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NOTES.

Veut-il nous apprendre quels motifs portèrent les puritains à chercher un asile au-delà des mers, il dit :

« Le Dieu du ciel fit un appel à ceux d’entre son peuple qui habitaient l’Angleterre. Parlant en même temps à des milliers d’hommes qui ne s’étaient jamais vus les uns les autres, il les remplit du désir de quitter les commodités de la vie qu’ils trouvaient dans leur patrie, de traverser un terrible océan pour aller s’établir au milieu de déserts plus formidables encore, dans l’unique but de s’y soumettre sans obstacle à ses lois. »

« Avant d’aller plus loin, ajoute-t-il, il est bon de faire connaître quels ont été les motifs de cette entreprise, afin qu’ils soient bien compris de la postérité ; il est surtout important d’en rappeler le souvenir aux hommes de nos jours, de peur que, perdant de vue l’objet que poursuivaient leurs pères, ils ne négligent les vrais intérêts de la Nouvelle-Angleterre. Je placerai donc ici ce qui se trouve dans un manuscrit où quelques uns de ces motifs furent alors exposés.

« Premier motif : Ce serait rendre un très grand service à l’Église que de porter l’Évangile dans cette partie du monde (l’Amérique du Nord), et d’élever un rempart qui puisse défendre les fidèles contre l’Antechrist, dont on travaille à fonder l’empire dans le reste de l’univers.

« Second motif : Toutes les autres Églises d’Europe ont été frappées de désolation, et il est à craindre que Dieu n’ait porté le même arrêt contre la nôtre. Qui sait s’il n’a pas eu soin de préparer cette place (la Nouvelle-Angleterre) pour servir de refuge à ceux qu’il veut sauver de la destruction générale ?

« Troisième motif : Le pays où nous vivons semble fatigué d’habitants ; l’homme, qui est la plus précieuse des créatures, a ici moins de valeur que le sol qu’il foule sous ses pas. On regarde comme un pesant fardeau d’avoir des enfants, des voisins, des amis ; on fuit le pauvre ; les hommes repoussent ce qui devrait causer les plus grandes jouissances de ce monde, si les choses étaient suivant l’ordre naturel.

« Quatrième motif : Nos passions sont arrivées à ce point qu’il n’y a pas de fortune qui puisse mettre un homme en état de maintenir son rang parmi ses égaux. Et cependant celui qui ne peut y réussir est en butte au mépris : d’où il résulte que dans toutes les professions on