Nouvelles diverses/19 juillet 1896

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NOUVELLES DIVERSES


ÉTRANGER

De notre correspondant de Belgique (16 juillet) — La période des concours annuels du Conservatoire de Bruxelles vient de se terminer. L’ensemble des résultats a été excellent, démontrant les qualités remarquables d’un enseignement auquel la direction de M. Gevaert ne cesse de donner une impulsion progressive. Alors même que, dans certaines classes et à certains moments, les éléments exceptionnellement doués viennent à manquer, la « tenue » générale est toujours élevée ; on n’y vise pas à faire uniquement des virtuoses, mais à former surtout des musiciens. À cet égard, les classes d’instruments ont été cette année très productives, dans une moyenne solide et sérieuse, dont profiteront nos orchestres, de plus en plus exigeants et absorbants. Une seule nature d’artiste, tenant un peu du classique « prodige », est à signaler, dans la classe de violoncelle de M. Éd. Jacobs : c’est Mlle Ruegger, une gamine encore, qui a décroché un premier prix avec la plus grande distinction et qui possède tout ce qu’il faut pour faire le bonheur des publics de concerts. Dans les classes de violon, pépinières habituelles de Paganinis, rien de très en dehors ne s’est révélé, bien que les premiers prix aient été nombreux : de bons exécutants faisant honneur à leurs professeurs MM. Ysaye, Cornélis et Colyns. Parmi les pianistes, une petite « prodige », remarquée déjà l’an dernier, Mlle Laenen, a continué à étonner ses juges non moins par son assurance que par sa facilité à transposer instantanément les fugues de Bch dans tous les tons imaginables ; un élève de M. de Greef, M. Lenaerts, a brillé par des mérites rares, qui lui assurent très probablement une belle carrière ; le reste est simplement honorable. Quant aux chanteurs et aux chanteuses, ils ont paru assez faibles ; on a couronné dans la classe de Mlle Warnots d’agréables vocalistes, et dans celle de Mme Cornelis, Mlle Collet, douée d’une voix charmante. Enfin, cette année, les classes de déclamation ont fait un peu parler d’elles. Dans le tas de sujets très faibles, une tragédienne réelement douée, Mlle Denys, s’est révélée. Sera-ce une future Dudlay, ou davantage même ? Souhaitons-le. On a remarqué aussi une comédienne, extrêmement fine et délurée, qui répond au nom familier de Polyte. Cette demoiselle Polyte avait déjà paru sur les planches, au théâtre Molière ; elle y retournera certainement et y fera

carrière. Retenez, à Paris, ces deux noms-là.
L. S.

— De l’Éventail, de Bruxelles : « La Belgique ne participera pas à l’exposition du théâtre et de la musique qui s’ouvrira à Paris à la fin du mois. Le nombre des adhésions n’était pas suffisant. Il est vrai qu’on s’y est pris un peu tard. Le comité belge dont nous avions annoncé la formation a été dissous. »

— Un journal de Bruxelles annonce que M. Paul Gilson a été chargé par le gouvernement belge de composer une cantate pour l’ouverture de l’Exposition internationale de 1897. Elle sera exécutée, le jour de l’ouverture, par toutes les musiques militaires de la garnison, plus de 500 chanteurs, formant un ensemble de 1.200 exécutants.

— L’empereur Guillaume ii a dédié à l’impératrice de Russie une Mache du couronnement, de sa propre facture. On ne sait pas encore si cette nouvelle composition sera livrée à la publicité, comme le fameux Hymne à Aegir. Nos lecteurs se rappellent que Guillaume ii a composé pour l’empereur Nicolas ii un tableau allégorique représentant les dangers de la race jaune pour la civilisation européenne. La cour de Russie aura donc l’occasion d’admirer tous les talents du dilettante couronné.

— Le musée Richard Wagner, à Eisenach, est déjà complètement installé dans l’ancienne villa du poète Fritz Reuter, qui appartient à la ville d’Eisenach. La bibliothèque, à elle seule, remplit le premier étage ; au rez-de-chaussée on trouve les autres objets de la grande collection réunie par M. Œsterlein, de Vienne. Le musée Richard Wagner sera bientôt ouvert au public, et les nombreux pèlerins de Bayreuth pourront facilement le visiter, car la distance entre les deux villes n’est pas bien importante, et la Wartburg, à elle seule, vaut bien un petit détour.

