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L’ARROSEUR

de l’estomac, et ça vous répond un peu dans le ventre. Très curieux le coup de foudre !

« Parmi ces dernières, disais-je donc, une grande femme brune, d’une quarantaine d’années, tournait, tournait, tournait.

Est-elle jolie ? Je n’en sais rien, mais à son aspect, je compris tout de suite que c’en était fait de moi. J’aimais cette femme, et je n’aimerais jamais qu’elle.

« Fiche-toi de moi si tu veux, mais c’est comme ça.

« Elle s’accompagnait de sa fille, une grande vilaine demoiselle de vingt ans, anguleuse et sans grâce.

« Le lendemain, j’avais lâché Trouville, mon castel auvergno-japonais, et je m’installais à Houlbec.

« Mon coup de foudre était la femme du capitaine des douanes, un vieux bougre pas commode du tout et joueur à la manille aux enchères, comme feu Manille aux enchères lui-même.

« Moi, qui n’ai jamais su tenir une carte de ma vie, je n’hésitai pas, pour me rapprocher de l’idole, à devenir le partenaire du terrible gabelou !

« Oh ! ces soirées au Café de Paris, ces effroyables soirées uniquement consacrées à me faire traiter d’imbécile par le capitaine, parce que je lui coupais ses manilles ou parce que je ne les lui coupais pas. Car, à l’heure qu’il est, je ne suis pas encore bien fixé.

« Et puis je ne me rappelais jamais que c’était le dix le plus fort à ce jeu-là. Oh ! ma tête, ma pauvre tête !

« Un jour enfin, au bout d’une semaine environ, ma constance fut récompensée. Le gabelou m’invita à dîner.

« Charmante, la capitaine, et d’un accueil exquis. Mon cœur flamba comme braise folle. Je mis tout en œuvre pour ar-