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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/14

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

Nulle trace de semailles dans les champs, aucune apparence de vie autour des habitations. Par les portes laissées ouvertes, on voyait la grange vide, l’étable et l’écurie abandonnées ; ni vaches ni chevaux au râtelier. Au bord d’une route, pourrissant à l’air, gigantesque dans l’ombre, quelqu’une de ces grandes voitures à échelles auxquelles les paysans lorrains attellent plusieurs chevaux, venue on ne sait d’où, au moment de l’effroyable panique que produisit dans la contrée l’invasion de la iiie armée allemande, commandée par le prince royal. Il était facile de constater que tout travail avait cessé dans les hangars de bois et de briques des scieries de planches, des clouteries…

Quel contraste avec ces mêmes lieux dans les précédentes années ! Les populations industrieuses de ces villages s’y montraient actives même durant l’hiver, occupées alors à faire de la boissellerie, des sabots, des limes, des clous, des chaussures communes, des instruments de musique ; car, ainsi que dans le Velay, l’Auvergne et le Jura, les longs hivers et le sol avare des pays de montagnes ont obligé les habitants des Vosges à se créer des ressources en dehors de l’agriculture et de l’élève des bestiaux.

Mais beaucoup de paysans avaient fui devant l’invasion. Dès que Gambetta prit la conduite des affaires militaires, presque tous les hommes valides répondirent aux appels sous les drapeaux, et le département des Vosges, surveillé par l’ennemi de moins près que la Meurthe, avait pu fournir aux bataillons mobilisés d’excellents contingents. D’autres étaient allés s’enrôler dans les compagnies franches.

Ces braves populations semblaient pressentir que la victoire définitive des Allemands les arracherait à la France ! Or, les Lorrains, c’est une justice à leur rendre, joignent à une incontestable bravoure des qualités qui la font valoir : ils sont froids, réfléchis, ordonnés. Toujours tenus en éveil comme les populations de frontières et pénétrés de l’esprit militaire, ils ont donné à notre pays des hommes de guerre comme Bassompierre, Fabert et Chevert, des maréchaux de France comme Gouvion Saint-Cyr, Lobau, Duroc, Oudinot, Victor, Excelmans, Molitor, Ney, des généraux tels que Custines, Houchard, Eblé, Drouot, Grangean, Jacqueminot, Fabvier et tant d’autres !

Même, rassurés sur le sort de leur province, les habitants de la région des Vosges auraient encore eu un puissant stimulant, capable de les pousser à la défense commune : c’est dans la partie occidentale du département des Vosges que se trouve, au bord de la Meuse, le village où naquit Jeanne D’arc : Domremy ; c’est de là qu’elle partit pour aller accomplir sa mission patrio-