— L’exposition du centenaire de Franz Schubert à Vienne promet d’être fort brillante. Jusqu’à présent, le comité s’est assuré l’exposition d’environ six cents objets différents qui se rattachent au maître du lied et parmi lesquels se trouvent plusieurs œuvres d’art de premier ordre. Les mélodies de Schubert, qui ont popularisé beaucoup de poésies qui seraient oubliées à l’heure qu’il est sans le concours de la musique, ont inspiré un grand nombre de peintres, et dans les musées de Munich et de Berlin se trouve maint tableau qui se rattache ainsi au compositeur viennois. Le comité va s’adresser au prince-régent de Bavière et à Guillaume ii pour obtenir l’exposition de ces peintures à Vienne, et le ministère des affaires étrangères d’Autriche-Hongrie a promis d’appuyer cette demande.

— Un correspondant allemand de la Perseveranza, de Milan, lui donne des nouvelles assez peu satisfaisantes de deux opéras dont nous avons annoncé la récente apparition. À propos d’Ingo, de M. Philippe Rüfer, donné à l’Opéra de Berlin, il écrit : « Le sujet est tiré d’une vieille légende allemande ; la musique est savante, bien faite, mais d’aucun effet. Rüfer est un musicien instruit, qui connaît bien la fugue, la sonate, la symphonie, l’instrumentation et les voix. Mais, diable ! toutes ces connaissances ne suffisent pas pour créer un chef-d’œuvre. Il manque la fameuse étincelle. Sans elle, l’œuvre d’art demeure une chose inachevée, qui peut inspirer l’estime, le respect, mais jamais ni sympathie, ni enthousiasme. Aussi peut-on dire de cet Ingo : il naquit et il mourut ! » Voilà pour le compositeur belge ; passons au compositeur italien, dont le même correspondant parle ainsi : « Crescenzio Buongiorno s’est présenté au théâtre de Leipzig avec son opéra Festa del carro, travail du genre de ceux qui pullulent aujourd’hui en Italie dans le camp des véristes (les véristes sont les naturalistes de nos voisins) : scènes de jalousie avec brigands, coups de poignard, coups de couteau, batailles et ainsi de suite ; musique d’effet et appropriée au sujet, mais d’une trivialité qui rappelle la musique de cirque. Au résumé, talet, mais défaut absolu de doctrine. Voilà donc deux extrêmes qui se touchent, et ni l’un ni l’autre n’a l’ombre de vitalité. »

— L’Opéra royal de Berlin vient de jouer avec beaucoup de succès un nouveau ballet intitulé la Rose de Chiraz, livret de M. E. Graeb, musique de M. R. Eilenberg.

— Le ministère des cultes et des beaux-arts, à Berlin, a accordé quelques bourses aux élèves, hommes et femmes, du Conservatoire de cette ville, pour qu’ils puissent assister aux représentations de Bayreuth. Le gouverneur d’Alsace-Lorraine a également accordé cinq bourses de 250 francs chacune pour faciliter à cinq musiciens du pays le pèlerinage de Bayreuth.

— Une aventure assez étrange est arrivée récemment à Berlin. On sait que depuis l’inauguration de la Triplice, un échange de bons procédés artistiques a lieu volontiers entre l’Allemagne et l’Italie. La première envoie peu des siens dans la seconde, mais celle-ci saisit toutes les occasions de se produire dans celles-là. Or, récemment, une bande musicale italienne en uniformes des bersagliers, dirigée par un chef nommé Manni, se faisait entendre au parc de l’Exposition de Berlin, dans un établissement qui porte le nom de Weltmusik. Pour une raison que nous ignorons, le chef Manni avait été congédié tandis que ses musiciens continuaient leurs auditions. Il arriva donc un soir que ledit Manni, flanqué d’un huissier, se présenta pour faire séquestrer les instruments et même les uniformes, déclarant qu’ils étaient la propriété d’un certain Noekel, qui l’accompagnait — pas au piano. Devant cet exploit, les bersagliers se précipitèrent comme un seul homme sur leur ancien chef dans une intention qui paraissait beaucoup plus hostile que vraiment affectueuse, le public prît parti pour lesdits bersagliers, et il en résultat une épouvantable mêlée. En présence de ce spectacle, l’huissier prit rapidement la poudre d’escampette, on appela les gendarmes, qui se trouvèrent impuissants à agir, et enfin la direction de l’établissement protesta avec vigueur contre le séquestre réclamé.

