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de manifester cette intelligence quand le caporal, le sergent, toute la hiérarchie de ceux qui commandent ont prononcé « Silence dans les rangs ! » Telle est la formule par excellence, et ce silence doit-être en même temps celui de la pensée. Quel est l’officier, sorti de l’école ou sorti des rangs, noble ou roturier, qui pourrait tolérer un instant que dans toutes ces caboches alignées devant lui pût germer une pensée différente de la sienne ? C’est dans sa tête, dans sa volonté que réside la force collective de toute la masse animée qui parade et défile à son geste, au doigt et à l’œil. Il commande ; à eux d’obéir. « En joue ! Feu ! » et il faut tirer sur le Tonkinois ou sur le Nègre, sur le Bédouin de l’Atlas ou sur celui de Paris, sur l’ennemi et sur l’ami ! « Silence dans les rangs ! » Et si chaque année, les nouveaux contingents que l’armée dévore, s’immobilisent comme le veut le principe absolu de la discipline, n’est-ce pas une espérance vaine que d’attendre une réforme, une amélioration quelconque dans le régime inique sous lequel le pauvre est écrasé ?

Et de toutes les autres institutions dites libérales, ou « protectrices » ou « tutélaires », n’en est-il pas comme de la magistrature et de l’armée ? Ne sont-elles pas fatalement, de par leur fonctionnement même, autoritaires, abusives, malfaisantes ? Elles n’attendent pas d’être fondées officiellement ou d’être établies par la volonté d’un prince ou par le vote d’un peuple, pour essayer de s’agrandir aux dépens de la société, et d’établir le monopole à leur profit. Ainsi l’esprit de corps entre gens qui sortent d’une même école fait d’avance de tous les camarades autant de conspirateurs contre le bien public, autant d’hommes de proie ligués pour dé-