se coiffer.

— Oh ! le fier ! » dit-elle en lui frottant les joues sur une boucle toute scintillante.

Ce contact le fit crier comme un blessé.

— J’ai soif ! balbutia-t-il et il rampa jusqu’à la vasque pour y boire.

— Attends au moins que l’eau soit renouvelée, grand enfant !

— Non… c’est meilleur… à cause du lilas. »

Quand il eut bu, il essaya de rattraper le bracelet de corail. Renée s’était assise sur le divan et elle guettait tous les mouvements de Nono avec une tendresse nerveuse mélangée de dépit. Peu à peu ses nerfs se révoltèrent de la contrainte qu’elle leur imposait depuis son retour. Le sentiment maternel la quitta subitement, l’abandonnant nue et perverse à la merci de ses sens de fille indomptée.

— Nono ! cria-t-elle, je t’attends… c’est toi qui me tues ! »

Nono affolé, ne fit qu’un bond.

— Mon Dieu ! comme tu es changée… qu’as-tu encore ?…

— Ce que tu as, toi ! C’est une fièvre… elle ne peut plus se calmer !

— Si, tu vas voir… je crois qu’en t’embrassant je guérirai la mienne, et que tu deviendras moins méchante ! »

De bonne foi, il s’imaginait que c’était un mal qu’ils avaient tous les deux.

Dans la folie des caresses, le peignoir s’ouvrit. Nono, ébloui, recula.

— Regarde donc ! dit-il à mi-voix, un bijou qui s’est égaré… très loin… ôte-le !

Il n’avait jamais vu de signe sur le corps d’une femme, Nono, et son erreur était le plus doux compliment qui puisse être fait à une maîtresse.

— Un bijou vrai… Nono ! » répondit-elle en rougissant dans le désordre de ses cheveux.

Le canapé était près de la fenêtre donnant sur la roche. C’était adossée à son crime que Renée recevait les baisers de Bruno Maldas.

— Tu m’épouvantes ! » fit-il n’osant pas toucher de ses lèvres le signe noir.

Mlle Fayor, renversée dans les coussins, les bras arrondis, les paupières fermées, ne bougeait plus. Elle jouissait de ces stupeurs naïves et suivait les effets du poison amoureux comme, jadis, les belles courtisanes de Rome aimaient à suivre la lutte d’un fauve contre un homme désarmé. Il y a toujours, endormi dans le repli secret d’une âme féminine, un instinct féroce qui est là pour rappeler aux victimes martyrisées qu’Ève a pactisé avec les serpents, ces seules créatures capables de broyer les lions.

— Je suis ivre… et je voudrais me sauver ! » murmura le vierge agonisant de bonheur.

Il régnait un demi-jour perpétuel sous la coupole de la salle, mais, en dehors, un soleil resplendissant inondait le jardin, et le vol d’un oiseau, le passage d’un insecte suffisait pour projeter une silhouette plus opaque le long des vitraux couleur d’améthyste. Renée, à travers ses cils baissés, vit d’abord deux ailes d’abeille qui estompèrent le cristal violet. L’abeille venait des hautes herbes croissant près de la roche.

Nono joignit les mains.

— Tu te donnes à moi et tu ne me défendras plus de me souvenir !… Je n’aurai plus rêvé ! »

Un oiseau, à son tour, s’enleva de la roche même, et ombra, en filant, les deux seins d’albâtre de Renée qui répliquait lentement :

— Oui… je me donne à toi. Que la faute retombe sur moi seule !

Presque au même moment, le vitrail tout entier fut obscurci. Nono colla ses lèvres au cou penché de la jeune femme… il y eut un suprême silence… les pierres écoutaient ! Mais, brutalement, Renée s’arracha de l’étreinte ardente de Bruno, elle avait ouvert les yeux. Au sommet de la roche, dominant le vitrail et leur couche, un spectre s’était dressé ; une ombre d’homme, gigantesque, interminable, s’allongeant toujours… Cet homme tenait un pardessus sur son épaule comme un voyageur, il était de taille moyenne, avait le front découvert… et il grandissait, grandissait sans cesse.

— Victorien Barthelme !… » cria Renée.

Son cri fut tellement déchirant que la salle vibra. Nono, les poings serrés, l’œil brillant de rage, voulut se précipiter.

— Qui ose donc nous espionner ? » dit-il prêt à briser le vitrail pour s’élancer sur l’inconnu dont l’ombre demeurait entre eux. Renée lui saisit le bras.

