Page:Œuvres de Spinoza, trad. Appuhn, tome I.djvu/558

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Saisset, dans sa traduction, rendait ce passage comme il suit : « Cela, dis-je, est nécessaire à notre sujet, car nos pensées n’ont hors d’elles-mêmes aucun fondement sur lequel elles aient à s’appuyer. » (Je souligne les mots ajoutés par le traducteur ou traduits avec une liberté que je juge excessive.) L’intention est excellente ; il est certain que c’est dans la pensée et non hors d’elle qu’on doit chercher le fondement de la connaissance selon Spinoza, mais est-ce bien ce qu’il a voulu dire en ce passage ? Oui, en un sens, car ce principe est constamment présent à son esprit ; il inspire tout son Traité de la Réforme de l’Entendement et la règle même qu’il vient de rappeler en est évidemment une application assez immédiate, mais je ne crois pas que Spinoza ait voulu le formuler ici et le texte ne me semble pas justifier la traduction qu’en donne Saisset ; outre que le sens de la phrase suivante devient, si on l’accepte, très obscur.

Léopold, dont l’opuscule Ad Spinozae Opera Posthuma m’a fourni plusieurs indications précieuses, se fonde sur la traduction hollandaise de Glazemaker (parue peu de temps après les Opera Posthuma et faite, semble-t-il, d’après le manuscrit même de Spinoza) pour lire : nam ex nullo alio fundamento cogitationes nostrae terminari queunt ; le texte hollandais est en effet : want onze denkingen konnen uit geen andre grondvest bepaalt wordeu. La traduction française serait donc : car par aucun autre principe nos pensées ne peuvent être déterminées (ou délimitées). C’est la même interprétation que donne Auerbach dans sa traduction allemande généralement exacte : « denn von keiner (andern) Grundlage können unsere Gedanken bestimmt werden. » Je ne sais, Auerbach ne le disant pas, s’il a eu recours à la traduction hollandaise ou si la seule étude du texte latin lui a fait juger nécessaire l’addition du mot andern.

Ni Auerbach ni Léopold ne me paraissent tenir compte autant qu’il l’aurait fallu de ce qui suit, et c’est pourquoi en dépit de l’autorité que je reconnais à la traduction de Glazuneker. je ne crois pas devoir accepter la correction alio.

Que signifie en effet cette suite de phrases ; cela, dis-je, est requis pour notre objet ; car par aucun autre principe nos pensées ne peuvent être délimitées (ou déterminées). Si donc (igitur) nous voulons porter notre enquête sur la chose la première de toutes, il est nécessaire qu’il y ait quelque principe (aliquod fundamentum) qui dirige nos pensées de ce côté.

Le mot fundamentum dans la première phrase ne peut désigner que le principe posé au paragraphe 38, et que Spinoza vient rappeler. Comment peut-il dire aussitôt après : il est nécessaire qu’il y ait quelque principe qui dirige nos pensées vers la chose la première de toutes ? Il a évidemment en vue dans cette