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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

au nord-ouest — coup d’essai et chef-d’œuvre de Vauban ; remparts et citadelle qui en font une place de guerre de premier ordre ; il n’ignorait pas que c’est la Deule qui traverse Lille, et que cette rivière s’y divisant en un grand nombre de bras, y forme deux canaux principaux…

Il avait vaguement aperçu le très bizarre beffroi, véritable pain de sucre, surmonté d’une tulipe épanouie, du centre de laquelle s’élance là flèche aiguë d’un clocher. Par hasard, enfin, il avait été amené à voir le quartier des Étaques, très assaini, mais où l’on comptait naguère un millier de familles grouillant dans des caves humides dont un peu de paille constitue tout le mobilier.

Un soir qu’il avait tendu un peu plus tôt que de coutume la toile formant la devanture de sa boutique foraine, il alla promener son ennui devant les grandes loges enguirlandées de bec de gaz. Les deuxièmes représentations de la soirée allaient commencer partout.

Tout à coup, son œil est attiré vers une parade, où deux jeunes filles de dix à douze ans exécutaient avec beaucoup de grâce une danse espagnole ; la plus grande, vêtue d’un costume d’homme : veste de drap brun ornée de rangées de boutons dorés, culotte courte, bas de soie, sur la tête la « baretta » avec houppe sur le côté, les cheveux tordus dans une résille ; l’autre jeune fille en « manola », avec la robe de soie jaune et volants de dentelles noires. Elle faisait claquer ses castagnettes avec des mouvements arrondis, admirés déjà ailleurs par Jean. Le pauvre garçon soupira en pensant à Emmeline et, par respect pour ce souvenir adoré, il s’avança vers la loge avec un véritable recueillement, tandis que la foule accourait et se pressait pour admirer les baladines. La manola, très blonde, secouait une rose dans ses cheveux.

— Mais c’est elle ! s’écria Jean ; c’est elle ! c’est Emmeline !

— Non, Cydalise, dit à son oreille un grand sec qui lui fit faire un mouvement comme s’il eût reconnu Hans Meister.

Et son cœur battant bien fort, derrière les pirouettes des deux danseuses, son œil alla chercher au « bureau », la fameuse « mère » pour vérifier, éperdu, s’il n’était pas le jouet d’une ressemblance.

Assis au bureau, un homme à forte carrure ressemblait si fort à Jacob Risler, que Jean se crut décidément sous l’empire d’une hallucination. Si au moins, les jeunes filles s’arrêtaient un instant !… si les cuivres suspendaient leur fandango enragé ! Ils n’étaient donc pas à bout de souffle ces musiciens ? les danseuses ne se lasseraient donc pas ? Jean se fit un abat-jour de sa main