— Elle est bien informée la Gazette de Francfort ! Voici qu’elle annonce que M. Massenet est à présent à Constantinople, et qu’il y travaille à un opéra dont la reine de Roumanie a écrit le livret ! Non, bonne gazette, M. Massenet n’est pas à Constantinople. Il est beaucoup plus près que cela. Et la partition qu’il compose n’est autre que la Sapho tirée du roman de Daudet par MM. Henri Cain et Arthud Bernède.

M. Joseph Bayer vient de terminer la partition d’un nouveau ballet, intitulé la Fiancée coréenne, qui est destiné à l’Opéra impérial de Vienne.

— Johann Strauss ne chôme toujours pas. On nous écrit de Vienne que le maître travaille actuellement, dans sa villa d’Ischl, à une nouvelle opérette dont le titre n’est pas encore fixé. MM. Willner et Buchbinder lui en ont fourni le livret. Johann Strauss espère pouvoir diriger la première en octobre 1897.

— La ville de Weimar, qui abrite déjà les archives de Schiller et de Gœthe, dans un splendide hôtel construit à cet effet et récemment inauguré avec beaucoup d’éclat, ainsi que le musée Franz Liszt, va donner l’hospitalité aux archives du malheureux philosophe Nietzsche, qui a exercé tant d’influence sur les adeptes de Schopenhauer et de Richard Wagner. Les archives de Nietzsche sont actuellement entre les mains de sa sœur, Mme Foerster, qui s’est fixée à Weimar avec le docteur Kœgel, auquel elle a confié la publication des œuvres inédites de son frère.

— De notre correspondant de Genève : La dernière représentation de Werther nous a offert un début à sensation, celui de Mlle Cécile Ketten dans le rôle de Charlotte. Le tout Genève des premières s’est retrouvé au théâtre, malgré les villégiatures commencées. Mais le grand et décisif succès de la jeune artiste ne doit rien aux sympathies personnelles. Nous avons eu une Charlotte irréprochable comme voix, comme science de chant et comme jeu.

E. D.

— Au premier essai (saggio) de fin d’année du Conservatoire de Milan, on a entendu deux compositions de deux jeunes élèves de la classe du professeur Ferroni, MM. Aristide Colombo et Giuseppe Ramella. Pour le premier, c’était une ouverture qui indique de bonnes études, mais qui, paraît-il, est assez pauvre d’idées. Le second a produit une Paraphrase du psaume 117, dont on loue la clarté, l’expansion de l’idée mélodique et la forme générale, bien que la sonorité orchestrale soit parfois excessive. La dernière partie, avec l’ensemble des chœurs et de l’orchestre, a paru très heureuse.

— Petite citation du Trovatore de Milan, dédiée à ceux qui s’en vont sans cesse dénigrant le Conservatoire de Paris : « À l’Opéra de Paris vient de débuter, dans Sigurd, un nouveau ténor du nom de Gautier, élève du Conservatoire, et les journaux en disent du bien. Prière de nous dire quels sont les artistes qui sortent de nos si nombreux conservatoires et qui pourraient affronter la scène de quelqu’un de nos grands théâtres ? »

— Sous le titre de Società del Liuto il vient de se fonder à Florence un nouveau cercle artistique. S’agit-il d’une tentative de résurrection du luth, l’instrument si cher à nos pères — et à nos mères, — et dont la vogue égalait il y a deux et trois cents ans celle du théorbe et de la mandore, disparus comme lui ? Toujours est-il que le nouveau cercle doit être inauguré prochainement par un grand concert auquel prendront part M. Mascagni, Mme Gemma Bellincioni et M. Roberto Stagno. M. Mascagni a même promis d’écrire, pour cette fête inaugurale, une composition qui aura pour titre l’Apothéose du luth.

— À Bologne, dans une soirée brillante donnée par M. le commandeur Carlo Lozzi, procureur général du roi, on a représenté avec succès un opéra en un acte, Malata, dont le poème était dû à un avocat, M. Giovannini, et la musique au fils même du magistrat, le docteur Antonio Lozzi. Le piano était tenu par le compositeur en personne, le principal rôle féminin avait pour interprète l’épouse de l’auteur, Mme Giovannini-Zacchi, et les personnages masculins étaient représentés par le ténor Rossi et le baryton Buti. On a demandé le bis de l’ouvrage entier.

