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Page:Alexis de Tocqueville - De la démocratie en Amérique, Pagnerre, 1848, tome 1.djvu/83

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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

entre tous les enfants, ses effets sont de deux sortes ; il importe de les distinguer avec soin, quoiqu’ils tendent au même but.

En vertu de la loi des successions, la mort de chaque propriétaire amène une révolution dans la propriété ; non seulement les biens changent de maîtres, mais ils changent, pour ainsi dire, de nature ; ils se fractionnent sans cesse en portions plus petites.

C’est là l’effet direct et en quelque sorte matériel de la loi. Dans les pays où la législation établit l’égalité des partages, les biens, et particulièrement les fortunes territoriales, doivent donc avoir une tendance permanente à s’amoindrir. Toutefois, les effets de cette législation ne se feraient sentir qu’à la longue, si la loi était abandonnée à ses propres forces ; car, pour peu que la famille ne se compose pas de plus de deux enfants (et la moyenne des familles dans un pays peuplé comme la France n’est, dit-on, que de trois), ces enfants se partageant la fortune de leur père et de leur mère, ne seront pas plus pauvres que chacun de ceux-ci individuellement.

Mais la loi du partage égal n’exerce pas seulement son influence sur le sort des biens ; elle agit sur l’âme même des propriétaires, et appelle leurs passions à son aide. Ce sont ses effets indirects qui détruisent rapidement les grandes fortunes et surtout les grands domaines.

Chez les peuples où la loi des successions est fondée sur le droit de primogéniture, les domaines territoriaux passent le plus souvent de générations en générations sans se diviser. Il résulte de là que l’esprit de famille se matérialise en quelque sorte dans la