— Sauve-toi… je suis maudite… puis… tu le peux encore ! Ne te perds pas avec une infâme ! Va-t’en !. Va-t’en !… C’est lui ! je le reconnais !… »

Elle le couvrait de son corps pour l’empêcher d’être atteint par l’ombre surnaturelle.

— Tu es folle ! dit Nono.

— Non ! si tu ne me fuis pas, je me tue à tes genoux. »

Elle saisit son poignard laissé avec les parures, et elle appuya la pointe juste sur le petit cœur noir. Nono lui arracha son arme.

— Obéis… va-t’en ! » ordonna-t-elle, ne quittant pas l’ombre des yeux.

Il poussa la porte, se retrouva en pleine lumière étourdi, la poitrine bondissante, le sang à la gorge, cherchant quelqu’un ou quelque chose à pulvériser.

— Elle me fera damner !… » s’exclama-t-il en s’éloignant un peu pour tâcher de voir en face Victorien Barthelme.

Du côté des rochers, le jardin de Tourtoiranne n’était pas fermé. Un chemin surplombait la statue de la Diane et la coupole ; un chemin bordé d’une haie d’églantiers sauvages. C’était par là que l’espion avait dû arriver. Il avait escaladé la roche, redescendu audacieusement les parois de granit pour se cacher derrière la déesse.

Bruno fit un détour.

— On jurerait, en effet, que c’est ce Victorien, murmura le furieux en apercevant l’homme de profil. Si c’est lui… je l’écrase !… »

L’homme finit par se démasquer. La tenue irréprochable et la douce gravité de ses traits intimidèrent tout de suite Bruno ; cependant il lui cria d’un ton rageur :

— Que faites-vous ici ? »

L’homme salua immédiatement.

— Monsieur, répondit-il avec une urbanité exquise, je me promène !

— Vous êtes sur les terres des autres ! gronda Nono en serrant les poings.

— Je vous ferai remarquer, mon ami, que je ne chasse pas ! objecta du bout des lèvres le duc de Pluncey, car c’était lui-même qui ressemblait à Victorien Barthelme.

— Je crois bien, la chasse n’est pas ouverte, il ne vous manquerait plus que cela !

— Vous êtes garde champêtre ? interrogea le duc clignant les paupières et très contrarié, à présent, de son escapade d’écolier.

— Je suis le secrétaire du général Fayor !

— Ah ! très bien, fit le duc respirant, j’ai une voiture renversée dans un mauvais sentier de la montagne. Voudriez-vous, mon ami, aider à la remettre sur ses roues ?…

— Non, monsieur, je ne sais qu’écrire… » répliqua brusquement Nono dont la colère montait de plus en plus.

M. de Pluncey s’accouda gracieusement au socle armorié de la Diane, il sortit un cigare d’un étui d’ivoire vert et se mit à l’allumer.

— Ceci est étrange, scanda-t-il, je n’ai jamais commis l’imprudence de croire qu’un secrétaire fut un homme, mais, je vous voyais des mains d’une puissance rassurante pour… ma voiture. Cependant, vous êtes bien bâti, mon garçon. Tudieu ! je ne m’étonne plus que les discours de votre général aient tant de muscles. » — Le duc gagnait du temps. — Je dois avoir l’air absurde, » murmura-t-il en a parte.

M. de Pluncey était sur des braises. Il ignorait que Renée fût dans le temple, car on ne voyait rien s’agiter du dehors et l’aurait-il su qu’il se serait trouvé doublement absurde.

En réalité, sur le chemin où Largess dormait au soleil, la voiture qui n’avait subi aucun accident, attendait le duc.

Nono se croisa les bras dans une pose muette qui annonçait le paroxysme de l’irritation.

— Vous êtes du pays ? demanda le duc se décidant à parler puisqu’il lui devenait impossible d’agir.

— Oui, monsieur.

— Jolis sites dans le Midi !… mais vilain peuple ! »

La langue de Nono s’embarrassa, il ne put trouver qu’un son rauque pour toute riposte.

— Les gens y ont l’allure de jeunes carnassiers flairant du mouton cru, continua le duc, en secouant avec flegme la cendre de son cigare.

— Monsieur… encore une fois, vous n’êtes pas chez vous ! rugit Nono qui songeait à se tailler une canne dans le fourré voisin.

— Mon ami, avez-vous étudié l’histoire des Arabes ?…

— L’histoire des Arabes ?… répéta Nono ahuri.