— Nous avons dit déjà qu’un des ministres actuels du cabinet italien, M. Gianturco, était un compositeur amateur pratiquant. Dans une soirée récemment donnée par Mme Teresina Tua, comtesse Valetta, ancien premier prix du Conservatoire de Paris, cette excellente violoniste a exécuté une sonate pour piano et violon de M. Gianturco, qui lui-même tenait avec habileté la partie de piano. Une jeune cantatrice, Mlle Maria Vittoria Calzolaio, a chanté avec beaucoup de grâce plusieurs airs anciens, accompagnée par le mari de Mme Tua, le comte Ippolito Valetta, qui est un critique musical distingué.

— La musique n’adoucit pas toujours les mœurs. Il y a un an ou deux, un certain Augusto Cremonini, marchand de musique et de pianos à Livourne, avait accompli une tentative de meurtre sur son associé, M. Vincenzo Ferrigni, avec lequel on peut croire qu’il n’était pas en accord parfait. Maintenant, ses affaires se trouvant en assez piteux état, le même individu vient, sans y réussir, de tenter de se suicider en s’ouvrant les veines des bras.

— Comme on l’avait prévu, la direction du Théâtre Royal de Madrid vient d’être confiée à M. Zozaya, celui-là même qui, l’an dernier, à la mort de M. Rodrigo, le directeur d’alors, avait pris les rênes de l’administration et terminé la saison à la satisfaction générale.

PARIS ET DÉPARTEMENTS

La commission supérieure des théâtres s’est réunie à l’Opéra, cette semaine, pour examiner la situation, au double point de vue de la sécurité du public et du personnel. L’intention de la commission serait, dit-on, d’exiger la stricte exécution des prescriptions édictées en 1888 par ordonnance préfectorale, et auxquelles on s’était dérobé jusqu’à ce jour, et les commissaires, qui étaient au nombre de vingt-cinq à trente environ, c’est-à-dire presqu’au complet, se sont livrés pendant plus de deux heures à un examen approfondi du théâtre, visitant la scène, les dépendances, les dessous, les dessus, la coupole, etc., guidé par M. Gailhard, qui les a obligeamment accompagnés partout. M. Lépine, préfet de police, président de la commission supérieure, et le colonel des sapeurs-pompiers assistaient aussi à la visite. La commission se réunira prochainement à la préfecture pour arrêter les termes de son rapport et formuler ses desiderata ; nous pouvons, d’ores et déjà, affirmer ses intentions de prescrire les améliorations suivantes et d’exiger : 1o une canalisation d’eau permettant d’inonder, en cas d’incendie, toute la scène. La Ville a amené la pression d’eau au bas de l’Opéra, il ne reste plus qu’à la distribuer. Mais on se heurte ici à une grosse difficulté : la scène est encombrée de décors. Si toutes ces toiles étaient inondées d’un seul coup, le poids énorme qui résulterait de cette imbibition — il ne serait pas moindre de cinq à six millions de kilos — ébranlerait les murs de l’édifice et ferait peut-être écrouler la coupole. On aurait l’intention de trancher la question en ne permettant e séjour sur la scène que des décors de quatre opéras ; 2o l’établissement d’un rideau de fer destiné à séparer la scène des spectateurs en cas d’incendie et à prévenir ainsi l’asphyxie par l’oxyde de carbone, ce qui s’est produit lors de l’incendie de l’Opéra-Comique ; le rideau actuel est en fer maillé, tandis que l’ordonnance exige un rideau en fer plein ; 3o une installation électrique nouvelle. Présentement, l’Opéra produit lui-même, dans les sous-sols du monument, l’électricité dont il a besoin, et il approvisionne même le Cercle militaire. Il s’ensuit que l’Opéra est soumis à une constante trépidation que l’on considère comme de nature à préjudicier au monument, notamment au grand escalier, que ces vibrations incessantes ébranlent. On désirerait donc voir disparaître l’installation présente ; 4o le déblayement des dessous. Actuellement, les dessous de l’Opéra sont encombrés par les parquets que l’on établit pour le bals. En cas d’incendie, cet amas considérable de bois très sec fournirait aux flammes un aliment qui développerait le sinistre dans de grandes proportions ; 5o une installation nouvelle du lustre. L’installation actuelle est la même que pour l’éclairage au gaz ; le lustre est mobile. Il pèse 8, 000 kilos et est supporté par six contrepoids de 1.200 kilos chacun, masse énorme qui est suspendue sur la tête des spectateurs. La commission supérieure des théâtres demandera que le lustre soit fixé au plafond, installation qui existe dans la plupart des théâtres. Enfin, la commission se serait aussi préoccupée des difficultés d’entrée et de sortie de l’amphithéâtre, dont la circulation, en cas de panique, offrirait un certain danger ; elle voudrait des portes plus larges et plus commodes. M. Eugène Deschapelles, chef du bureau des théâtres au ministère des beaux-arts, qui assistait à cette visite, a affirmé l’intention de l’administration de consacrer aux améliorations demandées les fonds de réparations disponibles, quitte à demander, en supplément, les crédits nécessaires pour compléter, s’il y avait lieu.

