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DU TEMPLE DE DELPHES.

cession d’instants, ni défaillances ; qui ne renferme ni temps antérieur ou temps postérieur, ni futur, ni passé, ni vieillesse, ni jeunesse. Existant seul, Dieu remplit l’éternité d’un « maintenant » qui ne cesse jamais. L’être qui réside en lui est le seul qui existe réellement, puisqu’il n’a point été et qu’il ne sera point, puisqu’il n’a pas eu de commencement et qu’il n’aura pas de fin.

« Voilà dans quel esprit ceux qui l’honorent doivent le saluer et le nommer : à moins, par Jupiter, que nous n’adoptions cette formule de quelques Anciens : « Tu es un ». En effet, la Divinité ne saurait être multiple. Elle n’est pas, comme chacun de nous, un composé de mille éléments sujets à diverses affections ; ce n’est pas le produit d’une agglomération confuse et populeuse. Il faut que ce qui est par essence soit un, comme il faut que ce qui est un soit. La supposition d’un second être impliquerait différence avec celui qui est, et aboutirait à la naissance d’un être qui n’existerait pas. Aussi le premier des noms donnés à ce Dieu est-il parfaitement juste, aussi bien que le deuxième nom, aussi bien que le troisième : celui d’Apollon, parce qu’il exclut la multiplicité et indique qu’il n’y en a pas plusieurs ; celui d’Iéius, parce qu’il veut dire unique et seul ; enfin celui de Phébus[1], attendu que c’est celui par lequel les Anciens exprimaient tout ce qui est saint et pur. Aujourd’hui encore, chez les Thessaliens, pour faire comprendre que les prêtres, dans les jours néfastes, vivent en s’isolant et hors du temple, on dit qu’ils phébonomisent[2]. Ce qui est un, est sans mélange et pur ; car le mélange d’une substance avec une autre constitue une altération. C’est ainsi qu’Homère a dit, « que l’ivoire est souillé[3] », quand on le colore en pourpre. Les teinturiers disent des couleurs combinées ensemble, qu’elles se corrompent, et ils appellent corruption tout mélange de teinte. Le privilége d’une substance incorruptible et pure est donc, qu’elle soit une et sans mélange.

21. « Pour ceux qui pensent qu’Apollon et le soleil ne sont

  1. Amyot ajoute : « c’est-à-dire pur et net ».
  2. Amyot ajoute : « c’est-à-dire, qu’ils se purifient ».
  3. Iliade, IV, 141.