— Oui, mon petit monsieur ; vous y auriez appris que l’hôte est sacré…, à tel point qu’on va jusqu’à lui prêter son lit… et sa femme.

— Je ne suis pas marié ! balbutia Nono, ne sachant plus ce qu’il disait.

— Oh ! soyez tranquille, mon cher, le seriez-vous, je bornerais mes désirs. Ainsi votre général interdit l’entrée de ses propriétés à tous venants ? C’est peu généreux.

— Monsieur, déclara Nono rompant les chiens, je vais vous envoyer un domestique si vous voulez relever votre voiture, mais je vous prie, au nom du général Fayor, de vous retirer.

— Sommations en règles ! fit gaîment le duc. C’est-à-dire que vous prenez sur vous de me mettre à la porte malgré l’histoire des Arabes ?…

— Oui, Monsieur », répliqua nettement Nono.

M. de Pluncey haussa tout à fait le front et plantant son regard glacial dans les prunelles fulgurantes du jeune homme.

— Je ne bougerai pas, mon ami !

— Vous êtes le duc de Pluncey ! s’écria Nono avec un frisson d’angoisse, car il avait deviné le grand seigneur à cette réponse tranchante.

— Qu’est ce que cela peut vous faire ?

— Le général est chez-vous, monsieur.

— C’est à merveille, mon ami ; comme le seul lieu où il ne peut pas me pourfendre est sa demeure, je reste.

— Vous avez donc peur, monsieur le duc ? dit Bruno qui avait pâli de rage.

— J’ai peur des collégiens, surtout quand ils ne savent qu’écrire, parce qu’ils ne se doutent de rien et qu’ils disent d’énormes bêtises.

— Monsieur le duc, vous m’insultez ! cria Nono faisant deux pas avec résolution.

— Ah ! çà, murmura le duc, je vis donc dans une succursale de Charenton, ici ? »

Puis, il siffla d’une façon particulière. Aussitôt, Largess se coula le long de la roche et arriva en trottant.

— Largess, ma bonbonnière ! »

Le groom remonta la roche. En moins de cinq minutes, il rapportait une mignonne cassette de vermeil fleurdelisée pleine de pastilles de menthe, bonbons favoris de M. de Pluncey qui ne voyageait jamais sans eux.

— Quand les enfants ne sont pas sages, fit-il d’un ton très calme, on leur donne un peu de sucre…, je ne connais que ce moyen… ou le fouet ! »

Et il tendit la cassette à Bruno. Celui-ci était livide. Il allait émietter la bonbonnière entre ses doigts quand Renée parut au détour de la roche.

— Monsieur Maldas, dit-elle, je vous défends d’ajouter un mot. »

Bruno recula, chancelant, l’orbite injectée de sang. Le duc se découvrit, jeta son cigare et s’inclina avec un respect profond.

— Mademoiselle, je me cache, j’ai peur, je vous supplie de me protéger ! »

Il avait un sourire si sardonique en affectant la terreur que Mlle Fayor alla à lui.

— Que se passe-t-il donc, monsieur ?

— Mon Dieu, mademoiselle, je suis traqué comme un véritable fauve. Monsieur votre père a la rage de me demander une satisfaction que je ne veux… plus lui donner. Monsieur son secrétaire a la rage de vouloir m’expulser, il s’ensuit que je deviens enragé et me vois réduit à faire tête à la meute ! »

Renée remise à peine de son émotion tendit machinalement la main au duc.

— Sous le toit de mon père, il n’y a que mon père qui commande, mais, ici, je suis chez moi. Veuillez entrer, monsieur.

Elle le conduisit jusqu’à la salle de bain. Nono s’il eût osé aurait hurlé de douleur. Il rejoignit le château à moitié fou, pendant que Largess s’en allait du côté opposé.

Renée s’était mis une écharpe sur la tête ; ses pieds nus éclataient de blancheur dans les petites mules pourpres.

— Je vous fais mes excuses, mademoiselle, reprit le duc, d’abord au sujet de mon altercation sur vos domaines, ensuite, pour tous mes mensonges : je n’ai jamais été traqué, j’ignorais que votre père fût chez moi et… je voulais tout simplement vous voir. »

En achevant sa phrase, il leva les yeux, souriant avec une certaine hardiesse.

— Je vous pardonne, monsieur, répondit Renée en se laissant tomber sur les coussins du canapé. »

Tout à coup, elle fondit en larmes.