— En cette fin de saison M. Carvalho est, comme d’habitude, la proie des auditions d’opéras. Il a entendu l’Hôte, de MM. Michel Carré et Edmon Missa, un petit drame très saisissant, puis la Photis de MM. Louis Gallet et Édouard Audran. Il va entendre la Dalila de M. Paladilhe, les Pêcheurs de Saint-Jean de M. Widor (livret d’Henri Cain), Caprice de roi, de M. Paul Puget (livret de M. Armand Dartois), les Guelfes de Godard, le Spahi de M. Lucien Lambert, et bien d’autres encore. Que sortira-t-il de tout cela ? Voyez et choisissez, mon directeur.

— En attendant, M. Carvalho porte surtout son attention, avec la reprise de Don Juan, sur la Cendrillon de M. Massenet, dont la distribution est presque arrêtée. Il semble qu’on pense aussi à réorganiser et à régénérer le petit corps de ballet de la maison. Du moins l’engagement de Mlle Jeanne Lamothe, étoile chorégraphique du théâtre de la Gaité, semble l’indiquer.

— Il convient de signaler le très grand succès de Mlle Grandjean à l’Opéra dans le rôle d’Elsa de Lohengrin. Le public a fêté la jeune artiste d’un bout à l’autre de la représentation. Cela a été une soirée des plus intéressantes.

— De M. Jules Huret, du Figaro : « Le fils d’un sportsman très connu a obtenu, il y a quelques jours, une audition des directeurs de l’Opéra. Il s’est fait entendre dans le grand air de la Juive et y a révélé des qualités vocales extraordinaires. M. Gailhard se montrait enthousiaste de la force et de l’étendue inouïe de cette voix. Malheureusement, le futur ténor ne sait rien de son art. On va le faire entrer au Conservatoire pour commencer ses études de solfège, et comme il a vingt quatre ans il lui faudra une dispense qu’on obtiendra sûrement, en raison des dispositions tout à fait miraculeuses du sujet. Il paraît en effet que la voix de ce « merle blanc » va du contre-la d’en bas au d’en haut ! La voix de Fauro augmentée de celle de Duc ! On espère qu’après deux ans d’études au Conservatoire, ce gosier sans précédent pourra faire à l’Opéra des débuts qui seront à coup sûr sensationnels. »

— Les concours à huis clos prenaient fin samedi dernier, au Conservatoire, par la séance consacrée à l’accompagnement au piano. Les récompenses ont été cette année peu nombreuses, une seule pour chaque sexe. Pour les hommes, un second prix a été décerné à M. Jumel ; pour les femmes, un second accessit à Mlle Louise Lhote.

Rappelons que c’est demain lundi que commence la série des concours publics, et que la semaine est ainsi occuée : lundi, à 9 heures : contrebasse, alto, violoncelle ; mardi, à 1 heure : chant (hommes) ; mercredi, à 1 heure : chant (femmes) ; jeudi, à 10 heures : harpe, piano (hommes) ; vendredi, à 9 heures : tragédie, comédie ; samedi, à 1 heure : opéra-comique.

M. Saint-Saëns est en ce moment à Saint-Germain, où il travaille à son nouveau ballet, les Filles d’Arles (livret de M. J. Croze), dont la première représentation sera donnée au théâtre de la Monnaie de Bruxelles.

