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GOUVERNEMENT DANS LES ÉTATS PARTICULIERS.

Il y a deux moyens de diminuer la force de l’autorité chez une nation.

Le premier est d’affaiblir le pouvoir dans son principe même, en ôtant à la société le droit ou la faculté de se défendre en certains cas : affaiblir l’autorité de cette manière, c’est en général ce qu’on appelle en Europe fonder la liberté.

Il est un second moyen de diminuer l’action de l’autorité : celui-ci ne consiste pas à dépouiller la société de quelques uns de ses droits, ou à paralyser ses efforts, mais à diviser l’usage de ses forces entre plusieurs mains ; à multiplier les fonctionnaires en attribuant à chacun d’eux tout le pouvoir dont il a besoin pour faire ce qu’on le destine à exécuter. Il se rencontre des peuples que cette division des pouvoirs sociaux peut encore mener à l’anarchie ; par elle-même, cependant, elle n’est point anarchique. En partageant ainsi l’autorité, on rend, il est vrai, son action moins irrésistible et moins dangereuse, mais on ne la détruit point.

La révolution aux États-Unis a été produite par un goût mûr et réfléchi pour la liberté, et non par un instinct vague et indéfini d’indépendance. Elle ne s’est point appuyée sur des passions de désordre ; mais, au contraire, elle a marché avec l’amour de l’ordre et de la légalité.

Aux États-Unis donc on n’a point prétendu que l’homme dans un pays libre eût le droit de tout faire ; on lui a au contraire imposé des obligations sociales plus variées qu’ailleurs ; on n’a point eu l’idée d’attaquer le pouvoir de la société dans son principe et de lui contester ses droits, on s’est borné à le diviser