— Vous pleurez ? Oh ! mademoiselle ! vous aurais-je tellement offensée ?… Mademoiselle Renée… dois-je me retirer ? Je vous en conjure… que dois-je faire ? »

Il se leva, très inquiet. Ce fut alors qu’il s’aperçut du désordre de la salle. Les linges humides exhalaient encore leur délicieuse odeur de femme, le lilas floconnait toujours sur l’eau de la baignoire.

— Ah ! je comprends !… les dragons sont chargés de veiller sur le trésor et j’arrive moi… profane !

— Je me baigne ici chaque matin, en effet, et mes gens ne laissent approcher personne, mais… je ne vous en veux pas, monsieur, non, je ne vous en veux pas ! »

Rien ne donne de l’ingénuité à une femme comme de la surprendre dans un trouble amoureux. Renée bégayait, devenant irrésistiblement jolie. Par un hasard providentiel, Louise arriva portant sur un grand plateau le déjeuner de Mademoiselle. Le duc, ainsi, put se convaincre qu’on n’était pas en tête à tête lors de son irruption.

Il n’avait pas vu Bruno sortir du temple, et, peu au courant encore des habitudes de la maison, il crut que tout ce qui se passait, sauf les pleurs, était très naturel.

Renée s’essuya les yeux, prit elle-même le plateau et referma sa porte.

M. de Pluncey examinait avec une attention scrupuleuse les émaux du guéridon oriental.

— Je vous quitte, mademoiselle, dit-il sans se retourner pour ne pas la troubler davantage, je suis désolé de vous avoir causé une pareille frayeur. Ma situation vis-à-vis de votre père deviendrait intolérable s’il me voyait ici. Je venais vous demander vos ordres… mais, à présent… je n’ai qu’à me retirer.

Renée se pencha vers lui dans une attitude suppliante.

— Ne partez pas encore, monsieur le duc, j’ai tant de chagrin que votre présence peut seule me consoler. Mon père va s’entêter à vous attendre, et, comme personne ne lui dira où vous êtes… nous aurons le temps de nous expliquer. »

Edmond de Pluncey laissa doucement glisser son pardessus et s’assit tout à l’extrémité du canapé. Renée déboucha un flacon de vin du Rhin et s’en versa dans une coupe. Elle but vite, en souriant malgré ses larmes.

— Écoutez, dit-elle, je suis une fantasque et une folle, mais mon éducation me défendra vis-à-vis de votre sévérité !

» Je n’ai jamais eu de mère auprès de moi, mon père me traite en garçon, comme il peut, sans s’occuper de mes délicatesses de femme, et moi, je vais dans la vie comme je veux sans lui rendre aucun compte. J’ai horreur des gens de province, je les fuis, je les éloigne et je ne m’humanise guère qu’à Paris où je reçois plus d’artistes que d’oisifs. Je n’aime que ce qui me distrait, ce qui fait rire, ce qui est étrange et quand cela émane de personnages que je ne suis pas obligée d’applaudir ou de respecter.

» Si on me fait la cour, je prie mon père de renvoyer l’insolent… tout de suite… je n’attends pas. Lui non plus ! D’instinct, je méprise le mariage parce que je ne trouve aucun homme digne de moi et que — trouverais-je… l’élu — je ne voudrais pas reconnaître un maître quelconque chaque jour, chaque nuit. J’ai vingt-trois ans, mon cœur ne sent rien de particulier quand on prononce le mot amour. Je vous contemplerais en face pendant des heures que mon regard ne se baisserait point et que je ne saurais comment rougir. Or, il y a peine une semaine, vous m’avez presque sauvé la vie. Première raison pour que j’aie conservé de vous un tendre souvenir.

» Vous m’avez intéressée, étonnée, fait plaisir en me parlant ensuite avec un esprit original que j’ai parfois moi-même, mais que je voudrais surtout découvrir au compagnon de… mon originalité (c’est le seul titre marital dont mon orgueil ne s’offense pas). Seconde raison pour que mes pensées s’occupent de vous ; puis vous m’avez rendu mon Mélibar, ce jouet favori de ma grande enfance ; troisième raison pour me souvenir de vous.