— On est vif et précipité dans le Midi. Mais c’est égal, profiter de ce qu’on est de Toulouse pour annoncer tant d’années à l’avance la mort d’un artiste comme Francis Planté, c’est aller un peu vite en besogne. Ainsi avait fait cependant notre ami Salvayre dans le Gil Blas de cette semaine, portant la tristesse dans le cœur de tous les amis du célèbre virtuose, tristesse d’autant plus noire que l’étonnant critique n’enterrait pas précisément sous des fleurs le soi-disant défunt. Heureusement Planté est toujours là, solide au poste et bien portant, et il demeure, n’en déplaire à {{Salvayre}}, le plus surprenant virtuose du piano que nous puissions opposer, en France, aux Rubinstein et aux Liszt. Ceux-ci le savaient bien et étaient les premiers à reconnaître que leur émule Planté avait des qualités qu’eux mêmes ne possédaient pas : cette clarté, cette pure correction, ce charme et cette élégance qu’on ne trouve que chez nous. Est-ce donc si peu de chose qu’on puisse en parler avec tant de désinvolture ?

— Puisque nous parlons de Planté et de Rubinstein, rappelons le joli propos que nous tint ce dernier, quand nous lui demandâmes pourquoi il ne mettait plus sur ses programmes sa fameuse Valse-caprice : « La Valse-caprice ? ma foi non ! Je n’ose plus l’aborder après ce magicien de Planté. J’ai l’air d’un éléphant qui veut jouer avec des fleurs. J’écras où Planté voltige ».

M. O. Lartigue, secrétaire général de l’Exposition du théâtre et de la musique, nous pris de rappeler aux nombreux collectionneurs qui ont bien voulu promettre de faire figurer des objets de leurs collections dans les sections artistiques, documentaire et rétrospective, placée sous la direction de M. Yveling RamBaud, que le moment est venu de faire parvenir ces objets à notre confrère, au palais de l’Industrie, porte 4, ou d’indiquer le jour et l’heure où il pourra les faire prendre chez eux. L’ouverture de l’Exposition du théâtre et de la musique est toujours fixée au 25 juillet irrévocablement. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet, et nous rendrons compte de cette intéressante manifestation artistique.

— Hier samedi, à l’Exposition de Roue, festival Saint-Saëns, avec le concours de Mme Chrétien-Vaguet, de M. Vaguet et de M. Notté de l’Opéra, de Mlle Jenny Passama et de M. Louis Diémer. Programme. — 1re partie : la Lyre et la Harpe, ode symphonique, poésie de Victor Hugo. 2e partie : le Rouet d’Omphale. — 4e concerto pour piano. — Danse macabre. — duo de Samson et Dalila, — finale du ballet d’Étienne Marcel. — L’orchestre et les chœurs, comprenant cent cinquante exécutants, sous la direction de M. N. Brument.

— Lundi dernier a eu lieu l’ouverture du Casino-club de Cauterets, et le maestro Danbé, comme il fallait s’y attendre, a été, la soirée entière, l’objet d’acclamations enthousiastes. On a fait recommencer à l’excellent orchestre la Parade militaire de Massenet, et si l’on n’avait pas craint d’allonger démesurément le programme on en aurait fait autant pour les Airs de danse du Roi s’amuse de Delibes, et pour le Caprice de Saint-Saëns, très bien joué par M. Italiander. Beau succès aussi pour Mlle Brussac et M. Claverie dans le duo de Sigurd de Reyer, pour M. Claverie dans l’air d’Hérodiade de Massenet, et pour M. Bogny dans Pensée d’automne de Massenet. Très belle soirée, qui laisse deviner combien sera brillante la saison de Cauterets.

— Un concours aura lieu le lundi 27 juillet prochain, à deux heures du soir, à la basilique de Saint-Denis, pour une place d’organiste-maître de chapelle et pour deux places de chantres. S’adresser, pour tous renseignements et inscriptions, chez M. Clovis Floquet, trésorier, 110, rue de Paris, à Saint-Denis.

Mlle Hortense Parent vient de publier, chez l’éditeur Thauvin, le texte des deux conférences fort intéressantes qu’elle a faites à la Sorbonne, avec le succès que l’on sait, sur l’enseignement du piano. Elle a dédié son opuscule à M. Gréard, membre de l’Académie française.

