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IRÈNE ET LES EUNUQUES

Elle s’interrompit, pâmée en sa passion ressouvenue, devant l’admiration de la jeune reine :

— Comme tu es heureuse, en te rappelant !

Irène alors continua, et elle assistait à la magnificence de sa jeunesse :

— Écoute. Il encouragea ma beauté. Il peupla mon intelligence ébahie. Auparavant j’étais comme une campagne déserte… Dès que je le connus, les oiseaux lumineux du savoir commencèrent à voler sur toutes les fleurs qui s’épanouirent. La lumière grandissait en moi… Pareilles aux essaims blancs des nymphes, les idées nouvelles accoururent. Je me sentis pleine d’espoirs actifs. Ensuite mon âme fut une large route où passèrent avec leurs dieux, leurs armes et les images de leurs villes, les peuples d’autrefois. De chaque cortège se détachaient des héros, des poètes, des philosophes, pour demeurer en ma mémoire avec leurs maximes et leurs hauts faits. Bientôt ils s’assemblèrent comme les habitants d’un bourg ombragé qui écoutent les conteurs auprès de la fontaine. Ce fut comme un camp : les bruits de l’histoire y retentirent. Plus tard, il éleva, dans mon intelligence, un temple où les Philosophies dissertèrent. Et le peuple d’idées grandit toujours. Je finis par me connaître ainsi qu’une ville impériale, dorée par ses dômes, pavoisée par tous ses étendards, traversée en mille sens par des voies diverses où se pressent des cohues de souvenirs, où triomphent des cortèges de visions, où se hâte une humble populace de syllogismes.