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L’ARROSEUR

— Je ne sais pas.

— Moi, je sais… C’est la chambre qu’on réserve toujours aux jeunes ménages, en évident voyage de noces.

— Ah !

— Parfaitement !… Eh bien ! méfiez-vous du bouchon.

— Le bouchon !… Quel bouchon ?

— Comment, vous ne connaissez pas la petite plaisanterie du bouchon ?

— Je vous avoue…

Ce vieux excellent bourgeois de Munich — car il était excellent — me raconta le coup du bouchon.

La chambre en question, celle qu’à l’auberge des Trois Rois on réserve aux jeunes ménages, est garnie d’un lit qui est précisément situé juste au-dessus d’une petite salle du rez-de-chaussée, laquelle sert d’estaminet privé, où, le soir, viennent s’abreuver, toujours les mêmes, quelques braves commerçants de Kleinberg.

Au sommier du lit est attachée une ficelle qui, passant à travers un trou pratiqué dans le parquet, pend dans la petite salle du dessous.

Au bout de la ficelle, un bouchon.

Vous devinez la suite, n’est-ce pas ?

Le moindre mouvement du sommier agite la ficelle et se traduit, en bas, par une saltation plus ou moins désordonnée du bouchon.

Voyez-vous d’ici la tête des calmes bourgeois de Kleinberg, buvant et fumant toute la soirée, sans quitter des yeux le folâtre morceau de liège.

D’abord, petit mouvement, quand la dame se couche.

Et puis plus gros mouvement, quand c’est le monsieur.

Et puis… le reste.

Des fois, paraît-il, le spectacle de ce bouchon gambilleur