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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

et plusieurs autres « amateurs » s’échappaient par la porte de derrière, le feutre mou sur l’oreille, la cigarette aux lèvres, et allaient se mêler à la foule attirée par les premiers coups de grosse caisse. La parade allait commencer.

Ce soir-là, Jacob sortit deux fois vainqueur de la lutte. Il avait coupé ses moustaches et taillé ses cheveux d’une manière bizarre ; la tenue débraillée d’un marin du commerce remplaçait son habit bourgeois : histoire de dérouter ceux qui auraient trop facilement reconnu « l’amateur » de tous les soirs. Il y réussit au point que Jean lui-même eut besoin do suivre son parent assez avant dans la rue du Débarcadère, pour être tout à fait sûr de son identité : Hans et Jacob se prirent de querelle ; ils disputaient en allemand, et Jean ne connut pas la cause du désaccord…

Le jeune garçon marchait tout songeur. Il cherchait ce moyen d’entrer en possession du carnet soustrait, — quelque moyen audacieux peut-être, mais qui serait honnête quand même, vu l’honorabilité du but et l’indignité des gens à qui il avait affaire. Il ne voulait pas aller se coucher avant d’avoir trouvé… Il lui semblait que ses idées s’activeraient grâce au mouvement…

La soirée était fort belle, éclairée par un croissant de lune, tout juste assez pour laisser leur éclat aux étoiles et leur utilité aux becs de gaz. Jacob et Hans pénétrèrent dans l’hôtel de troisième ordre où Jean les avait déjà vus entrer…

Le petit Parisien tourna le dos au Cours, et descendit vers les bassins de la ville, admirant cette activité commerciale qui fait du Havre un des plus grands ports de la France. Il longea d’un pas fébrile le bassin Vauban, revint sur ses pas et, laissant à sa gauche le bassin de l’Eure, il contourna le bassin de la Barre ; puis remontant au nord par le quai Casimir Delavigne (un illustre enfant du Havre), il suivit le bassin du Commerce, par le quai du même nom, redescendit vers l’avant-port par le quai des Casernes qui borde le vieux bassin, et ne s’arrêta un moment qu’à l’extrémité de l’avant-port, sur la place des Pilotes : un trois-mâts américain sortait à pleines voiles.

Mais le moyen à employer ne se présentait pas à l’esprit rétif du chercheur…

Il s’en retourna perplexe vers les coteaux d’Ingouville, en prenant le boulevard François Ier, qui monte vers le nord…

Il arriva à la maisonnette qu’avait achetée Reculot, et dont l’escalier se trouvait en dehors comme l’escalier d’un chalet suisse, formant galerie et protégé par un auvent, à l’imitation de nombre d’anciennes maisons du Havre, où le bois jouait un plus grand rôle que la brique et la pierre.