» Enfin !… voyez ces fleurs jonchant mon bain ; sans m’avouer pourquoi, j’ai eu des sensations délicieuses en les mêlant, si je puis m’exprimer ainsi, à tout mon être. C’est là une quatrième raison que je n’oserais vous dire, j’en suis sûre, si je la savais… et… quand j’ai entendu votre voix répondant à ce secrétaire, j’ai bondi, prise d’une peur inexplicable… car, je vous attendais, ah !… pas ici… pas comme je vous vois… mais… mentalement. Eh bien, monsieur le duc, c’est trop, beaucoup trop !… Vous me cherchez, je vous reçois…, malgré ma peur… Je ne vous cache pas mes larmes… Comprenez-vous enfin… je crois que je vais vous aimer… L’amour doit ressembler à ce que j’éprouve ! »

Elle parlait ployée sur elle-même, ses petites mains crispées sur son mouchoir. Sa voix, adorablement nuancée, n’avait rien d’hésitant. Elle paraissait dire ce qu’elle se répétait souvent, comme les jeunes amoureuses qui préparent leur aveu afin de ne pas perdre de temps dans une courte entrevue. Cette hardiesse de langage avait une sorte de pudeur car elle baissait le front tout d’un coup au bout d’une phrase, en continuant plus bas. Un frisson la secouait, un frisson vrai, plein d’une fièvre inassouvie.

Elle avait prononcé : ce secrétaire, avec un tel dédain qu’on le devinait bien un comparse pour elle, dans la scène qui l’avait fait bondir.

Les systèmes séducteurs de M. de Pluncey étaient complètement mis en déroute. Il avait compté sur un mois de haute lutte et cette heure lui livrait Mlle Fayor sans qu’il eût besoin de l’étudier.

Cela pouvait être une honnête enfant ou une épouvantable vicieuse, mais comme, en réalité, ce n’était ni l’une ni l’autre, il se prit à son propre piège. Si elle l’aimait, il le regretterait plus tard…

Les deux comédiens se trompèrent mutuellement.

Il lui saisit les deux mains en s’agenouillant comme Nono dans la soie bleue, comme Nono il murmura :

— Vous me tuez ! »

Parce que les mots excessifs, pendant l’amour, dégagent la poitrine, même quand on ne les pense pas.

Elle se cacha la figure dans un coussin.

— Je suis folle ! quelle honte !…

— Ah ! je vous aime éperdument, Renée, c’est un amour venu comme la foudre. Nous ne pouvons nous y soustraire, le cœur n’est pas long à être pris lorsque le charme est irrésistible. Vous êtes si belle qu’on vous aime dès qu’on vous voit. Chère, chère enfant ! et vous pleurez ?… Mais sentez donc !… ma passion veut sécher vos larmes. »

Il la pressait très fort contre lui pour se persuader de son bonheur inespéré et il eut un tressaillement terrible car il se souvenait de la tache noire le provoquant dans son nid de chairs laiteuses.

Renée se défendit avec un spasme.

— Laissez-moi, je vous hais ! » cria-t-elle conservant une lueur de raison ; puis, elle tomba au milieu des coussins, les lèvres ouvertes, le regard perdu.

Le duc conservait des raffinements d’homme froid.

— J’ai soif de toi ! » fit-il, mettant tous ses désirs dans ce cri.

Nono avait bu l’eau du bain, lui !

Mlle Fayor essaya de se soulever. Une lâche faiblesse la recoucha sous les baisers qu’elle avait voulu éviter.

Il lui sembla, tant elle aimait l’autre que ce ne pouvait être que l’autre qui la prendrait. Elle voulut appeler Bruno, sa voix fut étouffée dans l’étreinte de son nouvel amant… car le duc n’attendit pas qu’une ombre vint obscurcir leurs joies…

— Je ne comprends rien à cette femme ! » se dit de Pluncey en remontant en calèche, après avoir tiré Largess de ses rêveries sur l’herbe.

Il alluma un second cigare, vérifia le contenu de sa bonbonnière et suivit le vol de tous les oiseaux qui s’enfuirent des buissons. — Une divine maîtresse ! » ajouta-t-il.

— Me voilà désennuyé pour longtemps, mais je veux l’étudier, je crois qu’elle le mérite. »

Il regarda sa montre. Il était trois heures.

Il réfléchit que son rôle était vraiment odieux. Le père l’attendait toujours aux Combasses, rageant, sacrant, se rongeant… ; lui, il se réfugiait dans le lit de la fille. Étrange destinée du viveur qui est obligé de devenir aussi misérable que le plus misérable des fourbes, alors même qu’il est un très galant homme !