Page:A la plus belle.djvu/148

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lui qu’une reine est au-dessus de son page. Cet amour l’avait fait homme tout à coup, homme courageux[1]. La veille encore il avait peur de son ombre, mais au siège de Tombelène il se battit si bien que messire Aubry, le père de notre Aubry actuel, lui avait donné sa lance à porter.

Depuis lors Jeannin était devenu gendarme. Mais chevalier, quelle moquerie !

Notez que la veille du jour où il se battit si bel et si bien au rocher de Tombelène, si on lui avait dit : Demain tu porteras la lance de messire Aubry, il eût répondu de même : Quelle moquerie ! Le défaut de Jeannin c’était la modestie. Nous parlons sérieusement. La modestie est un défaut quand elle enchaîne l’audace. Et ne pas oser le bien qu’on peut, est presque un crime.

Chevalier ! il ne daigna pas même arrêter longtemps sa pensée à ce rêve impossible. Les préoccupations politiques ne tardèrent point à l’obséder de nouveau. Il n’avait point, vraiment, la cervelle qu’il faut pour débrouiller de pareils échevaux.

— Puis-je laisser monseigneur le duc en danger ? se demandait-il et si je l’avertis, il passera le Couesnon à la tête de ses compagnies ! Je le connais, il le fera, c’est la guerre Et la pauvre Bretagne a si grand besoin de paix !

Que résoudre ? Fallait-il parler fallait-il se taire ? Ici un danger, là un autre. Les dernières paroles du vieux Maurever revenaient à la mémoire de Jeannin, il entrevoyait l’agonie de la Bretagne. Et sa détresse allait augmentant toujours, parce qu’il ne découvrait point d’issue à ses perplexités.

Comme il songeait ainsi, travaillant à vide, s’efforçant à tâtons, la cavalcade avançait. On avait traversé tout le marais de Dol ; au loin on apercevait déjà les tourbillons de poussière et de fumée qui marquaient ale lieu de la fête. Les hommes d’armes et Javotte trépignaient d’impatiente. Javotte surtout, mi Jésus ! car Marcou de Saint-Laurent, le démon de

  1. Voir la Fée des Grèves.