— Chez Mme Audousset, à Neuilly, très brillante matinée musicale. Les élèves ont toutes très bien joué. Citons parmi les morceaux les plus applaudis la Sicilienne de Lack, les airs de ballet de Sylvia de Léo Delibes, etc. Réunion très intéressante.

NÉCROLOGIE

Les lettres ont fait cette semaine une perte sensible. Le dernier survivant des frères de Goncourt, Edmnid, est mort mercredi dernier, subitement à Champrosay, chez M. Alphonse Daudet, où il allait chaque année passer quelques semaines. Il était âgé de 74. Nous ne saurions décrire ici la carrière littéraire, à la fois très curieuse, très intéressante et très inégale de cet écrivain qui avait du moins le respect et le souci le plus absolu de la profession littéraire. Nous nous bornerons à rappeler qu’il s’occupa quelque peu de théâtre et qu’il fit représenter plusieurs pièces dont voici les titres : Henriette Maréchal (Comédie-Française) ; Germinie Lacerteux (Odéon) ; Manette Salomon (Vaudeville) ; À bas le progrès et la Patrie est en danger (Théâtre-Libre). À l’aurore de leur carrière, les deux frères de Goncourt avaient publié, en société avec leur ami le comte de Villedeuil (qui signait : Cornélius Hoff), un volume intitulé les Mystères des théâtres, qui était une revue critique de la production théâtrale en 1852.

— C’est avec une véritable tristesse que nous annonçons la mort presque subite d’un des deux frères Lionnet, Anatole, enlevé jeudi dernier par une angine. La génération présente n’a pas connu ces deux aimables jumeaux, d’une ressemblance si prodigieuse, qui firent pendant un quart de siècle la joie des grands salons parisiens, mais qui, depuis déjà plus de dix ans, s’étaient réduits au silence. Petits de taille, de tournure élégante, les yeux et les cheveux noirs, doués chacun d’une voix un peu faible, mais caressante et bien conduite, ils chantaient avec un goût véritable des romances que bien des musiciens écrivaient pour eux, et aussi des duos dans lesquels leurs voix se mariaient de la façon la plus harmonieuse et la plus charmante. Il fut un temps où il ne se donnait pas un concert, pas une soirée un peu distinguée sans que « les Lionnet » soient de la partie. Inséparables d’ailleurs, on ne voyait jamais Anatole sans Hyppolyte ou Hyppolyte sans Anatole. Et ils n’étaient pas seulement des artistes aimables et distingués ; ils étaient des gens de cœur qui, au temps de leurs grands succès, mettaient à profit leur gentille renommée pour saisir toutes les occasions d’être utiles à autrui. Non seulement ils ne refusaient jamais leur concours à qui en avait besoin, mais ils venaient spontanément en aide à toutes les infortunes artistiques, et l’on se rappelle la peine qu’ils prirent pour organiser de superbes représentations au bénéfice de Frédérik Lemaître, de Rouvière, de Renard, et de bien d’autres. C’est eux aussi qui, régulièrement, chaque année, organisaient à Bicêtre et à la Salpétrière une petite fête musicale touchante qui faisait la joie des pauvres fous et des pauvres folles et qui leur procurait deux heures d’oubli et d’une sorte d’extase délicieuse. Justement, il y a quelques jours à peine, au concert qu’ils avaient monté à la Salpétrière, Anatole était obligé d’expliquer l’absence de son frère, qui était malade… et c’est lui qui est parti pour ne plus revenir ! et c’est lui qu’on a conduit hier à sa dernière demeure ! Tous ceux qui ont connu les deux frères donneront un souvenir à celui qui n’est plus sans avoir l’espoir de consoler celui qui reste.

A. P.

— On annonce de Milan la mort de M. Raffaele Parravicini qui fut, pendant plusieurs années, critique théâtral du journal il Sécolo. Lettré distingué, bon musicien et s’occupant aussi de peinture, il était auteur de plusieurs livrets d’opéras, et il avait composé la musique d’un certain nombre de romances ainsi que celle de quelques opérettes, entre autre une opérette en dialecte milanais, i Disgrazzii del sur Sprella, qui avait obtenu un succès mérité.


Henri Heugel, directeur-gérant.