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Page:Alexis de Tocqueville - De la démocratie en Amérique, Pagnerre, 1848, tome 1.djvu/278

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GOUVERNEMENT FÉDÉRAL.

pour faire place à la réalité, et l’on pourrait voir la puissance organisée d’une partie du territoire en lutte avec l’autorité centrale.

J’en dirai autant de la justice fédérale. Si, dans un procès particulier, les tribunaux de l’Union violaient une loi importante d’un État, la lutte, sinon apparente, au moins réelle, serait entre l’État lésé représenté par un citoyen, et l’Union représentée par ses tribunaux[1].

Il faut avoir bien peu d’expérience des choses de ce monde pour s’imaginer qu’après avoir laissé aux passions des hommes un moyen de se satisfaire, on les empêchera toujours à l’aide de fictions légales de l’apercevoir et de s’en servir.

Les législateurs américains, en rendant moins probable la lutte entre les deux souverainetés n’en ont donc pas détruit les causes.

On peut même aller plus loin, et dire qu’ils n’ont pu, en cas de lutte, assurer au pouvoir fédéral la prépondérance.

Ils donnèrent à l’Union de l’argent et des soldats, mais les États gardèrent l’amour et les préjugés des peuples.

  1. Exemple : La constitution a donné à l’Union le droit de faire vendre pour son compte les terres inoccupées. Je suppose que l’Ohio revendique ce même droit pour celles qui sont renfermées dans ses limites, sous le prétexte que la constitution n’a voulu parler que du territoire qui n’est encore soumis à aucune juridiction d’État, et qu’en conséquence il veuille lui-même les vendre. La question judiciaire se poserait, il est vrai, entre les acquéreurs qui tiennent leur titre de l’Union et les acquéreurs qui tiennent leur titre de l’État, et non pas entre l’Union et l’Ohio. Mais si la cour des États-Unis ordonnait que l’acquérenr fédéral fût mis en possession, et que les tribunaux de l’Ohio maintinssent dans ses biens son compétiteur, alors que deviendrait la fiction légale ?