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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/528

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

Jean quitta sa petite chambre d’hôtel et vint loger auprès de son oncle. Il prenait ses repas avec la troupe ; il déjeunait dans la salle basse de l’hôtellerie où il avait installé les comédiens ambulants ; le repas du soir se faisait sous la tente de toile, au champ de foire et, pour ainsi dire, dans les coulisses. Le jeune parent de Risler remplissait les cent emplois utiles énumérés par Jacob lors de la rencontre à Dunkerque.

Malgré tout, les forces du jeune homme ne revenaient pas, ni sa franche et bonne humeur, perdue depuis le jour où il lui avait fallu renoncer à son nom, après s’être en vain efforcé de lui rendre son honorabilité. Il ne retrouvait pas davantage son entrain d’enfant de Paris : plus il voyait Cydalise, plus il s’effrayait d’être là à cause d’elle, ne pouvant oublier un instant que c’était lui qui la retenait dans cette vie de hasard qui ne devait pas être la sienne.

Par l’effet d’un singulier trouble de son imagination, Jean voyait parfois la jeune fille dans les contrastes d’une double existence : l’une humiliée, précaire, aventureuse dont il était témoin, l’autre fastueuse et pleine de considération. Dans un même moment, il la voyait sur la plate-forme de la loge, pâle et rougissante à la fois, pirouettant et faisant des grâces en face d’une houle de têtes humaines, sous l’éclat du cordon de becs de gaz, assourdie par le vacarme des cuivres, du tambour et de la grosse caisse, secouée par le gong des dompteurs d’en face, troublée par des décharges d’armes à feu et des explosions de pétards, attristée par le rugissement des lions des ménageries ; et il la voyait en même temps dans le salon du calme hôtel de sa famille, à Caen, auprès de sa mère enfin consolée, soit assise à son piano, soit feuilletant des livres à gravures, sous la lampe ; le baron venait la baiser au front avant de s’enfermer dans son cabinet de travail ; Maurice applaudissait le talent de musicienne de sa sœur, ou se penchait avec elle sur les beaux livres. Et Jean se disait qu’il suffirait d’un mot de lui pour faire que ce rêve de bonheur succédât pour la pauvre enfant à l’horrible cauchemar qui semblait être son existence, s’il était vrai qu’elle eût été dérobée à ses parents et qu’elle n’en doutât plus.

La troupe de Risler poursuivit son itinéraire ; elle devait se trouver à Saintes au commencement de juillet, puis à Rochefort, pour, de là, aller à Angoulême où, le 15 août, s’ouvre une fête très suivie. Généralement, les grandes troupes continuent leur tournée en passant par Périgueux où le 1er septembre commence une foire, à cette occasion ont lieu des courses ; après Périgueux, elles se rendent à Agen pour la foire du Pain ; à Toulouse pour la dernière