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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

lais trépasser, tu connais la maison de ma tante ? Rappelle-toi : quai du Mont-Riboudet… Oh ! si tante Pelloquet passait par ici et me trouvait dans cet état !… Cette fois, elle m’enverrait au pôle nord, dans les glaces…

— Tu te sens donc capable d’aller encore quelque part ?

— Dame ! je ne sais pas trop ; j’ai un trou au front à y mettre le doigt. Attends, je vais aller te montrer ça… si j’en ai la force… Non, viens plutôt, toi.

— Impossible de bouger, mon vieux. J’ai le bras pris comme dans un étau. Il n’y a que toi pour me dégager…

— Tu n’as que ça ?

— Oh ! je crierais si j’avais moins de courage… si tu savais ce que j’endure ! mais viens vite à mon secours. S’il allait revenir, il nous tuerait pour tout de bon, cette fois…

Barbillon se souleva enfin et se traîna jusqu’à son camarade.

— Il m’a tout pris, lui dit Jean à demi-voix comme s’il craignait en se plaignant de voir revenir l’Allemand.

— Quoi, tout ? demanda Barbillon.

— Ma montre… mon argent.

— Comment ferons-nous pour manger ?

— Ah ! je vois que tu n’es pas mort… S’il te reste des forces, dit Jean d’une voix suppliante, écarte un de ces arbres qui me broient… Encore ! encore un effort !… Me voilà ! s’écria-t-il en se remettant sur pied. Oui, ce misérable Allemand m’a volé ! Comment ne nous a-t-il pas tués ?

— S’il allait revenir pour nous achever ?

— C’est ce que je te disais tantôt ; c’est bien là ma grande peur.

Ils entendirent dans le bois un grand bruit de pas et de branches brisées, et tous deux pâlirent.

— Sauvons-nous, Jean ! cria Barbillon.

Jean apercevant le garde champêtre retint son camarade.

— Eh là ! fit maître Pitoiset ; comme vous v’là effabis[1], les gars ! Et celui-là, avec son atout à la face, et du sang ! il est quasiment matrassé. C’est-y Dieu possible ! Oh ! mais je vas verbaliser… Qui vous a arrangés comme ça, mes éfans ? Queuque mauvais rôdeur ben sûr ? Contez-moi ça de fil en aiguille, et je « balierai » le pays du gueux qui a fait le coup. Toi, c’est la tête qu’est rompue, dit-il en s’adressant à Barbillon, et toi petiot ? demanda-t-il à Jean…

  1. Pâles, défaillants