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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

— Ah ! madame, tous les jours on vient nous faire des réclamations de ce genre, et pour ne parler que de la petite en question, vous êtes la cinquième depuis deux ans qui venez la réclamer ; cela est sûr et certain.

— Et vous croyez que je me contenterai de cette explication ? s’écria la baronne, hors d’elle-même. Sachez, monsieur, que je vais déposer une plainte au parquet. Ah ! vous ne voulez pas comprendre ce qu’il y a de poignant dans la douleur d’une pauvre femme qui cherche partout l’enfant ravie à son affection ! C’est une peine chaque jour ravivée, cent fois plus cruelle que l’aurait été la mort même de la chère créature. La savoir vivante, mais morte pour moi seule ! Vivante, mais exposée à tous les hasards d’une vie d’aventures et de misère. Ah ! monsieur, si vous savez où elle est, par pitié, dites-le-moi !

Le vieillard fut plus touché de ce désespoir et de ces supplications que des menaces de la baronne. Il parut faiblir et chercher un moyen de concilier des sentiments et des intérêts contraires, et en même temps de dégager sa responsabilité. Il souleva le rideau d’indienne qui interceptait la vue de l’intérieur de la loge, et invita à entrer la baronne et les deux jeunes garçons qui l’accompagnaient. Quand ils furent dans le petit espace vide ménagé entre la scène et les premières banquettes, il appela et demanda des sièges. La baronne et Maurice regardaient avec tristesse cette corde raide qui traversait le petit théâtre dans sa longueur. La baronne porta son mouchoir à ses yeux. Jean devinait les pensées de la pauvre mère et, troublé, il se rappelait combien de fois il avait vu danser sur cette corde, la pauvre petite !

— Voyons, madame, dit le directeur de l’Illustre théâtre en invitant la baronne à s’asseoir, avez-vous réellement la conviction que cette petite Emmeline est l’enfant que vous cherchez ? Pour parler comme vous parlez, encore faudrait-il être sûre et certaine.

— Mon cœur me dit que c’est elle, répondit la baronne sans hésiter.

— Et puis les portraits, madame ? dit Jean ; puisque c’est avec les portraits que je l’ai reconnue.

Madame du Vergier montra les photographies de sa fille.

— Je ne vois pas trop la ressemblance, dit le vieil homme.

La ressemblance existait bien plus en effet, entre le frère et la sœur, que dans ces portraits datant déjà de plusieurs années. Cette remarque dut être faite par le directeur de la troupe qui ne cessait de regarder Maurice. La femme qu’on appelait madame Emmeline ne lui avait jamais fait de confidences entières. Il savait seulement d’une manière positive qu’elle n’était